De Roberto Rossellini à Gilles Carle : la réalité par la parole


Syl­vie Dubois

Résu­mé
La ques­tion des dia­logues pour un ciné­ma qui vise une forme de révé­la­tion de la réa­li­té peut consti­tuer un point de diver­gence entre les réa­li­sa­teurs, au regard des pra­tiques ciné­ma­to­gra­phiques. Diver­gence que l’on peut retrou­ver entre le ciné­ma de Gilles Carle, consi­dé­ré comme réa­li­sa­teur de docu­men­taires d’auteur, et les poten­tielles influences du néo­réa­lisme ita­lien sur celui-ci. Trai­tant de l’immigration avec Dimanche d’Amérique (1961), il existe un autre film, du genre néo-réa­liste, pou­vant se pla­cer en miroir de celui-ci. Il s’agit de Strom­bo­li (1950) de Rober­to Ros­sel­li­ni. La manière d’enregistrer les dia­logues, en post­syn­chro­ni­sa­tion, peut paraître oppo­sée à un ciné­ma qui se veut néo-réa­liste et sou­haite notam­ment lais­ser place à l’intervention du réel en sor­tant des stu­dios. Le film de Gilles Carle, essen­tiel­le­ment tour­né en son direct, s’il a pu être ins­pi­ré par les films néo-réa­listes, dont Strom­bo­li de Rober­to Ros­sel­li­ni, per­met de pen­ser la pré­sence de la réa­li­té au tra­vers de dia­logues enre­gis­trés en direct ou post­syn­chro­ni­sés. Le pré­sent article sou­haite ain­si expo­ser cette réflexion au tra­vers d’une ana­lyse com­pa­ra­tive, tech­nique et esthé­tique, de ces deux films, afin d’en extraire les liens sur la mise en scène de la parole au cinéma.


Durant les années soixante, naît dans le ciné­ma qué­bé­cois ce que l’on nom­me­ra le « ciné­ma direct ». Cette forme ciné­ma­to­gra­phique, émer­geant éga­le­ment en France avec Jean Rouch, ou en Ita­lie avec Mario Rus­po­li, sou­haite trans­for­mer le rap­port entre le maté­riel ciné­ma­to­gra­phique et la réa­li­té. « Dans cette nou­velle optique, ce n’est pas à la réa­li­té de s’organiser autour du maté­riel ciné­ma­to­gra­phique, mais au dis­po­si­tif d’enregistrement de suivre l’action qui se déroule » (Bou­chard, 2011). Le dis­po­si­tif d’enregistrement doit cap­ter sur l’instant les images et les sons pro­duits par l’action dérou­lée. Par­mi ces sons se trouvent les voix et les dia­logues des per­sonnes fil­mées. Mal­gré l’arrivée de l’enregistrement magné­tique du son à la fin des années qua­rante, allé­geant le maté­riel et per­met­tant la syn­chro­ni­sa­tion directe de l’image et du son lors du tour­nage, ce n’est qu’à par­tir de 1964 que les nou­veaux sys­tèmes sont acces­sibles pour les cinéastes. De l’Europe aux Amé­riques, des années cin­quante au début des années soixante, les cinéastes doivent se sou­mettre, pour l’enregistrement en direct du son, à un maté­riel lourd, ain­si qu’à une camé­ra poten­tiel­le­ment bruyante. L’enregistrement magné­tique existe, mais il n’est pas démo­cra­ti­sé. Le maté­riel reste lourd. C’est dans ce contexte que Gilles Carle, réa­li­sa­teur démar­rant son acti­vi­té par­mi ceux qui se reven­di­quaient du « ciné­ma direct » à l’ONF (mais ne s’en reven­di­quant pas lui-même), tourne son film Dimanche d’Amérique (1961). C’est aus­si, dans ce même contexte, que l’italien Rober­to Ros­sel­li­ni a tour­né une dizaine d’années plus tôt, Strom­bo­li (1950). Les deux films abordent le sujet de mino­ri­tés ita­liennes, dans deux espaces géo­gra­phiques dif­fé­rents, par une esthé­tique où le dia­logue trouve une place pré­pon­dé­rante. Au Qué­bec, la camé­ra de Gilles Carle nous plonge dans l’univers des immi­grés ita­liens ten­tant de vivre en famille. Une immer­sion qui s’opère par le dia­logue. D’abord ceux d’une chan­son ita­lienne qui accom­pagne les pre­miers plans en tra­vel­ling à l’intérieur de quelques rues. Ensuite celui d’une voix-off, dont le com­men­taire en fran­çais nous conte une part de l’histoire de l’Amérique, décou­verte par des Ita­liens. Dix ans plus tôt et des mil­liers de kilo­mètres plus loin, Ros­sel­li­ni emme­nait Ingrid Berg­man, l’actrice hol­ly­woo­dienne, de l’Amérique jusqu’à l’île de Strom­bo­li. Il lui a fait jouer le rôle d’une réfu­giée lithua­nienne qui s’éprend d’un pêcheur de l’île et l’épouse. Au cœur de cette his­toire, les dia­logues échan­gés en anglais, gom­mant lar­ge­ment les dia­logues en ita­lien, ne suf­fi­ront pas à l’épanouissement de la jeune femme qui cher­che­ra à fuir.

Pour deux sujets abor­dant des mino­ri­tés cultu­relles ita­liennes, voit-on deux repré­sen­ta­tions des dia­logues dif­fé­rentes, où l’expression de la langue ita­lienne n’a pas la même fré­quence de pré­sence. Chez Carle, l’italien est enten­du durant les vingt-sept minutes du film. Chez Ros­sel­li­ni, le dia­lecte ita­lien est pré­sent de manière spo­ra­dique, en ten­sion avec une langue anglaise majo­ri­taire. Le réa­li­sa­teur qué­bé­cois, peut-être ins­pi­ré des méthodes du « ciné­ma direct », a enre­gis­tré les dia­logues des Ita­liens en prise de son direct, au moment du tour­nage. Le réa­li­sa­teur ita­lien, consi­dé­ré comme père du néo­réa­lisme, a post­syn­chro­ni­sé les dia­logues en anglais, bien que les acteurs, véri­tables habi­tants de l’île, eussent effec­ti­ve­ment uti­li­sé l’anglais pour leurs répliques sur le tour­nage. Il a enre­gis­tré les dia­logues après le tour­nage, en stu­dio, pour les syn­chro­ni­ser ensuite avec les images. Chris­tian Poi­rier nous dit que le néo­réa­lisme ita­lien a eu une « influence mar­quante […] sur l’imaginaire des cinéastes qué­bé­cois » (p. 85), mais il y a, à par­tir de deux sujets simi­laires trai­tés par un cinéaste néo-réa­liste et un cinéaste qué­bé­cois, un emploi de tech­niques d’enregistrement, et des repré­sen­ta­tions, qui paraissent bien dif­fé­rentes. Si les deux films pré­sentent, sur deux ter­ri­toires dif­fé­rents, la ren­contre avec une mino­ri­té cultu­relle ita­lienne, com­ment défi­nir la place que cha­cun octroie aux dif­fé­rentes langues, poten­tiel­le­ment char­gées d’une culture distinctive?

