Entretien avec Tracey Deer

au col­loque « Je suis île »


Mélis­sa Géli­nas et Isa­belle St-Amand 

Résu­mé
Le ciné­ma des femmes autoch­tones contient aujourd’hui des pro­po­si­tions fortes et per­cu­tantes qui trans­forment le pay­sage média­tique et ciné­ma­to­gra­phique au Qué­bec. Afin de sou­li­gner la pré­sence des réa­li­sa­trices autoch­tones et de recon­naître leur apport gran­dis­sant au ciné­ma qué­bé­cois, nous pré­sen­tons et com­men­tons les pro­pos tenus par la réa­li­sa­trice mohawk Tra­cey Deer lors d’un entre­tien public réa­li­sé en octobre 2017, à l’Université de Mont­réal, en clô­ture du col­loque «“Je suis île” / “I Am Turtle”». Orga­ni­sé par Marie-Eve Bra­dette, Julie Graff, Gabrielle Mar­coux, Alexia Pin­to Fer­ret­ti et Louise Vigneault, ce col­loque inter­ro­geait la place des « repré­sen­ta­tions artis­tiques, cultu­relles et iden­ti­taires autoch­tones dans l’espace urbain ». Dans cet entre­tien, Deer revient sur son par­cours comme femme et réa­li­sa­trice mohawk de Kahnawà:ke et elle dis­cute des réflexions qu’elle sou­haite mener au ciné­ma et à la télé­vi­sion, des dif­fé­rents publics visés par ses créa­tions, ain­si que des voies d’avenir qu’elle désire ouvrir.

Sum­ma­ry
Cur­rent indi­ge­nous women’s cine­ma contains strong and power­ful pro­po­sals that are trans­for­ming the media and film land­scape in Que­bec. To high­light the pre­sence of indi­ge­nous women direc­tors and to reco­gnize their gro­wing contri­bu­tion to Que­bec cine­ma, we present and com­ment on the remarks made by Mohawk direc­tor Tra­cey Deer in a public inter­view conduc­ted in Octo­ber 2017 at the Uni­ver­si­té de Mont­réal. clo­sing of the confe­rence “” Je suis île “/” I Am Turtle ““. Orga­ni­zed by Marie-Eve Bra­dette, Julie Graff, Gabrielle Mar­coux, Alexia Pin­to Fer­ret­ti and Louise Vigneault, this confe­rence ques­tio­ned the place of”artistic repre­sen­ta­tions, cultu­ral and indi­ge­nous iden­ti­ty in the urban space”. In this inter­view, Deer reflects on her jour­ney as a Mohawk woman and direc­tor of Kah­nawà: ke and dis­cusses her thoughts on film and tele­vi­sion, dif­ferent audiences for her crea­tions, and ave­nues that she wishes to open.


En 1983, les femmes autoch­tones étaient absentes de la réflexion autour des deux volets «être vues» et «prendre la parole» exa­mi­nés dans la publi­ca­tion Femmes et ciné­ma qué­bé­cois (Car­rière, 1983). Celles-ci avaient pour­tant été repré­sen­tées dans le ciné­ma qué­bé­cois. Plus encore, des pion­nières telles la réa­li­sa­trice abé­na­quise Ala­nis Obom­sa­win et la poé­tesse et docu­men­ta­riste innue José­phine Bacon tra­vaillaient déjà à remé­dier au manque de visi­bi­li­té des auto­re­pré­sen­ta­tions autoch­tones au grand comme au petit écran. Ces cinéastes s’affairaient à allier les récits et les tra­di­tions orales autoch­tones aux méthodes du ciné­ma docu­men­taire. À l’occasion de ce numé­ro de Nou­velles Vues, « Femmes et ciné­ma qué­bé­cois II : 35 ans plus tard », nous sou­hai­tons rendre compte de la dis­tance par­cou­rue depuis 1983 en remé­diant à l’absence des repré­sen­ta­tions et de la prise de parole des femmes autoch­tones obser­vée dans la pre­mière publi­ca­tion, il y a plus de trois décen­nies. Les cinéastes autoch­tones portent aujourd’hui des pro­po­si­tions fortes et per­cu­tantes qui trans­forment le pay­sage média­tique et ciné­ma­to­gra­phique au Qué­bec. C’est ce qu’indique clai­re­ment le tra­vail de cinéastes telles que Sonia Bons­pille-Boi­leau, Kim O’Bomsawin, Ale­thea Arna­quq-Baril, Caro­line Mon­net, Rea­ghan Tar­bell ou encore, au Wapi­ko­ni mobile, Meky Otta­wa, Jem­my Echa­quan Dubé, Eli­sa Moar et Karen Pinette Fontaine.

À l’heure actuelle, étant don­né cette vita­li­té et l’impératif de déco­lo­ni­sa­tion que ces créa­trices main­tiennent au pre­mier plan, il nous appa­raît essen­tiel de sou­li­gner la pré­sence des réa­li­sa­trices autoch­tones et de recon­naître leur apport gran­dis­sant et cru­cial au ciné­ma qué­bé­cois. Pour ce faire, nous par­ta­geons les pro­pos de la cinéaste mohawk Tra­cey Deer, tels qu’exprimés dans le contexte d’un entre­tien public réa­li­sé autour de la démarche artis­tique de la cinéaste et por­tant plus spé­ci­fi­que­ment sur Mohawk Girls (2013–2017), la série télé­vi­sée que Deer a récem­ment cocréée, réa­li­sée et copro­duite. Cet échange a consti­tué, en octobre 2017, à l’Université de Mont­réal, l’activité de clô­ture du col­loque « “Je suis île” / “I Am Turtle” », qui inter­ro­geait la place des « repré­sen­ta­tions artis­tiques, cultu­relles et iden­ti­taires autoch­tones dans l’espace urbain ».1 Dans une visée de déco­lo­ni­sa­tion, les orga­ni­sa­trices du col­loque sou­hai­taient créer « un espace mul­ti­forme d’échanges cri­tiques afin d’étudier ces dyna­miques d’absences, de (ré)inscriptions et de (ré)appropriations actives des espaces urbains, ins­ti­tu­tion­nels et imma­té­riels. » Répon­dant à leur appel, des artistes autoch­tones telles que Cathe­rine Boi­vin, Jani Bel­le­fleur-Kal­tush, Sonia Robert­son et Tra­cey Deer sont venues dis­cu­ter de leurs démarches créa­trices et des contextes dans les­quels elles s’inscrivent. La grande richesse de l’entretien de clô­ture et de l’échange avec le public nous a inci­tées non à le repré­sen­ter ou à l’inter­pré­ter, mais bien à le pré­sen­ter ici comme parole savante à part entière.2

En effet, si la réflexion et les approches théo­riques ayant émer­gé depuis 1983 per­mettent de nou­velles ana­lyses, telles les inter­ro­ga­tions fémi­nistes, queer et inter­sec­tion­nelles, cela est d’autant plus vrai dans le domaine des études autoch­tones. Au cours des deux der­nières décen­nies, des tra­vaux impor­tants sur la métho­do­lo­gie de la recherche (Mihe­suah et Wil­son, 2004; Smith, 2012; Moren­ton-Robin­son, 2016; Jus­tice, 2018), les repré­sen­ta­tions colo­niales (Sin­ger, 2001; LaRocque, 2010; Cor­nel­lier, 2015) et la sou­ve­rai­ne­té visuelle (Richards, 1995; Rahe­ja, 2011; Dowell, 2013 et 2018) ont mis au point des outils théo­riques essen­tiels à l’étude du ciné­ma et des médias autoch­tones. Ces nou­velles pers­pec­tives nous incitent à réflé­chir aux créa­tions audio­vi­suelles des femmes autoch­tones dans leur rela­tion au ciné­ma qué­bé­cois, certes, mais éga­le­ment à prendre acte de nou­velles façons de les com­prendre et de les contex­tua­li­ser. Ain­si, en pro­lon­geant le col­loque « “Je suis île” », qui visait à (re)donner place aux récits indi­vi­duels et col­lec­tifs sous leurs formes diverses (théo­rie, art, lit­té­ra­ture, ciné­ma, poli­tique, urba­ni­té), nous sou­hai­tons ici faire place aux pro­pos de la cinéaste Tra­cey Deer, qui, devant un public atten­tif et de plus en plus cap­ti­vé, a ren­du compte de son par­cours, de ses moti­va­tions, de sa métho­do­lo­gie et de ses objec­tifs, à la fois en tant que femme mohawk et femme de cinéma.

