Numéro 22 (Printemps 2021): Rencontres interculturelles

Sous la direc­tion de Mer­cé­dès Baillar­geon (Uni­ver­si­ty of Mary­land) et Karine Ber­trand (Queen’s University)

La ver­sion anglaise suit

Dans un article de 2008, Denis Bachand décla­rait que l’interculturalité était un des deux motifs prin­ci­paux qui se déga­geaient de la pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique qué­bé­coise du XXIe siècle, en se pré­sen­tant comme un vec­teur du ques­tion­ne­ment iden­ti­taire, enjeu si cher au ciné­ma qué­bé­cois[1]. En effet, si les deux der­nières décen­nies s’avèrent riches en exemples de pro­duc­tions qui démontrent clai­re­ment les enjeux propres au mul­ti­cul­tu­ra­lisme et à l’identité qué­bé­coise (Lit­to­ral, Moua­wad, 2004 ; Home, Katra­pa­ni, 2002), cette pro­blé­ma­tique est pré­sente sur les écrans qué­bé­cois depuis plus de soixante ans, avec des films tels que À tout prendre (1963) de Claude Jutra, Mémoire bat­tante (1983) d’Arthur Lamothe et Com­ment faire l’amour avec un nègre sans se fati­guer (1989) de Jacques Benoit. Plus récem­ment, un numé­ro spé­cial de Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion réité­rait cette affir­ma­tion vou­lant que le ciné­ma qué­bé­cois contem­po­rain se penche désor­mais sur les ques­tions d’identité, de culture et d’identification en lien avec un trans­na­tio­na­lisme de plus en plus pré­gnant dans le milieu du ciné­ma[2].

Ce phé­no­mène est par ailleurs ren­du pos­sible par l’ouverture phy­sique et sym­bo­lique de fron­tières internes/externes du Qué­bec et de sa pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique. D’une part, les vingt-cinq der­nières années connaissent un boom de copro­duc­tions (France, Bel­gique, etc.) tan­dis que, d’autre part, les cinéastes deviennent de plus en plus mobiles (pen­sons à Xavier Dolan, en France et aux États-Unis, ain­si qu’à Jean-Marc Val­lée, qui a main­te­nant réa­li­sé plus de trois films et une série HBO aux États-Unis). L’ouverture des fron­tières et une immi­gra­tion crois­sante ont, de plus, chan­gé le visage du ciné­ma qué­bé­cois. On remarque aus­si une recon­nais­sance et une inté­gra­tion de plus en plus grande de la diver­si­té exis­tant déjà sur le ter­ri­toire qué­bé­cois, avec l’explosion des ciné­mas autoch­tone et anglo-mont­réa­lais, par exemple. Ces nou­velles réa­li­tés poli­tiques et cultu­relles poussent ain­si de plus en plus le Qué­bec à envi­sa­ger le natio­na­lisme selon les modes de l’ouverture et de la déter­ri­to­ria­li­sa­tion des cultures[3].

Dans ce contexte, l’émergence, au cours des dix der­nières années, d’un ciné­ma autoch­tone et d’un ciné­ma migrant reflé­tant le cli­mat poli­tique et social d’une pro­vince qui s’interroge davan­tage sur sa place en tant que colo­ni­sa­trice (Com­mis­sion véri­té et récon­ci­lia­tion oblige) et terre d’accueil (Com­mis­sion Bou­chard-Tay­lor, Loi sur la laï­ci­té de l’État) a gran­de­ment contri­bué à cette recon­fi­gu­ra­tion du ciné­ma au Qué­bec, les cinéastes autoch­tones et migrants se posi­tion­nant comme des agents média­teurs qui font le pont entre la culture d’origine et la terre d’accueil, entre le ter­ri­toire ances­tral et ce qui se situe à l’extérieur de ses fron­tières. Dans de nom­breux cas, les œuvres issues de ces créa­teurs portent les cou­leurs métis­sées de cultures qui s’imprègnent de l’ici et de l’ailleurs, et voient le jour grâce à ces ren­contres avec « l’autre » – un terme uti­li­sé entre autres par Bill Mar­shall pour qua­li­fier les peuples autoch­tones et les immi­grants du Qué­bec, en regard aux pro­blé­ma­tiques reliées au natio­na­lisme qué­bé­cois et aux ques­tions d’identité[4].

C’est ain­si que nous voyons peu à peu s’esquisser les contours redes­si­nés d’une indus­trie et d’un art qui prônent davan­tage de diver­si­té et de col­la­bo­ra­tion dans l’élaboration de pay­sages ciné­ma­to­gra­phiques hété­ro­gènes, et qui amènent les cinéastes à explo­rer les concepts d’identité et de nation selon de nou­veaux cri­tères éthiques (mode de pro­duc­tion) et esthé­tiques (nar­ra­tion, thé­ma­tiques, etc.). En effet, que ce soit à tra­vers des col­la­bo­ra­tions entre cinéastes en pro­ve­nance d’horizons divers (par exemple Marie-Hélène Cou­si­neau et le col­lec­tif de femmes inuites Arnait Video) ou par la créa­tion d’œuvres cher­chant à faire le pont entre l’ici et l’ailleurs (Anti­gone de Sophie Deraspe, 2019 ; Inch’Allah, Anaïs Bar­beau-Lava­lette, 2012 ; Trois his­toires d’Indiens, Robert Morin, 2014), le ciné­ma qué­bé­cois et son indus­trie mul­ti­plient depuis quelques années les occa­sions de ren­contres inter­cul­tu­relles réelles et sym­bo­liques, en les finan­çant davan­tage et en don­nant une meilleure visi­bi­li­té aux iden­ti­tés plu­rielles. Cette inté­gra­tion de l’autre, dans les œuvres ayant vu le jour dans la der­nière décen­nie, contri­bue à l’hybridation du ciné­ma qué­bé­cois, et l’amène à se redé­fi­nir et à élar­gir sa défi­ni­tion de qui est « Qué­bé­cois », une ques­tion que se posait déjà le cinéaste Pierre Per­rault en 1970 (Un pays sans bon sens).