Les dia­logues des per­son­nages ont une place pré­pon­dé­rante pour répondre à cette ques­tion. Ils peuvent trans­mettre des into­na­tions, des accents, des rythmes propres. L’usage de l’anglais pour des per­son­nages ita­liens par Ros­sel­li­ni, com­pa­ra­ti­ve­ment à celui de l’italien pour des per­son­nages ita­liens par Carle pose ques­tion quant à la forme de ren­contre pro­po­sée par chaque film. L’usage de la post­syn­chro­ni­sa­tion ne gar­dant pas la trace des voix au moment du tour­nage, face à un enre­gis­tre­ment syn­chrone direct, en est aus­si une source d’interrogations. Pour­tant, ce sont bien les dia­logues de ces films qui per­met­tront de mon­trer les simi­li­tudes de repré­sen­ta­tion d’une ren­contre avec des mino­ri­tés cultu­relles ita­liennes. Après avoir défi­ni les types de dia­logues étu­diés pour cette ana­lyse com­pa­ra­tive, nous ver­rons que l’anglais et la post­syn­chro­ni­sa­tion de Strom­bo­li ne consti­tuent qu’a prio­ri des élé­ments de diver­gence avec l’italien et le son direct de Dimanche d’Amérique. La dif­fé­rence de pro­cé­dés tech­niques ne suf­fit pas à dis­tan­cier les deux réa­li­sa­teurs. Gilles Carle, après Dimanche d’Amérique, aura recours lui aus­si à la postsynchronisation :

La Vie heu­reuse de Léo­pold Z (Gilles Carle, 1965) est l’un des films de cette période le moins influen­cés par les pra­tiques légères et syn­chrones. Dans de nom­breuses séquences, la camé­ra est fixe, posée sur un pied. De même, les voix sont sou­vent post­syn­chro­ni­sées, il y a peu de prise de son direct (Bou­chard, p. 226).

Sur ce film l’enjeu des dia­logues n’est pas le même que pour Dimanche d’Amérique. Selon Bou­chard ils servent notam­ment à une désa­cra­li­sa­tion de la parole. Mais il y réside éga­le­ment une veine docu­men­taire et quelques liens avec le ciné­ma « direct ». Ce, grâce à d’autres aspects tech­niques telle « la camé­ra por­tée à l’épaule […] pour suivre un per­son­nage à pied ou faire un mou­ve­ment de camé­ra com­plexe », une carac­té­ris­tique « valable pour la plu­part des films du direct. » (p. 227). La seule dimen­sion tech­nique de l’enregistrement des dia­logues ne suf­fit pas à éli­mi­ner toutes pos­si­bi­li­tés de rap­pro­che­ments entre deux films trai­tant d’un même sujet par leur biais. Aus­si bien dans le film de Carle que dans celui de Ros­sel­li­ni, les spé­ci­fi­ci­tés de chaque tech­nique d’enregistrement du son accordent une tex­ture sin­gu­lière aux voix des per­son­nages. Ce sont leur inten­si­té, leur grain par exemple, qui invitent le spec­ta­teur à la ren­contre. De plus, les deux méthodes y sont employées pour mettre en scène des langues diverses, au-delà de l’italien et de l’anglais, se croi­sant au moyen de leur conte­nu lin­guis­tique ou de leur sono­ri­té. Enfin, les deux films emploient la musique, qui entre­tient une rela­tion par­ti­cu­lière avec les paroles de ces per­son­nages soit enre­gis­trées en direct, soit post­syn­chro­ni­sées. C’est ce der­nier point qui ter­mi­ne­ra d’appuyer l’idée d’une mise en acte de la ren­contre avec une culture pour l’un, et d’un appel lan­cé à celle-ci pour l’autre.

Quelles techniques et esthétiques pour quels dialogues?

De par son éty­mo­lo­gie grecque, le terme de dia­logue ren­voie au logos, c’est-à-dire à la parole et la rai­son, qui s’échange entre plu­sieurs per­sonnes en tant qu’il est un moyen pour échan­ger, grâce à son pré­fixe dia- , qui signi­fie « au moyen de », « au tra­vers de ». Au regard de ce qu’écrit Alain Mas­son au sujet du dia­logue au ciné­ma, il paraît requé­rir dans ce contexte une cor­res­pon­dance spa­tiale et/ou temporelle :

[…] au ciné­ma, chaque per­son­nage qui s’ajoute à la conver­sa­tion importe une por­tion d’espace, un axe inédit, un nou­veau canal, une pos­si­bi­li­té de champ-contre­champ. L’estrade déter­mine un lieu où il faut par­ler; dans le film le dia­logue défi­nit une cohé­rence ori­gi­nale des sec­tions spa­tiales (p. 187).

Grâce à cette cor­res­pon­dance, il y aurait donc créa­tion d’un espace pour le spec­ta­teur; espace à l’intérieur duquel se déroulent des pen­sées, des dis­cours. Ici, le dia­logue semble impli­quer au moins deux per­son­nages qui échangent ver­ba­le­ment dans un espace et/ou un temps com­muns. Mais il sem­ble­rait que le concept de dia­logue ne se limite pas aux per­son­nages d’un film. On peut retrou­ver les dia­logues pré­sents dans le film, obser­vés par le spec­ta­teur; ain­si que la mise en scène de ces dia­logues qui fonc­tionne elle-même, grâce à la « défi­ni­tion d’une cohé­rence ori­gi­nale des sec­tions spa­tiales » (Mas­son, p. 187), comme un moyen de créer un dia­logue avec le spec­ta­teur. Un échange qui s’opère autre­ment que par le conte­nu lin­guis­tique des dia­logues ou par leur fonc­tion nar­ra­tive, notam­ment au tra­vers de leur mise en scène qui s’établit par la tech­nique d’enregistrement des paroles employée; ain­si que par leur mise en cadre, la « mor­pho­lo­gie de l’objet sonore » qu’est la voix, déter­mi­née selon Michel Chion par le timbre, le grain, l’allure, la dyna­mique (2006, p. 249), et le mon­tage des sons dont cette der­nière fait par­tie. Car « les sons, comme les images au ciné­ma, se montent : c’est-à-dire qu’ils sont fixés sur des por­tions de bande magné­tique, de son optique ou de fichier qui peuvent se cou­per, s’assembler et se dépla­cer à volon­té. » (Chion, 2013, p. 38).

En consé­quence, ce que l’on peut nom­mer « dia­logue » dans un film repose sur bien plus que la simple conver­sa­tion entre deux ou plu­sieurs per­son­nages. C’est ce que Claire Vas­sé pré­sente dans son ouvrage Le dia­logue : du texte écrit à la voix mise en scène. Ain­si dis­tingue-t-elle les dif­fé­rentes formes et fonc­tions du dia­logue au sein de deux champs dis­tincts : le scé­na­rio et la mise en scène. Les formes et fonc­tions tirées de cet ouvrage, que nous retrou­vons dans le film de Gilles Carle et dans celui de Rober­to Ros­sel­li­ni, sont à peu de choses près les mêmes. Dans Dimanche d’Amérique, les dia­logues se construisent par un apport d’informations, grâce au conte­nu lin­guis­tique. C’est une part du rôle du com­men­taire en fran­çais pour les spec­ta­teurs fran­co­phones. Mais ils se forment éga­le­ment au tra­vers de la carac­té­ri­sa­tion des per­son­nages offerte par la manière dont les per­son­nages sont cadrés quand ils parlent. De même qu’ils existent en tant qu’éléments sonores par­mi d’autres, et par ce biais cer­tains sont des dia­logues chan­tés. Enfin, la bonne arti­cu­la­tion des mots du com­men­taire, et les voix mélo­dieuses des Ita­liens conduisent à une « jubi­la­tion spec­ta­to­riale » (Samouillan, p. 225) qui place les dia­logues en tant que par­ler beau. Dans Strom­bo­li, ce sont les mêmes formes et fonc­tions qui s’y retrouvent, à cela près que le com­men­taire n’y existe pas, et que la « jubi­la­tion spec­ta­to­riale » passe par un anglais très arti­cu­lé par­lé par les insu­laires, mais peu vrai­sem­blable et incom­pris par les acteurs eux-mêmes. « Écou­ter des dia­logues […] tota­le­ment déca­lés […] peut aus­si par­ti­ci­per du plai­sir […]. » (Samouillan, p. 226). Reste aus­si, dans le cas de Strom­bo­li, une inter­ro­ga­tion concer­nant la retrans­mis­sion de l’incarnation des dia­logues par les acteurs, étant don­née la post­syn­chro­ni­sa­tion. D’autant que l’on ne sait pas si les voix enten­dues ont été pro­duites en stu­dio par les mêmes acteurs.

