Robert Lepage : cinéaste moderne?

Jean-Marc Limoges

Résu­mé
Si Robert Lepage fait figure de dra­ma­turge moderne, il peut dif­fi­ci­le­ment être qua­li­fié de cinéaste moderne. Cet article pour­suit trois buts. D’abord, il pose­ra une dis­tinc­tion entre le terme « moderne » et un autre terme avec lequel on le confond par­fois : « réflexif ». Ensuite, il s’agira de mettre au jour non moins de dix sens qui tra­vaillent sour­de­ment la notion de réflexi­vi­té : un sens « propre », « figu­ré », « phi­lo­so­phique », « englo­bant », « faible », « fort », « géné­ral », « large », « étroit » et « méta­pho­rique ». Enfin, après avoir admis que l’on confon­dait sou­vent, quand on par­lait des films réflexifs, ce qu’ils sont (effec­tuer un « retour sur soi ») et ce qu’ils font (rompre l’illusion), nous pose­rons qu’un film, pour être moderne, doit être réflexif (dans cer­tains sens) et anti-illu­sion­niste (à cer­taines condi­tions). Or, pour nous, si Robert Lepage est sans contre­dit un cinéaste réflexif, sa pra­tique réflexive n’en demeure pas moins lar­ge­ment… clas­sique. Cette étude se veut d’abord et avant tout une façon d’exemplifier notre typo­lo­gie en recou­rant à la fil­mo­gra­phie du cinéaste plu­tôt qu’une étude appro­fon­die et ori­gi­nale des films de Robert Lepage.


Au théâtre, Robert Lepage fait figure – on se plaît à le répé­ter – de dra­ma­turge moderne. Mais est-il pour autant, au ciné­ma, un cinéaste moderne? Réflexif, il l’est sans doute, ici et là, par moment. Mais sa pra­tique réflexive n’en demeure pas moins plu­tôt clas­sique. Nous pro­po­se­rons ici un sur­vol des divers sens de la réflexi­vi­té, non sans avoir d’entrée de jeu esquis­sé une défi­ni­tion des films clas­siques et des films modernes, en insis­tant sur les recou­pe­ments de ces défi­ni­tions-ci avec ces sens-là. Nous pro­po­se­rons éga­le­ment au pas­sage une dis­tinc­tion entre les « films réflexifs » et la « réflexi­vi­té dans les films ». Nous par­le­rons alors, un peu comme le fai­sait Chris­tian Metz dans L’Énonciation imper­son­nelle ou le site du film (1991), de « confi­gu­ra­tions » réflexives pour nom­mer ces moments, disait-il, « iso­lables ». Plu­tôt qu’aux films dans leur ensemble, ce sont donc à ces moments iso­lables, à ces « confi­gu­ra­tions », que nous nous inté­res­se­rons. Enfin, spé­ci­fions que cet article se veut d’abord et avant tout une ten­ta­tive de typo­lo­gie qui pui­se­ra acces­soi­re­ment ses exemples, afin d’illustrer ses défi­ni­tions, dans la fil­mo­gra­phie de Lepage, plu­tôt qu’une étude appro­fon­die de l’œuvre du cinéaste.

Il faut d’abord, quand on parle de confi­gu­ra­tions réflexives, dis­tin­guer ce qu’elles sont de ce qu’elles font. Cer­tains auteurs – et Robert Stam le pre­mier –, ont trop sou­vent tenu pour acquis qu’une confi­gu­ra­tion réflexive avait pour effet de nous rap­pe­ler que nous (n’)étions (que) des spec­ta­teurs, de bri­ser, du même coup, notre croyance dans la fic­tion, de créer même une forme de dis­tan­cia­tion (brech­tienne) – ou de décep­tion –, voire de nous for­cer à réflé­chir (notam­ment au sta­tut des images et à la mani­pu­la­tion dont nous sommes vic­times). Si les confi­gu­ra­tions réflexives n’atteignent pas tou­jours cet effet, il n’en demeure pas moins que, pour nous, celui-ci est sur­tout recher­ché dans les films modernes. Il serait donc d’emblée per­mis de sou­te­nir qu’un film réflexif peut être tan­tôt clas­sique (s’il ne cherche pas à rompre la croyance dans la fic­tion), tan­tôt moderne (s’il cherche, au contraire, à la rompre). Autre­ment dit, le film clas­sique pour­rait être réflexif mais illu­sion­niste, tan­dis que le film moderne doit être réflexif et anti-illusionniste.

Mais d’abord, qu’est-ce que la réflexi­vi­té? À lire les théo­ri­ciens qui ont ten­té de répondre à la ques­tion, on constate qu’ils remarquent eux-mêmes – quand ils ne l’alimentent pas mal­gré eux – la confu­sion qui règne en ce domaine1. Cepen­dant, un article – un seul – désar­mant de sim­pli­ci­té et stu­pé­fiant de conci­sion, nous per­met­trait d’y voir plus clair, celui que Jacques Gers­ten­korn a publié dans le pre­mier numé­ro de la revue Ver­ti­go (1987) et qu’il a pro­saï­que­ment titré « À tra­vers le miroir (notes intro­duc­tives) ». Après y avoir avoué que « le champ de la réflexi­vi­té paraît […] si foi­son­nant que l’on doute de pou­voir bali­ser le pay­sage » (p. 7, nous soul.), il s’attelait à une « esquisse de typo­lo­gie » d’après laquelle nous avons construit la nôtre.

Mais pour­rait-on d’abord dire pour­quoi ce champ est si « foi­son­nant », dire pour­quoi de tels glis­se­ments de sens ont tra­vaillé la notion de réflexi­vi­té, dire pour­quoi tout – et son contraire – semble réflexif? C’est parce que le terme « réflexion » contient, à la base, deux sens dont le second en contient, à son tour, deux autres – un double sens dont rend bien compte le fameux mot de Jean Coc­teau : « Les miroirs feraient bien de réflé­chir un peu plus avant de ren­voyer les images. » Le terme « réflexion » contient, en effet, deux accep­tions – l’une « psy­chique », l’autre « phy­sique » (cette der­nière accep­tion pou­vant être prise dans un sens « propre » et un sens « figu­ré ») –, sur les­quelles reposent toutes les confu­sions sub­sé­quentes. Il appert en effet que, du moins en ce qui concerne le ciné­ma, le terme peut être pris dans son accep­tion phy­sique : le film, par un jeu de miroir (que celui-ci soit concret ou abs­trait), réflé­chit quelque chose… soit en lui (le dis­po­si­tif de pro­duc­tion répu­té hors cadre ou encore un pan – pas­sé, pré­sent ou futur – de l’histoire qu’il raconte), soit hors de lui (la salle, les spec­ta­teurs ou encore d’autres films qui lui pré­existent). Il appert aus­si, ensuite, que le terme peut être pris dans son accep­tion psy­chique (ou disons phi­lo­so­phique) : le film, par un jeu d’esprit, réflé­chit à ou sur quelque chose, en l’occurrence – parce qu’il « se regarde » dans un « miroir » –, au(x) film(s) ou au ciné­ma, ou encore fait réflé­chir celui qui le regarde à sa condi­tion de spec­ta­teur2. En bref, s’établissent déjà les trois pre­miers sens sur les­quels vont se construire tous les autres (Tableau I) :