Nous invi­tons la lec­trice et le lec­teur à se mettre à l’écoute de la créa­trice et mili­tante avec en tête l’idée que les his­toires sont por­teuses de théo­rie, comme le sou­ligne l’écrivaine et intel­lec­tuelle sto:lo Lee Maracle dans Memo­ry Serves (2015).3 Nous les inci­tons du même coup à consi­dé­rer que l’expérience indi­vi­duelle des femmes autoch­tones recèle, comme l’affirme l’écrivaine et intel­lec­tuelle nish­naa­beg Leanne Beta­sa­mo­sake Simp­son dans Sur le dos de notre tor­tue (2018), une por­tée heu­ris­tique capable de nour­rir une solide réflexion sur la résur­gence poli­tique et cultu­relle des peuples pre­miers. Il res­sort d’ailleurs de l’échange qui suit que Deer, à l’instar des réa­li­sa­teurs autoch­tones étu­diés par la cher­cheure sene­ca Michelle H. Rahe­ja dans Reser­va­tion Ree­lism, se sai­sit de l’espace fil­mique et télé­vi­suel comme « d’un site expres­sif qui convoque et maté­ria­lise des savoirs et des connais­sances autoch­tones » (tra­duc­tion libre, 2011, p. 188). Deer conçoit le médium fil­mique comme outil de réflexion qu’elle met stra­té­gi­que­ment à pro­fit pour rejoindre des publics dif­fé­rents. D’une part, elle cherche à géné­rer des ques­tion­ne­ments internes à Kahnawà:ke et chez les com­mu­nau­tés autoch­tones en géné­ral. D’autre part, elle œuvre à réduire les écarts entre com­mu­nau­tés autoch­tones et socié­tés colo­niales. Cet enga­ge­ment à rap­pro­cher les com­mu­nau­tés est par­ti­cu­liè­re­ment remar­quable dans la mesure où il est né de son expé­rience du conflit ter­ri­to­rial tris­te­ment connu comme la crise d’Oka, ou la résis­tance à Kanehsatà:ke et à Kahnawà:ke, et plus pré­ci­sé­ment de la bru­tale et trau­ma­ti­sante attaque à coups de pierres per­pé­trée contre elle et des femmes et des aînés mohawks, à un moment du siège armé où des gens de Kahnawà:ke étaient éva­cués pour assu­rer leur sécu­ri­té.4

Dans l’ensemble, l’entretien avec Tra­cey Deer nous invite à nous inter­ro­ger sur 1) la place non nor­ma­tive et fra­gile qu’occupe Deer au sein du ciné­ma qué­bé­cois (en tant que cinéaste de la nation mohawk qui pro­duit sur­tout en langues kanien’ké:ha et anglaise), 2) l’apport de sa démarche ciné­ma­to­gra­phique en tant que « pro­jet inter­sec­tion­nel » (Mad­di­son et Par­tridge, 2014) visant l’amélioration des rap­ports autoch­tones-alloch­tones, et 3) la mani­fes­ta­tion d’une « sou­ve­rai­ne­té visuelle » (Rahe­ja, 2011) dans sa repré­sen­ta­tion de l’espace dans Mohawk Girls, une télé­sé­rie stra­té­gi­que­ment pré­sen­tée (tex­tuel­le­ment et para-tex­tuel­le­ment) comme une ver­sion autoch­tone de Sex and the City. Mal­gré sa proxi­mi­té avec Mont­réal, Kahnawà:ke demeure le centre de l’univers du récit de Mohawk Girls, grâce notam­ment à la satu­ra­tion visuelle de l’écran. Nous sou­te­nons que cette pré­oc­cu­pa­tion spa­tiale consti­tue non seule­ment une affir­ma­tion de « sou­ve­rai­ne­té visuelle », mais un apport cer­tain au ciné­ma qué­bé­cois au fémi­nin; apport qui acquiert une vive por­tée poli­tique dans l’actuel contexte mar­qué par la résur­gence (cultu­relle) autoch­tone et les pro­jets de récon­ci­lia­tion entre les peuples.

Isa­belle St-Amand : Bon­jour Tra­cey! Pour enta­mer notre conver­sa­tion, pour­rais-tu te pré­sen­ter briè­ve­ment ain­si que ton travail?

Tra­cey Deer : Bon­jour à toutes et à tous! Je suis super contente d’être ici. C’était pas­sa­ble­ment émou­vant pour moi de voir l’épisode que nous venons de regar­der [Mohawk Girls : « Defen­ding my Turf », sai­son 4, épi­sode 3], car nous venons tout juste de ter­mi­ner de fil­mer la der­nière sai­son, la sai­son 5, et je suis pré­sen­te­ment au stade de la post-pro­duc­tion. Je dois donc faire mes adieux à ces per­son­nages et à la télé­sé­rie. Mon dieu! Je vais essayer fort de ne pas pleu­rer. Mais j’avais les larmes aux yeux à la fin de l’épisode. Le fait d’entendre cette musique triste, c’était juste ce qu’il fal­lait pour que mes émo­tions prennent le dessus.

Alors, quelques ren­sei­gne­ments à mon sujet. J’ai gran­di à Kahnawà:ke, une com­mu­nau­té située à seule­ment vingt minutes d’ici [l’entretien a eu lieu à l’Université de Mont­réal]. J’y demeure tou­jours. J’ai vécu la crise d’Oka. J’avais douze ans pen­dant la crise d’Oka et avant cet évé­ne­ment je ne savais même pas que je pou­vais être dif­fé­rente des autres enfants de ce monde. Je jouais dans la boue, je construi­sais des forts, je fai­sais des feux et je pêchais. Puis la crise d’Oka a com­men­cé et, en tant qu’enfant, au début c’était fabu­leux. C’était tel­le­ment le fun! Les acti­vi­tés nor­males de la com­mu­nau­té se sont arrê­tées, aucun de nos parents n’allait tra­vailler, les voi­tures ne cir­cu­laient plus dans les rues, nous devions même nous rendre à la banque ali­men­taire et tous les jours nous deman­der ce qu’il pou­vait bien y avoir dans le petit sac de papier brun… Pour l’enfant que j’étais, tout ceci était une gigan­tesque aven­ture, jusqu’à que ça arrête d’en être une. Pour moi, ce moment s’est cris­tal­li­sé lorsque nous avons dû fuir la com­mu­nau­té parce que nous avions enten­du dire que l’armée cana­dienne pour­rait enva­hir [Kahnawà:ke] et que si cela devait se pro­duire, la situa­tion ris­quait de véri­ta­ble­ment s’envenimer. Il a donc été déci­dé que les femmes, les enfants et les aînés par­ti­raient. Une cara­vane d’environ deux cents voi­tures a fui la com­mu­nau­té. De l’autre côté du pont Mer­cier, une foule de gens furieux nous atten­daient pour nous jeter des pierres. Notre voi­ture a été atteinte par plu­sieurs de ces pierres, mais une en par­ti­cu­lier a écla­té la fenêtre arrière en mille mor­ceaux et ma mère pleu­rait. J’étais assise devant et elle nous a dit de nous cou­cher par terre. Ma sœur et mes deux cou­sines étaient assises sur la ban­quette arrière. À ce moment-là… j’ai véri­ta­ble­ment com­men­cé à me rendre compte de qui j’étais dans ce monde et dans ce pays. À douze ans, ça a véri­ta­ble­ment été un moment très dif­fi­cile. Mon ado­les­cence a été une période très dif­fi­cile.5

J’ai tou­jours vou­lu être cinéaste. Mais je ne me ren­dais pas compte que je pour­rais uti­li­ser ce tra­vail pour ten­ter d’apporter un chan­ge­ment et pour ten­ter d’améliorer ce pays, pour faire en sorte que ce que j’avais vécu n’arrive plus jamais à un enfant autoch­tone. J’ai entre­pris tout un pro­ces­sus de thé­ra­pie pour essayer de résoudre mes propres pro­blèmes. Je suis encore en thé­ra­pie et c’est très impor­tant pour moi que nos com­mu­nau­tés [alloch­tones et autoch­tones] se rap­prochent, que l’écart qui nous sépare s’amenuise, qu’on construise des ponts et qu’on en arrive à une com­pré­hen­sion mutuelle, dans l’intérêt de mon peuple et de ce pays. Je pense que les gens dans ce pays portent en eux une culpa­bi­li­té immense à laquelle ils ne veulent pas faire face et, par consé­quent, nous conti­nuons d’avoir des pro­blèmes. J’essaie donc d’utiliser mon tra­vail pour construire ces ponts et je déploie beau­coup d’humour parce qu’à mon avis, l’humour aide à faire pas­ser la pilule et ain­si les choses peuvent chan­ger. À l’heure actuelle, Mohawk Girls est le pro­jet qui me per­met d’instaurer ces chan­ge­ments. Nous avons tour­né cinq mer­veilleuses sai­sons, pour un total de trente-trois épi­sodes. La télé­sé­rie, comme vous avez pu le consta­ter, met en scène quatre fabu­leuses femmes mohawks qui vivent à Kahnawà:ke. Elles ont toutes la ving­taine avan­cée et elles cherchent à trou­ver leur place dans ce monde. Tout en venant d’un endroit avec des règles et des contraintes par­ti­cu­lières, elles s’intéressent au monde exté­rieur. Com­ment ral­lier ces deux mondes…

La télé­sé­rie est ins­pi­rée de ma vie per­son­nelle et de celle de ma sœur, de mes cou­sines et de mes amies : tout ce qu’on a vécu en tant que jeunes dans la ving­taine – et que j’ai aus­si vécu en tant que tren­te­naire. Beau­coup de ce qui se retrouve dans la série est direc­te­ment tiré de ma vie per­son­nelle ou ins­pi­ré par ce dont j’ai été témoin autour de moi. Bien que ce soit une télé­sé­rie de fic­tion, je main­tiens qu’elle est authen­tique et fidèle à la réa­li­té. Vous pour­riez rele­ver n’importe quelle intrigue et vous dire : « Ben voyons, ce genre de truc n’arrive jamais ou ça ne s’est cer­tai­ne­ment pas pas­sé comme ça! » Et je pour­rais vous répondre : « Eh oui, c’est arri­vé! Ça s’est pro­duit tel ou tel jour. » C’est une comé­die, bien sûr, ce qui fait que nous nous plai­sons à exa­gé­rer. Mais ça reflète effec­ti­ve­ment mon expé­rience de ma propre com­mu­nau­té. Ça ne cor­res­pond pas au vécu de tous et je n’essaie pas de par­ler pour tous les Mohawks, mais je main­tiens que mon expé­rience est valide. Plu­sieurs per­sonnes ont éga­le­ment sou­te­nu que la série reflète aus­si leur vécu.6 Les cinq mer­veilleuses années pas­sées à réa­li­ser la série ont été une expé­rience hau­te­ment épa­nouis­sante. [Elle s’arrête et regarde l’intervieweuse.] Pen­sez-vous que ça com­mence à être assez comme pré­sen­ta­tion? [L’auditoire s’esclaffe.]