Si cha­cune de ces formes et de ces fonc­tions est consti­tu­tive de dia­logues dans les deux films, les inter­ac­tions entre les formes elles-mêmes peuvent se conce­voir comme telles. Dès lors, ce sont trois grands types de dia­logues, inté­grant les formes et fonc­tions citées pré­cé­dem­ment, qui par leur ana­lyse per­mettent de per­ce­voir de quelle manière ils agissent comme un appel à la néces­si­té d’une ren­contre entre des cultures dif­fé­rentes. Le pre­mier type réside dans les paroles des per­son­nages, échan­gées ou non. Paroles des­quelles naît le dia­logue entre les dif­fé­rentes langues enten­dues, la manière dont leur coha­bi­ta­tion dans l’espace fil­mique fait sens. Ce à quoi s’ajoute une rela­tion de la parole chan­tée, et de ce fait éga­le­ment de la musique, avec les paroles des personnages.

Les paroles des personnages

Les dia­logues énon­cés par les paroles des per­son­nages annoncent un pre­mier point de ten­sion entre les deux films quant à leur approche de la réa­li­té cultu­relle ita­lienne. Il est à son ori­gine d’ordre tech­nique, puisque dans Strom­bo­li de Ros­sel­li­ni les dia­logues sont post­syn­chro­ni­sés et en anglais. Ce qui fut d’ailleurs bien un choix de Ros­sel­li­ni puisque les habi­tants réci­tèrent véri­ta­ble­ment leurs répliques en anglais lors du tour­nage, et que le réa­li­sa­teur recon­nut la pater­ni­té de cette ver­sion. S’il existe une ver­sion en ita­lien du film, celle-ci est en fait dou­blée. L’originale est bien en anglais :

On sait qu’il existe au moins trois ver­sions offi­cielles du film Strom­bo­li. La pre­mière, anglo­phone, est dis­tri­buée aux États-Unis par la RKO […]. La seconde, des­ti­née au mar­ché inter­na­tio­nal et anglo­phone elle aus­si, est d’abord pré­sen­tée à la presse romaine […] Enfin, une troi­sième ver­sion (inti­tu­lée Strom­bo­li ter­ra di Dio), dou­blée en ita­lien et ampu­tée d’à peu près six minutes par rap­port à la ver­sion inter­na­tio­nale, sort sur les écrans de Turin (Dagra­da, p. 129–141).

La ver­sion anglo­phone et inter­na­tio­nale fut recon­nue par Ros­sel­li­ni. De plus, ori­gi­nel­le­ment bien tour­née en anglais, elle nous semble être le meilleur sup­port, met­tant en évi­dence les dif­fé­rences avec le film de Carle. À l’inverse, dans celui-ci, les paroles des per­son­nages visibles à l’écran sont enre­gis­trées en son direct, et syn­chro­ni­sées au moment du tour­nage. De ce fait, ce der­nier pré­sente la réa­li­té cultu­relle ita­lienne avec la pré­sence de la langue véri­ta­ble­ment par­lée par les Ita­liens, pen­dant que le film de Ros­sel­li­ni semble l’effacer avec l’application de l’anglais par­lé par l’étrangère venue sur l’île. Tou­te­fois, cha­cune des deux méthodes met bien en place une esthé­tique invi­tant à une ren­contre non pas seule­ment d’une langue, mais d’une culture qui s’y rat­tache. Les sons enre­gis­trés en direct dans Dimanche d’Amérique, dont les paroles, n’établissent pas en soi une ren­contre avec une réa­li­té cultu­relle à laquelle par­ti­cipe la langue. C’est davan­tage ce que la tech­nique d’enregistrement du son a engen­dré esthé­ti­que­ment qui y par­ti­cipe. En effet, la parole n’est pas mise en avant par une inten­si­té des voix supé­rieure aux autres sons. Cela semble être le résul­tat de l’absence d’un micro direc­tion­nel qui pren­drait spé­ci­fi­que­ment les voix qui dia­loguent. Des sons viennent para­si­ter la clar­té de l’écoute. Ce qui peut lais­ser pen­ser à des « défauts sonores » aurait pu être balayé par un enre­gis­tre­ment en post­syn­chro­ni­sa­tion, qui pou­vait être uti­li­sé dans ce genre de cir­cons­tances. La post­syn­chro­ni­sa­tion est adop­tée « pour dif­fé­rentes rai­sons : [notam­ment lorsque] le son syn­chrone (le “direct”) est inuti­li­sable tech­ni­que­ment : bruit de fond impor­tant (cir­cu­la­tion, avions…), uti­li­sa­tion de maté­riel bruyant sur le tour­nage (machi­ne­rie, effets spé­ciaux…) » (Mer­cier, p. 377–378). Ici les para­sites ont pour fonc­tion d’entrelacer les dia­logues en ita­lien avec les autres sons. D’ailleurs, aucun sous-titre de tra­duc­tion, pour les non-ita­lo­phones, ne vient non plus détour­ner l’écoute. Ce n’est pas la valeur lin­guis­tique qui fait sens, mais bien la « mor­pho­lo­gie de l’objet sonore » consti­tuée par les dia­logues. Par­mi les autres sons, les paroles forment un ensemble sonore qui enva­hit et dépasse le cadre. Lors d’une séquence de tra­vel­ling sur une foule d’Italiens réunis dans les rues de Mont­réal, la mul­ti­pli­ci­té des sons se mélange à l’image et la dépasse, elle-même tra­dui­sant la mul­ti­pli­ci­té des hommes grâce au mou­ve­ment de la camé­ra dévoi­lant tour à tour, dans un plan séquence, plu­sieurs visages en gros plan. L’image enre­gis­trée est direc­te­ment syn­chro­ni­sée aux paroles enre­gis­trées en direct avec la rumeur, les bruits de voi­tures, de tam­bours qui sonnent un peu plus loin, et les autres voix dont on ne dis­tingue pas de paroles, mais sim­ple­ment un léger brou­ha­ha. Les dia­logues enten­dus en ita­lien au cœur des images de Mont­réal des­sinent la pré­sence d’une com­mu­nau­té ita­lienne au Qué­bec. Plus encore, la rela­tion entre cette image, pas­sant d’un visage à un autre, et ces dia­logues, qui s’entremêlent aux autres sons dont la source est interne ou externe au cadre, nous dévoilent une com­mu­nau­té déjà empreinte de diver­si­té. C’est une com­mu­nau­té qui est prête, esthé­ti­que­ment, à la ren­contre, à un rap­port à l’autre, à la réflexion sur une iden­ti­té qui dans sa construc­tion inclut les dif­fé­rences. C’est, selon la clas­si­fi­ca­tion de Claire Vas­sé, le dia­logue comme élé­ment sonore par­mi d’autres qui conduit à ce résultat.

