Mondes et temps suspendus : le cinéma de Sophie Goyette


Alice Michaud-Lapointe


Résu­mé
Cet article se pro­pose d’étudier de quelles manières les réa­li­sa­tions de la cinéaste Sophie Goyette s’inscrivent dans le ciné­ma contem­po­rain des femmes au Qué­bec, et com­ment elles en redé­fi­nissent cer­tains contours en pri­vi­lé­giant le motif de « l’entre-deux » pour par­ler de construc­tion iden­ti­taire et d’affranchissement de soi. À tra­vers l’analyse de Mes nuits feront écho (2016) et des courts-métrages de Goyette (La RondeLe Futur procheManèges), il est pos­sible de consta­ter qu’une poé­sie du « contour­ne­ment » res­sort de façon sin­gu­lière, autant au point de vue du trai­te­ment nar­ra­tif (lié aux ques­tions de deuil, d’onirisme, de tra­ver­sée inté­rieure) que des choix for­mels et esthé­tiques de la cinéaste. Cet article prend aus­si le par­ti d’explorer, à tra­vers l’exemple de Sophie Goyette, l’importance de la liber­té créa­trice entre réa­li­sa­trices et actrices. À plus large échelle, il met l’accent sur l’importance de mieux consi­dé­rer la spé­ci­fi­ci­té des sen­si­bi­li­tés fémi­nines des cinéastes qué­bé­coises à tra­vers les dif­fé­rentes formes de sub­jec­ti­vi­té qu’elles tra­vaillent, afin de conti­nuer à décons­truire col­lec­ti­ve­ment l’idée du « film de femme » et les pré­sup­po­sés qui l’accompagnent.

Sum­ma­ry
This article aims to stu­dy how the film­ma­ker Sophie Goyette’s achie­ve­ments fit into the contem­po­ra­ry cine­ma of women in Que­bec, and how they rede­fine cer­tain contours by favo­ring the motif of “in-bet­ween” to talk about iden­ti­ty construc­tion and self-libe­ra­tion. Through the ana­ly­sis of Mes nuit feront écho (2016) and Goyette’s short films (La RondeLe Futur procheManèges), it is pos­sible to see that a poe­try of “cir­cum­ven­tion” stands out, as much from the point of view of nar­ra­tive treat­ment (rela­ted to the ques­tions of mour­ning, drea­ming, inner cros­sing) as of for­mal and aes­the­tic choices made by the film­ma­ker. This article also attempts to explore, through the example of Sophie Goyette, the impor­tance of crea­tive free­dom bet­ween direc­tors and actresses. On a lar­ger scale, this article empha­sizes the impor­tance of bet­ter consi­de­ring the spe­ci­fi­ci­ty of the female sen­si­bi­li­ties of Que­bec film­ma­kers through the dif­ferent forms of sub­jec­ti­vi­ty they work through, to conti­nue to col­lec­ti­ve­ly decons­truct the idea of “woman” and the pre­sup­po­si­tions that accom­pa­ny it.


Dans un entre­tien accor­dé à la revue cri­tique web Pano­ra­ma-Ciné­ma, Sophie Goyette écrit, au sujet des per­son­nages de son plus récent film Mes nuits feront écho (Goyette, 2016) :

Je crois qu’on s’empêche de faire cer­taines choses dans nos vies et ce sont sou­vent de grosses déci­sions qui en découlent… L’idée, c’est de voir quels sont nos choix de vie et à quel moment on s’arrête pour en faire d’autres. J’essayais de voir com­ment, même dans un film qui a son propre rythme, je pou­vais tra­vailler une cer­taine urgence afin de faire dire aux per­son­nages qu’ils pour­raient effec­ti­ve­ment emprun­ter d’autres che­mins. (Li-Goyette, 2017)

De ses courts-métrages (Le Futur Proche [2012], La Ronde [2011], Manèges [2010], À l’état sau­vage [2009]) à ce pre­mier long-métrage, Sophie Goyette a tra­vaillé plu­sieurs thèmes sur le mode de la constel­la­tion. L’impossibilité de fixer le temps, l’enchâssement des vies humaines, les dési­rs répri­més, la peur de la mort, le rêve comme tra­ver­sée inté­rieure, l’importance sal­va­trice de l’art se révèlent autant de ques­tions qui tra­versent son œuvre et en éclairent le sens. Dans Le Futur Proche, son qua­trième court-métrage, Robin, le per­son­nage de pilote fran­çais, avoue : « Je suis en route vers quelque chose mais je ne sais pas quoi. » Cette phrase, d’une sim­pli­ci­té désar­mante, incarne à elle seule la façon dont la construc­tion iden­ti­taire s’élabore chez Goyette, construc­tion qui passe le plus sou­vent par un besoin de rup­ture radi­cal et un désir qui mène vers un affran­chis­se­ment cer­tain. Or, cet affran­chis­se­ment, s’il est sou­hai­té, ne se réa­lise jamais de façon abrupte ni n’est pré­sen­té fron­ta­le­ment au spec­ta­teur. C’est au contraire grâce à des espaces inter­mé­diaires, ain­si que par des mou­ve­ments de déca­lage, de bifur­ca­tion, de contour­ne­ment que les per­son­nages de Goyette se délivrent de mondes qui ne coïn­cident plus avec leur quête, se lais­sant tran­quille­ment déri­ver vers un « ailleurs » qui les attire iné­luc­ta­ble­ment. Mais quel est cet « ailleurs » et quelles formes (méta­pho­riques, lan­ga­gières, esthé­tiques) prend-il à l’écran ? Il s’agira d’étudier dans un pre­mier temps la manière dont le motif de l’« entre-deux » (ou de l’espace « inter­mé­diaire », de la posi­tion mitoyenne) chez Goyette est non seule­ment pré­do­mi­nant mais tra­vaillé comme un véri­table espace iden­ti­taire trouble. Dans un deuxième temps, il sera per­ti­nent d’observer com­ment ce motif marque éga­le­ment la façon dont Goyette aborde ses per­son­nages fémi­nins et leurs uni­vers, et bien sûr, à plus large échelle, com­ment la pra­tique de la cinéaste s’inscrit au sein du ciné­ma des femmes au Québec.