Isa­belle St-Amand : Oui, c’est une excel­lente entrée en matière! Com­men­çons par Mohawk Girls, la télé­sé­rie que nous venons de regar­der. Je sais que tu as d’abord réa­li­sé un docu­men­taire éga­le­ment inti­tu­lé Mohawk Girls, avant de te tour­ner vers la fic­tion. Pour­rais-tu nous en dire plus sur ton pas­sage du docu­men­taire à la fic­tion et sur ce que tu essaies d’accomplir à tra­vers la fic­tion qui n’est peut-être pas pos­sible avec le documentaire?

Tra­cey Deer : Cer­tai­ne­ment! Quand j’avais douze ans, j’ai déci­dé que je vou­lais deve­nir cinéaste et cet amour pour la réa­li­sa­tion – la nar­ra­tion – a tout à voir avec la crise d’Oka. Tout de suite après la crise d’Oka, les appa­reils VHS por­tables ont fait leur appa­ri­tion sur le mar­ché et mon père en louait un toutes les fins de semaine. Il louait des tonnes de films. À l’époque, en tant que jeune fille aux prises avec ce qu’aujourd’hui je com­prends être un syn­drome de stress post-trau­ma­tique, ces films ont été mon refuge et ma thé­ra­pie : je pou­vais voya­ger, je pou­vais vivre de la souf­france, de la tris­tesse et de la colère à tra­vers ces films et leurs per­son­nages. Je n’arrivais pas à vivre ces émo­tions direc­te­ment, mais je pou­vais en faire l’expérience à tra­vers [ce rituel ciné­phi­lique]. Je n’avais qu’à… qu’à dis­pa­raître dans ces films et à la fin de cha­cun d’eux je déci­dais : « Mon dieu, je dois abso­lu­ment deve­nir une scien­ti­fique qui gué­rit le can­cer. » Ça c’était Medi­cine Man (John McTier­nan, 1992) avec Sean Conne­ry, si vous avez sai­si la réfé­rence. Il y a éga­le­ment eu Pom­piers en alerte (Ron Howard, 1991) : « Je vais deve­nir pom­pière et je vais sau­ver les gens! » À la fin de chaque film, j’allais voir mes parents et je disais : « Mon dieu, quand je serai grande je veux faire ÇA! » Ensuite, comme je suis une per­sonne très logique, je pre­nais quelques jours pour com­prendre com­ment je pour­rais en arri­ver à exer­cer telle ou telle pro­fes­sion et je trou­vais des obs­tacles à toutes les car­rières pos­sibles et ima­gi­nables. Par exemple, Sean Conne­ry a dû se rendre en Ama­zo­nie. En Ama­zo­nie, il n’y a pas d’installations sani­taires et j’aurais donc dû aller aux toi­lettes dehors. Et il y a des ser­pents… et les ser­pents sont effrayants. Après deux jours, je retour­nais donc voir mes parents et je disais : « Bon, je ne pense pas que je vais aller en Ama­zo­nie en fin de compte… » Ça m’a pris envi­ron quatre mois avant d’avoir cet éclair de génie : « et si je réa­li­sais ces films… peut-être que je pour­rais ain­si ins­pi­rer cette jeune fille qui un jour se ren­dra effec­ti­ve­ment en Ama­zo­nie et trou­ve­ra un remède pour trai­ter le can­cer. Je pour­rais faire l’expérience de cha­cune de ces his­toires si je créais ces his­toires. » Je suis donc retour­née voir mes parents et je leur ai dit : « Voi­ci ce que je vais faire… » et je ne suis jamais reve­nue sur ma déci­sion depuis.

Mon pre­mier amour de jeune fille a été le ciné­ma de fic­tion. Mon rêve a tou­jours été de quit­ter ma com­mu­nau­té, de quit­ter Kahnawà:ke. J’ai eu une rela­tion très, très [elle marque une pause] tumul­tueuse et dif­fi­cile avec ma com­mu­nau­té lorsque j’étais ado­les­cente. Mon but ini­tial était de sor­tir de là au plus vite et de dis­pa­raître dans cette « soupe » qu’est l’Amérique, d’avoir la « petite clô­ture blanche » comme tout le monde… Quand j’étais jeune, je voyais ça comme ma planche de salut. Je suis effec­ti­ve­ment par­tie lorsque j’avais dix-huit ans. Je suis allée étu­dier aux États-Unis et je vou­lais aller à Hol­ly­wood. C’est à l’université que je suis entrée dans cette nou­velle étape de ma quête pour com­prendre ce qu’être une per­sonne autoch­tone sur ce conti­nent signi­fie. Je n’étais plus par­mi les miens. Je n’étais plus chez moi. J’évoluais alors dans un uni­vers com­plè­te­ment dif­fé­rent. J’ai étu­dié à Dart­mouth Col­lege, un éta­blis­se­ment des­ti­né aux élites, des gens très riches, beau­coup de Blancs. J’ai été sou­dai­ne­ment plon­gée dans cette tout autre vision du monde. Ça m’a pas mal cho­quée : « Un ins­tant, je ne pense pas que c’est ce que je veux non plus. » C’est bien enten­du à l’université que beau­coup de gens se trouvent et c’est sou­vent dou­lou­reux… Je me suis assu­rée de prendre au moins un cours de ciné­ma par semestre, car c’était là ma passion.

Lors d’une ses­sion d’été, la seule option dis­po­nible était un cours sur le docu­men­taire et je me suis dit : « Oh, quelle merde, un cours sur le docu­men­taire! » Puis j’ai pen­sé : « Bon, au moins, c’est du ciné­ma, c’est quand même un cours en études ciné­ma­to­gra­phiques. » Je me suis donc ins­crite et ça a chan­gé ma vie. Jusqu’à ce jour, le seul contact que j’avais eu avec le docu­men­taire était pas mal juste à l’école secon­daire et dois-je vous rap­pe­ler à quel point ces docu­men­taires du secon­daire sont plates… ouf! Mais dans ce cours nous avons cou­vert l’histoire du docu­men­taire et ça m’a com­plè­te­ment ren­ver­sée : une his­toire vraie, de vraies per­sonnes, la réa­li­té! Il ne s’agissait plus de me lais­ser bou­le­ver­ser par une souf­france fic­tive. Il s’agissait de la souf­france de vraies per­sonnes et de leur par­cours. Je suis lit­té­ra­le­ment tom­bée en amour et c’est alors que je me suis dit : « D’accord, je vais racon­ter de vraies histoires! »

J’ai obte­nu mon diplôme et j’avais l’intention de me rendre à New York, jusqu’au jour où j’ai reçu cet appel génial d’une pro­duc­trice de Mont­réal qui s’apprêtait à com­men­cer un docu­men­taire sur les Cris du Nord du Qué­bec. Ils cher­chaient une sta­giaire – et ils allaient la payer! Ils ont appe­lé dans ma com­mu­nau­té et par­lé avec quelqu’un du jour­nal local en disant : « Nous cher­chons une per­sonne pour ce poste, connais­sez-vous quelqu’un? » J’étais fraî­che­ment diplô­mée, et ma cou­sine tra­vaillait là… De fil en aiguille, vous connais­sez la chan­son, quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît une telle, mon nom s’est retrou­vé entre les mains de cette pro­duc­trice. Elle m’a convo­quée en entre­vue. C’était la deuxième fois que j’étais bou­le­ver­sée à ce point – ou plu­tôt la troi­sième fois – parce que c’est le moment où j’ai eu la révé­la­tion sui­vante : « Mon dieu, je peux racon­ter des his­toires à pro­pos de nous? Les gens veulent entendre nos his­toires [into­na­tion de com­plète sur­prise]? » À l’époque, il n’y avait qu’une per­sonne qui réa­li­sait ces films et c’était Ala­nis Obom­sa­win avec l’ONF (Office natio­nal du film). Une seule per­sonne! Et c’était à l’ONF. Je ne pen­sais vrai­ment pas qu’il y avait là un mar­ché. Mais l’année où j’ai obte­nu mon diplôme a été celle de la créa­tion du Réseau de télé­vi­sion des peuples autoch­tones [APTN : Abo­ri­gi­nal Peoples Tele­vi­sion Net­work]. Ils avaient besoin de conte­nu et ils vou­laient du conte­nu pro­duit par des Autoch­tones, pour les Autoch­tones. Une porte s’est ouverte et je me suis retrou­vée sur le pla­teau de tour­nage de ce docu­men­taire. Trois mois plus tard, j’ai été pro­mue coréa­li­sa­trice du film et j’ai tou­jours, au cours des quinze der­nières années, trou­vé du bou­lot [dans ce milieu].

Durant les dix pre­mières années de ma car­rière, je me suis concen­trée sur le ciné­ma docu­men­taire. C’est tout sim­ple­ment génial de ren­con­trer de vraies per­sonnes, qui éprouvent de vraies dif­fi­cul­tés, et qui décident de par­ta­ger leur vécu avec toi – ils doivent d’abord te faire confiance – et ensuite d’avoir le pri­vi­lège de le par­ta­ger avec le public. Tout ça pour, avec un peu de chance, moti­ver le chan­ge­ment, amé­lio­rer les choses et ouvrir les hori­zons. C’est tout sim­ple­ment incroyable. J’ai réa­li­sé deux docu­men­taires et j’en ai coréa­li­sé plu­sieurs autres. Mohawk Girls (2005) est le pre­mier long-métrage que j’ai réa­li­sé seule, et le film porte sur des ado­les­centes de ma com­mu­nau­té. Comme j’ai dit plus tôt, mon ado­les­cence à Kahnawà:ke a été une période très sombre de ma vie et je suis même éton­née d’y avoir sur­vé­cu – je suis sin­cè­re­ment éton­née que les ado­les­cents y sur­vivent constam­ment! C’est tel­le­ment dur d’être ado­les­cent. Je vou­lais faire ce film pour retour­ner [dans ma com­mu­nau­té] et véri­fier si, dix ans plus tard, c’était tou­jours aus­si dur que ce dont je me sou­ve­nais. Je me suis aus­si sen­tie tel­le­ment invi­sible et tel­le­ment peu impor­tante en tant qu’adolescente que je vou­lais prê­ter une voix aux ado­les­centes, leur don­ner la chance de dire ce qui était impor­tant pour elles. J’ai donc trou­vé ces trois incroyables jeunes filles et j’ai pas­sé deux ans avec elles, à suivre leurs vies, et c’est deve­nu Mohawk Girls [le documentaire].

