Écrire l’histoire des pratiques féministes en vidéo légère : l’exemple du collectif Vidéo Femmes (1973–2015)

Julia Minne


Résu­mé
Depuis la mon­tée du mou­ve­ment #Moiaus­si en 2017, les ins­ti­tu­tions ciné­ma­to­gra­phiques à voca­tion « patri­mo­niales » se sont mobi­li­sées pour valo­ri­ser leurs col­lec­tions autour des cinéastes et vidéastes fémi­nistes. Aujourd’hui, un état des lieux des col­lec­tions vidéo nous per­met de consta­ter l’importance des fonds d’archives consa­crés aux enjeux fémi­nistes à Mont­réal. En revanche, que connais­sons-nous des pra­tiques vidéo­gra­phiques fémi­nistes déve­lop­pées dans le reste du Qué­bec ? La rare­té des sources nous incite à nous pen­cher sur le sujet en pre­nant un exemple pré­cis. Dès 1973, la ville de Qué­bec fut témoin de l’émergence d’un col­lec­tif fémi­niste impor­tant, qui exis­ta pen­dant plus de qua­rante années. Dans une pers­pec­tive his­to­rio­gra­phique, le pré­sent article pro­pose de s’interroger sur les débuts du médium vidéo et de retrans­crire les pre­mières années d’un col­lec­tif fémi­niste peu explo­ré : Vidéo Femmes.

Sum­ma­ry
Since the rise of the # Metoo* move­ment in 2017, film ins­ti­tu­tions with a “heri­tage” voca­tion have mobi­li­zed to pro­mote their col­lec­tions with regard to femi­nist film­ma­kers and video­gra­phers. Today, an inven­to­ry of video col­lec­tions allows us to see the impor­tance of the archives dedi­ca­ted to femi­nist issues in Mon­treal. On the other hand, what do we know about femi­nist video­gra­phic prac­tices deve­lo­ped in the rest of Que­bec? The scar­ci­ty of sources makes us think about the sub­ject by taking a spe­ci­fic example. As ear­ly as 1973, Que­bec City wit­nes­sed the emer­gence of a major femi­nist col­lec­tive that exis­ted for more than for­ty years. Through a his­to­rio­gra­phi­cal pers­pec­tive, this article pro­poses to ques­tion the begin­nings of the video medium and to trans­cribe the first years of a femi­nist col­lec­tive that has been lit­tle explo­red: Vidéo Femmes.


Restituer un historique des pratiques vidéographiques

Les débuts de la vidéo légère au Qué­bec consti­tuent un nou­veau champ d’investigation dans l’histoire des dis­po­si­tifs1 des images en mou­ve­ment. L’appellation « vidéo légère » fait réfé­rence à une évo­lu­tion tech­nique basée sur un sys­tème d’enregistrement dit « plus léger » et sur l’utilisation « d’un maté­riel finan­ciè­re­ment acces­sible aux ama­teurs »2. Cette his­toire, de nature com­plexe, ouvre la voie à de nom­breuses pistes de recherche. Au début des années 1970, la vidéo légère est consi­dé­rée comme un « ins­tru­ment », à la fois témoin et acteur d’une époque riche sur les plans his­to­rique, cultu­rel et artis­tique. C’est un outil dont les uti­li­sa­tions sont par­ti­cu­liè­re­ment variées. À l’origine, ses usages oscil­lent « entre art et com­mu­ni­ca­tion »3. L’hybridité de ces pra­tiques peut s’expliquer par la diver­si­té des modes d’appropriation de cette tech­no­lo­gie. Le sta­tut de ces vidéos reste dif­fi­cile à défi­nir. Pour des rai­sons artis­tiques et poli­tiques, certain.e.s vidéastes sou­haitent s’émanciper de la sphère ciné­ma­to­gra­phique, jugée condes­cen­dante à l’égard des praticienn.e.s et trop hié­rar­chi­sée. Il est donc essen­tiel de défi­nir les termes employés dans cet article. Nous uti­li­se­rons l’appellation « une vidéo » pour par­ler des conte­nus pro­duits sur sup­port ana­lo­gique et « un film » pour dési­gner une pro­duc­tion argen­tique qui a poten­tiel­le­ment été pen­sée et conçue par l’artiste selon les codes ciné­ma­to­gra­phiques4. Ces appel­la­tions n’ont pas pour objec­tif d’opérer une hié­rar­chie entre les sup­ports, mais de reflé­ter le contexte his­to­rique dans lequel se situe la vidéo légère. Nous ne nous inté­res­se­rons pas ici à des conte­nus tour­nés sur sup­port numé­rique ; ceux-ci contri­buent de toute façon à sup­pri­mer la dicho­to­mie archaïque entre le ciné­ma et la vidéo.