Si la voix-com­men­taire intro­duit le sujet au début du film, sur fond d’un plan d’ensemble d’une église, racon­tant que « des cent cin­quante mille Ita­liens qui vivent à Mont­réal, la moi­tié habite ce quar­tier », les dia­logues ita­liens n’ont pas ce rôle. La voix-com­men­taire contex­tua­lise l’espace géo­gra­phique, cultu­rel et his­to­rique que le film va abor­der. En ce sens, elle repré­sente un milieu dans lequel nous allons retrou­ver des per­son­nages (les Ita­liens) que l’on s’attend à voir réagir par rap­port à lui. Elle pré­sage d’une forme ciné­ma­to­gra­phique que Gilles Deleuze nomme « l’image-action », créée par le rap­port entre un milieu et des comportements.

Le milieu et ses forces s’incurvent, ils agissent sur le per­son­nage, lui lancent un défi, et consti­tuent une situa­tion dans laquelle il est pris. Le per­son­nage réagit à son tour (action pro­pre­ment dite) de manière à répondre à la situa­tion, avec d’autres per­son­nages. Il doit acqué­rir une nou­velle manière d’être (habi­tus) ou éle­ver sa manière d’être aux exi­gences du milieu et de la situa­tion. Il en sort une situa­tion modi­fiée ou res­tau­rée, une nou­velle situa­tion (1983, p. 197).

Ici, au milieu repré­sen­té en amorce par la voix-com­men­taire, les per­son­nages ne réagissent pas pour offrir une nou­velle situa­tion. Lorsque le com­men­taire décrit une sorte de ghet­toï­sa­tion par le regrou­pe­ment de rues aux noms ita­liens qui sont entou­rées de rues aux noms fran­co­phones, nous repen­sons à ses tout pre­miers mots : « les Ita­liens ont don­né un conti­nent. Peut-être cherchent-ils depuis à le reprendre ». Ain­si nous atten­dons-nous qu’au milieu com­mu­nau­taire repré­sen­té par le com­men­taire, les per­son­nages réagissent pour reprendre l’ensemble du ter­ri­toire, don­nant lieu à une nou­velle situa­tion où ils domi­ne­raient plu­tôt que d’être retran­chés dans un espace déli­mi­té. Pour­tant, le film ne repré­sen­te­ra pas de réac­tion des per­son­nages. Cela est dû essen­tiel­le­ment aux dia­logues dont le conte­nu lin­guis­tique n’est pas pri­mor­dial, ain­si qu’au cadrage de leurs visages impas­sibles lors de leur pre­mière entrée en matière dans la séquence décrite pré­cé­dem­ment. Nous écou­tons, obser­vons, décou­vrons une jour­née de fête habi­tuelle du 14 juillet, à laquelle ils sont en train d’assister. Les dia­logues ne tra­duisent pas une réac­tion au milieu posé par la voix-com­men­taire, il n’y a pas un conte­nu lin­guis­tique qui tra­duit des enchaî­ne­ments nar­ra­tifs. Ils s’écoutent sim­ple­ment, par­mi d’autres sons. Quand nous disions que l’ensemble sonore auquel ils appar­tiennent enva­his­sait et dépas­sait les limites du cadre, c’est qu’il dépasse le cadre nar­ra­tif pré­sent en amont. Il dis­sout la situa­tion ini­tiale qui atten­dait une réac­tion. Même s’il s’agit d’un docu­men­taire, il est bien annon­cé une his­toire pré­sen­tant un milieu auquel devraient réagir des per­son­nages (ou des per­sonnes réelles). L’ensemble sonore de la pre­mière séquence sur les Ita­liens de Mont­réal met en crise l’image-action pré­sa­gée. Il y a un « relâ­che­ment des liens sen­so­ri-moteurs » auquel se sub­sti­tue une « situa­tion pure­ment optique et sonore » (1985, p. 10). Nous n’attendons plus une réac­tion et un chan­ge­ment de situa­tion, mais nous écou­tons et obser­vons un moment habi­tuel de vie d’une mino­ri­té cultu­relle du Québec.

Cette « situa­tion pure­ment optique et sonore qui se sub­sti­tue aux situa­tions sen­so­ri-motrices défaillantes », Deleuze la concep­tua­lise pour défi­nir une nou­velle image nais­sant durant l’après-guerre, notam­ment dans le néo­réa­lisme ita­lien. Com­ment alors, tan­dis que cette nou­velle image semble naître chez Gilles Carle par l’intermédiaire des dia­logues enre­gis­trés en prise directe, pour­rait-elle se pro­fi­ler dans Strom­bo­li avec les dia­logues des insu­laires post­syn­chro­ni­sés? Ces dia­logues, même s’ils ne sont pas para­si­tés et peuvent être com­pris par le plus grand nombre grâce à l’anglais, créent eux aus­si une « situa­tion optique et sonore pure ». Ce n’est pas leur conte­nu lin­guis­tique qui importe, mais le sen­ti­ment d’isolement que leur usage lors du tour­nage va révé­ler du per­son­nage de Karen, à tra­vers Ingrid Berg­man. Un iso­le­ment que Chris­tian Vivia­ni dit mal comprendre :

Le dou­blage dans Strom­bo­li, est anti-réa­liste au pos­sible si l’on consi­dère que la ver­sion de réfé­rence est par­lée en anglais : une foule d’autochtones sont dou­blés et sans accent, et l’on com­prend mal l’isolement cen­sé être res­sen­ti par le per­son­nage d’Ingrid Berg­man (Lithua­nienne réfu­giée en Ita­lie dans le film) (p. 74).

Pour­tant ce sen­ti­ment d’isolement est bien pré­sent. Il ren­dra le per­son­nage inca­pable de réagir au milieu dans lequel il se trouve, donc inca­pable de le modi­fier. Nous com­pren­drons qu’afin que Karen puisse se sen­tir chez elle, il fau­drait qu’elle accepte la ren­contre, qu’elle accepte d’observer et d’écouter la réa­li­té cultu­relle. Dans un pre­mier temps, c’est l’isolement d’Ingrid Berg­man qui entame ce pro­ces­sus. Elle se retrouve dans un uni­vers à l’opposé d’Hollywood, où rien n’est mil­li­mé­tré, où l’imprévu consti­tue la coque du film. Aus­si peut-elle par­ler anglais et rece­voir des répliques qu’elle com­prend, mais qui sont dites machi­na­le­ment sans faire sens pour ceux qui les prononcent :