De même, les récits nés de ces col­la­bo­ra­tions, qui se font par­fois fils conduc­teurs entre le pas­sé et le pré­sent, par­ti­cipent à l’émergence de nou­veaux ques­tion­ne­ments sur la nation et sur l’identité com­po­sée[5] (Maa­louf, 1998) enga­geant ain­si les nou­velles géné­ra­tions comme les plus âgées dans un dia­logue plus large sur la mémoire cultu­relle (La val­lée des larmes, Maryanne Zéhil, 2012 ; Incen­dies, Denis Villeneuve,2010).

C’est dans cette optique que Nou­velles Vues sol­li­cite pour son 22e numé­ro, inti­tu­lé « Ren­contres inter­cul­tu­relles », des pro­po­si­tions d’articles trai­tant de ces diverses col­la­bo­ra­tions entre cinéastes autoch­tones, cinéastes migrants et qué­bé­cois, et d’une hybri­da­tion et d’un cos­mo­po­li­tisme des ima­gi­naires qué­bé­cois, dans un contexte où l’identité natio­nale est en muta­tion constante, nou­velles géné­ra­tions aidant. Les pro­po­si­tions pour­ront trai­ter plus spécifiquement :

  • des ciné­mas autoch­tones et/ou migrants et des partenariats/collaborations avec des cinéastes du Québec ;
  • des ciné­mas migrants et de leur repré­sen­ta­tion de la socié­té québécoise ;
  • de la repré­sen­ta­tion des nou­velles réa­li­tés migrantes ou autoch­tones par des cinéastes québécois ;
  • de l’hybridation du ciné­ma qué­bé­cois et de son ouver­ture gran­dis­sante sur l’ailleurs, l’autre et l’altérité ;
  • de la redé­fi­ni­tion et de l’inclusion du ciné­ma qué­bé­cois pour inclure une plus grande diver­si­té inter­cul­tu­relle et mul­ti­cul­tu­relle en son sein.

Les pro­po­si­tions d’article devront conte­nir un titre, une brève notice bio­gra­phique, de même qu’un résu­mé d’un maxi­mum de 500 mots. Ce résu­mé devra cir­cons­crire un cor­pus et mettre en avant une hypo­thèse de tra­vail sui­vant l’un des angles ou sujets men­tion­nés. Le tout devra être envoyé aux adresses sui­vantes : baillarg@umd.edu et kb162@queensu.ca au plus tard le 15 sep­tembre 2020. Les auteurs des pro­po­si­tions rete­nues seront invi­tés à sou­mettre un article rédi­gé en fran­çais ou en anglais et com­por­tant entre 45 000 et 60 000 carac­tères, espaces com­prises, au plus tard le 15 février 2021. Les articles seront sou­mis à un pro­ces­sus d’évaluation par les pairs en double aveugle, et leur publi­ca­tion sera condi­tion­nelle à leur accep­ta­tion par au moins deux évaluateurs.

Biblio­gra­phie

Bachand, Denis. « Le prisme iden­ti­taire du ciné­ma qué­bé­cois. Figures pater­nelles et inter­cul­tu­ra­li­té dans Mémoires affec­tives et Lit­to­ral », Ciné­mas, vol. 19, no 1 (automne 2008) : 57–73.

Baillar­geon, Mer­cé­dès et Karine Ber­trand. « Le trans­na­tio­na­lisme du ciné­ma et des (nou­veaux) médias qué­bé­cois », Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion, vol. 44, nos 2–3 (2019) : 137–273.

Ber­trand, Karine. « Du tiers absent au pas­seur de mémoire : la pré­sence autoch­tone et la figure du média­teur blanc dans le ciné­ma des Pre­mières Nations », Recherches Amé­rin­diennes au Qué­bec, vol. 45, no 1 (automne 2015) : 51–58.

Bou­chard, Gérard. L’interculturalisme. Un point de vue qué­bé­cois (Mont­réal : Édi­tions Boréal, 2012).

––––––. « Qu’est-ce que l’in­ter­cul­tu­ra­lisme? », McGill Law Jour­nal, vol. 56, no 2 (2011) : 395–434.

Cou­lombe, Michel. « Les anglo­phones et les immi­grants dans le ciné­ma qué­bé­cois : un ciné­ma blanc, blanc, blanc? » Ciné-Bulles, vol. 28, no 4 (automne 2010) : 34–37.

Des­roches, Vincent. « L’ange de gou­dron : Ins­crip­tions algé­riennes au Qué­bec », The French Review, vol. 78, no 6 (2005) : 1182–1187.