On pour­rait poser la ques­tion d’entrée de jeu : pour­quoi déci­der de faire le point sur l’œuvre encore jeune de Sophie Goyette dans le cadre de ce dos­sier « Femmes et ciné­ma qué­bé­cois II : 35 ans plus tard » plu­tôt que sur le tra­vail d’autres réa­li­sa­trices émer­gentes, tel celui de Gene­viève Dulude-De Celles (récem­ment pri­mée à Ber­lin pour son film Une colo­nie, 2018), de Renée Beau­lieu (Les salopes ou le sucre natu­rel de la peau, 2018) ou de Sadaf Forou­ghi (Ava, 2017), leurs films ayant tous été bien accueillis et remar­qués par la cri­tique qué­bé­coise ces der­nières années ? Si une part de sub­jec­ti­vi­té marque évi­dem­ment ce choix, celui-ci reflète éga­le­ment le désir de faire la part belle au regard d’une réa­li­sa­trice qui choi­sit, sciem­ment, de créer une œuvre qui invite à un type de contem­pla­tion visuelle aux accents poé­tiques et phi­lo­so­phiques. Il est en effet encore trop rare qu’on s’attarde à la façon dont les cinéastes qué­bé­coises traitent de motifs et thé­ma­tiques tels que l’émerveillement inté­rieur, le poids des silences par­ta­gés, le sen­ti­ment de conni­vence entre étran­gers, les inter­ro­ga­tions méta­phy­siques et l’influence qu’elles peuvent exer­cer sur la vie fan­tas­mée des humains. Dans un entre­tien tiré de l’ouvrage Le ciné­ma qué­bé­cois au fémi­nin, la direc­trice pho­to Jes­si­ca Lee Gagné explique, en par­lant des arti­sanes de ciné­ma de la pro­vince, que « dans notre tête, on se dit qu’il faut pro­po­ser une his­toire qui cor­res­pond à ce que tout le monde pense être un film de femme » (Gobert, Lan­lo, p. 115). Ségo­lène Roe­de­rer, direc­trice géné­rale de Qué­bec Ciné­ma, pose le pro­blème de manière plus directe : « Une femme cinéaste ne devrait pas avoir à se deman­der si elle fait un film de femme. […] D’ailleurs qu’est-ce que le ciné­ma fémi­nin ? Doit-il obli­ga­toi­re­ment racon­ter une his­toire avec une héroïne femme ? Pas obli­ga­toi­re­ment ! » (Gobert, Lan­lo, p. 16).

Les films de Sophie Goyette semblent inves­tis de cette même idée de liber­té créa­trice, qui per­met de s’éloigner de l’image sté­réo­ty­pée du « film de femme ». Ils se dis­tinguent par cette facul­té d’afficher une sen­si­bi­li­té qui passe par des choix de mise en scène (plans, cadrages, éclai­rage), sans pour autant que les ave­nues de cette sen­si­bi­li­té soient dic­tées par « l’idée pré­con­çue » (voire la construc­tion) qu’on – et « on » ici dis­si­mule l’industrie cultu­relle et média­tique qué­bé­coise – se fait de l’imaginaire fémi­nin, autant sur le plan de la réa­li­sa­tion que sur celui de la repré­sen­ta­tion à l’écran. Par exemple, dans la conclu­sion de son article publié dans Ciné-Bulles, « Les pion­nières qué­bé­coises. Nais­sance d’un ciné­ma fémi­nin », Jean-Fran­çois Hamel sou­li­gnait que le « déve­lop­pe­ment accru de récits inti­mistes, qui peuplent notre ciné­ma­to­gra­phie depuis quelques années ne peu[t] être étrange[r]s à l’héritage lais­sé par les réa­li­sa­trices des années 1970 » (Hamel, 2013). Cette façon de résu­mer le ciné­ma contem­po­rain des cinéastes qué­bé­coises par le terme assez atten­du d’« intime » (et de ne citer aucune réa­li­sa­tion en par­ti­cu­lier) est loin d’être inha­bi­tuelle : elle témoigne des limites des dis­cours cri­tiques visant à décrire les créa­tions des femmes. « Intimiste/intime », « sen­sible », « personnel/autofictionnel », tant de termes qui sont pro­gres­si­ve­ment deve­nus des lieux com­muns, d’où la com­plexi­té et l’importance de trai­ter aujourd’hui de la spé­ci­fi­ci­té des sen­si­bi­li­tés fémi­nines (lorsque c’est effec­ti­ve­ment le cas) et d’éviter toute glo­ba­li­sa­tion ou géné­ra­li­sa­tion hâtives. Il ne faut tou­te­fois pas négli­ger la voix de cer­taines cinéastes, telle Iza­bel Gron­din (qui œuvre dans le milieu du ciné­ma de genre), qui se posi­tionnent face à l’homogénéisation des sujets abor­dés par les cinéastes québécoises :

Peu de femmes arrivent déjà à faire des films, mais si elles font des films sur la famille dys­fonc­tion­nelle ou sur des sujets qui reviennent tou­jours, comme l’orientation sexuelle, le père absent ou les pertes d’emploi en région, ça n’arrange rien. Nous sommes satu­rés de drames sociaux et fami­liaux, de films klee­nex. Il fau­drait qu’une femme s’aventure dans un pro­jet ayant plus de chances de sus­ci­ter un engoue­ment popu­laire, comme une grosse comé­die, un film poli­cier, un thril­ler, un film d’horreur, un film de science-fic­tion, une comé­die musi­cale, un film éro­tique ou d’animation. (Gobert/Lanlo, p. 62)

Sui­vant cette pro­po­si­tion, il appa­raît pri­mor­dial de conti­nuer à ques­tion­ner la diver­si­té des thé­ma­tiques abor­dées par les réa­li­sa­trices qué­bé­coises, mais il faut éga­le­ment sou­pe­ser la teneur et les rai­sons des choix de style de réa­li­sa­tion des cinéastes. Pour­quoi (et com­ment) choi­sir la voie de la « sen­si­bi­li­té » aujourd’hui, mal­gré le risque d’être éti­que­tée d’avance par la cri­tique ou de se faire dire qu’on fait un « film de femme » ? Et n’est-ce pas prendre le pro­blème à l’envers que d’assigner les femmes à des genres réglés et codés tels que le poli­cier, le thril­ler, la science-fic­tion, comme si ceux-ci avaient le pou­voir d’enrayer ou d’adoucir les dis­cours sté­réo­ty­pés qui sont si sou­vent acco­lés à leur cinéma ?