Sur les traces de la vidéo féministe québécoise…

L’essor du ciné­ma direct dans les années 1960 au Qué­bec a don­né nais­sance à de nom­breuses pra­tiques ciné­ma­to­gra­phiques qu’il est aujourd’hui dif­fi­cile de clas­si­fier, tant les approches esthé­tiques se confondent entre la fic­tion, le docu­men­taire et l’essai. Par­mi celles-ci, les débuts de la vidéo légère sont asso­ciés au pro­gramme « Chal­lenge for Change/Société Nou­velle » de l’Office natio­nal du film, à Mont­réal. Une des pre­mières réa­li­sa­tions, Opé­ra­tion boule de neige, en 1969, réunit deux réa­li­sa­trices, Doro­thy Todd Hénaut et Bon­nie Sherr Klein. Cette réa­li­sa­tion, annon­cia­trice du mou­ve­ment de la vidéo d’intervention sociale et poli­tique5 montre les luttes de la popu­la­tion du quar­tier Saint-Jacques afin d’avoir accès à des soins de san­té. La vidéo est très rapi­de­ment uti­li­sée par les col­lec­tifs mont­réa­lais enga­gés et accom­pagne de nom­breuses luttes poli­tiques de la Révo­lu­tion tranquille.

Bien que ce cor­pus vidéo­gra­phique fémi­niste soit impor­tant, le monde de la recherche a très peu por­té atten­tion à ces objets, et il a sur­tout contri­bué à opé­rer une dis­tinc­tion entre la vidéo d’art et la vidéo enga­gée. Nous consta­tons que les éloges cri­tiques et his­to­riques sont attri­bués la plu­part du temps aux œuvres pro­duites dans le champ de l’art vidéo. Ce cloi­son­ne­ment entre les genres per­pé­tue l’invisibilisation de cer­taines pra­tiques hybrides. Cepen­dant, dès les années 1980, deux évé­ne­ments cultu­rels ont per­mis de valo­ri­ser cette col­lec­tion mar­gi­na­li­sée et s’imposent comme des res­sources essen­tielles pour toute recherche por­tant sur l’histoire de la vidéo fémi­niste québécoise.

Andrée Duchaîne orga­nise en 1982 l’exposition6 Vidéo du Qué­bec, au Musée d’art contem­po­rain de Mont­réal. Cette expo­si­tion col­lec­tive a pour objec­tif de regrou­per des struc­tures variées dans les­quelles étaient pro­duites de la vidéo entre 1967 et 1981. Le cata­logue d’exposition nous donne des infor­ma­tions sur la démarche de la commissaire :

Notre his­to­rique évi­te­ra de reprendre le dis­cours dicho­to­mique dépas­sé et non per­ti­nent qui oppose la vidéo docu­men­taire à la vidéo d’art. Nous sou­le­vons des inter­ro­ga­tions sur la vidéo comme outil, mais nous ne remet­tons pas en ques­tion la place qu’occupent ces deux écoles dans le domaine des arts. (Duchaîne, 1982, p. 5)

Cette approche avant-gar­diste nous pro­pose un his­to­rique pré­cis des pre­miers col­lec­tifs du Qué­bec. Pour autant, les infor­ma­tions rela­tées autour des vidéastes fémi­nistes demeurent partielles.

Nous retrou­vons dans ce cor­pus quelques-uns des groupes fémi­nistes incon­tour­nables comme le Groupe Inter­ven­tion Vidéo (GIV), fon­dé en 1975 par des réa­li­sa­trices et réa­li­sa­teurs indépendant.e.s. La mis­sion de ce groupe consiste à sou­te­nir les luttes popu­laires et à assu­rer la dis­tri­bu­tion des pro­duc­tions. Dans les années 1980, la ges­tion du col­lec­tif est assu­rée uni­que­ment par des femmes, telles qu’Albanie Morin, Diane Poi­tras, Nicole Hubert et Nan­cy Mar­cotte. Suite à cette réor­ga­ni­sa­tion, celles-ci décident de pro­duire et de dis­tri­buer des vidéos uni­que­ment réa­li­sées par des femmes. Une majo­ri­té des réa­li­sa­tions de ce col­lec­tif emprunte au genre docu­men­taire, mais elles ne peuvent être sim­ple­ment caté­go­ri­sées comme tel. En effet, elles mélangent des formes dif­fé­rentes proches de l’essai et de l’expérimentation. Nous pou­vons prendre par exemple Femmes de rêve de Louise Gen­dron (1979). Rele­vant de la tech­nique du « found foo­tage », cette vidéo de 9 minutes assemble un mon­tage de publi­ci­tés sexistes que la vidéaste dénonce avec humour. Actuel­le­ment, le cata­logue de dis­tri­bu­tion du Groupe Inter­ven­tion Vidéo com­prend « 1460 œuvres regrou­pant le tra­vail de 370 artistes »7.