Par la suite, j’ai réa­li­sé Club Native (2008), qui traite de la ques­tion des degrés de sang [blood quan­tum] et d’enjeux d’appartenance. D’ailleurs, chaque docu­men­taire me prend envi­ron trois ans. Après Club Native, je me suis retrou­vée face à un mur et je ne pou­vais plus [me relan­cer dans un autre pro­jet de docu­men­taire]. Club Native m’a épui­sée. Toutes ces per­sonnes qui nous dévoilent leur âme s’exposent à la cri­tique, à cause de moi, à ma demande… Cette res­pon­sa­bi­li­té est dure à por­ter et on n’en sort pas : on vit constam­ment avec elle.7 À la sor­tie du film, j’étais brû­lée et je ne savais pas vers qui ou quoi me tour­ner pour un pro­chain film. Juste à pen­ser que je réin­vi­te­rais une fois de plus quelqu’un à prendre le risque de se mettre à nu comme ça : je ne pou­vais pen­ser à aucun sujet. J’ai pas­sé six mois à ne pas tra­vailler. Je me deman­dais ce qui allait m’arriver. À un moment don­né, j’ai pen­sé : « Est-ce que je vais tout sim­ple­ment devoir me trou­ver un vrai tra­vail? Qu’est-ce que je fais? » Puis j’ai pen­sé : « Quand tu étais jeune, tu aimais vrai­ment beau­coup la fic­tion. Pour­quoi ne pas faire un court-métrage de fic­tion pour voir si tu as ce qu’il faut et si tu aimes tou­jours ça? » J’ai alors réa­li­sé un court-métrage inti­tu­lé Escape Hatch (2009), qui est deve­nu l’amorce de Mohawk Girls [la série]. J’ai pris ce film et je l’ai uti­li­sé comme démo pour lan­cer l’idée aux res­pon­sables du réseau de télé­vi­sion et leur dire « Je pense qu’il y a là une télé­sé­rie ». Ils ont acquies­cé. C’est ain­si que je me suis lan­cée dans l’aventure de la télé­sé­rie Mohawk Girls.

Ma seule et unique frus­tra­tion avec le ciné­ma docu­men­taire a été de consta­ter que ce n’est pas tout le monde qui s’intéresse au ciné­ma docu­men­taire. Il y a un cer­tain type de per­sonne qui est dis­po­sé à regar­der un docu­men­taire. J’adore ces gens, vous êtes for­mi­dables! Mais l’auditoire docu­men­taire est géné­ra­le­ment déjà acquis à la cause : les gens sont ouverts à ce que je cherche à par­ta­ger. Ce ne sont pas eux que je dois secouer. La télé­vi­sion de fic­tion, en contre­par­tie, est dif­fu­sée dans tous les salons dans un for­mat acces­sible : c’est comique et diver­tis­sant. Les gens sont davan­tage à l’écoute de la fic­tion que du docu­men­taire. Mon inten­tion était donc d’avoir accès à plus de cœurs et d’esprits de cette manière.

Isa­belle St-Amand : Mer­ci d’avoir pris le temps de nous pré­sen­ter cette tra­jec­toire, car c’est vrai­ment inté­res­sant de voir com­ment tu as com­men­cé par la fic­tion pour ensuite retour­ner, d’une cer­taine manière, à ta pas­sion ini­tiale. J’ai lu un entre­tien où tu par­lais de Club Native et des enjeux dif­fi­ciles que vivent les gens de ta com­mu­nau­té à pro­pos de leur appar­te­nance [à la com­mu­nau­té]. Ce qui m’a frap­pée dans cet entre­tien, c’est que lorsque l’intervieweur t’a deman­dé si tu avais une réponse à appor­ter à cette ques­tion d’appartenance, ta réac­tion a été de dire : « Je n’ai pas de réponse, mais j’espère que mes films sau­ront géné­rer une dis­cus­sion et nous per­mettre de mieux réflé­chir à cette ques­tion. » J’aime beau­coup cette manière que tu as de consi­dé­rer ton ciné­ma comme un moyen d’établir un dia­logue et de géné­rer des réflexions col­lec­tives. Et lorsque tu fais ça dans le contexte de Mohawk Girls, c’est vrai­ment pour un vaste audi­toire. Quel genre de réflexions cherches-tu à géné­rer avec cette télé­sé­rie et auprès d’un aus­si vaste auditoire?

Tra­cey Deer : Oui! Bonne ques­tion! Mohawk Girls a deux audi­toires cibles. La télé­sé­rie est faite pour les miens [my people], mais elle est aus­si faite pour les Cana­diens. J’ai réa­li­sé tous mes films avec ces deux audi­toires en tête et ça implique le res­pect d’un équi­libre très déli­cat. D’un côté, les gens de ma com­mu­nau­té savent ce dont je parle. Pour en arri­ver à géné­rer un véri­table dia­logue, je dois réus­sir à aller au-delà de ce niveau de com­pré­hen­sion de base. D’un autre côté, plu­sieurs Cana­diens ne savent pas grand-chose, alors ils ont besoin de ce niveau pour se sen­tir inter­pel­lés. Ça a donc tou­jours été une ques­tion d’équilibre : en four­nir assez aux Cana­diens pour qu’ils embarquent, tout en en offrant suf­fi­sam­ment aux miens pour leur bras­ser un peu la cage et sou­te­nir leur intérêt.

Isa­belle St-Amand : Dans l’épisode que nous venons de regar­der, il me semble que tu mets éga­le­ment en cause l’ignorance des alloch­tones, les dis­cours scan­da­leux et les réac­tions que les gens ne remarquent même pas qu’ils ont…

Tra­cey Deer : Tout à fait! Mon dieu, tout dans la télé­sé­rie, toutes les inter­ac­tions que les filles ont avec les alloch­tones se sont effec­ti­ve­ment pro­duites! Tous les ren­dez-vous que le per­son­nage de Bai­ley (Jen­ny Puda­vick) a avec des gars alloch­tones et les choses qu’ils expriment… Et ils croient se mon­trer curieux de sa culture, mais ils lui disent qu’elle ne devrait pas boire de vin parce que « vous avez un pro­blème avec ça, non? » Ça m’est véri­ta­ble­ment arri­vé lors d’un blind date… Dieu mer­ci, j’ai la série pour être en mesure de digé­rer tout ça, de le mettre là pour me le sor­tir du système!

Ça ajoute à la ques­tion de l’auditoire double : je pense que mon but pour l’auditoire alloch­tone est de par­ve­nir à une com­pré­hen­sion accrue. Je pense que les connais­sances de l’auditoire alloch­tone sur nous et sur nos enjeux sont très super­fi­cielles : c’est un clip sonore de trente secondes et le contexte de ces bribes de nou­velles est tel­le­ment impor­tant. La nou­velle est vraie, mais ces choses néga­tives qui se pro­duisent ne sont que la pointe d’un immense ice­berg. Pour com­prendre la nou­velle, on doit pou­voir com­prendre l’iceberg. Vous devez éga­le­ment com­prendre que vous faites par­tie de cet ice­berg : c’est vous qui l’avez construit. Vous ne pou­vez pas tout sim­ple­ment vous ins­tal­ler confor­ta­ble­ment sur votre siège, décon­nec­ter et dire : « Oh! que c’est dom­mage! » La télé­sé­rie se vou­lait un moyen de mon­trer aux Cana­diens la com­plexi­té de nos vies et de notre réa­li­té. De tout ce qui a contri­bué à créer notre réa­li­té actuelle. Vous faites par­tie de ça et l’histoire de votre pays fait par­tie de ça. Mais, ensemble, on peut déci­der de faire les choses différemment.

Pour les gens de ma com­mu­nau­té, c’est le même genre de défi : il s’agit de leur tendre un miroir et de dire : « Voi­ci où nous en sommes, voi­ci com­ment nous nous com­por­tons. » Ou « voi­ci nos croyances et voi­ci les effets que ce com­por­te­ment et que ces croyances ont sur nos vies. » La série le montre sur­tout à tra­vers la vie de ces quatre femmes. Tout ce qu’on se fait subir les uns aux autres. Et s’il pou­vait en être autre­ment? Est-ce qu’on aime ce qu’on voit? Les gens de ma propre com­mu­nau­té sont à la fois mes plus grands cri­tiques et mes plus grands fans. Les détrac­teurs disent : « Com­ment peux-tu faire ça? Com­ment peux-tu nous mon­trer ain­si? Tu nous fais si mal paraître. » Ma réponse est la sui­vante : « Je ne nous fais pas mal paraître. Nous en sommes là. Si ça ne nous plaît pas, voyons ce qu’on peut faire et pre­nons des déci­sions pour chan­ger les choses. » Mais voi­ci ma réa­li­té, voi­ci com­ment j’ai gran­di, ce sont là les per­son­nages, ce sont là les choses qui se pro­duisent. Je n’ai pas inven­té ça. Pour moi, c’est ça la grande ques­tion et non : « Tai­sons-nous. » Si on n’aime pas ce qu’on voit, qu’est-ce qu’on va faire pour chan­ger la donne? C’est là tout le tra­vail que j’espère que la télé­sé­rie puisse accom­plir auprès des deux auditoires.