En tra­vaillant le motif de la bifur­ca­tion, de l’« entre-deux », Goyette contourne (de façon presque per­for­ma­tive) ces pro­blèmes qui per­sistent dans le monde du ciné­ma qué­bé­cois et se place au plus près de ce que décrit Gabrielle Tré­pa­nier-Jobin lorsqu’elle parle de créa­tion de « formes de sub­jec­ti­vi­té » : « Étant don­né la situa­tion “mino­ri­taire” des femmes au sein de l’industrie ciné­ma­to­gra­phique, il nous semble aus­si plau­sible de croire que les réa­li­sa­trices pro­fitent de leur place pri­vi­lé­giée pour redé­fi­nir les formes de sub­jec­ti­vi­té dans les­quelles elles ont été enfer­mées. » (Tré­pa­nier-Jobin, 2009, p. 9) Le motif de la « posi­tion mitoyenne » me semble per­mettre ce tra­vail chez Goyette : celui de réflé­chir à l’identité qué­bé­coise à tra­vers la recherche de nou­velles formes de sub­jec­ti­vi­té, de nou­velles manières de dire, de mon­trer. Ou, pour reprendre les mots d’Anaïs Bar­beau-Lava­lette, dans le por­trait qu’on lui consacre dans 40 ans de vues rêvées. L’imaginaire des cinéastes qué­bé­coises depuis 1972, de rece­voir le monde : « Comme femme, je reçois le monde d’une cer­taine façon. Pour­quoi m’en cacher ? » (Bar­beau-Lava­lette, p. 21) L’œuvre récente de Sophie Goyette exem­pli­fie à mes yeux cette même volon­té, cette même certitude.

L’art du décalage : entre rêve et parole voilée

En 1978, dans son essai L’effet ciné­ma, l’écrivain Jean-Louis Bau­dry expli­quait que le dis­po­si­tif fil­mique est oni­rique en soi et que toute « sur­en­chère au niveau de la repré­sen­ta­tion du rêve [ne peut] qu’être contre­pro­duc­tive en termes d’effet sur le spec­ta­teur » (Bau­dry, p. 10). Bau­dry intro­dui­sait en effet le terme « d’effet-rêve » et men­tion­nait que le rêve au ciné­ma est utile comme outil com­pa­ra­tif afin d’appuyer ou de mettre de l’avant la « puis­sance de fas­ci­na­tion » (Bau­dry, p. 10) du ciné­ma. De son côté, Jean Sta­ro­bins­ki écri­vait, dans « La vision de la dor­meuse », à pro­pos de « l’effet rêve », que, selon lui, « sa recon­nais­sance doit être immé­diate » (Sta­ro­bins­ki, p. 20) et qu’« il y a sur­en­chère lorsqu’il s’agit de la rémi­nis­cence (ou de la fausse recon­nais­sance) qui nous fait éprou­ver le déjà-rêvé, le déjà-vu oni­rique » (Sta­ro­bins­ki, p. 20).

Dans un texte plus récent tiré de l’ouvrage Rêve et ciné­ma. Mou­vances théo­riques autour d’un champ créa­tif (2012), Marie Mar­tin recon­tex­tua­lise les pro­pos de Bau­dry en les met­tant en paral­lèle avec ceux du théo­ri­cien du ciné­ma et artiste Thier­ry Kunt­zel. Elle reprend le concept de « tra­vail du film » de Kunt­zel pour déve­lop­per sa propre pen­sée au sujet d’une « poé­tique du rêve » cinématographique :

La poé­tique du rêve veut donc rendre compte d’un autre type de rap­port entre rêve et ciné­ma : ce n’est ni une méta­psy­cho­lo­gie du dis­po­si­tif fil­mique, ni une étude de séquences oni­riques plus ou moins réus­sies de l’histoire du ciné­ma. […] Un film peut aus­si bien ados­ser sa poé­tique au conte­nu mani­feste d’un rêve, tra­vaillant davan­tage les formes de rébus à inter­pré­ter, qu’à un conte­nu latent qui expose direc­te­ment les com­plexes et les frayages incons­cients, sus­ci­tant moins une inter­pré­ta­tion qu’une émo­tion. (Mar­tin, p. 65–66)

À l’aune de ces dif­fé­rentes ave­nues réflexives trai­tant des liens étroits entre rêve et ciné­ma, com­ment ana­ly­ser le pre­mier long-métrage de Sophie Goyette, Mes nuits feront écho, et sa façon d’aborder l’onirisme ? Dans ce film qui enchâsse les tra­jec­toires de trois êtres (Éliane, Romes, Pablo) en les dépei­gnant à des moments-clés de leur vie, entre le Qué­bec, le Mexique et la Chine, pou­vons-nous par­ler de « poé­tique du rêve » ou sommes-nous dans la sur­en­chère, la rémi­nis­cence, les croi­sées entre réel et irréel ? Goyette explore les liens com­plexes entre pen­sée consciente et incons­ciente, et il serait même pos­sible de sou­te­nir, en sui­vant Camil­la Bevi­lac­qua, que son ciné­ma aide à « for­ger une cer­taine image de l’expérience oni­rique » (Bevi­lac­qua, p. 8), grâce aux pro­cé­dés visuels et nar­ra­tifs qu’elle convoque – de façon méta­dié­gé­tique – pour trans­po­ser le pro­ces­sus rêvé à l’écran.

Dans Mes nuits feront écho, Goyette insère notam­ment des sous-titres sur un écran noir pour illus­trer la conver­sa­tion d’un couple (Éliane et une autre per­sonne) qui aurait lieu durant la nuit : « Dors-tu ? / Non / J’ai fait un rêve la nuit pas­sée / Avec moi ? / Non, avec moi. / Je sais pas, il y avait une forêt. Puis un étang. Une femme me par­lait, dans ce rêve. » L’écran demeure noir (figu­ra­tion d’un « entre-deux » entre som­meil et éveil dans une chambre à cou­cher, la nuit), mais les sous-titres défilent à quelques secondes d’intervalle, ce qui donne l’impression d’entendre un réel dia­logue, « d’écouter » le silence. Puis, à mesure qu’Éliane pour­suit le récit de son rêve, les plans de ce qu’elle décrit en voix off se maté­ria­lisent et concordent avec son pro­pos (pro­cé­dé qui était déjà pré­sent dans La Ronde, mais qui était conçu au contraire selon une inadé­qua­tion entre les plans et les dia­logues à l’écran, ce qui confé­rait deux niveaux de lec­ture à ces scènes).

Ce rap­port texte-image per­met une visua­li­sa­tion en appa­rence réa­liste du sou­ve­nir remé­mo­ré, qui res­sur­git de façon par­cel­laire, à coup de tableaux, de sons ou de sen­sa­tions tac­tiles pré­gnantes. L’image fil­mique oni­rique se révèle pour ain­si dire au ser­vice de la recons­ti­tu­tion mémo­rielle du per­son­nage ; elle vient l’appuyer, lui don­ner une nou­velle teneur. On semble ain­si s’éloigner de ces idées de sur­en­chère ou du déjà-vu oni­rique, et, pour le dire avec Marie Mar­tin, tou­cher à des conte­nus latents qui sus­citent une émo­tion, conte­nus qui se super­posent à la struc­ture pre­mière du récit fil­mique. Les séquences de rêve ne sont pas à inter­pré­ter comme des paren­thèses fan­tas­ma­tiques dans l’économie de l’œuvre : c’est à tra­vers elles qu’on sai­sit la com­plexi­té du pas­sé des per­son­nages et la source de leurs dési­rs répri­més. D’une cer­taine façon, elles méta­pho­risent le ciné­ma comme tra­ver­sée mémo­rielle chao­tique et mélan­co­lique. Cette tra­ver­sée se double d’ailleurs d’une atten­tion por­tée à la pho­to­gra­phie de l’image et à la lumière, Goyette ayant ten­dance à fil­mer, par­ti­cu­liè­re­ment dans La Ronde et Mes nuits feront écho, les pay­sages à tra­vers une teinte lai­teuse, un flou ambiant. Entre le ciel opaque de la Chine et la brume mexi­caine (« la nebli­na », comme l’appelle Romes), le brouillage et le flot­te­ment propres aux mondes inté­rieurs des per­son­nages s’accentuent.