Pour faire dire [aux habi­tants de l’île] leurs répliques au moment vou­lu, Rober­to tirait sur des ficelles qu’il avait atta­chées à leurs orteils. Ces méthodes étaient nou­velles pour Ingrid. À Hol­ly­wood les scènes quo­ti­diennes et les répliques à pro­non­cer étaient pré­vues exac­te­ment des mois à l’avance. Rober­to inven­tait des épi­sodes sur le moment, puis notait le dia­logue sur le dos d’une enve­loppe. […] Les acteurs ne savaient jamais vrai­ment ce qu’ils fai­saient, ni pour­quoi. […] [Ingrid] n’avait pas de ficelle à l’orteil; elle ne pou­vait pas savoir quand les autres avaient fini de par­ler. […] Fina­le­ment il y eut une crise. “Tu peux gar­der tes films réa­listes… J’en ai marre! Ces gens ne savent même pas ce que c’est qu’un dia­logue, ils ne savent pas où se mettre; ils se foutent com­plè­te­ment de ce qu’ils font.” (Gal­la­gher, p. 447)

Le sens ne se crée pas entre Ingrid et les habi­tants, donc le lien ne se crée pas. Il n’y a pas deux ou des per­sonnes qui se parlent. Ce sont des per­sonnes qui parlent tout court. Ingrid est per­due dans un uni­vers qu’elle ne com­prend pas et face à des per­sonnes qui ne sont sur­tout pas invi­tées à entrer en lien avec elle et son monde. Ingrid ne sait pas même à quel moment elle peut par­ler dans le cadre nar­ra­tif. De là, tech­nique et esthé­tique se rejoignent, le cadre nar­ra­tif explose par la méthode employée par Ros­sel­li­ni. C’est le tour­nage comme monde réel, et ses pro­cé­dés de direc­tion d’acteurs, qui influent sur l’attitude d’Ingrid qui va trans­mettre ses émo­tions à son per­son­nage. C’est ain­si que dans un second temps, l’isolement révé­lé est celui de Karen. Le tour­nage de ces paroles laisse inter­ve­nir le réel visuel se situant sur le visage et le corps d’Ingrid per­due et iso­lée. Les dia­logues étant post­syn­chro­ni­sés, le réel sonore de la voix d’Ingrid n’intervient pas dans le cadre nar­ra­tif, mais cette mise en scène des paroles consti­tue un réel sonore qui pen­dant le tour­nage laisse inter­ve­nir dans le cadre nar­ra­tif un réel visuel comme réac­tion (les mimiques et le corps d’Ingrid). Se révèle alors la réa­li­té de l’isolement du per­son­nage, elle devient lisible.

Quand l’isolement des Ita­liens de Dimanche d’Amérique, comme situa­tion ini­tiale, est rom­pu par leurs dia­logues qui nous invitent à obser­ver et écou­ter, l’isolement de Karen est quant à lui ren­du par les dia­logues des insu­laires pour mettre ce per­son­nage dans une inca­pa­ci­té de réac­tion. Quand les dia­logues de Dimanche d’Amérique déroulent une esthé­tique sonore qui nous place déjà en situa­tion de ren­con­trer l’autre, les dia­logues de Strom­bo­li mettent en lumière la néces­si­té d’une ren­contre. Karen refuse la ren­contre, ce que trans­met son iso­le­ment par les dia­logues. Pour espé­rer se sen­tir chez elle, il faut qu’elle accepte la ren­contre, il faut qu’elle accepte d’observer et d’écouter. C’est un véri­table appel à un échange entre les cultures, et a for­tio­ri avec des cultures mino­ri­taires, que les deux films lancent. Ce, grâce à un trai­te­ment de tous les dia­logues. Au-delà de la parole des Ita­liens dans chaque film, cet appel à un échange se pour­suit par leur rela­tion aux autres dia­logues. Dans Dimanche d’Amérique leur rela­tion à la voix-com­men­taire va révé­ler que la diver­si­té déjà pré­sente dans la com­mu­nau­té ita­lienne qué­bé­coise doit être mise en acte et appli­quée. Dans Strom­bo­li, la rela­tion des dia­logues en anglais avec quelques dia­logues en dia­lecte ita­lien, accen­tue­ra quant à elle le refus de la ren­contre par Karen.

Le dialogue entre les différentes langues

Dans le film de Gilles Carle, c’est le dia­logue entre les dif­fé­rentes langues, entre l’italien des per­son­nages et le fran­çais du com­men­taire, qui joue un rôle d’appel à l’exercice de la diver­si­té. La ten­sion, la sépa­ra­tion, l’effet com­mu­nau­taire, l’isolement forment une réa­li­té qui se lit par la mise en scène de la parole, des dia­logues, qu’ils soient ceux des per­son­nages fil­més ou du com­men­taire. La dif­fé­rence tech­nique dans l’enregistrement des deux langues offre un résul­tat esthé­tique qui conduit à cette lec­ture. Chaque tech­nique éla­bore des voix dif­fé­rentes qui vont se côtoyer. Sui­vant la sono­ri­té qu’elles vont pou­voir rendre, les voix tra­dui­ront de mul­tiples atti­tudes. Michèle Gar­neau, au tra­vers d’analyses de séquences dans son texte Pour une esthé­tique du ciné­ma qué­bé­cois, défi­nit les voix comme pou­vant être « implo­rantes », « décla­ma­toires » ou « réci­tantes » (p. 7) par exemple. Elle montre que ces atti­tudes offrent une plu­ra­li­té de voix qui entrent en ten­sion les unes avec les autres. Des termes qu’elle uti­lise, nous pou­vons gar­der ceux de « décla­ma­toire » et « réci­tante » pour la voix-com­men­taire du film de Carle. Pour les dia­logues des Ita­liens, nous dirions plu­tôt que leurs voix sont « chan­tantes », mais pas « décla­ma­toires ». Cette dis­tinc­tion en accom­pagne une autre. Les dia­logues enre­gis­trés en direct sont tou­jours empreints de « para­sites ». Le dia­logue pro­non­cé par la voix off, en tant que son post­syn­chro­ni­sé, est d’une qua­li­té plus nette, plus pré­cise. La parole s’entend mieux, est plus à même d’être com­prise. Cette qua­li­té, ajou­tée à la ryth­mique, peut lui confé­rer une forme de supé­rio­ri­té par rap­port aux dia­logues des per­son­nages. Le com­men­taire sait en effet se reti­rer, pour mieux réap­pa­raître et se faire entendre davan­tage par une inten­si­té plus forte que celle des voix ita­liennes. Le com­men­taire, par sa qua­li­té plus nette, peut sem­bler sur­plom­ber les paroles des Ita­liens. Son effet est de les iso­ler, les retran­cher dans une com­mu­nau­té. C’est le résul­tat esthé­tique de cha­cune des deux tech­niques uti­li­sées qui pro­duit cet effet, avec l’assemblage des paroles « para­si­tées » des Ita­liens et de la voix nette du com­men­taire. La réa­li­té com­mu­nau­taire n’est donc pas due à la tech­nique de l’enregistrement du son en « direct » en elle-même. C’est la confron­ta­tion entre ce que retrans­crit l’enregistrement en « direct » et ce que pro­jette l’enregistrement en post­syn­chro­ni­sa­tion qui y par­vient. D’ailleurs, l’instantanéité du « direct » n’est pas néces­sai­re­ment un gage de trans­mis­sion fidèle de la réa­li­té. La réflexion de Fran­çois Albé­ra par­tant du Pan­ta­gruel de Rabe­lais en est un exemple lorsqu’il évoque des bruits enten­dus par les com­pa­gnons de Pantagruel :