Maa­louf, Amin. Les iden­ti­tés meurtrières (Paris : Gras­set, 1998).

Mar­shall, Bill. Que­bec Natio­nal Cine­ma (Mont­réal-King­ston : McGill-Queens Uni­ver­si­ty Press, 2001). 

Poi­rier, Chris­tian. « Le “renou­veau” du ciné­ma qué­bé­cois », Cités, vol. 23, no 3 (2005) : 165–182.

San­to­ro, Milé­na. « Du rêve amé­ri­cain aux réa­li­tés inter­cul­tu­relles, ou l’américanité du ciné­ma d’immigration et d’immigrés au Qué­bec », Autour de l’œuvre de Gérard Bou­chard. His­toire sociale, socio­lo­gie his­to­rique, ima­gi­naires col­lec­tifs et poli­tiques publiques, sous la direc­tion de Sri­la­ta Ravi et Claude Cou­ture (Qué­bec : Presses de l’Université Laval, 2015), 99–117.

Simon, Sher­ry. « The Inti­mate Other: Repre­sen­ta­tions of Cultu­ral Diver­si­ty in Que­bec Film and Video (1985–1995) », Tex­tua­li­zing the Immi­grant Expe­rience in Contem­po­ra­ry Que­bec – Contri­bu­tions to the Stu­dy of World Lite­ra­ture, sous la direc­tion de Susan Ire­land et Patrice J. Proulx (West­port, Conn : Prae­ger, 200), 51–64.

Véron­neau, Pierre. « Le ciné­ma qué­bé­cois : ouver­ture aux cultures du monde », Les cultures du monde au miroir de l’Amérique fran­çaise, sous la direc­tion de Monique Mosey-Ver­rey (Qué­bec : Presses de l’Université Laval, 2002), 209–231.

Fil­mo­gra­phie

Bar­beau-Lava­lette, Anaïs. Inch’Allah, Chris­tal, Qué­bec, 2012.

Benoit, Jacques W. Com­ment faire l’amour avec un nègre sans se fati­guer, Aska films, Qué­bec, 1989. 

Deraspe, Sophie. Anti­gone, Mai­son 4:3, Qué­bec, 2019. 

Jutra, Claude. À tout prendre, Claude Jutra, Qué­bec, 1963. 

Katra­pa­ni, Phyl­lis. Home, Ama­zone Films, Qué­bec, 2002. 

Lamothe, Arthur. Mémoire bat­tante, Office natio­nal du film, Qué­bec, 1983. 

Leriche, Chloé. Avant les rues, Les Films de l’Autre, Qué­bec, 2016. 

Morin, Robert. Trois his­toires d’Indiens, COOP videéo de Mont­réal, Qué­bec, 2014. 

Moua­wad, Waj­di. Lit­to­ral, TVA films, Qué­bec, 2004. 

Per­rault, Pierre. Un pays sans bon sens, Office Natio­nal du Film, Qué­bec, 1971. 

Tulu­gar­juk, Lucy. Tia et Piu­ju­jq, Arnait Video Pro­duc­tions (Marie-Hélène Cou­si­neau), Qué­bec, 2018. 

Vil­le­neuve, Denis. Incen­dies, Films Séville, Qué­bec, 2010. 

Zéhil, Marianne. La val­lée des larmes, Films Séville, Qué­bec, 2011.

Notices bio­bi­blio­gra­phiques

Mer­cé­dès Baillar­geon est pro­fes­seure agré­gée d’é­tudes fran­çaises et fran­co­phones à l’Université du Mary­land, où elle est éga­le­ment pro­fes­seure affi­liée en études des femmes et en études ciné­ma­to­gra­phiques et média­tiques. Ses recherches portent prin­ci­pa­le­ment sur l’esthétique, l’éthique et la poli­tique du récit à la pre­mière per­sonne des 20e et 21e siècles, l’in­ter­sec­tion entre les espaces et les dis­cours publics / pri­vés et la (dé) construc­tion des iden­ti­tés per­son­nelles et / ou col­lec­tives. Son livre, Le per­son­nel est poli­tique. Médias, esthé­tique et poli­tique de l’autofiction chez Chris­tine Angot, Chloé Delaume et Nel­ly Arcan, a été publié par Pur­due Uni­ver­si­ty Press en 2019. Elle a éga­le­ment co-édi­té un numé­ro spé­cial de la revue Contem­po­ra­ry French Civilization sur « Le trans­na­tio­na­lisme du ciné­ma qué­bé­cois and (New) Media » avec Karine Ber­trand, publiée en 2019, ain­si qu’un recueil d’essais sur la troi­sième vague fémi­niste au Qué­bec, Remous, res­sacs et déri­va­tions autour de la troi­sième vague fémi­niste (Remue-ménage, 2011). Elle a publié dans les revues Qué­bec Stu­dies, Women in French Stu­dies et Rocky Moun­tain Review, entre autres. Ses recherches actuelles explorent la ques­tion du (post / trans) natio­na­lisme dans le ciné­ma qué­bé­cois du nou­veau millénaire.