Si la « langue du rêve » trouve une incar­na­tion for­melle à l’écran dans Mes nuits feront écho – et peut-être même dans À l’état sau­vage, alors que Mat­thias, un enfant, se pro­mène seul au Pla­né­ta­rium et qu’une voix pro­ve­nant d’un haut-par­leur explique que « Les étoiles et nous avons beau­coup en com­mun. Nous devons notre propre exis­tence aux étoiles » –, la langue par­lée se révèle elle aus­si un lieu inter­mé­diaire, qui ne peut être inves­ti plei­ne­ment. Dans Mes nuits feront écho, les échanges entre Éliane et Romes se font dans un mélange d’espagnol et d’anglais. Alors que son espa­gnol est mar­qué par de nom­breuses hési­ta­tions, Éliane per­siste à s’exprimer dans une langue vacillante qui n’est pas la sienne : une langue qué­bé­co-espa­gnole faite de hachures, d’interruptions, de moments d’arrêts plus ou moins nets, comme si la véri­té de la parole d’Éliane, ses pen­sées, pas­saient plus direc­te­ment par cette langue autre, non maî­tri­sée, « encore en voie de deve­nir », que par sa langue maternelle.

Plus tard dans le film, en Chine, Romes et Pablo font eux aus­si face à un déca­lage lin­guis­tique alors qu’ils dînent dans un res­tau­rant de ramen et qu’un homme leur parle en man­da­rin. Romes et Pablo res­tent cois, l’homme conti­nue à dis­cu­ter avec eux en fai­sant abs­trac­tion de leur incom­pré­hen­sion ; il leur dit en man­da­rin : « Cha­cun a un rêve, et tous nos rêves ensemble sont un rêve dans le “grand rêve”. » (Des sous-titres en fran­çais per­mettent de com­prendre le sens de sa phrase.) Ce « grand rêve » chez Goyette se conçoit peut-être jus­te­ment comme un fan­tasme de ras­sem­ble­ment humain autour d’un déno­mi­na­teur com­mun, celui d’un monde inté­rieur babé­lien où la com­pré­hen­sion serait pour­tant une fin en soi, acces­sible seule­ment à tra­vers de mul­tiples effets de déca­lage. Dans La Ronde, cet effet est aus­si ren­for­cé par le fait que toutes les inter­ac­tions entre Ariane et son frère se déroulent par l’intermédiaire du télé­phone (ceux-ci par­lant de la déci­sion de débran­cher le res­pi­ra­teur arti­fi­ciel de leur père schi­zo­phrène dans le coma). Dans À l’état sau­vage, Mat­thias ne parle pas ou ne répond presque jamais aux ques­tions qu’on lui pose, même si un guide du Pla­né­ta­rium s’efforce d’entrer en contact avec lui.

La langue par­lée, chez Goyette, est ain­si une langue qui ne peut s’accomplir que dans l’intermittence, la sus­pen­sion et la dis­con­ti­nui­té, tout par­ti­cu­liè­re­ment en ce qui a trait à la mort. La mort, ain­si que la peine et les regrets qui lui sont asso­ciés, ne peuvent se « dire » com­plè­te­ment, comme s’ils empor­taient avec eux ce que la parole ren­dait aupa­ra­vant déchif­frable. Comme l’explique dif­fi­ci­le­ment Éliane à Romes : « Je reste fas­ci­née par le point exact où la vie est, et n’est plus. Je n’ai plus de parents. » Cette réplique montre de façon méto­ny­mique le tra­vail opé­ré par la cinéaste pour ten­ter de « tra­duire », entre fond et forme, cette impos­si­bi­li­té de sai­sir la mort, rup­ture finale, dans ce qu’elle a de plus fatal et d’insaisissable. Goyette filme ain­si la brèche comme un réel motif ciné­ma­to­gra­phique, elle sonde ce qui se dis­si­mule dans les écarts des langues, des pays, des silences, afin de voir ce que la mort « laisse » der­rière elle une fois qu’elle sur­git et ter­rasse des vies humaines. La mort, tel un écla­te­ment majeur, crée la brèche iden­ti­taire, elle ouvre sur « l’entre-deux ». Et si, comme dans Mes nuits feront écho et La Ronde, il reste de l’ordre du secret, de l’incompréhensible, et que la parole ne peut le cer­ner fron­ta­le­ment, « l’instant de la mort » – pour emprun­ter au titre du texte bien connu de Mau­rice Blan­chot paru en 1994 – est dévoi­lé par la com­po­si­tion des plans, le cadrage, le style des pièces de pia­no : ceux-ci tentent d’exprimer autre­ment le mys­tère inson­dable de la dis­pa­ri­tion et montrent, pour le dire cette fois avec les mots de Jacques Der­ri­da, com­ment chaque « fin du monde » s’avère unique. Une lec­ture phi­lo­so­phique de Mes nuits feront écho per­met­trait d’ailleurs d’interroger de nou­velles couches de sens du film de Goyette, tant les trois per­son­nages prin­ci­paux vivent, à tra­vers leurs dif­fé­rents deuils et leurs étapes obli­gées, une expé­rience de frag­men­ta­tion iden­ti­taire qui se reflète à tra­vers tous ces écarts, ces moments d’« entre-deux » :

Alors le sur­vi­vant reste seul. Au-delà du monde de l’autre, il est aus­si de quelque façon au-delà ou en deçà du monde même. Dans le monde hors du monde et pri­vé du monde. Il se sent du moins seul res­pon­sable, assi­gné à por­ter et l’autre et son monde, l’autre et le monde dis­pa­rus, res­pon­sable sans monde (welt­los)… (Jacques Der­ri­da, Béliers, p. 23)