Tableau 1

Fort de ce pre­mier décou­page, nous serions déjà à même d’exemplifier ces diverses pos­si­bi­li­tés en nous aidant des films de Robert Lepage. Dans Le Confes­sion­nal (1995), c’est l’écran lui-même qui, de « fenêtre sur le monde », se trans­forme, le temps d’une pro­jec­tion en salle – on pré­sente I Confess (Alfred Hit­ch­cock, 1953) –, en miroir (au sens « figu­ré ») en cela qu’il nous montre des spec­ta­teurs assis dans une salle de ciné­ma. On retrouve aus­si, dans  (1998) – quand on filme les spec­ta­teurs au théâtre – et dans La Face cachée de la lune (2003) – quand on filme les audi­teurs à la sou­te­nance de thèse –, des confi­gu­ra­tions sem­blables : l’écran est comme un miroir qui « réflé­chit » les spec­ta­teurs réels. Ce der­nier film nous offre non seule­ment un cas de réflexi­vi­té au sens « figu­ré », mais aus­si un cas de réflexi­vi­té au sens « propre ». Lorsqu’il tourne un petit film docu­men­taire sur sa vie, Phi­lippe (Robert Lepage) se filme dans le miroir de sa salle de bain (quoiqu’il s’agisse d’un tru­cage, nous avons tout de même l’impression qu’il se filme lui-même par le relais d’une glace), ce qui nous per­met de voir le dis­po­si­tif même (en l’occurrence, son camé­scope). Non satis­fait de nous offrir des exemples de réflexi­vi­té au sens « propre » (on voit la camé­ra même dans un miroir) et « figu­ré » (l’écran lui-même est comme un miroir), ce film offre aus­si un cas de réflexi­vi­té au sens « phi­lo­so­phique ». Rap­pe­lons com­ment le même per­son­nage, fil­mant ensuite son télé­vi­seur, se lance dans une « réflexion » sur le sta­tut des images télé­vi­suelles : la télé­vi­sion a rem­pla­cé le feu de foyer, c’est main­te­nant elle qui raconte sa jour­née, dit-il en sub­stance. Men­tion­nons aus­si que la dis­cus­sion, dans , que tiennent les deux femmes, Sophie (Anne-Marie Cadieux) et Patri­cia (Marie Gignac), lors de leur sou­per au res­tau­rant, sur la créa­tion col­lec­tive offre aus­si – en plus d’une sym­pa­thique auto­dé­ri­sion – une réflexion sur le jeu d’acteur. Bref, tous ces moments, peuvent être qua­li­fiés de « réflexifs » dans les trois pre­miers sens rete­nus : « propre », « figu­ré » (qui sont tous deux inclus dans le sens « phy­sique », que nous n’utiliserons plus) et « phi­lo­so­phique » (que nous pré­fé­re­rons doré­na­vant à « psychique »).

Ain­si, à la lumière de ce pre­mier décou­page (et de ces pre­miers exemples), il est pos­sible de com­prendre que le film réflexif est un film qui réflé­chit ce qui est d’ordinaire caché au spec­ta­teur (c’est-à-dire le dis­po­si­tif qui en a per­mis la pro­duc­tion, à com­men­cer par l’équipe tech­nique : camé­ra­man, opé­ra­teurs, machi­nistes, etc.), notam­ment par le relais d’un miroir pla­cé dans l’axe de la camé­ra, ou un film qui « se regarde » (comme dans un miroir) – pour se contem­pler ou se cri­ti­quer –, un film qui se prend (nar­cis­si­que­ment) pour sujet en nous dévoi­lant les cou­lisses de la pro­duc­tion des films, voire de la pro­duc­tion du film lui-même. Il est aus­si pos­sible de com­prendre que le film réflexif est un film qui réflé­chit – grâce à l’écran qui tient lui-même lieu (méta­pho­ri­que­ment) de miroir – la situa­tion de sa récep­tion en nous don­nant à voir d’autres spec­ta­teurs regar­dant un film (voire n’importe quel type d’œuvre). Mais il est encore pos­sible de com­prendre qu’un film peut être dit « réflexif » en ce qu’il réflé­chit (c’est-à-dire « ren­voie à ») un autre film (en le citant, en le copiant, en le paro­diant, en lui fai­sant réfé­rence ou allu­sion) ou en ce qu’il place en son centre un autre film (voire n’importe quel type d’œuvre) qui réflé­chit (c’est-à-dire imite, repro­duit, duplique, redouble) un aspect du film même, notam­ment un moment de l’histoire qu’il raconte. Enfin, il est pos­sible de com­prendre qu’un film peut être dit réflexif en ce qu’il réflé­chit sur – voire fait réflé­chir le spec­ta­teur sur – le film en par­ti­cu­lier ou sur le ciné­ma en général.

En somme – et comme le disait Lucien Däl­len­bach dans Le récit spé­cu­laire (1977) au sujet de la mise en abyme –, plu­sieurs auteurs, quand ils parlent de réflexi­vi­té, « confond[ent] sous un terme unique des réa­li­tés dis­tinctes » (p. 59). Dès lors, il faut se deman­der s’il n’y a pas moyen, pour lever ces confu­sions, de déce­ler dif­fé­rents sens à l’intérieur du même concept. Et si oui, il faut se deman­der com­bien de sens dif­fé­rents peuvent s’y cacher. Une com­pi­la­tion des ouvrages sur la ques­tion nous a per­mis d’en recen­ser dix : en plus des sens « propre » ou « figu­ré » et du sens « phi­lo­so­phique » (qui se retrou­ve­ront tous, en germe, dans les sens sub­sé­quents), il serait envi­sa­geable d’établir, d’abord, un sens « englo­bant », ensuite, un sens « faible » et un sens « fort », puis un sens « géné­ral », de même qu’un sens « large » et un sens « étroit » et enfin un sens « méta­pho­rique ». Nous pour­rions ain­si prou­ver – comme Däl­len­bach l’avait fait pour la mise en abyme – que la réflexi­vi­té pour­ra les incar­ner tous les dix « sans jamais ces­ser de res­ter une » (p. 52). Il ne res­te­rait qu’à les repé­rer dans les films de Lepage et à dire en quoi leur uti­li­sa­tion est anti-illu­sion­niste, et donc moderne (ou illu­sion­niste, et donc classique).

Spé­ci­fions d’emblée ceci : peu importe que le film « réflé­chisse » dans l’un ou l’autre de ces trois sens – « propre », « figu­ré » ou « phi­lo­so­phique » –, on pour­rait déjà en pro­po­ser un qua­trième, qui les sub­su­me­rait : la réflexion comme « retour sur soi ». Ce « retour sur soi » n’évoque-t-il pas quelque per­son­nage pen­sif, les yeux plon­gés dans sa propre image, ten­tant de faire le point (sur sa vie, sur lui-même)? Jacques Gers­ten­korn – de même que plus d’un auteur après (ou même avant) lui3 – sem­blait admettre ce sens que nous nom­me­rons « englo­bant ». Dès le début de son article, et après avoir posé la ques­tion « Qu’est-ce donc que la réflexi­vi­té? » (1987, p. 7), il répon­dait qu’elle était un « phé­no­mène pro­téi­forme dont le plus petit déno­mi­na­teur com­mun consiste en un retour du ciné­ma sur lui-même » (ibid., nous soul.).

Cepen­dant, le gros du tra­vail reste à faire. Il faut, en effet, décli­ner les mul­tiples façons – et elles sont nom­breuses – grâce aux­quelles le film effec­tue ce « retour ». La typo­lo­gie doit alors avoir pour but, comme le sou­hai­tait Gers­ten­korn, « de res­ti­tuer leur cohé­rence à des faits trop sou­vent épar­pillés » (p. 10, nous soul.). Aus­si, après avoir éta­bli cette pre­mière défi­ni­tion – à laquelle nous accor­de­rons un sens « englo­bant » – il opé­re­ra, pour y voir plus clair, un pre­mier décou­page entre « réflexi­vi­té ciné­ma­to­gra­phique » et « réflexi­vi­té fil­mique » (Tableau II). Ce sont main­te­nant ces deux caté­go­ries qu’il faut explo­rer et exem­pli­fier, à l’aide des films de Robert Lepage, afin de voir si elles sont suf­fi­santes et opératoires.