Karine Ber­trand (de des­cen­dance cana­dienne-fran­çaise et autoch­tone) est pro­fes­seure adjointe au dépar­te­ment de Film and Media de Queen’s Uni­ver­si­ty et co-direc­trice du groupe de recherche AEPI (Esthé­tique et poli­tique de l’image) à l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les ciné­mas autoch­tones et inuit, sur les pra­tiques orales ciné­ma­to­gra­phiques ain­si que sur le road movie cana­dien et qué­bé­cois. Elle est membre du Vul­ne­rable Media Lab à Queen’s Uni­ver­si­ty et cher­cheuse prin­ci­pale pour le volet Arnait Video Pro­duc­tions (un col­lec­tif de femmes inuit) du pro­jet Archive-Coun­ter-Archive, finan­cé par le CRSH.  Ses plus récentes publi­ca­tions portent sur le rôle du témoi­gnage dans le ciné­ma des femmes autoch­tones (Revue cana­dienne d’études ciné­ma­to­gra­phiques, 2020) l’américanité dans le ciné­ma qué­bé­cois (Ame­ri­can Review of Cana­dian Stu­dies, 2019) et sur le ciné­ma autoch­tone cana­dien et qué­bé­cois (Oxford Hand­book to Cana­dian Cinema, 2019). Elle tra­vaille pré­sen­te­ment sur le ciné­ma des femmes autoch­tones en Amé­rique et en Océa­nie, avec pour par­te­naires prin­ci­paux le Wapi­ko­ni Mobile et le RICAA.



[1] Denis Bachand, « Le prisme iden­ti­taire du ciné­ma qué­bé­cois. Figures pater­nelles et inter­cul­tu­ra­li­té dans Mémoires affec­tives et Lit­to­ral », Ciné­mas, vol. 19, no 1 (automne 2008) : 57–73.

[2] Mer­cé­dès Baillar­geon et Karine Ber­trand, « Le trans­na­tio­na­lisme du ciné­ma et des (nou­veaux) médias qué­bé­cois », Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion, vol. 44, nos 2–3 (2019) : 137–273.

[3] Mer­cé­dès Baillar­geon et Karine Ber­trand, « Le trans­na­tio­na­lisme du ciné­ma et des (nou­veaux) médias : le contexte qué­bé­cois (intro­duc­tion) », Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion, vol. 44, nos 2–3 (2019) : 137–150.

[4] Bill Mar­shall, Que­bec Natio­nal Cine­ma (Mont­réal-King­ston : McGill-Queens Uni­ver­si­ty Press, 2001).

[5] Amin Maa­louf, Les iden­ti­tés meur­trières (Paris : Gras­set, 1998).

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Issue 22 (Spring 2021): Intercultural Encounters

Direc­ted by Mer­cé­dès Baillar­geon (Uni­ver­si­ty of Mary­land) and Karine Ber­trand (Queen’s University)

In an 2008 essay, Denis Bachand decla­red that inter­cul­tu­ra­li­ty was one of the two most pre­valent ten­den­cies in Qué­bé­cois film pro­duc­tion of the twen­ty-first cen­tu­ry. As a vec­tor of Que­bec iden­ti­ty, it remains an issue at the fore­front of Qué­bé­cois culture and cine­ma.[1]

Indeed, if the last two decades offer nume­rous examples of pro­duc­tions which clear­ly engage with ques­tions connec­ted to mul­ti­cul­tu­ra­lism and to Qué­bé­cois iden­ti­ty (Lit­to­ral [dir. Waj­di Moua­wad, 2004] , Home [dir. Phyl­lis Katra­pa­ni, 2002]), these themes have been present on Que­bec screens for over six­ty years, with films such as À tout prendre (dir. Claude Jutra, 1963), Mémoire bat­tante (dir. Arthur Lamothe, 1983) and Com­ment faire l’amour avec un nègre sans se fati­guer (dir. Jacques Benoit, 1989). More recent­ly, a spe­cial issue of Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion rei­te­ra­ted this affir­ma­tion by decla­ring that trans­na­tio­na­lism is more present than ever in the field of cine­ma in the way that Qué­bé­cois cine­ma focuses on ques­tions of iden­ti­ty, culture and iden­ti­fi­ca­tion.[2]

This phe­no­me­non is pos­sible through the sym­bo­lic and phy­si­cal ope­ning of internal/external Qué­bec bor­ders and film pro­duc­tion. On the one hand, the last twen­ty-five years have seen an explo­sion of co-pro­duc­tions with coun­tries such as France, Bel­gium and the Uni­ted States, while on the other hand, film­ma­kers have gai­ned more mobi­li­ty – we can think of film­ma­kers such as Xavier Dolan pro­du­cing films in France and the U.S. and Jean-Marc Val­lée direc­ting more than three films and one HBO series in the U.S. Addi­tio­nal­ly, the ope­ning of bor­ders and an increa­sing immi­gra­tion rate have consi­de­ra­bly chan­ged the face and land­scape of Que­bec cine­ma. Also noti­ceable are the increa­sed recog­ni­tion and inte­gra­tion of diver­si­ty on the ter­ri­to­ry, with the emer­gence of Indi­ge­nous and Anglo-Mon­trea­ler cine­ma, for example. These new poli­ti­cal rea­li­ties are pushing Que­bec for­ward, encou­ra­ging people and poli­ti­cal lea­ders to rede­fine natio­na­lism in cor­res­pon­dence with a deter­ri­to­ria­li­za­tion and a broa­de­ning of cultures.[3]