Éliane, Romes et Pablo portent en effet deux mondes : le monde de leurs défunts, de l’ordre du sou­ve­nir, et celui lais­sé par leurs défunts, tan­gible mais impos­sible à appré­hen­der. Ils sont des sur­vi­vants « seuls », des étran­gers qui ne peuvent faire com­mu­nion, trou­ver le répit que dans l’interstice, la conni­vence « momen­ta­née », celle-ci sur­ve­nant de manière fugace, comme la mort elle-même, entre ce qui est dit et ce qui est tu. Pen­ser la mort inex­pri­mable chez Goyette – ou la pos­si­bi­li­té de son impos­si­bi­li­té, si l’on retourne à Der­ri­da – revient ain­si à la don­ner tout entière au ciné­ma et à son lan­gage. En s’attardant lon­gue­ment à la nebli­na (qu’on voit par la fenêtre d’une voi­ture en mou­ve­ment), au cla­po­te­ment des vagues sur un voi­lier qui tangue ou aux cercles concen­triques d’une grande éten­due d’eau à Bei­jing, fil­més en plon­gée (alors que Romes dit à son père : « Je crois que la vie s’en va très rapi­de­ment, et nous avons été ensemble peu de temps »), Goyette filme le cycle natu­rel de l’eau, l’impénétrabilité du vent afin d’aborder, autre­ment que par des dia­logues, l’inachèvement du deuil et l’ordre immuable de ses réper­cus­sions sur les personnages.

Princesses, femmes, alliées : dos à dos, face à face

Cepen­dant, si la trans­po­si­tion oni­rique à l’écran, les déca­lages lan­ga­giers, le rap­port à la mort résument bien cer­tains des thèmes de pré­di­lec­tion de Sophie Goyette, qu’en est-il, plus spé­ci­fi­que­ment, du trai­te­ment des uni­vers fémi­nins au sein de son œuvre ?

Dans l’une des pre­mières scènes de Mes nuits feront écho, le per­son­nage d’Éliane est vêtu d’un cos­tume de prin­cesse, qu’on recon­naît être celui d’Elsa, l’héroïne blonde du film d’animation Fro­zen (2013, Chris Buck, Jen­ni­fer Lee). Le plan est fixe, Éliane se tient sur une chaise dans un jar­din, des petites filles l’encerclent lors d’une fête d’anniversaire. « Tu me connais bien ? T’as vu mes films ? », demande Éliane à l’une des enfants. Plu­sieurs lui confirment avec enthou­siasme : « Oui, j’ai vu le film ! » ou même « J’connais par cœur la chan­son et le film ». Pour pas­ser le temps, Prin­cesse Elsa pro­pose aux fillettes de « des­si­ner le châ­teau de leurs rêves ». Une fois sa per­for­mance ter­mi­née, Éliane est ques­tion­née par la tante de l’enfant fêtée : « Ça fait long­temps que t’es une prin­cesse ? » Elle lui répond, sage­ment : « Je vou­lais m’inscrire au Conservatoire. »

D’emblée, Éliane est dépeinte comme une héroïne qui revêt mal­gré elle un dégui­se­ment fémi­nin sté­réo­ty­pé. Sans décor, sans châ­teau, Éliane n’a que sa chaise pour se tenir droite et sou­te­nir les regards de ces petites filles qui « ren­contrent » leur idole de Dis­ney pour la pre­mière fois. Être une prin­cesse chez Goyette n’a pour­tant rien de gran­diose, c’est la repré­sen­ta­tion même du second choix, de l’abdication face au rêve. Éliane se résout à jouer à la prin­cesse, faute de mieux. Cette figure qu’elle incarne, fan­tas­mée aux yeux des enfants, décon­si­dé­rée aux siens, pose pro­blème : elle est le résul­tat (tem­po­raire) d’une quête iden­ti­taire et d’un idéal per­son­nel ajour­nés. Se trans­for­mer en prin­cesse, c’est ren­trer dans le rang, accep­ter un salaire parce qu’il le faut bien, prendre son mal en patience ain­si que se mettre en posi­tion d’attente face au futur. C’est un état qui entrave l’imagination et ame­nuise la pos­si­bi­li­té même de se pen­ser « autre ».

Dans son article « Dam­sels in Deve­lop­ment: Repre­sen­ta­tion, Tran­si­tion and the Dis­ney Prin­cess », Sam Higgs ana­lyse de près les types de prin­cesses de Dis­ney et les divise en trois caté­go­ries : « the Clas­sic », « the Renais­sance » et « the Revi­val ». Le per­son­nage d’Elsa, inter­pré­té par Éliane, fait par­tie (comme Meri­da du film Brave [2012] ou Tia­na de The Prin­cess and the Frog [2009]) de ces « revi­val prin­cesses » contem­po­raines, consi­dé­rées par la cri­tique comme des modèles de prin­cesses ayant plus d’agentivité que leurs pré­dé­ces­seures clas­siques (Blanche-Neige, Cen­drillon). Higgs spé­ci­fie que « the Revi­val Prin­cess is hard­wor­king and inde­pen­dant, but these qua­li­ties are wea­ke­ned when they exist in a socie­ty where they are not the norm. This fur­thers the ‘almost there’ nature of the Revi­val Prin­cess » (Higgs, p. 69). Il est inté­res­sant, voire un peu iro­nique, que Goyette ait choi­si – inten­tion­nel­le­ment ou non – de créer un rap­pro­che­ment entre Elsa, cette prin­cesse chan­tant « Let it go, let it go », per­çue par la cri­tique comme un modèle plus en phase avec les visées fémi­nistes actuelles1, et sa pro­ta­go­niste Éliane, qui ne s’enorgueillit pas par­ti­cu­liè­re­ment d’endosser son rôle plu­tôt que celui d’une prin­cesse plus « clas­sique », même si Elsa est ché­rie des jeunes filles. La figure de la prin­cesse, qu’elle ait évo­lué ou non, demeure dans Mes nuits feront écho de l’ordre du « almost there », comme si elle ne per­met­tait pas d’avancée ou d’assise nette. Telle une posi­tion mitoyenne de départ, ce « almost there » propre à la figure de la prin­cesse est sans doute l’un des seuls espaces inter­mé­diaires chez Goyette qui n’est pas « habi­table » et qui demande à être outre­pas­sé, voire contes­té dès les pre­mières minutes du film.