Isa­belle St-Amand : Ce que tu viens de dire à pro­pos de l’iceberg dont nous [les alloch­tones] sommes par­tie pre­nante et de ce que les Autoch­tones vivent au quo­ti­dien évoque à mon sens la manière dont tu traites des inter­ac­tions entre la vie des indi­vi­dus et cette struc­ture colo­niale, ou plu­tôt la manière dont cette struc­ture tra­verse la vie des indi­vi­dus. C’est très bien exé­cu­té au sens où cet enche­vê­tre­ment appa­raît assez clai­re­ment. Je me demande quelles ont été les réac­tions de l’auditoire alloch­tone et com­ment cet audi­toire com­prend [les réa­li­tés et les com­men­taires pré­sen­tés dans la télé­sé­rie]? Est-ce que ça rend les choses plus claires pour eux? Crois-tu que ça les désta­bi­lise un peu parfois?

Tra­cey Deer : Nous sommes tel­le­ment contents de la quan­ti­té de télé­spec­ta­teurs cana­diens que nous avons : il y a un vaste audi­toire alloch­tone qui regarde la série. Beau­coup des com­men­taires que nous rece­vons sont trans­mis à tra­vers les réseaux sociaux, tant par des Autoch­tones que par des alloch­tones. Les com­men­taires que nous avons reçus de la part d’allochtones indiquent qu’ils adorent la série et qu’ils apprennent beau­coup. Ils disent aus­si : « Quelque chose du genre se pro­duit aus­si dans ma culture »; « On n’est fina­le­ment pas si dif­fé­rents »; « Je com­prends tout à fait ». Il n’y a rien de mieux que ce genre de récep­tion. La récep­tion a donc été bonne. Nous avons été stra­té­giques dans le trai­te­ment des per­son­nages alloch­tones et des situa­tions aux­quelles ils font face et où on observe dif­fé­rents niveaux d’ignorance ou de colo­nia­lisme. Nous avons répar­ti ces situa­tions et elles se jouent à dif­fé­rents niveaux : par­fois c’est un per­son­nage pré­sent sur plu­sieurs épi­sodes, par­fois c’est juste quelqu’un de pas­sage. Nous nous sommes éga­le­ment assu­rées d’avoir aus­si des per­son­nages alloch­tones qui n’agissent pas de cette manière. Tout comme mes per­son­nages autoch­tones, les per­son­nages alloch­tones pré­sentent un éven­tail de per­son­na­li­tés. C’est qui est sou­vent insi­dieux avec l’ignorance, c’est qu’on ne sait pas qu’on est igno­rant. On ne pense pas l’être alors qu’on dit quelque chose ou on for­mule une opi­nion à pro­pos de quelque chose et pour­tant on l’est. Dans la télé­sé­rie, plu­sieurs per­son­nages agissent de la sorte et c’est génial de pou­voir signa­ler : « Non, on n’aime pas ça. On n’aime pas se faire dire ce genre de chose. Ce n’est vrai­ment pas chouette, ne dis pas ça. » C’est génial parce que sou­vent, lorsque je me retrouve dans ces situa­tions, je fais tou­jours face à la même grande ques­tion : « Bon, d’accord, on pro­fi­tait juste d’un bon sou­per et cette per­sonne vient de faire cette remarque. Est-ce que je prends dix minutes pour inter­ve­nir et rui­ner la belle soi­rée de tout le monde pour expli­quer que “Non, ça n’avait rien de cool… Pour­rais-tu évi­ter de dire ça la pro­chaine fois? Et s’il te plaît ne redis plus jamais ça devant une autre per­sonne autoch­tone”? » Par­fois, je dois lais­ser faire. Je ne veux pas avoir à être constam­ment à l’affût de ce genre de com­men­taires et c’est pour­quoi j’espère que la série aura un impact sur nous tous. J’adorerais être en mesure de quit­ter la réserve en n’ayant pas à por­ter une armure et me deman­der : « Bon, qu’est-ce que ça va être cette fois-ci? »; « Est-ce que je vais répli­quer? Et si je ne dis rien, est-ce que je vais être capable de me regar­der dans le miroir après? » Je me sens sou­vent comme ça lorsque je fais face au monde extérieur.

Isa­belle St-Amand : Peut-être une der­nière ques­tion avant la séance de ques­tions-réponses… Cette confé­rence s’articule autour de l’île de la Tor­tue et l’affiche pré­sente l’île de Mont­réal, ter­ri­toire tra­di­tion­nel hau­de­no­sau­nee. Puisque Mont­réal est une métro­pole et que Kahnawà:ke est une grande com­mu­nau­té au sein de cette métro­pole, je me deman­dais si, étant don­né cette situa­tion par­ti­cu­lière, tu penses avoir, en tant que cinéaste, une pers­pec­tive spé­ci­fique sur la ques­tion des rela­tions Autoch­tones-alloch­tones. Par­ti­cu­liè­re­ment dans le contexte ten­du d’une zone his­to­ri­que­ment et jusqu’à ce jour très peu­plée et cen­trale… Est-ce que tu te sens ins­pi­rée par le point de vue que te confère cet endroit particulier?

Tra­cey Deer : Abso­lu­ment. C’est là où j’ai gran­di et je suis ces filles. J’ai gran­di dans cette com­mu­nau­té très par­ti­cu­lière en ayant vrai­ment l’impression qu’il y avait une sorte de bulle autour de nous, que l’univers tour­nait autour de Kahnawà:ke, et non l’inverse. Ce n’est que plus tard durant mon ado­les­cence – et bien sûr à tra­vers le rêve de sor­tir de cette bulle – que j’ai com­men­cé à sor­tir de cette bulle. À l’heure actuelle, ma vie se déroule dans ces deux sphères : j’ai un pied à l’intérieur, un pied dehors. Mon expé­rience en tant que per­sonne autoch­tone, la per­sonne que je suis aujourd’hui, est très liée au fait que j’ai gran­di dans une réserve située à deux pas de cette immense métro­pole et dans une pro­vince fran­co­phone. La télé­sé­rie ne serait pas ce qu’elle est sans ce détail. Si vous avez gran­di dans une réserve qui est située à cinq cents kilo­mètres de toute autre com­mu­nau­té, votre expé­rience ne sera for­cé­ment pas la même que la mienne. C’est cru­cial pour la série que les com­mu­nau­tés soient si proches l’une de l’autre. Ça génère beau­coup de situa­tions conflic­tuelles chez ces jeunes filles. Ça a ame­né beau­coup de conflit dans ma propre vie et toutes les his­toires pro­viennent de conflits. C’est donc en effet abso­lu­ment crucial.

Ques­tion du public : En tant qu’artiste, com­ment cana­lises-tu le fait de venir d’un endroit où une par­tie de ton iden­ti­té est oppo­sée aux gens qui t’entourent? Com­ment la télé­sé­rie t’a‑t-elle aidée à expri­mer cela de ton point de vue et com­ment cela t’a‑t-il aidée à déve­lop­per un autre point de départ, une autre manière de conce­voir les rap­ports entre la culture qué­bé­coise et la culture mohawk?

Tra­cey Deer : Il y a plu­sieurs choses que je veux dire. J’ai gran­di dans cet envi­ron­ne­ment et ça a véri­ta­ble­ment façon­né qui j’étais. Gran­dir avec ce type de haine et d’agression n’est pas bon. Ce n’est pas bon pour les enfants et ce n’est pas bon pour les adultes. Dans la télé­sé­rie, je m’attarde à la manière dont cette atti­tude nous fait mal. Ça ne cause de tort à per­sonne d’autre, ça ne fait pas mal aux Mont­réa­lais, ça ne fait pas mal aux Qué­bé­cois : les seuls qui souffrent de por­ter toute cette colère, c’est nous. C’est assu­ré­ment quelque chose que j’explore à tra­vers le par­cours de ces femmes. En ce qui concerne les gens de l’extérieur qui regardent la série, j’espère qu’ils se rendent compte de ces liens, du fait que : « En fin du compte, on n’est pas si dif­fé­rents » ou « Oh, notre bataille est la même. »

Et voi­ci mon anec­dote per­son­nelle à ce sujet. Je suis mariée à un Qué­bé­cois, que j’ai ren­con­tré après avoir tour­né la pre­mière sai­son. On s’est ren­con­trés grâce à une agence de ren­contre et je pense que c’était lors de notre qua­trième ren­dez-vous, alors que je com­men­çais à bien l’aimer… Nous devions com­men­cer à dis­cu­ter des grandes ques­tions telles que la peine de mort, les châ­ti­ments cor­po­rels, que penses-tu de ci, c’est quoi ta posi­tion sur ça… On en est venus à la ques­tion poli­tique et j’ai fait une blague à pro­pos du fait qu’il était sou­ve­rai­niste. Ha! ha! Son visage s’est effon­dré et il a dit : « Je, je suis sou­ve­rai­niste… » [l’auditoire s’esclaffe]. Et moi de pour­suivre: « Ha! Ha! elle est trop bonne! » Il tenait son café et il a dit : « Non, Tra­cey… je suis sou­ve­rai­niste. » J’ai eu une attaque de panique! J’avais le cœur qui bat­tait à tout rompre et je me suis dit : « Mon dieu! Je sors avec un sou­ve­rai­niste… et il me plaît! Oh! mon dieu! » [l’auditoire s’esclaffe de plus belle]. Puisque nous avions eu trois autres ren­dez-vous géniaux et que j’aimais bien cette per­sonne, que nous en étions là, j’ai pu conver­ser pour la pre­mière fois avec un sou­ve­rai­niste. J’ai pu lui poser des ques­tions et me faire une tête. C’est clair qu’il y a là un schisme, un écart entre les deux points de vue. Alors, j’ai pu lui poser des ques­tions, il y a répon­du et à la fin de la conver­sa­tion une chose incroyable s’est pro­duite. Nous nous sommes ren­du compte que nous étions bien plus sem­blables que dif­fé­rents, car sa posi­tion sur la ques­tion, c’est qu’il aime sa culture, il aime sa langue et il veut s’assurer qu’elles sur­vivent. Eh bien, devi­nez quoi? Moi aus­si! L’autre chose dont nous nous sommes ren­du compte, ou qui est deve­nue claire, c’est que son inté­rêt pour toutes ces choses n’existe pas au détri­ment d’autres cultures : il veut sim­ple­ment s’assurer que la sienne demeure riche et forte. Et moi de même! De toute façon, je ne pense pas qu’il y ait la moindre pos­si­bi­li­té que les Mohawks s’emparent du monde [l’auditoire s’esclaffe], alors je n’ai jamais même eu cette notion. Mais j’avais tou­jours eu en tête que les sou­ve­rai­nistes se basaient sur des idées d’exclusion. À la fin de notre ren­dez-vous, au fur et à mesure que nous avons appris à mieux nous connaître, le fait qu’il soit un fier Qué­bé­cois – mais c’est un homme alloch­tone, alors il y a assu­ré­ment une bonne par­tie de son vécu et de sa pers­pec­tive qui l’empêcheront tou­jours, d’une cer­taine manière, de com­prendre la mienne, je tra­vaille fort à géné­rer le plus de com­pré­hen­sion pos­sible –, le fait qu’il ait une culture dont il se pré­oc­cupe autant consti­tue un niveau de com­pré­hen­sion que je ne pour­rais pro­ba­ble­ment pas retrou­ver chez un Cana­dien ordi­naire. C’est vrai­ment chouette! Je suis donc mariée à un Qué­bé­cois sou­ve­rai­niste [rires dans la salle], qui est marié à une Mohawk acti­viste, et ça se passe bien!