It is also in this context that the last ten years has wit­nes­sed the emer­gence and gro­wing popu­la­ri­ty of Indi­ge­nous and migrant cine­mas. These tend to reflect the poli­ti­cal and social cli­mate of a pro­vince which is spen­ding more time ques­tio­ning its role as a colo­ni­zer (Truth and Recon­ci­lia­tion Com­mis­sion) and as a “terre d’accueil” for immi­grant com­mu­ni­ties (Bou­chard-Tay­lor Com­mis­sion and Loi sur la laï­ci­té). These have all great­ly contri­bu­ted to this recon­fi­gu­ra­tion of Que­bec cine­ma, with Indi­ge­nous and migrant film­ma­kers posi­tio­ning them­selves as media­tors bet­ween their land of ori­gin and the new ter­ri­to­ry they inha­bit, and bet­ween the land of their ances­tors and the fron­tiers that stretch beyond its ter­ri­to­ry. In many cases, the works built by these film­ma­kers pre­sents ele­ments of “métis­sage” born through mul­tiple encoun­ters with the “Other” – a term used by film spe­cia­list Bill Mar­shall to qua­li­fy Indi­ge­nous and immi­grant com­mu­ni­ties in Cana­da, in regard to ques­tions of Que­bec natio­na­lism and iden­ti­ty.[4]

Thus, we are now seeing the rede­si­gned contours of an indus­try and an art form advo­ca­ting for more diver­si­ty and col­la­bo­ra­tion in the ela­bo­ra­tion of hete­ro­ge­nous film land­scapes, which brings film­ma­kers to explore iden­ti­ty and nation fol­lo­wing new ethi­cal (pro­duc­tion modes) and aes­the­tic (nar­ra­tion, themes, etc.) cri­te­ria. Indeed, whe­ther through col­la­bo­ra­tions bet­ween film­ma­kers coming from dif­ferent parts of the country/province/world (for example, Marie-Hélène Cou­si­neau and the Arnait Video col­lec­tive of Inuit women) or by making films loo­king to create a bridge bet­ween dif­ferent worlds (Anti­gone [dir. Sophie Deraspe, 2019], Inch’Allah [dir. Anaïs Bar­beau-Lava­lette, 2012] and Trois his­toires d’Indiens, [dir. Robert Morin, 2014]), Qué­bec cine­ma and its indus­try are mul­ti­plying the oppor­tu­ni­ties of inter­cul­tu­ral encoun­ters (real and sym­bo­lic) by finan­cing those films and by giving plu­ral iden­ti­ties bet­ter visi­bi­li­ty. This inte­gra­tion of the “Other” contri­butes to the hybri­di­za­tion of Qué­bé­cois cine­ma, get­ting the people and ins­ti­tu­tions to rede­fine and broa­den the scope of its defi­ni­tion of “who is Qué­bé­cois,” a ques­tion alrea­dy present in Pierre Perrault’s 1970 docu­men­ta­ry Un pays sans bon sens.

Fur­ther­more, the sto­ries born from these col­la­bo­ra­tions, some­times gate­ways bet­ween past and future, par­ti­ci­pate in the ela­bo­ra­tion of new ques­tions in regards to the nation and “des iden­ti­tés com­po­sées” (Maa­louf, 1998), which engages older and new gene­ra­tions to par­ti­ci­pate in a broa­der dia­logue on cultu­ral memo­ry (La val­lée des larmes [dir. Maryanne Zéhil, 2012] and Incen­dies, [dir.Denis Villeneuve,2010]).

It is with this in mind that Nou­velles Vues is soli­ci­ting pro­po­sals for articles addres­sing these diverse col­la­bo­ra­tions bet­ween Indi­ge­nous, migrant and Qué­bé­cois film­ma­kers and sto­ries for its 22nd num­ber entit­led “Inter­cul­tu­ral Encoun­ters.” The jour­nal also invites pro­po­sals inves­ti­ga­ting cos­mo­po­li­ta­nism and the hybri­di­za­tion of Qué­bé­cois ima­gi­na­ries, in a context where natio­nal iden­ti­ty is in per­ma­nent muta­tion. Pos­sible topics may include:

  • Indi­ge­nous or migrant cine­mas and col­la­bo­ra­tions with Qué­bé­cois filmmakers;
  • Migrants cine­mas and their repre­sen­ta­tion of Qué­bec society; 
  • The repre­sen­ta­tion of new migrant or Indi­ge­nous rea­li­ties by Qué­bec filmmakers; 
  • The hybri­di­za­tion of Qué­bec cine­ma and its ope­ning of bor­ders (alte­ri­ty, the Other, dia­spo­ras, transnationalism); 
  • The rede­fi­ni­tion and inclu­sion of Qué­bec cine­ma in its quest to include a lar­ger inter­cul­tu­ral and mul­ti­cul­tu­ral diver­si­ty in its works; 

The sub­mis­sions must include a title, a brief bio­gra­phy as well as an abs­tract of a maxi­mum of 500 words. The abs­tract must deli­neate a cor­pus and put for­ward a the­sis fol­lo­wing one the angles or sub­jects sug­ges­ted. The sub­mis­sion can be sent to baillarg@umd.edu and kb162@queensu.ca by Sep­tem­ber 15, 2020. The authors whose sub­mis­sions are accep­ted will have to sub­mit their article (writ­ten in English or French) of 45,000 to 60,000 cha­rac­ters, spaces inclu­ded, by Februa­ry 15, 2021. The articles will be sub­mit­ted to a double-blind peer-review pro­cess, and their publi­ca­tion will by condi­tio­nal to their accep­tance by at least two reviewers.