La dif­fi­cul­té à res­ti­tuer l’histoire de ces col­lec­tifs fémi­nistes pro­vient du fait que la plu­part des docu­ments audio­vi­suels sont dif­fi­ci­le­ment acces­sibles. S’ajoute une réelle absence de com­men­taires et d’analyses des œuvres. L’implication des réa­li­sa­trices dans la ten­ta­tive d’historicisation est alors plus qu’importante. Grâce à la pra­tique des entre­tiens oraux, nous pou­vons désor­mais pal­lier le manque de res­sources. Au-delà même de leur par­ti­ci­pa­tion à ces entre­tiens, les réa­li­sa­trices ont depuis long­temps conser­vé leurs propres archives. Cette tra­di­tion de l’auto-archivage est à prendre en consi­dé­ra­tion si l’on désire tra­vailler sur l’histoire des femmes. De plus, la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise, la Biblio­thèque et Archives natio­nales du Qué­bec et l’Office natio­nal du film tra­vaillent depuis plu­sieurs années à rendre ces cor­pus acces­sibles et gra­tuits. Quand ils existent encore, les dis­tri­bu­teurs des vidéos deviennent des acteurs de trans­mis­sion essen­tiels. Ils pos­sèdent encore des archives et don­nées inté­res­santes pour docu­men­ter l’histoire de ces vidéos. Des pla­te­formes ain­si que des ser­vices de vidéo à la demande sont pro­po­sés aux inter­nautes afin de valo­ri­ser les conte­nus de leurs cata­logues mais ceux-ci res­tent sur une base d’abonnement, ne per­met­tant pas la cir­cu­la­tion des don­nées.8 L’accès et la trans­mis­sion de ces res­sources consti­tue­raient donc un point de départ pour com­men­cer à docu­men­ter plus lar­ge­ment ces objets. Notons tou­te­fois qu’un bon nombre de ces sup­ports res­tent encore à numé­ri­ser.9

Un autre évè­ne­ment cultu­rel reste incon­tour­nable pour contex­tua­li­ser ces pra­tiques. Il s’agit de la «Semaine de la vidéo fémi­niste qué­bé­coise», une pro­gram­ma­tion orga­ni­sée en 1982 par Chris­tine Ross au Musée d’art contem­po­rain de Mont­réal, dans le cadre de l’exposition Art et fémi­nisme10. La com­mis­saire dit à ce propos :

Les recherches menées pen­dant l’été 1981 dans le cadre de l’exposition Art et fémi­nisme, afin de retra­cer les réa­li­sa­tions fémi­nistes qué­bé­coises, nous ont per­mis de consta­ter qu’un pour­cen­tage éle­vé de femmes a choi­si la vidéo comme moyen d’expression de leur vision fémi­niste. Cette consta­ta­tion nous a por­té à conclure à la néces­si­té de tenir une « Semaine de la vidéo fémi­niste qué­bé­coise ». (Ross, 1982)