Tableau II

Gers­ten­korn pose, dans un pre­mier temps, que la « réflexi­vi­té ciné­ma­to­gra­phique » regroupe les films dans les­quels on « affich[e] le dis­po­si­tif », dans les­quels on ins­crit « des réfé­rences au fait ciné­ma­to­gra­phique » (p. 7) ou dans les­quels on trouve des « marques du ciné­ma en tant qu’institution », (ibid., l’aut. soul.), les films qui repré­sentent des « élé­ments appar­te­nant au monde du ciné­ma » (ibid.) ou qui « traitent d’un aspect ou d’un état du ciné­ma » (p. 8) ou encore les films dans les­quels « le ciné­ma est la matière pre­mière du scé­na­rio » (ibid.) – mais pas for­cé­ment, puisque « la réfé­rence réflexive peut être des plus fugi­tives » (ibid.). Il pré­ci­se­ra même qu’il s’agit là de films « réflexifs au sens strict » (ibid., nous soul.). Il donne, pour illus­trer ces pre­miers cas, les exemples suivants :

film sur les condi­tions de pro­duc­tion (Les pro­duc­teurs); film sur la genèse d’une œuvre (Huit et demi, Pas­sion) ou sur un tour­nage (Le camé­ra­man, Le mépris, La nuit amé­ri­caine, L’état des choses); film sur un acteur (A star is born, Bel­lis­si­ma, Sun­set bou­le­vard); film sur la rela­tion film-spec­ta­teur (Sher­lock Junior, Hell­za­pop­pin, La rose pourpre du Caire)… (p. 7–8)

Autre­ment dit, la « réflexi­vi­té ciné­ma­to­gra­phique » – ou la réflexi­vi­té au sens « strict » (Gers­ten­korn dixit) –, regrou­pe­rait ces films qui « ouvrent une fenêtre sur le monde »… du ciné­ma. Ils sont « réflexifs » en cela qu’ils prennent le ciné­ma pour sujet, qu’ils se regardent – pour se contem­pler ou se cri­ti­quer – dans un « miroir » : ils nous montrent les cou­lisses du ciné­ma, l’envers des décors, le dis­po­si­tif de pro­duc­tion (ou de récep­tion). Cette défi­ni­tion n’est pas sans recou­per la défi­ni­tion du méta­film que posait pour sa part Marc Ceri­sue­lo. Dans Hol­ly­wood à l’écran. Essai de poé­tique his­to­rique des films : l’exemple des méta­films amé­ri­cains (2001), Ceri­sue­lo, après avoir spé­ci­fié que « le méta­film n’est ni le film “en abyme”, ni le backs­tage film, ni une simple repré­sen­ta­tion du monde du ciné­ma », pré­ci­sait qu’il est « une fic­tion qui prend pour objet le ciné­ma en repré­sen­tant les agents de la pro­duc­tion (acteurs, cinéastes, scé­na­ristes, pro­duc­teurs, etc.) » et qui « pro­cure une connais­sance d’ordre docu­men­taire ou vrai­sem­blable, et éla­bore (cf. le méta­texte) un dis­cours cri­tique à pro­pos du ciné­ma » (p. 10, nous soul.). Plus loin, il pro­po­se­ra une défi­ni­tion plus étof­fée du métafilm :

Film qui a expli­ci­te­ment pour objet le ciné­ma à tra­vers la repré­sen­ta­tion des agents de la pro­duc­tion (acteurs, réa­li­sa­teur, pro­duc­teurs, tech­ni­ciens, agents de publi­ci­té et de rela­tions publiques, per­son­nel de stu­dio, etc.) tout au long d’une trame nar­ra­tive stricte, quel que soit le genre ciné­ma­to­gra­phique auquel il peut éven­tuel­le­ment être rat­ta­ché, et qui pro­pose à une époque don­née, une meilleure connais­sance, soit d’ordre docu­men­taire, soit par le biais de fic­tions vrai­sem­blables, du monde du ciné­ma lui-même sur lequel est por­té un regard cri­tique (p. 92–93, nous soul.)4.

Ain­si, cette pre­mière sous-caté­go­rie (se trou­vant à l’intérieur de la caté­go­rie de la réflexi­vi­té ciné­ma­to­gra­phique), en ne cher­chant pas for­cé­ment à nous rap­pe­ler que nous sommes devant un film et en n’empêchant pas, non plus, notre croyance dans la fic­tion, pour­rait être qua­li­fiée de « clas­sique ». En effet, ces films, en ouvrant une fenêtre sur le monde (du ciné­ma), sont sou­vent loin de nous rap­pe­ler que nous sommes devant un film et loin d’empêcher notre croyance dans leur fic­tion. Comme le disait joli­ment Metz (1991) :

si on montre au spec­ta­teur une grue [une grue de ciné­ma, bien sûr] elle se retrouve ain­si sur le même plan que n’importe quel objet fil­mé, et elle est, comme lui, guet­tée en per­ma­nence par la force d’attraction de la dié­gèse. En dehors d’une construc­tion par­ti­cu­lière, la pré­sence d’une camé­ra quelque part dans le rec­tangle n’apporte rien de plus que celle d’un fusil. Par rap­port à l’instance d’énonciation, ce n’est qu’une sorte d’allusion, un rap­pel affai­bli […]. (p. 87, nous soul.)

Cepen­dant, Gers­ten­korn laisse entre­voir l’existence d’un « second type de réflexi­vi­té ciné­ma­to­gra­phique » (p. 8, nous soul.). Il parle alors d’une réflexi­vi­té qui « se manifest[e] à tra­vers l’énonciation fil­mique » par diverses « secousses de l’énonciation » (ibid., nous soul.). Il évoque ces « effets d’écriture qui rendent sen­sible le fil­mage ou qui affichent, fût-ce insi­dieu­se­ment, leur appar­te­nance au lan­gage ciné­ma­to­gra­phique » (ibid., nous soul.). Ces « effets d’écriture » – dont le propre, disait Metz, « est de ne pas être vu ni enten­du, dans les condi­tions ordi­naires, par le spec­ta­teur » (1991, p. 87) – semblent dire, selon Gers­ten­korn (mais aus­si selon plu­sieurs5), « je sens le stu­dio, je suis du ciné­ma… » (ibid.), et ain­si nous rap­pe­ler que nous (ne) sommes (que) des spec­ta­teurs. Gers­ten­korn exem­pli­fie­ra cette seconde sous-caté­go­rie ainsi :

Un regard ou une adresse à la camé­ra, un violent tra­vel­ling, une musique appuyée, un retour en arrière (accom­pa­gné ou non d’un récit en voix-off, comme dans The bare­foot com­tes­sa) ou encore un mon­tage court rap­pellent ain­si au spec­ta­teur qu’il est au ciné­ma, même s’il a par­fai­te­ment inté­gré les conven­tions nar­ra­tives. (ibid., nous soul.)

Cette autre défi­ni­tion recou­pe­rait ce que nous nom­me­rions, quant à nous, l’« auto­ré­flexi­vi­té ». Chris­tian Metz – qui émet­tait des réserves quant à l’emploi un peu « redon­dant » du pré­fixe « auto » dans la thèse de Kiyo­shi Take­da inti­tu­lée l’Archéo­lo­gie du dis­cours sur l’autoréflexivité au ciné­ma (qu’il avait diri­gée)6 – notait tou­te­fois que le dis­po­si­tif « mon­tré » pou­vait tout aus­si bien être le dis­po­si­tif lui-même, si la camé­ra se filme par le « relais d’une glace », qu’un dis­po­si­tif, si la camé­ra « qui nous est mon­trée n’est […] pas […] celle qui a tour­né le film qui nous la montre » (p. 20). En nous rap­pe­lant plus for­te­ment que nous sommes devant un film et en empê­chant, du même coup, plus for­te­ment notre croyance dans la fic­tion, cette seconde sous-caté­go­rie (qui se situe, elle aus­si, à l’intérieur de la caté­go­rie de la réflexi­vi­té ciné­ma­to­gra­phique) pour­rait être qua­li­fiée de « moderne ».