Dans le ciné­ma de Goyette, les femmes ne sont pas des prin­cesses qu’il faut escor­ter ou sau­ver, mais des êtres en dépla­ce­ment, qui ont à cœur de com­prendre la nature des par­cours qu’elles entre­prennent. Il y a d’ailleurs un jeu qui s’opère entre « fron­tal » et « non fron­tal » à tra­vers les mul­tiples scènes où Goyette choi­sit de fil­mer ses per­son­nages fémi­nins de dos. Dans Mes nuits feront écho, Éliane est fil­mée ain­si lorsqu’elle avance dans un fes­ti­val de musique à aire ouverte, lorsqu’elle prend un train au Mexique, lorsqu’elle joue du pia­no, lorsqu’elle marche dans le métro, lorsqu’elle est en voi­ture avec Romes, ou encore lorsqu’elle appa­raît à l’écran sous un éclai­rage rou­geâtre lors de la pre­mière scène. D’autres per­son­nages fémi­nins sont éga­le­ment mon­trés de dos dans les films de Goyette : la femme décé­dée (inter­pré­tée par Monique Spa­zia­ni) dont Pablo était secrè­te­ment amou­reux, fil­mée seule dans un grand champ en plan moyen à la fin de Mes nuits feront écho ; Ariane (inter­pré­tée par Éliane Pré­fon­taine) dans La Ronde, quand elle s’aventure dans l’appartement vide de son père dans le coma, joue du pia­no, marche à la lisière d’une forêt, qu’elle est en voi­ture avec l’autostoppeur ou traîne la car­casse d’un ani­mal mort sur la route; Nadège (inter­pré­tée par Marie-Ève Roy) dans Manèges, lorsqu’elle conduit sa voi­ture ou qu’elle lit les règle­ments près de la piste de karting.

Ce bref inven­taire per­met de consta­ter que plu­sieurs espaces reviennent d’un film à l’autre – le pia­no, la voi­ture, le champ, la forêt – et que Goyette s’intéresse par­ti­cu­liè­re­ment au corps fémi­nin en mou­ve­ment. Déjà par­tis, mais loin d’être arri­vés au bout de leur tra­jec­toire, ces corps avancent, et pour­tant, quelque chose les empêche de trou­ver leur des­ti­na­tion finale. Ils res­tent, encore une fois, lovés dans l’« entre », le « milieu »; cet état ambi­gu les défi­nit. On peut pen­ser à d’autres réa­li­sa­teurs qué­bé­cois, tel Xavier Dolan, qui a sin­gu­liè­re­ment tra­vaillé le motif du dos fémi­nin à l’écran (celui de Marie dans Les Amours ima­gi­naires [2009] ou ceux de Lau­rence et Fred dans Lau­rence Any­ways [2012]). Cepen­dant, si, chez Dolan, le dos et la nuque sont sou­vent fil­més au ralen­ti, cen­trés, en longue focale, et qu’on peut déce­ler dans la com­po­si­tion de ses plans une sen­sua­li­té, voire une éro­ti­sa­tion esthé­tique, il y a chez Goyette quelque chose de plus épu­ré, qui semble être en adé­qua­tion avec le type de pro­fon­deur que dégagent ses per­son­nages fémi­nins et qui mène, ulti­me­ment, vers la confi­dence orale par­ta­gée avec l’autre. Bien qu’on consi­dère en géné­ral les visages au ciné­ma comme les vec­teurs prin­ci­paux d’expressivité et d’émotion, les dos jouent un rôle sem­blable dans les films de Sophie Goyette : la fron­ta­li­té dis­si­mu­lée des corps n’entrave pas la pré­sence scé­nique des actrices; au contraire, elle semble la décu­pler et ouvrir la voie vers l’intériorité des per­son­nages et leur émancipation.

Une scène mar­quante de Mes nuits feront écho est un plan-séquence d’une dizaine de minutes dans lequel Éliane et Romes sont fil­més de dos sur un voi­lier et échangent des pen­sées au sujet des mon­tagnes et de la musique de Rach­ma­ni­nov. Ces dia­logues sont ponc­tués de plu­sieurs silences. C’est ain­si fil­mée qu’Éliane dira, au bout de plu­sieurs minutes, à pro­pos de ses parents : « J’ai com­men­cé à jouer après leur décès », puis, plus tard : « J’ai sur­vé­cu à l’accident. J’étais dans la voi­ture. » La confes­sion gra­duelle d’Éliane encou­rage celle de Romes, qui finit par répondre : « Ma mère est décé­dée il y a deux ans. C’est encore récent, pour moi. Elle me manque beau­coup. » Cette scène en temps réel trouve sa force dans le fait que la camé­ra exclut le spec­ta­teur de ce moment de confes­sion, comme si ce moment ne pou­vait être vécu et com­pris plei­ne­ment que par les deux per­son­nages. Cette mobi­li­sa­tion des corps confère à la scène un aspect pudique, et pour­tant, les révé­la­tions qui sourdent des dia­logues n’en sont que plus frap­pantes, jus­te­ment parce que l’attention du spec­ta­teur n’est pas por­tée vers des regards ou des visages, mais vers la manière dont le dévoi­le­ment prend son ampleur dans la parole, à coup de pen­sées intros­pec­tives, d’hésitations et de temps morts. Les dos, à ce moment, ne sup­posent pas « la pro­messe d’un retour­ne­ment », mais deviennent « le tout de l’image », pour reprendre des for­mu­la­tions de Ben­ja­min Tho­mas dans l’ouvrage col­lec­tif qu’il a diri­gé, Tour­ner le dos. Sur l’envers du per­son­nage au ciné­ma.

Le jeu de dos se double aus­si d’un brouillage face aux fron­tières spa­tiales : la camé­ra suit Éliane, Nadège et Ariane (plus par­ti­cu­liè­re­ment) vers des lieux qui paraissent indé­ter­mi­nés ou ano­nymes et dont la nature, peu à peu, se laisse devi­ner fuga­ce­ment. Les spectateurs·trices, comme la camé­ra, sont ain­si à la mer­ci des dépla­ce­ments de ces femmes qui se frayent un che­min de façon incer­taine dans des fes­ti­vals de musique, des forêts, des métros (ou est-ce un aéro­port ?), des routes qué­bé­coises ou mexi­caines quel­conques, et qui attirent – de façon tran­quille­ment insou­mise – leur regard vers une puis­sance cen­tri­pète : leur dos. « De manière para­doxale […] le spec­ta­teur s’identifie plus aisé­ment lorsqu’il n’y a pas l’obstacle du visage de l’acteur ; ce visage qui me regarde avec ses yeux à lui, ce ne peut être moi. […] Le per­son­nage de dos intro­duit le spec­ta­teur dans des lieux nou­veaux, qui lui sont encore incon­nus », écrit Augus­tin Fon­ta­nier sur le site cultu­rel L’Intermède, et c’est effec­ti­ve­ment ce qui est en jeu dans le tra­vail de Goyette, alors que les spectateurs·trices se voient guidé·e·s presque à l’aveuglette vers des lieux qui témoignent de l’état de « pas­sage » des pro­ta­go­nistes, ceux-ci demeu­rant de l’ordre du flou, de l’inhabitable, de la simple « étape ». Par­tir ou res­ter, s’ancrer ou se déra­ci­ner vio­lem­ment, reve­nir en arrière ou tour­ner le dos (lit­té­ra­le­ment) pour la der­nière fois, tels semblent être les dilemmes qui habitent Nadège, Ariane et Éliane, et qui s’illustrent res­pec­ti­ve­ment à tra­vers les images d’une piste de go-kart dan­ge­reuse, d’une der­nière visite à l’hôpital ou de la volon­té de quit­ter le Qué­bec et ce qu’il symbolise.