Ce pré­cieux docu­ment d’archive recense une sélec­tion inté­res­sante de plu­sieurs bandes vidéo fémi­nistes. Des œuvres de la vidéaste Joyan Saun­ders y sont pro­gram­mées. Cette réa­li­sa­trice repré­sente une impor­tante figure du mou­ve­ment de la vidéo expé­ri­men­tale et de la ciné­ma­to­gra­phie les­bienne en Amé­rique du nord et en Europe. Saun­ders explore avec la vidéo, un monde d’interactions ludiques avec le spec­ta­teur. Son expé­rience en pho­to­gra­phie, lui per­met de créer un nou­veau cadre dans lequel elle s’amuse à décons­truire les images de la domi­na­tion mas­cu­line. Ces pro­duc­tions se concentrent par­ti­cu­liè­re­ment sur la com­po­si­tion de l’image uti­li­sant les formes et la cou­leur jusqu’à la pro­duc­tion de pein­tures en temps réel. Avec beau­coup d’ironie, la vidéaste dénonce les sté­réo­types véhi­cu­lés sur les femmes. La pro­gram­ma­tion pro­pose éga­le­ment des pro­duc­tions du Vidéo­graphe, du GIV, de Véhi­cule Art, et des groupes les­biens comme Vidéo Ama­zone et Vidé-Elle. Ce sup­port de pro­gram­ma­tion demeure un pré­cieux outil de contex­tua­li­sa­tion concer­nant la dif­fu­sion de ces vidéos, notam­ment par rap­port au posi­tion­ne­ment poli­tique des fémi­nistes les­biennes dans les années 1970–1980. Lors de la dif­fu­sion du docu­men­taire Ama­zones d’hier et les­biennes d’aujourd’hui réa­li­sé par le col­lec­tif Vidéo Ama­zone, une note jointe sous le titre indique : « Vision­ne­ment réser­vé prin­ci­pa­le­ment aux les­biennes » (Vidéo Ama­zone, 1982). Il serait d’ailleurs inté­res­sant d’observer les dif­fé­rents cli­vages poli­tiques émer­geant autour des col­lec­tifs vidéo. Les groupes les­biens dénon­ce­ront le manque de soli­da­ri­té à leur cause et pré­fé­re­ront gar­der leur dis­tance des reven­di­ca­tions hétérosexuelles.

Les recherches des années 1980 sur la pro­duc­tion indé­pen­dante fémi­niste au Qué­bec sont sou­vent lacu­naires quant à l’utilisation du maté­riel vidéo. Le texte de Chris­tine Ross sou­tient que la vidéo légère repré­sen­tait « un manie­ment rela­ti­ve­ment simple » qui « faci­li­tait l’accès des femmes à la vidéo, elles qui, faute d’expérience et d’occasions pos­sé­daient peu ou pas de connais­sances tech­niques » (Ross, 1982). Comme le sou­lignent plu­sieurs réa­li­sa­trices et autrices, comme Anne-Marie Duguet dans son ouvrage Vidéo, la mémoire au poing, la vidéo était un maté­riel très fra­gile qui néces­si­tait une prise de son à part et un mon­tage fas­ti­dieux. La légè­re­té de l’appareil était dis­cu­table et une équipe était néces­saire à la fois pour les tour­nages et pour le finan­ce­ment, très coû­teux à cette époque11.

Avec la varié­té des tech­niques vidéo­gra­phiques déve­lop­pée par les femmes dans un contexte éco­no­mique par­fois com­plexe, il est temps de recon­naître leur apport dans ce domaine. Bien que leurs noms soient cités et leurs œuvres expo­sées et conser­vées dans plu­sieurs musées au Cana­da, leur légi­ti­mi­té sur le plan des inno­va­tions tech­niques reste lar­ge­ment sous-esti­mée. Même si ces lacunes per­sistent, cette pro­gram­ma­tion intègre un col­lec­tif très impor­tant de vidéastes et peu recon­nu : Vidéo Femmes. 

Les fondements du collectif Vidéo Femmes : une histoire à retranscrire

Il convient, dans un pre­mier temps, de mobi­li­ser les sources per­met­tant d’écrire l’histoire de Vidéo Femmes. Rares sont les publi­ca­tions ten­tant de légi­ti­mer la place des vidéastes dans l’histoire des images en mou­ve­ment. Louise Car­rière et Louise Beau­det ont amor­cé un tra­vail de recen­sion des œuvres fémi­nistes dans l’ouvrage Femmes et ciné­ma qué­bé­cois, publié en 1983. Cepen­dant, la place accor­dée aux vidéastes demeure pra­ti­que­ment inexis­tante et fait l’objet de simples allu­sions. Nous trou­vons une seule réfé­rence à Vidéo Femmes, ce qui fait contraste avec l’attention accor­dée aux pro­duc­tions tour­nées en argentique.