Biblio­gra­phy

Bachand, Denis. “Le prisme iden­ti­taire du ciné­ma qué­bé­cois. Figures pater­nelles et inter­cul­tu­ra­li­té dans Mémoires affec­tives et Lit­to­ral,” Ciné­mas, Vol. 19, no 1 (fall 2008): 57–73.

Baillar­geon, Mer­cé­dès et Karine Ber­trand. “Le trans­na­tio­na­lisme du ciné­ma et des (nou­veaux) médias qué­bé­cois,” Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion, Vol. 44, nos 2–3 (2019): 137–273.

Ber­trand, Karine. “Du tiers absent au pas­seur de mémoire : la pré­sence autoch­tone et la figure du média­teur blanc dans le ciné­ma des Pre­mières Nations,” Recherches Amé­rin­diennes au Qué­bec, Vol. 45, no 1 (fall 2015): 51–58.

Bou­chard, Gérard. L’interculturalisme. Un point de vue qué­bé­cois (Mont­réal: Édi­tions Boréal, 2012).

––––––. “Qu’est-ce que l’in­ter­cul­tu­ra­lisme?,” McGill Law Jour­nal, Vol. 56, no 2 (2011): 395–434.

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Fil­mo­gra­phy

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Benoit, Jacques W. Com­ment faire l’amour avec un nègre sans se fati­guer, Aska films, Qué­bec, 1989. 

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Morin, Robert. Trois his­toires d’Indiens, COOP videéo de Mont­réal, Qué­bec, 2014. 

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Per­rault, Pierre. Un pays sans bon sens, Office Natio­nal du Film, Qué­bec, 1971. 

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Vil­le­neuve, Denis. Incen­dies, Films Séville, Qué­bec, 2010. 

Zéhil, Marianne. La val­lée des larmes, Films Séville, Qué­bec, 2011.

Bios

Mer­cé­dès Baillar­geon is Asso­ciate Pro­fes­sor of French and Fran­co­phone Stu­dies in the School of Lan­guages, Lite­ra­tures, and Cultures at the Uni­ver­si­ty of Mary­land, where she is also affi­liate facul­ty in Women’s Stu­dies and Cine­ma & Media Stu­dies. Her research main­ly focuses on the aes­the­tics, ethics and poli­tics of 20th and 21st cen­tu­ry first-per­son nar­ra­tive, the inter­sec­tion bet­ween public/private spaces and dis­courses, and the (de)construction of per­so­nal and/or col­lec­tive iden­ti­ties. Her book, Le per­son­nel est poli­tique. Médias, esthé­tique et poli­tique de l’autofiction chez Chris­tine Angot, Chloé Delaume et Nel­ly Arcan was publi­shed by Pur­due Uni­ver­si­ty Press, in 2019. She has also co-edi­ted a spe­cial issue of the jour­nal Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion on “The Trans­na­tio­na­lism of Qué­bec Cine­ma and (New) Media” with Karine Ber­trand, publi­shed in 2019, and well as a col­lec­tion of essays on third wave femi­nism in Qué­bec, Remous, res­sacs et déri­va­tions autour de la troi­sième vague fémi­niste, in 2011. She has publi­shed in the jour­nals Qué­bec Stu­dies, Women in French Stu­dies, and Rocky Moun­tain Review, among­st others. Her cur­rent research explores the ques­tion of (post/trans)nationalism in Qué­bec cine­ma of the new millennium.

Karine Ber­trand is an assis­tant pro­fes­sor of French Cana­dian and Indi­ge­nous ances­try (Qué­bec, Algon­quin) in the Film and Media depart­ment of Queen’s Uni­ver­si­ty. Her research inter­ests are cen­te­red around Indi­ge­nous film and poe­try, Que­bec cine­ma, road movies, trans­na­tio­nal cine­mas and oral prac­tices of cine­ma. She is a mem­ber of the Vul­ne­rable Media Lab at Queen’s and lead resear­cher for the Archive Coun­ter Archive research pro­ject (finan­ced by SSHRC) wor­king with the Arnait Video Pro­duc­tions col­lec­tive of Inuit women. Her latest publi­ca­tions include an article on Indi­ge­nous women and tes­ti­mo­nies (Cana­dian Jour­nal of Film Stu­dies, 2020) on Qué­bé­cois cine­ma and Amé­ri­ca­ni­té (Ame­ri­can Review of Cana­dian Stu­dies, 2019) and a book chap­ter on Cana­dian and Qué­bé­cois Indi­ge­nous cine­mas (Oxford Hand­book to Cana­dian Cinema, 2019). She is pre­sent­ly wor­king on a pro­ject invol­ving the crea­tion of an inter­na­tio­nal net­work for Indi­ge­nous women film­ma­kers, with her part­ners from the Wapi­ko­ni Mobile and the INAAC (the Inter­na­tio­nal Net­work for Abo­ri­gi­nal Audio-Visual Creation).