Un der­nier aspect qu’il me semble impor­tant de prendre en compte dans la façon dont Goyette conçoit ses uni­vers fémi­nins à l’écran est le lien qui l’unit à la comé­dienne Éliane Pré­fon­taine, à qui elle a non seule­ment don­né le pre­mier rôle dans La Ronde et Mes nuits feront écho, mais aus­si la tâche de créer la trame sonore du long-métrage (Pré­fon­taine a éga­le­ment com­po­sé une pièce pour le court-métrage Le Futur proche). Dans un article publié dans Le Devoir en jan­vier 2017, Pré­fon­taine décri­vait la proxi­mi­té unique qu’elle par­tage avec la réalisatrice :

Je n’ai jamais pen­sé que ce film était un pro­lon­ge­ment du court métrage, mais plu­tôt celui de notre ami­tié qui a mûri au fil de nos nom­breux échanges sur la musique, confie Éliane Pré­fon­taine. Sophie dirige d’une manière vrai­ment spé­ci­fique ; j’ai l’impression que son ins­tinct com­mu­nique avec le mien et non sa tête avec la mienne. C’est comme si nous com­mu­ni­quions d’âme à âme, ce qui est très spé­cial et arrive peu souvent.(Préfontaine, 2017)

S’il est facile, voire banal, d’associer cer­taines actrices à leurs réa­li­sa­teurs, celles-ci deve­nant rapi­de­ment muses de ciné­ma dans l’imaginaire social qué­bé­cois (qu’on pense à Carole Laure pour Gilles Carle, Élise Guil­bault pour Ber­nard Émond, Céline Bon­nier pour André For­cier ou Anne Dor­val et Suzanne Clé­ment pour Xavier Dolan), il est moins habi­tuel de pen­ser aux col­la­bo­ra­tions intimes entre réa­li­sa­trices et comé­diennes. On peut évo­quer l’attachement qui sub­siste entre Léa Pool et Karine Vanasse, Pool ayant offert à Vanasse son pre­mier rôle dans Emporte-moi (1999) et l’ayant de nou­veau sol­li­ci­tée près de vingt ans plus tard dans son adap­ta­tion du roman Et au pire, on se marie­ra (2017). Cathe­rine Mar­tin a tra­vaillé plu­sieurs fois avec Guy­laine Trem­blay, notam­ment dans Mariages (2001) et Trois Temps après la mort d’Anna (2010). Il y aus­si a le duo Luce Guil­beault/Anne-Claire Poi­rier, sans doute l’un des plus notables, Guil­beault ayant joué suc­ces­si­ve­ment dans trois films de Poi­rier, Le Temps de l’avant (1975), Mou­rir à tue-tête (1979) et La Qua­ran­taine (1982). Toutes deux fémi­nistes et enga­gées, Poi­rier et Guil­beault – qui est elle aus­si pas­sée der­rière la camé­ra pour son por­trait de Denyse Benoît, comé­dienne (1975) et le docu­men­taire D’abord, ména­gères (1978) – se sont ins­pi­rées mutuel­le­ment au fil des années et ont réflé­chi de concert à la condi­tion des femmes au Qué­bec, à leur place dans la socié­té, à leur repré­sen­ta­tion dans le ciné­ma qué­bé­cois, ain­si qu’à la manière dont il était pos­sible pour elles, femmes inves­ties dans la créa­tion, de renou­ve­ler ce regard en demeu­rant actives dans leur milieu. Guil­beault et Poi­rier ont aus­si par­ti­ci­pé à d’autres pro­jets avec des écri­vaines et des cinéastes fémi­nistes des années soixante-dix, telles que Paule Baillar­geon (actrice dans Le Temps de l’avant), Marthe Black­burn (cos­cé­na­riste de Le Temps de l’avantMou­rir à tue-têteLa Qua­ran­taine), Nicole Bros­sard et Mar­ga­ret Wes­cott (coréa­li­sa­trices avec Guil­beault, Quelques fémi­nistes amé­ri­caines, 1978). La soli­da­ri­té de ces femmes à cette époque, et leur désir de tra­vailler ensemble et de jume­ler leurs talents, parais­saient ain­si moins décou­ler d’une fas­ci­na­tion réci­proque, de phé­no­mènes de mode ou d’une attrac­tion popu­laire que d’un réel esprit de soro­ri­té et d’une volon­té d’inventer un espace de créa­tion fer­tile et explo­ra­toire, où le sujet fémi­nin serait étu­dié en profondeur.

Il serait évi­dem­ment pré­ci­pi­té d’affirmer que le duo que forment Pré­fon­taine et Goyette recon­duit ce type de filia­tion ou que Pré­fon­taine est l’actrice « fétiche » de Goyette, la cinéaste étant encore au début de sa fil­mo­gra­phie, mais il demeure inté­res­sant de sou­li­gner le choix de Goyette de s’être affi­liée à une comé­dienne elle aus­si émer­gente, comme si, à par­tir de cette base neutre, de ce tableau encore vierge, les deux femmes pou­vaient créer en toute liber­té et construire ensemble de nou­velles « formes de sub­jec­ti­vi­té », pour reprendre l’expression de Tré­pa­nier-Jobin – de sur­croît, grâce au ter­rain com­mun de la musique. Contrai­re­ment aux per­son­nages de Romes et de Pablo (joués res­pec­ti­ve­ment par Gerar­do Tre­jo­lu­na et Felipe Casa­no­va), le per­son­nage d’Éliane dans Mes nuits feront écho porte le même pré­nom que celle qui l’interprète, ce qui, encore une fois, n’est pas un choix for­tuit. En nom­mant sa pro­ta­go­niste Éliane, Goyette incite à réflé­chir à une adé­qua­tion pos­sible entre le per­son­nage et l’actrice, ce qui laisse sup­po­ser une grande com­pli­ci­té entre les deux artistes.