La tem­pé­ra­ture aurait « gelé les bruits d’une bataille ayant fait rage dans le lieu même, une année aupa­ra­vant. […] On retrouve ici un des grands para­digmes des « tech­no­lo­gies » de la conser­va­tion des images et des sons, la dis­so­cia­tion entre le moment de l’émission, de l’empreinte ou de l’émanation et le moment de la récep­tion. […] toutes les pro­blé­ma­tiques de la conser­va­tion des images et des sons tournent autour de cette momi­fi­ca­tion, cette résur­rec­tion des dis­pa­rus, cette “immor­ta­li­té” fic­tive que per­met la conser­va­tion de la trace, bien qu’elles valo­risent, inver­se­ment, l’immédiateté, la conti­guï­té tem­po­relle, le “direct”. » (2015, p. 27–28)

Lors de l’enregistrement de dia­logues, il y a bien un laps de temps entre l’émission des paroles enre­gis­trées et leur repro­duc­tion lors d’une pro­jec­tion. La viva­ci­té de la voix, son immé­dia­te­té et sa réa­li­té « directe », sont amoin­dries à tra­vers cet exemple. Mais encore, s’agissant par ailleurs d’une retrans­crip­tion, l’exemple que pro­pose ensuite Albé­ra pousse un peu plus loin cette idée :

Charles Sorel (1600–1674), […] évoque dans un texte fan­tai­siste contant une expé­di­tion dans les mers astrales publié dans Le Cour­rier véri­table (du 30 avril 1632), l’existence “là-bas” de “cer­taines esponges qui retiennent le son et la voix arti­cu­lées comme les nostres le font des liqueurs”. […] la méta­phore de l’éponge qui absorbe, conserve, retient puis res­ti­tue, opère un dépla­ce­ment par rap­port aux “paroles gelées” : ici on a clai­re­ment une média­tion, une exté­rio­ri­té, un usten­sile, un récep­tacle. […] Les his­to­riens du micro­phone se sont plus à voir dans cette éponge un maté­riau récep­tif, mais le micro n’est qu’un relais (trans­for­ma­teur de sur­croît) entre le son et le magné­to­phone ou le cylindre (p. 29).

Le micro­phone diri­gé vers une source de pro­duc­tion de paroles ne per­met pas de conser­ver la viva­ci­té de la voix. Il ne devient pas en soi une source de pro­duc­tion ins­tan­ta­née d’une parole. Peu importe qu’il enre­gistre la parole lors du tour­nage ou bien après en stu­dio, il n’est qu’un relais. Cela réduit l’idée d’une réa­li­té pure, directe, ins­tan­ta­née, de la parole émise lors du tour­nage et enre­gis­trée direc­te­ment par un micro. Parce que le micro comme relais trans­forme la réa­li­té directe de la parole, ses vibra­tions, son souffle de l’instant où elle est enre­gis­trée. De plus, lorsqu’il n’est pas direc­tion­nel, comme c’est le cas pour les paroles des Ita­liens de Dimanche d’Amérique, d’autres sons viennent para­si­ter la parole. L’usage d’un micro non direc­tion­nel dans l’emploi de la prise de son direct par­ti­cipe un peu plus de ce rôle trans­for­ma­teur. Cela touche à un point essen­tiel de la réa­li­té de la parole que pour­rait retrans­crire une telle prise de son : celui de la sub­jec­ti­vi­té. De quelle réa­li­té parle-t-on dans le cas d’un enre­gis­tre­ment des dia­logues en direct? De celle per­çue par le réa­li­sa­teur? De celle per­çue par le per­son­nage qui reçoit ce dia­logue? Ou bien d’autres per­son­nages encore? La pré­sence des para­sites qui révèle l’absence de micro direc­tion­nel énonce l’impossible réa­li­té objec­tive des dia­logues. De même que par la diver­si­té qu’elle sou­ligne, elle pré­pare la com­mu­nau­té ita­lienne à la rencontre.

Les dia­logues ita­liens qui expriment une réa­li­té d’une diver­si­té cultu­relle ne le font pas fon­da­men­ta­le­ment grâce à la tech­nique de l’enregistrement direct. Ce qui façonne cette réa­li­té est davan­tage la ren­contre de deux esthé­tiques sonores dif­fé­rentes des dia­logues : celle des dia­logues ita­liens entre­mê­lés à d’autres sons, et celle du com­men­taire en fran­çais net­toyé de toute rumeur et de tout para­site. Il y a une culture ita­lienne qui se démarque par un espace sonore qui lui est propre. Néan­moins, cette pre­mière réa­li­té, d’Italiens regrou­pés en une com­mu­nau­té, est aus­si tra­ver­sée par une esthé­tique qui inclut le spec­ta­teur non ita­lo­phone plu­tôt que de l’exclure. Ain­si la ren­contre s’accentue grâce à la fonc­tion du « par­ler beau » (Vas­sé, p. 53) des dia­logues des Ita­liens, per­çue dans dif­fé­rents moments du docu­men­taire. Tel est le cas de ces ins­tants où le com­men­taire s’échappe, nous lais­sant seuls avec la parole ita­lienne, avant de reve­nir pour mar­quer cette fois une simi­li­tude entre les deux espaces sonores. En effet, dans une séquence où les Ita­liens vivant à Mont­réal dis­cutent dans un café, la musi­ca­li­té de leur parole asso­ciée à une ges­tuelle com­mune semble exclure les spec­ta­teurs qui ne seraient pas fami­liers à celle-ci. Dans ce cas le par­ler beau en tant qu’élément sonore et en tant que langue non com­prise exclut le spec­ta­teur non ita­lo­phone. Cepen­dant il pro­duit aus­si un effet de liai­son, en tant qu’élément sonore, avec les fran­co­phones. Le par­ler beau est une fonc­tion dont le com­men­taire en fran­çais est lui-même doté. Ce sont sa tona­li­té, la scan­sion des dia­logues qu’il pro­nonce, et sa clar­té qui la lui confèrent; avec une musi­ca­li­té qui se des­sine par une ryth­mique mesu­rée et des notes har­mo­nieuses à l’image d’une par­ti­tion musi­cale. Cette fonc­tion de par­ler beau de chaque dia­logue les entraîne dans une sorte de joute ver­bale sub­tile qui lance la rencontre.