En bref, si les pre­miers cas, les méta­films (dont la réflexi­vi­té serait à prendre dans un sens « faible »), montrent une énon­cia­tion dié­gé­ti­sée (un dis­po­si­tif – « une » camé­ra, par exemple – fai­sant par­tie du monde sur lequel ouvre le film), les seconds, les films auto­ré­flexifs (dont la réflexi­vi­té serait à prendre dans un sens « fort »), font plu­tôt sen­tir l’énon­cia­tion même (celle qui a pro­duit le film même – « la » camé­ra même, par exemple). Autre­ment dit, le film pour­ra affi­cher le dis­po­si­tif qui l’a pro­duit (réflexi­vi­té au sens « fort » ou auto­ré­flexi­vi­té), mais tout aus­si bien le dis­po­si­tif qu’il a pro­duit (réflexi­vi­té au sens « faible » ou méta­fil­mi­ci­té). Dans la réflexi­vi­té au sens « fort », le film nous « parle ciné­ma », tan­dis que, dans la réflexi­vi­té au sens « faible », le film nous « parle de ciné­ma ». La typo­lo­gie sui­vante (Tableau III) rend compte des retouches effec­tuées à celle de Gers­ten­korn; on y remar­que­ra d’ailleurs que nous avons choi­si, pour notre défi­ni­tion, le verbe « affi­cher » qui sub­sume le verbe « mon­trer » (on peut voir une – ou la – camé­ra à l’écran) et la locu­tion ver­bale « rendre sen­sible » (on peut aus­si sen­tir la pré­sence autant de « la » camé­ra que d’« une » caméra).

Tableau III

Un film de Robert Lepage exem­pli­fie cette réflexi­vi­té au sens « faible » (méta­film) : Le Confes­sion­nal. L’intrigue tourne autour du pas­sage d’Alfred Hit­ch­cock, au début des années 1950, à Qué­bec, alors qu’il y tour­nait I Confess. Lepage nous montre alors, à de nom­breuses reprises, les cou­lisses, non seule­ment de la pro­duc­tion (des audi­tions au tour­nage lui-même), mais aus­si de la récep­tion du film (le film pro­je­té en salle et son accueil). Nous voyons Hit­ch­cock (Ron Bur­rage) tenir les audi­tions, diri­ger ses acteurs, contrô­ler son équipe et assis­ter à la pro­jec­tion. Or, mal­gré cette réflexi­vi­té (au sens « faible »), le film conserve néan­moins une fac­ture clas­sique, notam­ment parce qu’il ne cherche aucu­ne­ment à rompre notre croyance et encore moins à nous pri­ver de quelque plai­sir filmique.

Trouve-t-on, en revanche, dans les films de Lepage, des confi­gu­ra­tions réflexives au sens « fort » (auto­ré­flexi­vi­té), des moments où l’on affiche l’énonciation même du film, des pas­sages où le film nous « parle ciné­ma » afin de nous rap­pe­ler que nous sommes des spec­ta­teurs et de bri­ser notre croyance dans la fic­tion? Si, dans La Face cachée de la lune, Lepage se fil­mait lui-même dans un « miroir », il n’en demeure pas moins que cette camé­raé­tait dié­gé­ti­sée, qu’elle fai­sait par­tie du monde de la fiction.

Lepage se fil­mait lui-même un « miroir », il n’en demeure pas moins que cette camé­ra était dié­gé­ti­sée, qu’elle fai­sait par­tie du monde de la fic­tion. C’est parce que le dis­po­si­tif énon­cia­tif (camé­ra, mais aus­si micro, éclai­rage, etc.) n’est pas dié­gé­ti­sable que la confi­gu­ra­tion est « auto­ré­flexive » (ou réflexive au sens « fort »). Un seul exemple, fugace, nous vient en tête pour illus­trer un tel cas de figure : la perche qui s’avance un peu trop dans le cadre au début de Pos­sible Worlds (2000). On pour­rait aus­si pen­ser à ces regards à la camé­ra – le moyen le plus sou­vent uti­li­sé pour faire sen­tir la pré­sence de la camé­ra même – que lancent, dans deux films dif­fé­rents ( et La Face cachée de la lune) les per­son­nages joués par Richard Fréchette.

Or, ces trois exemples, même s’ils se rap­prochent de notre défi­ni­tion de la réflexi­vi­té au sens « fort », nous obli­ge­ront à y appor­ter quelques nuances. D’abord, l’apparition du micro dans le haut du cadre est mani­fes­te­ment acci­den­telle. Certes, elle met à mal la croyance du spec­ta­teur – du moins du spec­ta­teur atten­tif qui la per­çoit –, mais on ne sau­rait qua­li­fier ce moment de « réflexif » (ou d’« auto­ré­flexif ») en cela qu’il n’est pas inten­tion­nel. Dans le même ordre d’idées, on ne sau­rait, non plus, qua­li­fier d’« auto­ré­flexif » les deux autres exemples puisque, même s’ils sont inten­tion­nels, et qu’ils brisent peut-être, mais pour un court temps, la croyance dans la fic­tion, ils sont dié­gé­ti­que­ment moti­vés : les regards sont lan­cés, non à la camé­ra même, mais à l’objectif d’un pho­to­ma­ton dans le pre­mier et au jeune Phi­lippe dans le second. Aus­si nous fau­drait-il ipso fac­to retou­cher notre défi­ni­tion. Serait donc « auto­ré­flexif » (ou réflexif au sens « fort ») tout film – ou tout moment – qui affiche inten­tion­nel­le­ment les traces de l’énonciation même (ou d’une énon­cia­tion non dié­gé­ti­sable), visant un spec­ta­teur à qui il sera rap­pe­lé qu’il est devant un film. En bref, si, jusqu’à main­te­nant, il est pos­sible de déce­ler des traces de réflexi­vi­té dans les films de Robert Lepage, il serait plus dif­fi­cile de sou­te­nir, et même si elles sont anti-illu­sion­nistes, que leur uti­li­sa­tion est moderne.

Y a‑t-il cepen­dant d’autres moments, dans les films – et les films de Lepage y recourent-ils? –, qui pro­voquent ce rap­pel et ce bris d’illusion? Oui. Mais y par­viennent-ils tou­jours en affi­chant (inten­tion­nel­le­ment) l’énonciation même (ou une énon­cia­tion non dié­gé­ti­sable)? Non. Il existe en effet des façons grâce aux­quelles les films peuvent rap­pe­ler au spec­ta­teur qu’il est devant un film et ain­si mettre à mal sa croyance sans que les confi­gu­ra­tions en jeu n’affichent (ne montrent ni ne rendent sen­sible) quelque pièce du dis­po­si­tif énon­cia­tif : « jump cuts », faux rac­cords, écrans frag­men­tés, effets de rem­bo­bi­nage, d’accéléré, de ralen­ti, voire d’arrêt sur image ou de flou­tage, chan­ge­ment dans le grain, paroles incom­pré­hen­sibles ou n’épousant pas tout à fait le mou­ve­ment des lèvres du per­son­nage qui les pro­fère, musique extra­dié­gé­tique se mariant mal avec l’ambiance géné­rée par la scène, etc. Nous pour­rions même ajou­ter à cette énu­mé­ra­tion les films dont le scé­na­rio est mal fice­lé, dont l’intrigue est cou­sue de fil blanc, dont les per­son­nages sont peu cré­dibles, dont les actions sont tirées par les che­veux, dont les finales sont for­cées, ou encore dont l’histoire est invrai­sem­blable ou le monde jon­ché d’anachronismes. Tous ces moyens, tous ces moments, on en convien­dra, peuvent faire « décro­cher » le spec­ta­teur, bri­ser (pour un temps) sa croyance dans la fic­tion, sans que le dis­po­si­tif énon­cia­tif à pro­pre­ment par­ler (camé­ra, micro, décor) n’entre pour­tant en scène.