Ques­tion du public : Pou­vez-vous nous par­ler de vos pro­jets à venir? Pen­sez-vous retour­ner vers le ciné­ma docu­men­taire ou allez-vous conti­nuer en fic­tion pen­dant quelque temps? Ou peut-être que c’est un secret…

Tra­cey Deer : Non, non. Ce n’est pas un secret. Je suis à l’aube d’un tout nou­veau cha­pitre main­te­nant que [la série] est ter­mi­née. C’est ce qui a entiè­re­ment et constam­ment occu­pé les six der­nières années de ma vie. Je me tourne main­te­nant vers trois long-métrages. Je n’ai jamais réa­li­sé un long-métrage de fic­tion et j’aime les défis. J’ai déjà tra­vaillé en ciné­ma docu­men­taire, en télé­vi­sion, et là je me dis : « Oh! un long-métrage de fic­tion… » Je n’ai encore jamais fait ça, c’est nou­veau et exci­tant. J’ai donc trois long-métrages qui sont à divers stades de déve­lop­pe­ment. Celui qui à mon avis ira en pro­duc­tion en pre­mier est un pro­jet sur lequel je tra­vaille depuis plu­sieurs années. C’est l’histoire d’une jeune Mohawk de douze ans qui gran­dit dans le contexte de la crise d’Oka – main­te­nant vous savez tous pour­quoi! Ce conflit a façon­né la per­sonne que je suis, mais il a éga­le­ment contri­bué de manière cru­ciale à l’émergence de notre voix dans ce pays.8 Je pense qu’il est très impor­tant, dans ce pays, de pré­sen­ter cet évé­ne­ment clef à tra­vers le vécu d’une per­sonne, d’un être humain, plu­tôt que de n’en repré­sen­ter que les enjeux poli­tiques, ce qui res­semble beau­coup à ce qui a déjà été fait. Mais aus­si les effets que cela a sur un enfant et com­ment le trau­ma­tisme inter­gé­né­ra­tion­nel n’influence pas que cet enfant et son par­cours, mais éga­le­ment les géné­ra­tions à venir.9 Il est si impor­tant que quelque chose comme ça n’arrive plus jamais! Or, le conflit de la crise d’Oka se pour­suit à l’heure actuelle à tra­vers les divers conflits qui per­sistent entre nous dans ce pays et leurs réper­cus­sions. Voi­là les thèmes sous-jacents que j’aimerais explo­rer dans ce film.

J’ai aus­si récem­ment été appro­chée par un pro­duc­teur de docu­men­taire qui vou­lait savoir si, main­te­nant que Mohawk Girls tire à sa fin, je serais inté­res­sée à refaire du docu­men­taire. Et, oui, ça m’a man­qué. Après cette longue pause, je suis prête à m’y remettre. Ce docu­men­taire est éga­le­ment en lien avec la crise d’Oka et cet épi­sode dont je vous ai par­lé, où des pierres ont été lan­cées. Le film reprend cet épi­sode cru­cial dans ma vie et montre à quel point il m’a mar­quée, mais je m’y inté­resse du point de vue de la récon­ci­lia­tion : trente ans après, où en suis-je, où en sont ceux qui ont jeté ces pierres et où en sont les poli­ciers qui n’ont rien fait? Le film por­te­ra aus­si sur le par­don, sur la forme que prend ce par­don. Pour­quoi le par­don est-il impor­tant? Pour­quoi la récon­ci­lia­tion est-elle impor­tante? Je vais uti­li­ser cette expé­rience comme trem­plin pour explo­rer cette nou­velle idée.10

Ques­tion du public : J’ai lu que les droits de la télé­sé­rie ont été ven­dus par APTN, en Aus­tra­lie à tout le moins. Lorsque vous dis­cu­tiez de votre audi­toire cible pour la télé­sé­rie, ce der­nier sem­blait être com­po­sé d’Autochtones et d’allochtones cana­diens. C’est pour­quoi je me deman­dais ce que vous pen­sez des échos trans­na­tio­naux de votre série. Com­ment pen­sez-vous qu’elle puisse être reçue par un audi­toire qui ne connaît pas néces­sai­re­ment notre univers?

Tra­cey Deer : Nous avons gar­dé ça en tête tout au long du pro­ces­sus et nous pen­sons que les thèmes sont tel­le­ment uni­ver­sels que la télé­sé­rie peut voya­ger. Notre dis­tri­bu­teur, celui qui a ven­du les droits en Aus­tra­lie, tente pré­sen­te­ment de rendre la série acces­sible dans d’autres ter­ri­toires. Cepen­dant, si l’on prend seule­ment l’épisode que nous avons regar­dé [Mohawk Girls : « Defen­ding my Turf », sai­son 4, épi­sode 3], on peut voir qu’il est spé­ci­fi­que­ment cana­dien à plu­sieurs égards. Par exemple, cette scène où les per­son­nages parlent du scan­dale Har­per [le scan­dale fédé­ral de 2012 concer­nant les dépenses du Sénat] : per­sonne d’autre dans le monde ne risque de com­prendre ce dont il est ques­tion. Ça a donc été dif­fi­cile. Je crois que mal­heu­reu­se­ment, la per­cep­tion, c’est que la série porte sur des Autoch­tones et que, par consé­quent, seuls les Autoch­tones la regar­de­ront. C’est le genre de réponse que nous avons obte­nue jusqu’à main­te­nant à tra­vers le monde : les réseaux de télé­vi­sion et pla­te­formes alloch­tones ne lui donnent aucune chance, car ils ne veulent même pas regar­der un ou deux épi­sodes, pour ensuite éva­luer si oui ou non ils pensent que leurs télé­spec­ta­teurs pour­raient s’y inté­res­ser. Nous sommes bien enten­du fer­me­ment convain­cus du fait que la série est géniale et que tout le monde l’adorerait et la regarderait!

Cette situa­tion a donc été pas­sa­ble­ment frus­trante, car la simple pos­si­bi­li­té de se retrou­ver sur une pla­te­forme de strea­ming comme Net­flix ou Hulu serait géniale. Nous savons que c’est une modeste télé­sé­rie en com­pa­rai­son des bud­gets dis­po­nibles chez n’importe quel grand réseau amé­ri­cain de télé­vi­sion. Ça, nous le com­pre­nons très bien. Mais en ce qui concerne les Net­flix, Hulu et autres pla­te­formes de strea­ming… je ne com­prends tout sim­ple­ment pas pour­quoi nous n’y sommes pas déjà. C’est frus­trant. En contre­par­tie, ce pays, c’est là où je suis, où se trouve ma com­mu­nau­té et où se trouvent les miens. Le chan­ge­ment com­mence chez soi. Petit à petit, tran­quille­ment, ça gros­sit : c’est l’effet boule de neige. C’est chez moi ici et c’est ici que je veux que ce chan­ge­ment s’opère. C’est ici que je vis, c’est ici que mes enfants vivront et c’est ici que les enfants de mes enfants vivront – quoique, qui sait si nous ne vivrons pas sur Mars quand nous en serons là? Mais bon, pour l’heure, c’est ici que je vis!

Ques­tion du public : J’ai vu que la série est dis­po­nible sur le site d’APTN en langue mohawk [Kanien’ké:ha]. Est-ce qu’APTN a une poli­tique à ce sujet? Pour­riez-vous nous en dire plus sur ce que ça repré­sente pour vous?

Tra­cey Deer : Il est effec­ti­ve­ment pra­tique cou­rante pour toutes les émis­sions d’APTN d’avoir une ver­sion dis­po­nible en langue autoch­tone, car un de leurs man­dats est de s’assurer que nos langues sur­vivent. Chaque émis­sion doit avoir une ver­sion en langue autoch­tone, mais nous pou­vons déci­der laquelle. J’aurais pu choi­sir le cri si j’avais vou­lu, mais bien sûr comme c’est une série mohawk à pro­pos des Mohawks et que c’est ma langue, nous avons opté pour le mohawk.