[1] Denis Bachand, “Le prisme iden­ti­taire du ciné­ma qué­bé­cois. Figures pater­nelles et inter­cul­tu­ra­li­té  dans Mémoires affec­tives et Lit­to­ral,” Ciné­mas, Vol. 19, no 1 (fall 2008): 57–73.

[2] Mer­cé­dès Baillar­geon and Karine Ber­trand, “Le trans­na­tio­na­lisme du ciné­ma et des (nou­veaux) médias qué­bé­cois,” Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion, Vol. 44, nos 2–3 (2019): 137–273.

[3] Mer­cé­dès Baillar­geon et Karine Ber­trand, “Le trans­na­tio­na­lisme du ciné­ma et des (nou­veaux) médias : le contexte qué­bé­cois (intro­duc­tion),” Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion, Vol. 44, nos 2–3 (2019): 137–150.

[4] Bill Mar­shall, Que­bec Natio­nal Cine­ma (Mont­réal-King­ston: McGill-Queens Uni­ver­si­ty Press, 2001).

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Numéro 21 (Automne 2020) : Mauvais genres!

Sous la direc­tion de Louis Pel­le­tier (Uni­ver­si­té de Mont­réal)

Le ciné­ma qué­bé­cois évo­lue dès son ori­gine en marge de pra­tiques domi­nantes éma­nant des grands centres de pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique. C’est ain­si que, par­mi les plus de 300 films pro­duits entre 1906 et 1922 par le fon­da­teur de la ciné­ma­to­gra­phie qué­bé­coise, Léo-Ernest Oui­met, on ne retrouve pas plus de deux titres ali­gnés sur les stan­dards – hégé­mo­niques dès la seconde décen­nie de l’histoire du ciné­ma – des fic­tions issues des stu­dios fran­çais et amé­ri­cains. La qua­si-tota­li­té de la fil­mo­gra­phie de Oui­met est plu­tôt consti­tuée de films rele­vant de genres mineurs et éphé­mères : films de famille (Mes espé­rances en 1908), films locaux (Le Concours des sacs de sel [1907]), films publi­ci­taires (savon White Rose), films édu­ca­tifs (Sau­vons nos bébés [1918]), et d’actualités (les biheb­do­ma­daires Bri­tish Cana­dian Pathé News pro­duites de 1919 à 1922). Les cinéastes et pro­duc­teurs actifs au Qué­bec entre les années 1920 et 1950 se consa­cre­ront de la même façon en grande majo­ri­té à des pro­duc­tions s’inscrivant en marge du ciné­ma de fic­tion domi­nant : courts métrages des­ti­nés à être pré­sen­tés en com­plé­ment de pro­gramme dans les salles com­mer­ciales (Gor­don Spar­ling et l’Associated Screen News), films uti­li­taires ou gou­ver­ne­men­taux (Albert Tes­sier, Mau­rice Proulx), ciné­ma ama­teur, etc. L’émergence d’une pro­duc­tion légi­ti­mée de films de fic­tion et de docu­men­taires entre les années 1940 et 1960 ne se tra­duit par ailleurs pas en un désen­ga­ge­ment des cinéastes qué­bé­cois face à ces caté­go­ries mar­gi­na­li­sées de pro­duc­tions. On retrouve ain­si par­mi les cinéastes ayant fait rayon­ner la ciné­ma­to­gra­phie qué­bé­coise à tra­vers le monde un grand nombre de créa­teurs ayant d’abord fait leurs classes dans le monde du ciné­ma ama­teur (Claude Jutra, Michel Brault), été à l’emploi de pro­duc­teurs de films uti­li­taires (Pierre Per­rault), ou pro­duit des films de com­mande (Denys Arcand, Claude Four­nier) et des publi­ci­tés (Gilles Carle, Jean-Claude Lau­zon, Chloé Robi­chaud). Il importe par ailleurs de sou­li­gner que, depuis les années 1960, la ren­contre du ciné­ma qué­bé­cois et de son public s’est sou­vent faite autour de films rele­vant de genres popu­laires (comé­dies bur­lesques, « films de fesses ») vili­pen­dés par la cri­tique. L’institution ciné­ma­to­gra­phique qué­bé­coise semble en effet avoir inter­na­li­sé une hié­rar­chie exo­gène consa­crant la supré­ma­tie du long métrage de fic­tion et du film d’auteur. La qua­si-tota­li­té du dis­cours des publi­ca­tions ciné­phi­liques publiées dans la pro­vince depuis les années 1940 est de cette façon consa­crée aux diverses décli­nai­sons du ciné­ma de fic­tion, du ciné­ma d’auteur, et du grand ciné­ma docu­men­taire. Du côté des archives, la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise applique tou­jours en 2017 une poli­tique de conser­va­tion reje­tant hors de son man­dat les vastes caté­go­ries du ciné­ma uti­li­taire et du ciné­ma ama­teur.