Gers­ten­korn ouvrait d’ailleurs timi­de­ment la porte à une telle concep­tion, disons plus « géné­rale », de la réflexi­vi­té. N’intégrait-il pas, dans son énu­mé­ra­tion, le « mon­tage court » (p. 8), lequel a plus à voir avec la nar­ra­tion qu’avec l’énonciation? Afin d’attirer notre atten­tion sur son carac­tère fac­tice, arti­fi­ciel, construit, le film peut, non seule­ment affi­cher les traces de son énon­cia­tion, mais aus­si – et nous repre­nons ici le décou­page pro­po­sé par Mieke Bal dans Nar­ra­to­lo­gie. Essais sur la signi­fi­ca­tion nar­ra­tive dans quatre romans modernes (1977) – trois autres types de traces. D’abord, celles de sa nar­ra­tion (qui se marquent dans le dis­cours, sur le sup­port dis­cur­sif, à même le signi­fiant fil­mique : « l’image, le son musi­cal, le son pho­né­tique des “paroles”, le bruit, le tra­cé gra­phique des men­tions écrites » [Ch. Metz, 1971, p. 10]). Ensuite, celles de sa dis­po­si­tion ou de son orga­ni­sa­tion (qui se marquent dans le récit : la façon dont on raconte l’histoire, l’ordre dans lequel on pré­sente les évé­ne­ments, les infor­ma­tions qu’on livre et qu’on retient… sans égard au dis­cours – ciné­ma­to­gra­phique, lit­té­raire, théâ­tral, etc. – grâce auquel on en fait part). Enfin, celles de son inven­tion (qui se marquent dans l’histoire : les évé­ne­ments eux-mêmes, les infor­ma­tions elles-mêmes, sans avoir été mis en forme par le récit, ni pris en charge par le dis­cours). Ce sont ces trois pos­si­bi­li­tés que nous vou­drions insé­rer entre les deux caté­go­ries pro­po­sées par Gers­ten­korn – « réflexi­vi­té ciné­ma­to­gra­phique » et « réflexi­vi­té fil­mique » – et que nous nom­me­rons « réflexi­vi­té artis­tique » en cela qu’elles touchent, non plus le ciné­ma en par­ti­cu­lier, mais tous les arts nar­ra­tifs en géné­ral. (Tableau IV)7.

Tableau IV

Nous nom­me­rons le film qui affiche les traces de sa nar­ra­tion – pour l’opposer aux films « trans­pa­rents » qui, eux, les effacent – « opa­ci­fiant ». Il sera ponc­tué de pro­cé­dés que nous nom­me­rons « déli­néa­ri­sa­tion » (dis­con­ti­nui­té d’un plan à l’autre, par chan­ge­ment de cou­leur, de grain, de rédu­pli­ca­tion, d’ambiance sonore), « hété­ro­gé­néi­sa­tion » (inclu­sion, à l’intérieur d’un même plan, de deux types de cou­leur, de grain, de rédu­pli­ca­tion), « désyn­chro­ni­sa­tion » (faire en sorte que bande-image et bande-son soient déca­lées) et « den­si­fi­ca­tion » (flou­ter l’image ou le son). Nous nom­me­rons le film qui affiche les traces de son orga­ni­sa­tion – pour l’opposer aux films « nar­ra­tifs », c’est-à-dire aux films res­pec­tant les pré­sup­po­sés sur les­quels repose tout récit – « dys­nar­ra­tif ». Il déro­ge­ra aux grandes règles de la nar­ra­ti­vi­té : absence de pro­vo­ca­tion (de péri­pé­tie), de réso­lu­tion ou de sanc­tion (des actions), de trans­for­ma­tion ou de moti­va­tion (des per­son­nages), de pro­gres­sion, etc. Enfin, nous nom­me­rons le film qui affiche les traces de son inven­tion – pour l’opposer aux films « vrai­sem­blables », qui soignent, quant à eux, la cohé­sion de leur uni­vers dié­gé­tique – « invrai­sem­blable », que ces invrai­sem­blances soient idéo­lo­giques, dié­gé­tiques, éco­no­miques, géné­riques ou his­to­riques. Ain­si, pour mettre à mal la croyance dans la fic­tion, pour détour­ner l’attention du monde sur lequel il pré­tend ouvrir – pour être « anti-illu­sion­niste », voire « moderne » –, le film pour­ra être inten­tion­nel­le­ment réflexif au sens « fort » (c’est-à-dire auto­ré­flexif) ou au sens « géné­ral » (c’est-à-dire opaque, dys­nar­ra­tif ou invrai­sem­blable). Il est main­te­nant pos­sible de com­prendre que si la réflexi­vi­té (du moins au sens « faible ») ne brise pas tou­jours l’illusion, la réflexi­vi­té (du moins au sens « fort »), n’est aus­si qu’un moyen par­mi d’autres grâce auquel le film peut la mettre à mal (Tableau V).

Tableau V

Trouve-t-on, dans le ciné­ma de Robert Lepage, des confi­gu­ra­tions opa­ci­fiantes, dys­nar­ra­tives ou invrai­sem­blables qui feraient dès lors de ses films des films anti-illu­sion­nistes et peut-être même modernes? Oui et non. Les pro­cé­dés s’y trouvent. Anti-illu­sion­nistes, ils le sont par­fois. Mais modernes, on peut en dou­ter. En effet, ceux-ci semblent quel­que­fois acci­den­tels (donc anti-illu­sion­nistes sans être modernes) : mau­vaise maî­trise de la nar­ra­tion, de l’organisation ou de l’invention qui peuvent faire décro­cher cer­tains spec­ta­teurs. En revanche, quand on décèle une forme d’intentionnalité, ces pro­cé­dés ne font pour­tant pas décro­cher : ils peuvent être – dié­gé­ti­que­ment, dra­ma­ti­que­ment, sym­bo­li­que­ment – moti­vés. Aus­si conti­nue­rons-nous de sou­te­nir que Robert Lepage est un cinéaste réflexif… et classique.

On trouve dans plu­sieurs de ses films des pro­cé­dés déli­néa­ri­sants qui opa­ci­fient le dis­cours : on passe sciem­ment du noir et blanc à la cou­leur dans  ou dans La Face cachée de la lune, on floute volon­tai­re­ment les images dans Pos­sible Worlds, on change inten­tion­nel­le­ment le grain dans La Face cachée de la lune, on pra­tique consciem­ment des « jump cuts » dans Le Confes­sion­nal et dans . Mais dans tous ces cas, ces pro­cé­dés n’ont pas pour but de nous faire décro­cher, puisqu’ils sont tous jus­ti­fiables : on passe d’un lieu à un autre ou d’un temps à un autre, on passe d’un uni­vers (réel) à un autre (rêvé), on pré­sente des images d’archives, on signi­fie la rapi­di­té des expli­ca­tions ou la rudesse des actions, etc. Bref, ces pro­cé­dés par­ti­cipent au film.

Effec­tue-t-on, en revanche, des entorses au récit (manque de pro­gres­sion, de réso­lu­tion, de trans­for­ma­tion, etc.) et ponc­tue-t-on les his­toires d’invraisemblances dif­fi­ci­le­ment jus­ti­fiables? Oui. Dans La Face cachée de la lune, le « noyau » ouvert (comme dirait Barthes) par la thèse du per­son­nage prin­ci­pal ne se referme jamais (à quoi a‑t-elle ser­vi?); la dis­cus­sion télé­pho­nique qu’il a avec une ancienne amie marque une absence de pro­gres­sion (en quoi est-elle néces­saire?); son étour­de­rie (il réus­sit enfin à se rendre en Rus­sie pour le ren­dez-vous le plus impor­tant de sa vie… et il oublie d’ajuster l’heure!) et l’inconséquence de son frère (il dit être aller­gique au pois­son, mais pro­pose tout de même d’aller man­ger des sushis) manquent de vrai­sem­blance. Cepen­dant, bien qu’anti-illusionnistes, ces moments ne sont pas modernes en ce qu’ils sont mani­fes­te­ment le fruit de quelques mal­adresses scé­na­ris­tiques, non d’une volon­té affir­mée de bri­ser l’illusion.

Il ne nous reste main­te­nant qu’à explo­rer l’autre ver­sant de la typo­lo­gie de Gers­ten­korn, consti­tué de la « réflexi­vi­té fil­mique », laquelle per­met­tra d’ajouter deux autres sens à la réflexi­vi­té, de nom­mer deux autres pos­si­bi­li­tés offertes au film pour effec­tuer un « retour sur soi ». Gers­ten­korn défi­nit, dans un second temps, la « réflexi­vi­té fil­mique », caté­go­rie qu’il sub­di­vise en « réflexi­vi­té hété­ro­fil­mique », laquelle consiste en dif­fé­rents « jeux de miroir qu’un film est sus­cep­tible d’entretenir […] avec les autres films » (p. 9, nous soul.), et en « réflexi­vi­té homo­fil­mique », laquelle consiste en dif­fé­rents « jeux de miroir qu’un film est sus­cep­tible d’entretenir […] avec lui-même » (ibid., nous soul.).