Il y a eu un vaste mou­ve­ment de revi­ta­li­sa­tion lin­guis­tique dans ma com­mu­nau­té : ma géné­ra­tion a été la pre­mière à vivre le pro­gramme d’immersion à l’école pri­maire et nous sommes main­te­nant deve­nus parents. Je suis tel­le­ment fière de mes conci­toyens qui ont rele­vé le défi de refaire du mohawk la langue mater­nelle employée à la mai­son! J’en connais plu­sieurs qui font ça chez eux et ils le parlent cou­ram­ment. On a donc lan­cé un appel pour voir qui serait inté­res­sé et nous nous sommes retrou­vés avec une dou­zaine de dou­bleurs. Cha­cune des quatre pro­ta­go­nistes fémi­nines de la série avait sa propre comé­dienne de dou­blage, sa propre locu­trice pour repré­sen­ter sa voix. Je pense qu’on avait aus­si deux autres locu­trices pour dou­bler les voix des per­son­nages prin­ci­paux. Tous les amou­reux prin­ci­paux avaient une voix et on avait aus­si deux autres locu­teurs pour s’occuper des autres voix mas­cu­lines. Ça été un pro­ces­sus vrai­ment le fun! Pour la pre­mière sai­son, je les ai convo­qués à une audi­tion et on a tra­vaillé ensemble pour mettre plus de jeu dans leurs voix. C’est une chose que de dire [voix mono­tone] : « Heille toi ne t’approche pas de mon chum. » Il faut plus quelque chose comme : « Heille, toi! Ne t’approche pas de mon chum! » En mohawk en plus! Ce ne sont pas des acteurs, ce sont des locu­teurs. Il m’a donc fal­lu inter­ve­nir : « il me faut plus de colère de ta part, comme si tu vou­lais vrai­ment la frap­per en plein visage. » Ça les fai­sait bien rigo­ler, on enre­gis­trait la réplique à nou­veau et ça mar­chait. Par la suite, je pou­vais choi­sir : « Oh, ça c’est une Anna, c’est une bonne voix pour Anna. » Ou : « Oh, j’aime bien son atti­tude pour les répliques de Vicky. » C’était vrai­ment chouette et ce sont les mêmes locu­teurs qui ont assu­ré le dou­blage pen­dant les cinq sai­sons. Je suis super fière d’avoir une ver­sion mohawk. Deux sai­sons sont en ligne à l’heure actuelle, mais les autres sai­sons sont éga­le­ment dis­po­nibles en mohawk.

Ques­tion du public : La série ne me semble pas être basée sur la haine ou le res­sen­ti­ment, mais plus sur des atti­tudes posi­tives comme la recon­nais­sance des mal­en­ten­dus et de l’incompréhension mutuelle. Tout le monde peut se recon­naître dans les per­son­nages et ne pas se sen­tir poin­té du doigt. Je crois que ça pour­rait expli­quer une par­tie du suc­cès de la télé­sé­rie. Est-ce que cet élé­ment était déli­bé­ré et conscient? Est-ce que c’est une chose à laquelle vous avez réflé­chi en réa­li­sant cette série?

Tra­cey Deer : Oui, en effet. Je suis contente d’entendre que c’est éga­le­ment ce que vous avez sen­ti parce que ça a véri­ta­ble­ment été notre approche : il ne s’agit pas de jeter le blâme sur per­sonne. Je suis à blâ­mer, vous êtes à blâ­mer, nous jouons tous un rôle là-dedans : c’est une danse – j’ai appris ça dans ma thé­ra­pie. Une bonne par­tie de la thé­ra­pie que j’ai entre­prise, mon pro­ces­sus de gué­ri­son, ma com­pré­hen­sion du monde dans lequel je vis et ma com­pré­hen­sion du monde exté­rieur : tous ces élé­ments sont reflé­tés dans la télé­sé­rie. La culpa­bi­li­té et la colère ne mènent nulle part : rien de valable ne peut être construit sur la base de ces deux sen­ti­ments. Nous n’avons en aucun cas vou­lu évo­quer cela. Je me réjouis donc d’entendre que c’est éga­le­ment ce que les télé­spec­ta­teurs per­çoivent, car c’est abso­lu­ment le fruit d’une stra­té­gie. Nous vou­lons que vous sui­viez la série : nous ne vou­lons d’aucune façon que vous regar­diez un épi­sode et que vous vous disiez : « D’la merde » [rires dans l’auditoire]. Donc, oui, très stra­té­gique de notre part!

Ques­tion du public : Votre télé­sé­rie s’attaque à plu­sieurs croyances ancrées et à plu­sieurs pro­blé­ma­tiques com­plexes. Vous avez fait l’objet de cri­tiques pour avoir secoué votre audi­toire des deux côtés. Vous faites éga­le­ment face à la néces­si­té de gérer votre propre trau­ma­tisme. Tout cela aurait un effet pas­sa­ble­ment dévas­ta­teur sur plu­sieurs per­sonnes et sur plu­sieurs artistes autoch­tones. Com­ment arri­vez-vous à conti­nuer et à trans­po­ser tout cela dans votre art?

Tra­cey Deer : Je crois que cet exu­toire, ce mode d’expression artis­tique a été une grande par­tie de ma thé­ra­pie – en plus de la thé­ra­pie tra­di­tion­nelle. Je suis fort recon­nais­sante d’y avoir accès parce qu’autrement ça serait très dif­fi­cile. Il est vrai que je fais l’objet de beau­coup de cri­tiques et que je suis par­fois reje­tée par les gens de ma propre com­mu­nau­té à cause de mon tra­vail. Cepen­dant, je pense que ça serait encore plus dif­fi­cile de ne pas avoir cet exu­toire, de ne pas avoir de voix et de ne pas être en mesure d’exprimer tout cela. J’accepte donc de vivre avec la cri­tique puisqu’avoir une voix est beau­coup plus impor­tant pour moi – bon, vous voyez… là vous avez réus­si à me faire pleu­rer… vous avez réus­si à me faire pleu­rer… [dit-elle d’une voix enjouée]. Je m’étais presque ren­due à la fin! [L’auditoire s’esclaffe.] Je suis d’ailleurs célèbre pour ça : vous m’invitez quelque part, c’est cer­tain que je vais pleu­rer. Mais je ne pleure jamais sur le pla­teau de tour­nage et tu peux en témoi­gner [dit-elle à une per­sonne dans l’auditoire qui a été figu­rante dans la série]. Je ne pleure jamais sur le pla­teau de tour­nage. C’est donc là où j’en suis et je vais conti­nuer à faire mon tra­vail, car c’est ma gué­ri­son : pou­voir par­ler, pou­voir m’exprimer et peut-être aider d’autres per­sonnes à par­ler. Je pense que nous avons besoin de par­ler… nous avons besoin de [nous] regar­der… nous avons besoin de gué­rir [11].


Notes

  1. Le comi­té orga­ni­sa­teur de ce col­loque était com­po­sé de cinq femmes, soit Marie-Eve Bra­dette, Julie Graff, Gabrielle Mar­coux, Alexia Pin­to Fer­ret­ti et Louise Vigneault.
  2. Cet entre­tien a été trans­crit et tra­duit de l’anglais par Mélis­sa Géli­nas. Nous remer­cions Tra­cey Deer d’avoir accep­té de publier cet entre­tien sous forme d’article dans ce dos­sier. Nous remer­cions éga­le­ment les orga­ni­sa­trices du col­loque d’avoir don­né leur aval à cette publi­ca­tion.
  3. À ce sujet, voir aus­si Lee Maracle, « Ora­toire : accé­der à la théo­rie » (2018).
  4. En mars 1990, des gens de la com­mu­nau­té mohawk de Kanehsatà:ke occupent un che­min boi­sé pour pro­té­ger leurs terres d’un empiè­te­ment pro­je­té par la muni­ci­pa­li­té voi­sine, Oka. Le 11 juillet 1990, quatre mois plus tard, une inter­ven­tion de la Sûre­té du Qué­bec entraîne une fusillade cau­sant le décès tra­gique d’un poli­cier, le capo­ral Mar­cel Lemay. Le même matin, des gens de Kahnawà:ke bloquent le pont Hono­ré-Mer­cier en sou­tien à Kanehsatà:ke. Le long siège armé qui s’ensuit se sol­de­ra à la fin de l’été avec l’intervention des Forces armées cana­diennes. Dans son livre Mohawk Inter­rup­tus, la cher­cheure mohawk Audra Simp­son écrit que « [l]a “Crise d’Oka” est une résis­tance autoch­tone de 78 jours contre l’expropriation ter­ri­to­riale », ain­si qu’« un évè­ne­ment spec­ta­cu­laire qui a accen­tué la struc­ture du colo­nia­lisme de peu­ple­ment au Cana­da, illu­mi­nant son désir de ter­ri­toire, sa pro­pen­sion à consu­mer et son indif­fé­rence pour la vie, la volon­té, et tout ce qui est consi­dé­ré sacré, res­pon­sable et juste » (2014, p. 147, tra­duc­tion libre). Au sujet de l’expérience de ce siège telle que vécue par les gens des com­mu­nau­tés de Kanahwà:ke et de Kanehsatà:ke, voir notam­ment Ente­ring the War Zone (1995) de Don­na K. Goo­dleaf et À l’orée des bois. Une antho­lo­gie de l’histoire du peuple de Kanehsatà:ke de Bren­da Kat­la­tont Gabriel-Dox­ta­ter et Arlette Kawa­na­ta­tie Van den Hende (2010).
  5. Ala­nis Obom­sa­win relate cet épi­sode violent en détail dans Pluie de pierres à Whis­key Trench (2000), le der­nier d’une série de quatre films docu­men­taires qu’elle a réa­li­sés à l’Office natio­nal du film du Cana­da sur la résis­tance à Kanehsatà:ke en 1990. Obom­sa­win tenait à faire entendre les voix des gens qui, comme Deer, étaient dans ces voi­tures lapi­dées par la foule. Dans Sto­ries of Oka, Isa­belle St-Amand affirme que cette attaque raciste « peut être conçue comme une maté­ria­li­sa­tion loca­li­sée et éphé­mère de la dyna­mique gen­rée qui anime la colo­ni­sa­tion de peu­ple­ment et sui­vant laquelle, comme l’affirme Audra Simp­son, “le Cana­da exige la mort et la soi-disant ‘dis­pa­ri­tion’ des femmes autoch­tones pour soli­di­fier sa sou­ve­rai­ne­té” » (2018, p. 63, tra­duc­tion libre).
  6. Cette démarche de recherche et de créa­tion fon­dée sur une volon­té de par­ler à par­tir de sa propre expé­rience se retrouve chez de nom­breux créa­teurs et intel­lec­tuels autoch­tones (Maracle, 2018; L. Simp­son, 2018). Dans son essai Ala­nis Obom­sa­win : The Vision of a Native Film­ma­ker, Ran­dolph Lewis sou­tient à cet égard que la « vision ciné­ma­to­gra­phique » de la renom­mée docu­men­ta­riste « reflète un regard autoch­tone sou­ve­rain, une façon de regar­der qui est issue de l’expérience autoch­tone et qui déter­mine la nature même du film » (2006, p. 182, tra­duc­tion libre). Au sujet de l’importance du récit de vie d’un point de vue autoch­tone, voir aus­si l’article de K. Tsia­ni­na Loma­wai­ma (2016) et l’article cor­res­pon­dant de David A. Chang (2016).
  7. Au sujet de la res­pon­sa­bi­li­té que l’on acquiert lorsque l’on se voit confier une his­toire, voir la réflexion que l’écrivain d’origine che­ro­kee Tho­mas King tisse tout au long de son essai Histoire(s) et vérité(s) (2015).
  8. À pro­pos du mou­ve­ment lit­té­raire « post-Oka », le cher­cheur et artiste de la nation Métis War­ren Cariou explique que « les écri­vains autoch­tones ont répon­du au défi que leur avait lan­cé Lee Maracle d’entrer dans l’arène dis­cur­sive et d’offrir au monde leurs propres repré­sen­ta­tions des cultures autoch­tones » (2014, p. 580). Pour une ana­lyse de divers textes d’auteurs autoch­tones men­tion­nant la résis­tance menée à l’été 1990 contre l’empiètement ter­ri­to­rial à Kanehsatà:ke et à Kahnawà:ke, voir l’essai La crise d’Oka en récits de St-Amand (2015).
  9. Ces ques­tions sont explo­rées par des cinéastes et artistes média­tiques mohawks qui ont vécu cet évé­ne­ment dans leur jeu­nesse, notam­ment Sonia Bons­pille-Boi­leau (2006 et 2016), Ska­wen­na­ti (2017) et Roxanne Whi­te­bean (2015). Au sujet du carac­tère trau­ma­tique de ce siège armé pour les com­mu­nau­tés mohawks qui l’ont vécu, voir entre autres le récit de Dan David (1992), auteur mohawk de Kanehsatà:ke.
  10. Au sujet du rôle des artistes dans les efforts de récon­ci­lia­tion pré­co­ni­sés par la Com­mis­sion de Véri­té et de récon­ci­lia­tion du Cana­da et au-delà, voir l’ouvrage col­lec­tif de Robin­son et Mar­tin (2016).