Dans Strom­bo­li, c’est éga­le­ment la dia­lec­tique entre deux langues qui va amor­cer la ren­contre entre deux mondes a prio­ri cloi­son­nés. Au milieu de la pré­sence majo­ri­taire de la langue anglaise, l’italien se fait par­fois entendre, comme dans la séquence de la pêche au thon. Dans les plans où les embar­ca­tions sont fil­mées en plan moyen, les paroles sont peu dis­cer­nables. C’est la sono­ri­té des voix entre­mê­lées qui vient jusqu’à nous, contras­tant avec l’intelligibilité de la langue anglaise. La réa­li­té de la sono­ri­té de la langue de ces pêcheurs sur­git brus­que­ment par contraste avec l’invraisemblance de la langue anglaise qu’ils parlent géné­ra­le­ment dans le film. Ces dia­logues ita­liens se dis­tinguent, dans un espace sonore dif­fé­rent, plus gra­nu­leux et intense que dans les séquences en anglais. De même qu’ils sont pris par une mise en cadre dif­fé­rente. Les voix ita­liennes qui reten­tissent, enva­hissent le cadre, vont de pair avec une repré­sen­ta­tion des corps qui sont entiè­re­ment visibles. Il y a là un choc, une ren­contre avec le monde de Karen et d’Ingrid. Lorsque Karen croise les autoch­tones et parle avec eux, la mise en cadre des voix y est toute dif­fé­rente. Les corps de ces Ita­liens n’apparaissent presque pas, cou­pés par des plans rap­pro­chés ou très rap­pro­chés. Les paroles sont claires, mais sac­ca­dées, elles suivent le mou­ve­ment des lèvres, mais semblent pour­tant décol­lées des hommes ou femmes qui parlent. C’est la forte pré­sence de cette parole intel­li­gible mise en cadre de cette manière qui va lais­ser écla­ter la sono­ri­té des voix lors de la pêche. Quand Karen dis­cute avec une vil­la­geoise qui refuse d’entrer dans sa mai­son, la dis­cus­sion qui s’entamait dans un plan cadrant les deux femmes, que l’on par­ve­nait à situer par rap­port à la mai­son, passe immé­dia­te­ment dans un jeu de champ-contre­champ en plans rap­pro­chés. Ce pas­sage d’un plan « situant » à des plans rap­pro­chés, vient cen­tra­li­ser l’acte de parole qui lui-même, par la mono­to­nie des voix, brise les repères spa­tio-tem­po­rels. La sono­ri­té de ces voix robo­tiques, pure­ment intel­li­gibles, met en place une irréa­li­té qui sera contras­tée par la réa­li­té de la pêche où les voix des Ita­liens jaillissent. Le monde fer­mé de Karen, empreint de la langue anglaise dans lequel elle s’isole, est confron­té à sa ren­contre avec une part de la réa­li­té de l’île. Lorsque les voix reten­tissent, adjointes aux mou­ve­ments des corps des pêcheurs dans les bateaux qui remuent, le per­son­nage de Karen dis­pa­raît com­plè­te­ment des plans. Jusqu’à ce que la ten­sion entre les pêcheurs et les pois­sons créant des vagues dans l’eau forme des écla­bous­sures, des tas de gouttes d’eau qui à la fois sortent du cadre et atter­rissent en son centre. À cet ins­tant, ce méli-mélo de gouttes se rat­tache au méli-mélo de voix des pêcheurs. Les écla­bous­sures deviennent les cris, les cris deviennent les écla­bous­sures qui viennent jusqu’à nous, puis jusqu’à Karen, quand son per­son­nage réap­pa­raît en plan rap­pro­ché. Les cris fixés sur les gouttes qui l’éclaboussent viennent l’agresser. Elle tente de les évi­ter en mas­quant son visage avec ses mains. Elle refuse de rece­voir la réa­li­té des pêcheurs qui se fau­file dans les gouttes qu’elle reçoit.

Mais c’est aus­si la musi­ca­li­té des paroles des pêcheurs, comme dia­logue chan­té, qui révèle la réa­li­té de l’isolement de Karen dans ce monde, par le dia­logue que cette musi­ca­li­té entre­tient avec la mono­to­nie de ceux en anglais des autoch­tones. Le dia­logue entre la musi­ca­li­té et les paroles com­mence à lier les oppo­sés. De Ros­sel­li­ni à Carle, c’est la musi­ca­li­té qui fonc­tionne comme objet esthé­tique majeur de la rencontre.

Le dialogue entre la musique et les paroles

Dans Strom­bo­li la séquence de la pêche se façonne comme un pre­mier point essen­tiel de la révé­la­tion d’une réa­li­té sur la néces­si­té d’une vraie ren­contre, d’une explo­sion des fron­tières que refuse Karen. Si elle choi­sit de se marier à Anto­nio, cet habi­tant de l’île, c’est sur­tout pour quit­ter le camp de réfu­giés d’une Ita­lie dont elle ne par­ve­nait pas à obte­nir l’autorisation de sor­tie. Jamais elle n’a vou­lu, dès le départ, res­ter en Ita­lie et sur cette île. C’est pour­quoi, à la fin du film, elle tente de s’échapper, pous­sée par un der­nier sen­ti­ment de déses­poir qui mène­ra au der­nier grand appel à la ren­contre, grâce au dia­logue entre la musique et les paroles de Karen. Alors qu’elle grimpe sur le vol­can, une appa­rente asyn­chro­ni­sa­tion décolle la voix du per­son­nage qui sur­passe la musique pour la lais­ser reprendre le des­sus. Une musique dra­ma­tique emme­née par Karen qui s’enferme dans la dou­leur d’un drame nar­ra­tif qui ne résou­dra rien. L’idéologie chré­tienne, qu’elle invoque en implo­rant Dieu, et le drame aux­quels elle se rac­croche, ne peuvent rien pour elle. Elle doit se confron­ter à la réa­li­té insu­laire, à sa propre réa­li­té d’étrangère si elle veut vivre et que l’enfant qu’elle porte vive. Tel que l’écrit Jacques Ran­cière, il lui est deman­dé « non pas de se fami­lia­ri­ser avec les mœurs du pays, mais d’aller jusqu’au bout de sa condi­tion d’étrangère, de por­ter pour tous le témoi­gnage de cette condi­tion qui est celle de tous. » (p. 182) Toute réa­li­té, tout espace habi­té par les hommes regorgent de formes anta­go­nistes. La réa­li­té de toute socié­té humaine est conflic­tuelle, faite de chocs, de ren­contres qu’il faut accep­ter pour être libre, c’est-à-dire pour être acteur de sa propre réa­li­té, de sa propre vie. La ren­contre est deman­dée dans le final du film, par le dia­logue entre la musique et la parole de Karen, parce que le conflit qui s’en forme façonne l’affirmation et donc la conscience de soi.

À l’inverse, dans Dimanche d’Amérique, cette ren­contre n’est pas seule­ment deman­dée, mais elle s’accomplit dans le dia­logue entre un chant ita­lien et le com­men­taire. Le dia­logue chan­té, chez Gilles Carle, fonc­tionne comme une liai­son, par l’évolution de la forme du dia­logue qu’il entre­tient avec le com­men­taire entre le tout début du film et son final. Il ouvre le film, en accom­pa­gnant les plans en tra­vel­lings laté­raux dans les rues de Mont­réal, annon­çant une cou­leur cultu­relle dif­fé­rente de ce que le titre peut énon­cer une fois qu’il appa­raît à l’écran. On com­prend immé­dia­te­ment que le dimanche d’Amérique sera un moment issu d’une diver­si­té cultu­relle. Le dia­logue chan­té qui com­pose l’ouverture du docu­men­taire est un chant ita­lien marié à une musique ins­tru­men­tale fes­tive, joyeuse. Sa net­te­té en termes de vibra­tions sonores peut révé­ler un son post­syn­chro­ni­sé. Mais si, dans ce com­men­ce­ment, le dia­logue chan­té nous plonge dans une atmo­sphère ita­lienne et cha­leu­reuse, il est au bout de quelques minutes sur­plom­bé par le dia­logue du com­men­taire. Il ne s’agit pas d’un simple pas­sage d’une forme de dia­logue à une autre. C’est l’installation d’une forme de supé­rio­ri­té du com­men­taire qui sur­git dans le cadre fil­mique avec une plus forte inten­si­té. Le chant s’efface contre la supré­ma­tie du com­men­taire en fran­çais. En ce début de film, la diver­si­té est pré­sente, mais elle ne s’élabore pas comme démon­trant la nais­sance d’une ren­contre. Les deux dia­logues ne se ren­contrent pas réel­le­ment, l’un laisse la place à l’autre. C’est le dérou­le­ment du film, la mise en scène des dia­logues enre­gis­trés en « direct » des Ita­liens, la mise en scène du com­men­taire, puis la mise en scène du dia­logue entre ces deux formes, qui va trans­for­mer, inter­ro­ger cet état pré­sen­té par le début du film. Décro­chés du com­men­taire, les dia­logues ita­liens auront été pré­sen­tés dans leur sépa­ra­tion d’avec ce qui repré­sente en par­tie la com­mu­nau­té de Mont­réal dans laquelle ils sont ins­tal­lés, à savoir la langue fran­çaise usée par la voix du com­men­taire. Mais ils pré­fi­gu­re­ront aus­si, par les para­sites qui les suivent et des­quels découle l’idée de diver­si­té, de la néces­si­té d’une ren­contre, la néces­si­té d’échapper à cette pure sépa­ra­tion qui n’achemine pas vers la construc­tion d’une iden­ti­té. C’est ce qui pren­dra forme par la joute ver­bale entre le par­ler beau de ces dia­logues et le par­ler beau du commentaire.