Nous pou­vons tout de même citer une réfé­rence uni­ver­si­taire inté­res­sante. Il s’agit d’une mono­gra­phie sur Vidéo Femmes, écrite par Gisèle Vachon en 1998 et publiée dans les Cahiers du CRISES. Cette revue fon­dée à l’Université du Qué­bec à Mont­réal pro­pose de publier des recherches sur les inno­va­tions sociales. Le tra­vail de Gisèle Vachon pro­pose ain­si d’analyser la situa­tion éco­no­mique du centre de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion Vidéo Femmes de 1973 à 1997. L’autrice divise l’histoire du col­lec­tif en deux périodes, la pre­mière, se situant de 1973 à 1980, elle est asso­ciée à sa créa­tion, et à son objec­tif d’améliorer la condi­tion des femmes et d’offrir des ser­vices adap­tés à leurs besoins. La deuxième, période de 1980 à 1990, montre la pour­suite de ses acti­vi­tés de pro­duc­tion et le déve­lop­pe­ment d’un cir­cuit de dif­fu­sion et de dis­tri­bu­tion plus diversifié.

En dehors du réseau uni­ver­si­taire, une publi­ca­tion impor­tante voit le jour en 2015 aux Édi­tions du remue-ménage. Helen Doyle, cinéaste. La liber­té de voir retrace, à l’aide d’entretiens, le par­cours d’une des cofon­da­trices de Vidéo Femmes. Ces témoi­gnages pré­cieux sont les seules publi­ca­tions récentes que nous avons sur l’histoire du col­lec­tif. Accom­pa­gnant les récits autour du par­cours de la cinéaste, quatre DVD inté­grés dans l’ouvrage contiennent des pro­duc­tions de Vidéo Femmes et des entre­vues avec la réa­li­sa­trice. Une série d’archives offre éga­le­ment un visuel impor­tant et contex­tua­lise la pro­duc­tion des œuvres. Des entre­tiens oraux menés depuis 2016 avec Nicole Giguère, Helen Doyle, Hélène Roy et Johanne Four­nier, et les archives retrou­vées chez ces cinéastes com­plètent la docu­men­ta­tion que nous avons citée dans cet article. Plu­sieurs pho­to­gra­phies, docu­ments et affiches ont per­mis de don­ner un éclai­rage sur les débuts de Vidéo Femmes. Les débuts de car­rière de ces cinéastes sont plus dif­fi­ciles à retra­cer. L’effervescence des pra­tiques et les nom­breux chan­ge­ments de locaux ont lais­sé échap­per une par­tie de cette mémoire. C’est sur ces sources que nous nous appuie­rons pour retrans­crire les débuts du collectif.

Aux prémices de nouvelles formes cinématographiques engagées (1973–1980)

À l’automne 1972, à New York, le Museum of Modern Art orga­nise un fes­ti­val inter­na­tio­nal de plus de 200 films réa­li­sés par des femmes. Quelques réa­li­sa­trices de Toron­to assistent à cet évè­ne­ment et décident de créer une série de fes­ti­vals dans onze villes du Cana­da au prin­temps 1973.

À par­tir de l’hiver 1973, à Toron­to, une équipe de neuf femmes assure la recherche de finan­ce­ment de films et assure la coor­di­na­tion per­ma­nente dans les onze villes visées. Impli­quée dans le milieu du théâtre et du ciné­ma à Mont­réal puis à Qué­bec, Hélène Roy ren­contre en février 1973 trois membres de l’équipe de Toron­to qui, sur les recom­man­da­tions de Rock Demers (Roy et Demers avaient déjà col­la­bo­ré quelques années plus tôt), lui pro­posent de coor­don­ner la mani­fes­ta­tion de Qué­bec. En quelques semaines, Hélène Roy et quelques amies béné­voles réus­sissent à louer gra­tui­te­ment le Théâtre de la cité uni­ver­si­taire ain­si que le trans­port des films et des invité.es grâce à des sub­ven­tions d’entreprises pri­vées et d’organismes cultu­rels. Suivent en mai 1973 trois jours de fes­ti­val à l’Université Laval. Un article féli­ci­tant les orga­ni­sa­trices de leur suc­cès paraît, à la suite de l’évènement, dans le jour­nal Le Soleil.

Grâce à plu­sieurs sources de finan­ce­ment, notam­ment le Conseil des arts du Cana­da, et le pro­gramme du Secré­ta­riat d’Etat « Pro­mo­tion de la femme », des confé­rences ont lieu dans quelques villes, dont Qué­bec. Elles ras­semblent plu­sieurs pro­fes­sion­nels du ciné­ma dans le domaine du mon­tage, mais aus­si dans la ges­tion de pro­jets et la comp­ta­bi­li­té. Hélène Roy par­ti­cipe aux réunions fran­co­phones et enri­chit ses connais­sances en ges­tion et pro­gram­ma­tion pour le festival.