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TAILFEATHERS, Elle-Mái­já Api­nis­kim, « A Conver­sa­tion with Helen Haig-Brown, Lisa Jack­son, and Elle-Mái­já Api­nis­kim Tail­fea­thers, with Some Thoughts to Frame the Conver­sa­tion », Bio­gra­phy, vol. 39, no 3, 2016, p. 277–306.

Filmographie

BONSPILLE-BOILEAU, Sonia, The Oka Lega­cy, film docu­men­taire, CBC Firs­thand, déve­lop­pé et pro­duit par Rezo­lu­tion Pic­tures’, Cathe­rine Bain­bridge, Chris­ti­na Fon, Lin­da Lud­wick, et Lisa Roth, Jeu­di 2 juin 2016, 44 min.

BONSPILLE-BOILEAU, Sonia, Le Dep, film de fic­tion, Office natio­nal du film du Cana­da et Nish Média, 2015, 77 min.

BONSPILLE-BOILEAU, Sonia, Last Call Indian, film docu­men­taire, Nish Média, 2010, 60 min.

BONSPILLE-BOILEAU, Sonia, Qui suis-je? , Film docu­men­taire, Mont­réal, Les Pro­duc­tions Via Le Monde, 2006, 10 min.

DEER, Tra­cey et Neil DIAMOND, One More River: The Deal that Split the Cree, film docu­men­taire, Mont­réal, Rezo­lu­tion Pic­tures, 2005, 91 min.

DEER, Tra­cey, Mohawk Girls, film docu­men­taire, Mont­réal, Rezo­lu­tion Pic­tures et Office natio­nal du film du Cana­da, 2005, 48 min.

DEER, Tra­cey, Club Native, film docu­men­taire, Mont­réal, Rezo­lu­tion Pic­tures et Office natio­nal du film du Cana­da, 2008, 78 min.

DEER, Tra­cey, Wor­king it out Toge­ther, série docu­men­taire, Mont­réal, Rezo­lu­tion Pic­tures et APTN, 2011, 2016.

DEER, Tra­cey, Mohawk Girls, Rezo­lu­tion Pic­tures et APTN, 2013–2017.

OBOMSAWIN, Ala­nis, Pluie de pierres à Whis­key Trench, film docu­men­taire, Mont­réal, Office natio­nal du film du Cana­da, 2000, 105 min.

SKAWENNATI, Time­Tra­vel­ler™, œuvre mul­ti­mé­dia, Epi­sode 3, http://www.timetravellertm. com/episodes/episode03.html (consul­té le 4 octobre 2018).

WHITEBEAN, Roxann, Legend of the Storm, film, dis­tri­bu­tion indé­pen­dante, Cana­da, 2015, 17 min.


Notices biographiques

Tra­cey Deer s’est fait connaître et recon­naître en tant que scé­na­riste, réa­li­sa­trice et pro­duc­trice de docu­men­taire et de fic­tion. Débu­tant sa car­rière comme docu­men­ta­riste, elle s’est jointe à la mai­son de pro­duc­tion Rezo­lu­tion Pic­tures pour la coréa­li­sa­tion des longs-métrages docu­men­taires One More River : The Deal that Split the Cree (avec Neil Dia­mond, 2004), Mohawk Girls (2005) et Club Native (2008), ain­si que des pre­mière et seconde sai­sons de la série docu­men­taire Wor­king it Out Toge­ther (2011–2016). Cette col­la­bo­ra­tion s’est pour­sui­vie dans le domaine de la fic­tion télé­vi­sée avec la télé­sé­rie Mohawk Girls, cocréée et copro­duite avec Cyn­thia Knight pour APTN, le Réseau de télé­vi­sion des peuples autoch­tones. Deer a rem­por­té de mul­tiples prix, dont deux Prix Gémeaux et des prix au Hot Docs Cana­dian Inter­na­tio­nal Docu­men­ta­ry Fes­ti­val, le plus impor­tant fes­ti­val de docu­men­taire en Amé­rique du Nord, et au fes­ti­val de film Doxa Docu­men­ta­ry à Van­cou­ver. En 2016 et 2017, elle a été fina­liste au prix Écrans cana­diens, décer­né par l’Académie cana­dienne du ciné­ma et de la télé­vi­sion. En 2016, au Fes­ti­val inter­na­tio­nal du film de Toron­to, elle a reçu l’Hommage Dia­mond Tri­bute pour les femmes de l’année en ciné­ma. Tra­cey Deer est membre de la Nation mohawk de Kahnawà:ke. En tant que femme de ciné­ma, elle se consacre sur­tout à la nar­ra­tion d’histoires issues des com­mu­nau­tés autochtones.

Mélis­sa Géli­nas est pro­fes­seure au Dépar­te­ment de fran­çais du Col­lège Daw­son à Mont­réal. De 2017 à 2019, elle déte­nait une bourse post­doc­to­rale du CRSH, au sein de l’École de ciné­ma Mel Hop­pen­heim de l’Université Concor­dia. Les affir­ma­tions mul­ti­lingues et les ini­tia­tives de (re)vitalisation lin­guis­tique por­tées par les pra­tiques artis­tiques contem­po­raines sont au cœur de sa recherche et de son ensei­gne­ment. Ses tra­vaux actuels portent sur les enjeux cultu­rels et lin­guis­tiques de la lit­té­ra­ture et des arts média­tiques autoch­tones, en lien avec la résur­gence cultu­relle autoch­tone au Qué­bec et au Canada.

Isa­belle St-Amand est Queen’s Natio­nal Scho­lar et pro­fes­seure au rang d’adjoint à l’Université Queen’s. Publié à l’origine en ver­sion fran­çaise (2015), son livre Sto­ries of Oka. Land, Film, and Lite­ra­ture a paru aux Presses de l’Université du Mani­to­ba en 2018 avec une pré­face de Katsitsén:hawe Lin­da David Cree. Elle a codi­ri­gé avec War­ren Cariou le dos­sier bilingue « Éthique envi­ron­ne­men­tale et acti­vi­té mili­tante dans la lit­té­ra­ture et le ciné­ma autoch­tones », paru en 2017 dans la Revue cana­dienne de lit­té­ra­ture com­pa­rée et, avec Marie-Hélène Jean­notte et Jona­than Lamy, l’anthologie Nous sommes des his­toires. Réflexions sur la lit­té­ra­ture autoch­tone parue chez Mémoire d’encrier en 2018. La même année, elle a contri­bué au dos­sier « Pre­miers Peuples : car­to­gra­phie d’une libé­ra­tion » codi­ri­gé par Nawel Hami­di, Dar­ryl Leroux et Pier­rot Ross-Trem­blay dans la revue Liber­té.