Un retour sur les « mau­vais genres » mino­rés, déva­lués et mar­gi­na­li­sés par l’institution ciné­phi­lique semble donc s’imposer. D’abord, parce que ces mau­vais genres s’avèrent en défi­ni­tive indis­so­ciables des dif­fé­rentes ité­ra­tions du ciné­ma légi­ti­mé. Gra­tien Géli­nas expli­quait à ce pro­pos en 1942 que, dans un contexte où le finan­ce­ment public de la pro­duc­tion pri­vée était inexis­tant, la pro­duc­tion de films publi­ci­taires et édu­ca­tifs était la seule façon de faire vivre une indus­trie ciné­ma­to­gra­phique natio­nale et, par­tant, de per­mettre la pro­duc­tion de films de fic­tion reflé­tant la réa­li­té qué­bé­coise. Soixante-quinze ans plus tard, nom­breux sont les cinéastes, pro­duc­teurs et tech­ni­ciens qué­bé­cois à alter­ner entre cor­pos, publi­ci­tés, films « com­mer­ciaux » et films d’auteur. Ce retour sur les mau­vais genres du ciné­ma qué­bé­cois paraît éga­le­ment jus­ti­fié par l’évolution des goûts et mœurs de la com­mu­nau­té ciné­phi­lique qué­bé­coise qui, grâce au tra­vail de ses aînés, n’a plus à se battre pour la recon­nais­sance du poten­tiel artis­tique du ciné­ma. La nou­velle ciné­phi­lie décom­plexée expri­mée par des publi­ca­tions telles que Pano­ra­ma-ciné­ma et obser­vables dans des mani­fes­ta­tions comme le fes­ti­val Fan­ta­sia se trouve dès lors ouverte à tout un lot de pro­duc­tions audio­vi­suelles jusqu’à récem­ment consi­dé­rées comme intou­chables. Ce chan­ge­ment de men­ta­li­té s’opère alors que la recherche uni­ver­si­taire inter­na­tio­nale s’ouvre au ciné­ma de genre (Joan Haw­kins), au ciné­ma local (Vanes­sa Toul­min), au ciné­ma uti­li­taire (Charles Acland, Hai­dee Was­son, Vin­zenz Hedi­ger, Patrick Von­de­rau), aux dif­fé­rentes décli­nai­sons du ciné­ma d’exploitation ou psy­cho­tro­nique (Eric Schae­fer), au ciné­ma por­no­gra­phique (Lin­da Williams, Tho­mas Waugh), et au ciné­ma ama­teur (Charles Tep­per­man, Liz Czach, Valé­rie Vignaux, Benoît Tur­que­ty). La valeur et l’intérêt du vaste cor­pus consti­tué par les « mau­vais genres » du ciné­ma semblent dès lors prendre valeur d’évidence, et cela à plus forte rai­son dans un contexte comme celui du Qué­bec, où les grandes tra­di­tions du long métrage de fic­tion et du film d’auteur ont mis du temps à s’imposer. Il va tou­te­fois sans dire que la juste recon­nais­sance de la valeur cultu­relle, sociale et esthé­tique de ces textes et pra­tiques négli­gés néces­site le déve­lop­pe­ment de nou­velles grilles d’analyses, de nou­veaux regards.

Nou­velles Vues sol­li­cite pour son numé­ro thé­ma­tique « Mau­vais genres ! » des pro­po­si­tions d’articles trai­tant dans le contexte qué­bé­cois de pro­duc­tions ciné­ma­to­gra­phiques déva­luées ne rele­vant pas du long métrage de fic­tion, du ciné­ma d’auteur, ou de la grande tra­di­tion du ciné­ma docu­men­taire. La sou­mis­sion de pro­po­si­tions concer­nant les cir­cuits de dif­fu­sions et les espaces de dif­fu­sion consa­crés à ces ciné­mas mar­gi­naux, de même que les com­mu­nau­tés s’étant déve­lop­pées autour d’eux est éga­le­ment for­te­ment encou­ra­gée. Les pro­po­si­tions pour­ront trai­ter plus spé­ci­fi­que­ment :

•    de ciné­ma d’exploitation, psy­cho­tro­nique ou de série Z;
•    de comé­dies popu­laires, et plus par­ti­cu­liè­re­ment de films s’inscrivant dans la tra­di­tion bur­lesque du Théâtre Natio­nal et du Canal 10;
•    de ciné­ma éro­tique ou por­no­gra­phique;
•    de ciné­ma uti­li­taire, et plus par­ti­cu­liè­re­ment de ciné­ma publi­ci­taire, édu­ca­tif, indus­triel ou de com­mande;
•    de ciné­ma ama­teur ou de famille;
•    de films locaux (défi­nis comme toute pro­duc­tion dont les par­ti­ci­pants et les spec­ta­teurs sont essen­tiel­le­ment les mêmes);
•    de news­reels et d’actualités fil­mées;
•    de la hié­rar­chie des genres dans le contexte qué­bé­cois;
•    de la consti­tu­tion d’un canon du ciné­ma qué­bé­cois, et des exclu­sions que cette opé­ra­tion pré­sup­pose;
•    de la récep­tion et, le cas échéant, de la cen­sure des mau­vais genres du ciné­ma;
•    des com­mu­nau­tés de fans, de la ciné­phi­lie alter­na­tive, et des espaces asso­ciés (les fes­ti­vals Fan­ta­sia et Vitesse Lumière, les pro­jec­tions des Dou­teux et de Total Crap, etc.);
•    des ques­tions et enjeux liés à la conser­va­tion, à la dif­fu­sion et à la pro­gram­ma­tion des mau­vais genres du ciné­ma.

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