Si la rela­tion de créa­tion qui réunis­sait Guil­beault et Poi­rier était ins­crite poli­ti­que­ment dans une décen­nie mar­quée par d’importantes reven­di­ca­tions fémi­nistes, l’alliance de Pré­fon­taine et de Goyette trouve ses fon­da­tions dans le par­tage et le mélange de deux visions du sep­tième art com­plé­men­taires. À l’image du film de Goyette, le lien qui unit les deux femmes repose sur les zones de sens qui excèdent la simple prise de parole (qu’elle se fasse dia­logue scé­na­ri­sé ou direc­tion de pla­teau de tour­nage). Dans l’article du Devoir, Pré­fon­taine par­lait « d’instinct ». Or, cet ins­tinct est lui-même ciné­ma­to­gra­phique et tire peut-être même du côté d’une sen­si­bi­li­té ciné­phi­lique dans la mesure où la confiance que par­tagent les deux femmes semble naître d’un amour du même « type » de ciné­ma ou, disons, d’un même amour de ce que le ciné­ma qué­bé­cois des femmes « peut » être aujourd’hui : un ciné­ma libre, sub­til, huma­niste, dénué de fron­tières for­melles, où le rêve, la contem­pla­tion, la mélan­co­lie, les regrets, les intros­pec­tions s’entremêlent et où, comme je le men­tion­nais plus haut, les rôles fémi­nins ne servent plus à illus­trer les idées ou les méta­phores aux­quelles on réduit (encore sou­vent) la condi­tion fémi­nine à l’écran (mariage, mater­ni­té, conci­lia­tion famille-tra­vail, peur de vieillir, etc.) dans les pro­duc­tions qué­bé­coises à plus gros budget.

Depuis la der­nière décen­nie, plu­sieurs réa­li­sa­trices ont heu­reu­se­ment fait leur marque dans le pay­sage audio­vi­suel qué­bé­cois. Elles ont gran­de­ment contri­bué à diver­si­fier la place des femmes devant et der­rière la camé­ra, et à déve­lop­per la pro­fon­deur des figures fémi­nines géné­ra­le­ment dépeintes à l’écran. Cer­taines de ces nou­velles créa­trices, comme Anne Émond et Chloé Robi­chaud, ont eu une visi­bi­li­té média­tique et une recon­nais­sance ins­ti­tu­tion­nelle impor­tantes. D’autres, comme Chloé Leriche (Avant les rues, 2016), Sophie Dupuis (Chien de garde, 2017), Sophie Bédard Mar­cotte (Claire L’Hiver, 2017) ou Sophie Goyette, encore en émer­gence, pos­sèdent une signa­ture visuelle qua­li­fiée par la cri­tique de forte et pro­met­teuse. Dans ce dos­sier inti­tu­lé « Femmes et ciné­ma qué­bé­cois II : 35 ans plus tard », choi­sir d’écrire sur une cinéaste dont la fil­mo­gra­phie est encore ouverte à tous les pos­sibles m’apparaissait pri­mor­dial puisqu’il s’agit jus­te­ment de cela, en bout de ligne : croire à l’écriture des femmes, sans attentes et sans besoin de com­prendre ou de pré­voir com­ment celles-ci s’inscriront à plus large échelle dans le ciné­ma des femmes. S’intéresser d’office à l’œuvre de Goyette, plus spé­ci­fi­que­ment à son pre­mier film indé­pen­dant auto­fi­nan­cé, répon­dait éga­le­ment à ce désir : ten­ter de sai­sir quel genre de liber­té sub­jec­tive s’exerce dans un cadre où de plus en plus de femmes cinéastes se donnent les moyens de trans­po­ser leur ima­gi­naire à l’écran. Croire et entrer, fina­le­ment, plei­ne­ment, dans le pre­mier « rêve » de ces nou­velles créatrices.


Notes

  1. Le récent essor du fémi­nisme dans la culture popu­laire nord-amé­ri­caine a per­mis la publi­ca­tion de plu­sieurs articles ana­ly­sant les repré­sen­ta­tions des prin­cesses Dis­ney sous un angle fémi­niste. Dans les der­nières années, les stu­dios Dis­ney ont cher­ché à pré­sen­ter aux jeunes filles des modèles d’héroïnes ayant un poten­tiel d’agentivité plus fort, notam­ment à tra­vers les per­son­nages de Meri­da [Brave, 2012], Elsa [Fro­zen, 2013], Moa­na [Moa­na, 2016]. Des articles, publiés sur les sites à saveur pop fémi­niste BustleJeza­belShe­ma­zing s’intéressent à la façon dont la qua­trième vague fémi­niste a modi­fié la repré­sen­ta­tion des prin­cesses Dis­ney depuis la der­nière décen­nie. De plus, un nombre gran­dis­sant d’articles uni­ver­si­taires, tel celui de Sam Higgs cité ci-haut, ou encore ceux d’Isabelle Gill (« Femi­nist Figures or Dam­sels in Dis­tress ? The Media’s Gen­de­red Mis­re­pre­sen­ta­tion of Dis­ney Prin­cesses »), de Rebec­ca-Anne C. De Roza­rio (« The Prin­cess and the Magic King­dom: Beyond Nos­tal­gia, the Func­tion of the Dis­ney Prin­cess ») et de Cas­san­dra Sto­ver (« Dam­sels and Heroines : The Conun­drum of the Post-Femi­nist Dis­ney Prin­cess ») témoignent de l’intérêt pour ce sujet, autant au sein des cultures média­tiques tou­chant un public large que des publi­ca­tions liées aux Cultu­ral Stu­dies en milieu uni­ver­si­taire.

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TRÉPANIER-JOBIN, Gabrielle, Repré­sen­ta­tions alter­na­tives de la sub­jec­ti­vi­té fémi­nine dans le ciné­ma fémi­nin qué­bé­cois, mémoire de maî­trise, Uni­ver­si­té du Qué­bec à Mont­réal, Mont­réal, 2009, 120 p.


Notice biographique

Alice Michaud-Lapointe est can­di­date au doc­to­rat et char­gée de cours au dépar­te­ment d’études ciné­ma­to­gra­phiques de l’Université de Mont­réal. Son pro­jet de thèse porte sur les liens qui unissent la ciné­phi­lie aux concepts de spec­tra­li­té et de « haun­ted media » dans le ciné­ma contem­po­rain. Elle a publié en 2014 aux édi­tions Hélio­trope un recueil de nou­velles, Titre de trans­port, pour lequel elle a été fina­liste au 14e Grand Prix lit­té­raire Archam­bault et un pre­mier roman, Vil­lé­gia­ture, en sep­tembre 2016. Depuis 2014, elle fait par­tie du comi­té de rédac­tion du maga­zine cultu­rel Spi­rale et elle a codi­ri­gé avec André Habib le dos­sier « Le temps du rétro » (automne 2018). Elle a signé plu­sieurs articles dans la rubrique « ciné­ma » du maga­zine et a publié des textes dans les revues Études fran­çaisesLiber­téHors champFound Foo­tage Maga­zine et la pla­te­forme Mise au point (Cahiers de l’Association fran­çaise des ensei­gnants cher­cheurs en ciné­ma et audio­vi­suel). Son troi­sième livre, Néons et saku­ras, est paru à l’automne 2018.