Pour exem­pli­fier les cas de « réflexi­vi­té hété­ro­fil­mique », il évoque le « clin d’œil » et le « remake », à quoi il ajou­te­ra sans tar­der la « cita­tion », l’« hom­mage » et la « paro­die » (ibid.). Or, à vou­loir clas­ser tous les types de ren­vois ren­con­trés, cette énu­mé­ra­tion s’est rapi­de­ment mon­trée insuf­fi­sante. Ins­pi­ré par les tra­vaux de Sébas­tien Babeux (De la cita­tion à l’interférence. Croi­se­ments dans le film contem­po­rain, U. de Mont­réal, 2004), nous pour­rions, là encore, opé­rer une sub­di­vi­sion à cette sous-caté­go­rie. Il fau­drait par­ler de « ren­vois concrets » (caté­go­rie à l’intérieur de laquelle se retrouvent les cita­tions, les hom­mages, les paro­dies, les clins d’œil et les remakes, mais aus­si les allu­sions, les réfé­rences et les pla­giats) et de « ren­vois non concrets » (caté­go­rie à l’intérieur de laquelle se retrouvent les lieux com­muns, les cli­chés, les pas­tiches et ce que Babeux bap­tise les inter­fé­rences, liens non inten­tion­nels, mais tout de même effec­tués entre deux films, par un spec­ta­teur qu’on pour­rait nom­mer « sur-com­pé­tent »). Ces dif­fé­rents ren­vois d’un film à un autre – peu importe leur moda­li­té – repré­sentent donc une autre façon grâce à laquelle le film marque son appar­te­nance au ciné­ma et effec­tue un « retour sur soi », mais risquent aus­si, fort pro­ba­ble­ment, de détour­ner légè­re­ment l’attention du spec­ta­teur sagace – qui per­ce­vra le ren­voi –, du monde sur lequel ouvre le film. En cela, un film sera « moderne ».

Pour exem­pli­fier ensuite les cas de « réflexi­vi­té homo­fil­mique », Gers­ten­korn parle du film qui « se réflé­chit lui-même » (p. 9) et évoque ces « fameuses com­po­si­tions en abyme » (p. 10, nous soul.). Il n’en fal­lait pas plus pour ins­crire dans cette case de sa typo­lo­gie, une autre typo­lo­gie, celle que Lucien Däl­len­bach a écha­fau­dée pour rendre compte des « récits spé­cu­laires ». Rap­pe­lant que l’expression « mise en abyme » a d’abord été emprun­tée, par André Gide, à l’art héral­dique, Däl­len­bach pré­cise com­ment le roman­cier par­lait de ces « petit[s] miroir[s] » que l’on retrou­vait dans cer­taines œuvres et qui réflé­chis­saient « à l’échelle des per­son­nages, le sujet même de [l’]œuvre » (1977, p. 15, nous soul.). Gide com­pa­rait ce pro­cé­dé à celui « du bla­son qui consiste, dans le pre­mier, à en mettre un second “en abyme” », c’est-à-dire « au centre » (ibid.). L’« abyme », résu­mait le roman­cier, c’est « le cœur de l’écu » (p. 17). C’est ain­si que Däl­len­bach pose sa pre­mière défi­ni­tion : « est mise en abyme toute enclave entre­te­nant une rela­tion de simi­li­tude avec l’œuvre qui la contient » (p. 18).

Par­cou­rant ensuite les ouvrages ayant por­té sur la ques­tion, il remarque que plu­sieurs « auteurs confon­daient sous un terme unique des réa­li­tés dis­tinctes » (p. 59) et sou­tient que la mise en abyme pour­ra les incar­ner toutes les trois « sans jamais ces­ser de res­ter une » (p. 52). Il pro­pose alors de par­ler – et c’est le prin­ci­pal apport de sa recherche – de trois « types » de mise en abyme : celle-ci sera « simple » quand le « frag­ment [emboî­té] entretien[dra] avec l’œuvre qui l’inclut un rap­port de simi­li­tude » (p. 51), elle sera « infi­nie » quand le « frag­ment [emboî­té] entretien[dra] avec l’œuvre qui l’inclut un rap­port de simi­li­tude et […] enchâsse[ra] lui-même un frag­ment qui…, et ain­si de suite » (ibid.) et elle sera « apo­ris­tique » – ou peut-être fau­drait-il dire « apo­ré­tique » – quand le « frag­ment [emboî­té sera] cen­sé inclure l’œuvre qui l’inclut » (ibid.).

Au terme de ce sur­vol, Däl­len­bach refor­mule sa défi­ni­tion (défi­ni­tion que nous refor­mu­lons à notre tour pour des besoins de clar­té tout en res­pec­tant scru­pu­leu­se­ment la pen­sée de l’auteur) : « est mise en abyme tout miroir interne [ou toute œuvre emboî­tée] réflé­chis­sant [un aspect] du récit [ou de l’œuvre emboî­tante] par rédu­pli­ca­tion simple, [infi­nie] ou [apo­ré­tique] » (p. 52, nous soul.). Offrons le tableau sui­vant, dont les illus­tra­tions sont de nous (Tableau VI).

Tableau VI

Däl­len­bach insiste enfin sur ceci que, peu importe le type, toutes les mises en abyme pos­sèdent deux « pré­di­cats essen­tiels » (p. 60) : elles seront toutes « intra-dié­gé­tiques » (ou « emboî­tées »)… et « réflexives ». Ain­si, puisque « la racine com­mune de toutes les mises en abyme [est] la notion de réflexi­vi­té » (p. 60, l’aut. soul.), que la mise en abyme contient, dans sa défi­ni­tion même, la notion de réflexi­vi­té – qui lui est inhé­rente ou intrin­sèque –, nous pro­po­sons de par­ler, pour nom­mer ce sens-ci, de sens « étroit ». Par sou­ci de cohé­sion, nous par­le­rons, pour nom­mer les films offrant des jeux de miroir avec d’autres films, de sens « large » (Tableau VII). On remar­que­ra aus­si que, dans cette typo­lo­gie (qui consti­tue l’aboutissement de notre explo­ra­tion), nous avons ins­crit, au bas, les termes avec les­quels ces divers sens peuvent se confondre.

Tableau VII

Le pre­mier film auquel nous pen­sons pour illus­trer ce cas de « réflexi­vi­té fil­mique » est évi­dem­ment Le Confes­sion­nal. D’une part, une bonne par­tie du film ren­voie au film de Hit­ch­cock, I Confess, notam­ment en le citant (inter­tex­tua­li­té), d’autre part, ce film dans le film est aus­si une mise en abyme, en cela qu’il réflé­chit un aspect essen­tiel, cen­tral, du film lui-même : la « loi du silence » (spé­cu­la­ri­té). Mais explo­rons main­te­nant plus avant, dans les films de Lepage, cha­cune de ces deux der­nières pos­si­bi­li­tés : la réflexi­vi­té « homo­fil­mique » (sens « étroit ») et la réflexi­vi­té « hété­ro­fil­mique » (sens « large »).

Explo­rons d’abord la réflexi­vi­té homo­fil­mique (réflexi­vi­té au sens « étroit » : mise en abyme). Outre le film (de Hit­ch­cock) dans le film (de Lepage), il se trouve aus­si, à la fin du Confes­sion­nal, une autre mise en abyme, ver­bale cette fois. Quand le chauf­feur (Fran­çois Papi­neau) ramène le cinéaste en voi­ture, il lui raconte une his­toire qui réflé­chit l’histoire du film. Dans , la scène de Fey­deau (jouée au début du film) annonce la scène de l’« amant dans le pla­card » (qui se « joue­ra », et pour vrai, plus tard dans le film). Mais les télé­vi­seurs qui meublent ces deux films tiennent éga­le­ment lieu de mise en abyme en cela que, ceux que l’on trouve dans le sau­na du Confes­sion­nal réflé­chissent le monde homo­sexuel dans lequel se retrouve Pierre (Lothaire Blu­teau) et que celui que l’on trouve dans le salon des deux pro­ta­go­nistes de  per­met au jeune couple (Alexis Mar­tin et Anne-Marie Cadieux) de faire des liens entre l’échec du réfé­ren­dum de 1980 et la famille qu’il leur reste à fon­der. Bref, les mises en abyme sont mul­tiples chez Lepage, mais, là encore, leur usage n’est pas for­cé­ment moderne : il ne cherche ni à nous rap­pe­ler que nous sommes devant un film, ni à bri­ser notre croyance dans la fiction.