Les voix dif­fé­rentes trouvent des points de ren­contre, comme la musi­ca­li­té par exemple, ou la « jubi­la­tion spec­ta­to­riale » qu’elles pro­posent. Ce qui se confirme dans la der­nière séquence où les Ita­liens sont dans les rues de Mont­réal. Seul le son direct des bruits de la ville se fait entendre, sui­vi d’une musique ins­tru­men­tale, nette parce que post­syn­chro­ni­sée, dont les tona­li­tés médi­ter­ra­néennes ren­voient direc­te­ment à l’Italie. Elle existe au Qué­bec. Ce qui per­met de mieux voir appa­raître le com­men­taire qui cette fois ne vient pas réduire, comme au début, la mélo­die aux accents médi­ter­ra­néens. Il vient s’y rajou­ter. Ce qui se lit au tra­vers de cette appa­ri­tion du dia­logue du com­men­taire est que les divers dia­logues peuvent être de toutes natures, directs ou post­syn­chro­ni­sés, mais peuvent tou­jours se confron­ter les uns aux autres, se dif­fé­ren­cier et se res­sem­bler en même temps. Ils peuvent exis­ter dans un même espace sonore sans néces­sai­re­ment devoir domi­ner l’autre. Comme sorte d’allégorie de la ren­contre pour bri­ser le com­mu­nau­ta­risme, cette mise en scène sonore se pour­suit dans la suite de la séquence qui pro­longe les dif­fé­rences et les liai­sons. Les dia­logues des Ita­liens en son direct au début de la séquence, et le dia­logue du com­men­taire qui entre en scène après la musique, se ren­contrent. Ils sont dans un même espace sonore à l’intérieur duquel la musique sans paroles sert de liant, parce qu’elle contient les carac­té­ris­tiques de cha­cun des dia­logues. Claire, nette, elle se rat­tache au com­men­taire; puis, des tona­li­tés médi­ter­ra­néennes, elle se rat­tache aux voix des Ita­liens. Les sons directs quant à eux, sans dia­logue, aux­quels sont asso­ciés par la rumeur les dia­logues ita­liens, se placent à éga­li­té de la voix du com­men­taire. Ce sont eux qui sur­gissent, symé­tri­que­ment au début du film où le com­men­taire sur­gis­sait pour effa­cer le dia­logue chan­té ita­lien. De la même manière entend-on ulté­rieu­re­ment le dia­logue chan­té du début faire son retour, ne se lais­sant plus sur­plom­bé par la voix du com­men­taire, mais consti­tuant avec elle l’espace sonore. Un dia­logue chan­té post­syn­chro­ni­sé dont les paroles cor­res­pondent par moments aux mou­ve­ments des lèvres des hommes que l’on voit à l’image. Sons directs ou post­syn­chro­ni­sés, chants ou langue par­lée, échan­gés ou impo­sés, tous les dia­logues finissent par se ren­con­trer, par exis­ter ensemble. Ils révèlent la réa­li­té du monde qui s’enrichit de sa diver­si­té plus que des ten­dances com­mu­nau­taires, la réa­li­té d’une iden­ti­té com­po­site. Un monde dont la vaste éten­due s’affirme dans un der­nier plan séquence qui s’envole vers le ciel et ouvre le champ des ter­ri­toires mont­réa­lais et italiens.

Fina­le­ment il y a bien des cor­res­pon­dances entre les dis­cours ciné­ma­to­gra­phiques pro­duits par les dia­logues dans les films de Gilles Carle et de Rober­to Ros­sel­li­ni. Dans Dimanche d’Amérique la rela­tion entre les dia­logues accom­plit la ren­contre. Dans Strom­bo­li elle l’appelle par la prise de conscience impli­cite du per­son­nage prin­ci­pal. Cha­cun énonce la néces­si­té de la diver­si­té, sa richesse, avec pour­tant des tech­niques et une nar­ra­tion dif­fé­rentes. Pour aller plus loin, nous pour­rions ana­ly­ser d’autres poten­tiels échanges entre le ciné­ma néo­réa­liste et le ciné­ma qué­bé­cois. Par exemple avec Pour la suite du monde de Pierre Per­rault et Michel Brault où la construc­tion d’une iden­ti­té est basée sur la mul­ti­pli­ci­té, la diver­si­té des hommes, mais qui peut être en acte sui­vant le spec­ta­teur du film. Il semble fal­loir au préa­lable, un accord d’immersion de la part du spec­ta­teur dans l’univers pro­po­sé par les dia­logues. Aus­si pour­rait-on ana­ly­ser La Vie heu­reuse de Léo­pold Z de Carle, qui s’éloigne de l’enregistrement direct pour entre­te­nir un rap­port à la réa­li­té plein de fan­tai­sie, tel ce que pro­po­sa Vit­to­rio De Sica, autre figure du néo­réa­lisme, dans Mira­co­lo a Mila­no (1951). Peut-être pour­raient-ils, ensemble, des­si­ner ce réa­lisme qui n’est pas celui de la vrai­sem­blance, pour mieux le définir.

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Notice biographique

Ter­mi­nant actuel­le­ment une thèse inti­tu­lée “Le sonore dans le néo­réa­lisme ita­lien, com­po­sante des défi­ni­tions d’un cou­rant”, sous la direc­tion de Dork Zabu­nyan au sein de l’ESTCA de l’Université Paris 8, Syl­vie Dubois est éga­le­ment char­gée d’enseignements en études ciné­ma­to­gra­phiques à l’Université de Lille 3 depuis 2011. Elle enseigne éga­le­ment en Arts du Spec­tacle à l’Université Catho­lique de Lille depuis 2017. Ses domaines de recherche concernent : le néo­réa­lisme ita­lien; l’esthétique, la théo­rie et les tech­no­lo­gies du sonore au ciné­ma; et plus géné­ra­le­ment ce qui touche à la notion de réa­lisme ain­si qu’à la dimen­sion poli­tique, au ciné­ma. C’est autour de ces axes qu’elle a entre­pris une acti­vi­té régu­lière de com­mu­ni­ca­tions et de publi­ca­tions concer­nant les domaines pré­ci­tés depuis 2013, à la fois en France, aux États-Unis et en Belgique.