Un exemple – un seul – de mise en abyme « moderne » (c’est-à-dire rom­pant l’illusion) se trouve tou­te­fois (mais subrep­ti­ce­ment) dans  : alors que Fran­çois-Xavier (Éric Ber­nier) cherche Sophie (Anne-Marie Cadieux) lors de la fête japo­naise, il passe devant un ensemble de télé­vi­seurs fai­sant défi­ler des images pit­to­resques du Qué­bec, dont celle du bon­homme Car­na­val, figé dans une posi­tion toute sem­blable à celle qu’adopte le jeune amant décon­fit. Là, l’ostentation avec laquelle la confi­gu­ra­tion se pré­sente cherche sans doute, en sus­ci­tant le rire, à pro­vo­quer une légère distanciation.

Explo­rons ensuite la réflexi­vi­té hété­ro­fil­mique (réflexi­vi­té au sens « large » : inter­tex­tua­li­té). Outre la « cita­tion » de I Confess (c’est-à-dire la pré­sence, concrète, du film dans le film), Le Confes­sion­nal contient aus­si un « clin d’œil » (voire une « allu­sion ») à ce même film, notam­ment dans la façon dont il pré­sente le Châ­teau Fron­te­nac, fil­mé sous le même angle que celui par lequel Hit­ch­cock ouvrait son film. Mais Le Confes­sion­nal est aus­si ponc­tué de ren­vois moins appa­rents et plus dif­fus à d’autres films du Maître, dont Psy­cho (1960) : le gros plan sur le tuyau d’évacuation du lava­bo dans lequel Pierre net­toie ses pin­ceaux rap­pelle celui de la douche dans laquelle Marion Crane (Janet Leigh) se vide de son sang; la façon dont on filme l’assistante (Kris­tin Scott Tho­mas) au volant de sa voi­ture rap­pelle la façon dont Hit­ch­cock fil­mait la fuite de Marion; même le motel ou la cuvette de toi­lette ren­voient aus­si, à leur façon, à Psy­cho. En ce sens, Le Confes­sion­nal est réflexif et moderne. Mais fau­drait-il aus­si consi­dé­rer comme une « allu­sion » – à Ver­ti­go (1958) cette fois – la façon dont Lepage filme, à deux reprises, la cage d’escalier? À moins que ce ne soit là qu’un « lieu com­mun » (com­bien de films ont fil­mé la cage ain­si!), auquel cas il res­te­rait bien classique.

Nous pour­rions aus­si trou­ver des ren­vois dans d’autres films de Lepage, les­quels mar­que­raient ain­si l’appartenance de ses films au ciné­ma en géné­ral, et éveille­raient chez le spec­ta­teur (com­pé­tent) la conscience d’être devant un film. Le moment où, dans , Patri­cia (Marie Gignac) sur­prend son mari (Richard Fré­chette) dans le pla­card de Sophie (Anne-Marie Cadieux) ne ren­ver­rait-il pas, dès le moment où les per­son­nages se retrouvent sou­dai­ne­ment sur une scène, à une scène sem­blable du Charme dis­cret de la bour­geoi­sie (Luis Buñuel, 1972)? Et la scène du jeu d’échecs dans Le Confes­sion­nal ne ren­ver­rait-elle pas à une scène sem­blable ponc­tuant deux wes­terns-spa­ghet­tis : C’è Sar­ta­na… ven­di la pis­to­la e com­pra­ti la bara (Giu­lia­no Car­ni­meo, 1970) et Il grande duel­lo (Gian­car­lo San­ti, 1972)? Il faut tou­te­fois se deman­der si ces ren­vois sont « concrets » (et donc inten­tion­nels) ou s’ils ne sont pas plu­tôt le fruit de l’imagination débri­dée d’un spec­ta­teur sur-com­pé­tent (« non-concrets », et donc acci­den­tels), auquel cas, les films, bien que réflexifs, seraient tou­jours classiques.

Notre tour d’horizon est-il main­te­nant com­plet? Avons-nous pas­sé en revue – et exem­pli­fié – tous les sens pos­sibles? Gers­ten­korn lui-même recon­nais­sait, à la déro­bée, la pos­si­bi­li­té de par­ler d’un der­nier sens : la réflexi­vi­té au sens « méta­pho­rique ». Il évo­quait, en fait, des « méta­phores réflexives » et citait, en note, « le cas de Fenêtre sur cour d’Alfred Hit­ch­cock [qui] est rela­ti­ve­ment clair et [dont] la méta­phore [est] déli­bé­rée » (p. 10, nous soul.).

Sa pro­po­si­tion n’allait cepen­dant pas plus loin8. En somme, nous pour­rions dire que tout per­son­nage assis, regar­dant par une fenêtre, témoin d’une action sur laquelle il n’a pas prise, uti­li­sant des moyens de cap­ta­tion ou de pro­jec­tion (jumelle, téles­cope, appa­reil pho­to, pro­jec­teur de dia­po­si­tives) ren­ver­rait, indi­rec­te­ment, au spec­ta­teur lui-même, assis, pas­sif, impuis­sant. Cette der­nière pos­si­bi­li­té, on le pressent, ouvre la porte à tout un jeu, invi­tant le spec­ta­teur à déce­ler ce qui se rap­proche de près ou de loin du dis­po­si­tif de pro­duc­tion (camé­ra, micro, décor) et de celui de la récep­tion (salle, écran, spec­ta­teur), puis à jus­ti­fier les rap­pro­che­ments qu’il effectuera.

Quelques moments, chez Lepage, per­met­traient d’illustrer cette réflexi­vi­té au sens « méta­pho­rique ». D’une part, rap­pe­lons com­ment tout l’épisode fel­quiste, dans , est fil­mé à tra­vers des fenêtres, évo­quant le cadre d’un écran de ciné­ma, voire d’un télé­vi­seur (comme si ce moment sombre de notre his­toire ne pou­vait être abor­dé autre­ment que par une média­tion, voire une média­ti­sa­tion). D’autre part, rap­pe­lons aus­si com­ment, dans Le Confes­sion­nal, Pierre tente inlas­sa­ble­ment d’effacer les traces de son pas­sé en pei­gnant sans relâche le mur de son appar­te­ment, tan­tôt en bleu, tan­tôt en vert (ce qui ne serait pas sans évo­quer le fameux « green screen » ou « blue screen » grâce aux­quels un cinéaste peut inté­grer dans son film, après le tour­nage, toutes les images souhaitées).

Ce sens « méta­pho­rique » rap­pelle-t-il for­cé­ment au spec­ta­teur qu’il est devant un film, brise-t-il inévi­ta­ble­ment sa croyance dans la fic­tion? Il risque, en effet, de faire décro­cher le spec­ta­teur com­pé­tent, en cela que celui-ci y per­ce­vra un ren­voi au dis­po­si­tif énon­cia­tif. Mais ce même spec­ta­teur pour­ra tout aus­si bien, étant don­né sa com­pé­tence, réin­té­grer la fic­tion en inter­pré­tant cette confi­gu­ra­tion, en lui prê­tant un sens, en en jus­ti­fiant la pré­sence. Dès lors, elle per­dra un peu de sa moder­ni­té pour rede­ve­nir classique.

Bref, le ciné­ma de Robert Lepage est sans nul doute réflexif, et ce, dans tous les sens recen­sés ici : « propre », « figu­ré », « phi­lo­so­phique », « englo­bant », « faible », « fort », « géné­ral », « étroit », « large » et « méta­pho­rique ». Mais cette réflexi­vi­té, même quand elle brise la croyance, même quand elle est anti-illu­sion­niste, n’est qu’à de rares moments, moderne. Rare­ment, chez Lepage, on cherche à signi­fier inten­tion­nel­le­ment le fait de faire du ciné­ma afin de bri­ser la croyance du spec­ta­teur, voire de sus­ci­ter une dis­tan­cia­tion cri­tique qui lui per­met­trait de réflé­chir au ciné­ma. Fort des dis­tinc­tions pro­po­sées ici, il serait inté­res­sant qu’une sem­blable recherche porte sur l’ensemble de son œuvre théâ­trale. On pour­rait dès lors dire en quoi Robert Lepage est un dra­ma­turge moderne… et peut-être réflexif.

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Notice biographique

Jean-Marc Limoges est titu­laire d’une maî­trise en Études fran­çaises (Uni­ver­si­té de Mont­réal) et d’un doc­to­rat en Lit­té­ra­ture et arts de la scène et de l’écran (Uni­ver­si­té Laval). Il s’intéresse à la réflexi­vi­té, à la mise en abyme et à la méta­lepse ain­si qu’aux ques­tions de nar­ra­tion, de foca­li­sa­tion et d’ocularisation au ciné­ma. Ses recherches ont été pré­sen­tées sous forme d’articles (Cahiers de nar­ra­to­lo­gieCiné­ma & CieCiner­gieSyn-thèseTex­ti­mageHumo­resquesArti­fice) et de com­mu­ni­ca­tions (au Cana­da, aux États-Unis, en Argen­tine, en France, en Suisse, en Autriche). Il enseigne la lit­té­ra­ture et le ciné­ma au cégep et à l’université. Il est rédac­teur pour Pano­ra­ma-Ciné­ma et Liber­té.


  1. Voir M. Bal (1978, p. 116 et 118), Ch. Metz (1991, p. 94), A. Dere­metz (1995, p. 7), L. Däl­len­bach (1997, p. 11), Ch. Genin (1998, p. 7–10), T. Unwin (2000, p. 5), M. Ceri­sue­lo (2001, p. 18–21 et 75), D. Mel­lier (2001, p. 17), M.-T. Jour­not (2003, p. 53–54), S. Badir et E. Mou­ra­ti­dou (2010, p. 12).
  2. Voir, de Sémir Badir et d’Eleni Mou­ra­ti­dou, l’« Intro­duc­tion » (p. 8) à la revue MethIS. Éten­dues de la réflexi­vi­té (2010) et, dans le même numé­ro, l’article « Vers une typo­lo­gie de la réflexi­vi­té » de Laurent Demou­lin (p. 51). Voir aus­si, de Timo­thy Unwin, l’ouvrage Textes réflé­chis­sants. Réa­lisme et réflexi­vi­té au dix-neu­vième siècle (2000, p. 7).
  3. Voir B. Mor­ris­sette (1971, p. 126), L. Däl­len­bach (1977, p. 60, n. 1), P. Ricœur (1984, p. 38), P. Bour­dieu (1998, p. 398), Ch. Genin (1998, p. 9), T. Unwin (2000, p. 5), D. Mel­lier (2001, p. 17), S. Badir et E. Mou­ra­ti­dou (2012, p. 8).
  4. Il redi­ra que, dans le méta­film, il y a « la repré­sen­ta­tion des agents de la pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique » (p. 108, l’aut. soul.) et que « le spec­tacle ciné­ma­to­gra­phique […] y est pré­sen­té par ses deux côtés, le tour­nage et la pro­jec­tion » (p. 109, l’aut. soul.), mais aus­si que le méta­film pré­sente « la pro­duc­tion d’un état ou bilan docu­men­taire qui concerne l’époque contem­po­raine du film […] ou un moment déter­mi­né […] de l’histoire du ciné­ma » (p. 108), tout en ajou­tant que le méta­film « offre le spec­tacle d’une “lutte à mort” entre deux concep­tions du sep­tième art » : « le muet ver­sus le par­lant », « le ciné­ma des stu­dios et la fin de ce para­digme », « comique vs dra­ma­tique », etc.
  5. Voir Fr. Jost (1987, p. 31–32; 1998, p. 35), Fr. Caset­ti (1990, p. 40), Ch. Metz (1991, p. 12), Fr. Jost et A. Gau­dreault (1991, p. 44), Fr. Jost (1998, p. 35).
  6. METZ, Chris­tian, L’énonciation imper­son­nelle ou le site du film, p. 20 (n. 27). M. Take­da nous a d’ailleurs lui-même éclai­ré quant à l’utilisation de ces deux termes. Dans une lettre datée du 10 décembre 2005, il nous disait : « D’abord, en ce qui concerne la ter­mi­no­lo­gie, je ne pense pas qu’il y eût – du moins à l’époque où je rédi­geais ma thèse – une dis­tinc­tion expli­cite entre les deux termes, avec ou sans le pré­fixe “auto-”. Je me sou­viens qu’au sémi­naire de Metz, on disait soit “réflexi­vi­té”, soit “auto-réflexi­vi­té”, pour dési­gner com­mu­né­ment cet effet de remise en cause du dis­po­si­tif ciné­ma­to­gra­phique. […] Disons donc que, du moins, à l’aube de la pro­blé­ma­tique de la réflexi­vi­té au ciné­ma, la pré­sence ou l’absence du pré­fixe n’était pas for­cé­ment per­ti­nente, et qu’avec les déve­lop­pe­ments ulté­rieurs de recherches, on a opté pour le terme sans le pré­fixe. Par contre, en ce qui concerne la dis­tinc­tion entre deux niveaux de la réflexi­vi­té, à savoir la réflexi­vi­té qui joue au niveau de l’énoncé et celle qui joue au niveau de l’énonciation, il est évident que leur dis­tinc­tion est capi­tale pour sai­sir la véri­table por­tée de cette notion. »
  7. On remar­que­ra que ce sens « géné­ral », en zone ombra­gée, « déborde » sur la réflexi­vi­té ciné­ma­to­gra­phique. C’est que le « dis­cours » est évi­dem­ment propre à chaque art (le ciné­ma s’exprime par des moyens qui lui sont propres et qui sont dif­fé­rents de ceux grâce aux­quels s’expriment la lit­té­ra­ture, le théâtre). Cepen­dant, puisqu’il est de mise de par­ler essen­tiel­le­ment de l’énonciation quand on parle de réflexi­vi­té, il nous a sem­blé judi­cieux d’inscrire les phé­no­mènes qui touchent la nar­ra­tion sous la « réflexi­vi­té ciné­ma­to­gra­phique », tout en leur don­nant un sens « géné­ral », qui empêche de bri­ser la triade cano­nique discours/récit/histoire.
  8. Néan­moins, l’exemple de Rear Win­dow se retrouve sous la plume d’autres théo­ri­ciens. Pour Robert Stam, ce film « sou­ligne constam­ment, par ana­lo­gie, l’abus voyeu­riste que pro­pose si sou­vent le ciné­ma » (p. 46, nous soul.) et nous montre la trans­for­ma­tion d’un per­son­nage qui est aus­si « une “allé­go­rie” de la trans­for­ma­tion engen­drée chez le spec­ta­teur » (p. 55, nous soul.); Domi­nique Blü­her évo­quait elle aus­si l’« allé­go­rie du ciné­ma » (p. 4, nous soul.). Chris­tian Metz pen­sait quant à lui aux « traces qui choi­sissent la voie de la sym­bo­li­sa­tion [et] qui tra­duisent par des méta­phores obsé­dantes ce qui régit le texte » (p. 57, nous soul.), tan­dis que Fran­ces­co Cas­set­ti énu­mé­rait pour sa part les « traces qui choi­sissent la voie de la sym­bo­li­sa­tion (comme cer­taines inser­tions récur­rentes – miroir, fenêtre, œil – qui tra­duisent par des méta­phores obsé­dantes ce qui régit le texte) » (p. 57, nous soul.).