À l’automne 1973, Helen Doyle, une jeune artiste ins­pi­rée par le fes­ti­val, prend ren­dez-vous avec Hélène Roy en com­pa­gnie de son amie et com­plice Nicole Giguère qui tra­vaille alors pour une radio com­mu­nau­taire. Cette réunion mène à la créa­tion du pre­mier col­lec­tif de vidéastes fémi­nistes à Qué­bec. Ce col­lec­tif se nomme dans un pre­mier temps La Femme et le film. Les mis­sions de l’association sont d’inventorier et de dif­fu­ser des films et autres docu­ments pro­duits par des femmes, mais aus­si de réa­li­ser, pro­duire et dif­fu­ser de la vidéo fémi­niste. Durant l’été 1974, Helen Doyle et Nicole Giguère mettent en place des ate­liers de tour­nage pour les femmes durant la Super­fran­co­fête. Cette ini­tia­tive don­ne­ra lieu à trois pro­duc­tions pour une télé­vi­sion communautaire.

Elles s’installent à l’automne, rue Saint-Jean, dans le sous-sol d’une mer­ce­rie pour hommes12 et gagnent leur vie en tra­vaillant dans d’autres domaines, comme la télé­vi­sion com­mu­nau­taire. À par­tir de 1974, les pro­jets et les équi­pe­ments vidéo du groupe sont sub­ven­tion­nés par le Pro­jet d’Initiatives Locales (PIL), qui a pour objec­tif de docu­men­ter le mou­ve­ment coopé­ra­tif du quar­tier. Afin de s’équiper et d’apprendre la mani­pu­la­tion du maté­riel, les cinéastes reçoivent du finan­ce­ment du gou­ver­ne­ment fédé­ral et pigent à même leur salaire. Dans le pro­lon­ge­ment de ce pro­jet, elles col­la­borent avec le groupe com­mu­nau­taire Ciné-Vidéo­bec pour l’élaboration de for­ma­tions. Cette col­la­bo­ra­tion leur per­met de recru­ter plus de membres :

Nous nous fai­sions la main durant le jour et le soir. Nicole et Helen rece­vaient une dizaine d’élèves. Cette acti­vi­té nous a per­mis de recru­ter des membres et de struc­tu­rer le fonc­tion­ne­ment du centre. Nous étions « un col­lec­tif » pur et dur : cha­cune était tour à tour pro­duc­trice, récep­tion­niste, réa­li­sa­trice, comp­table, appren­tie tech­ni­cienne et rédac­trice de pro­jets. Nous avons fonc­tion­né sur ce mode col­lec­tif durant près de quinze ans. (Hélène Roy, 2015, p. 24)

En paral­lèle, le pro­jet Ciné-Vidéo­bus, orga­ni­sé par Hélène Roy et son équipe, per­met de faire connaître la ciné­ma­to­gra­phie des femmes grâce à des inter­ven­tions dans de nom­breuses villes du Qué­bec. L’objectif de ce pro­jet est de « tra­vailler sur place avec les femmes et de leur per­mettre d’exprimer, elles-mêmes, leurs besoins et leurs attentes […] à l’aide d’ateliers de sen­si­bi­li­sa­tion et de pro­jec­tions de films »13. Ces vidéos et films sont réfé­ren­cés aujourd’hui dans les inven­taires du collectif.

La Femme et le film tourne sa pre­mière réa­li­sa­tion durant le Salon de la femme à Qué­bec en 1975. Nicole Giguère et Johanne Giguère sont res­pon­sables de poser des ques­tions aux visiteur.se.s. Helen Doyle assure la réa­li­sa­tion et le mon­tage avec Nicole et donne, par la même occa­sion, ses direc­tions au camé­ra­man, Jean Fiset. Enfin le rôle de script est confié à Thé­rèse Yac­ca­ri­ni. L’Année inter­na­tio­nale de la femme décré­tée par l’Organisation des Nations Unies marque le lan­ce­ment offi­ciel du col­lec­tif14.

Cette vidéo docu­men­taire est construite autour d’une série de témoi­gnages des visi­teurs et des repré­sen­tants des kiosques à pro­pos de « leur vision » du salon. Les vidéastes posent ain­si un pre­mier geste fémi­niste, dans la mesure où elles incitent les visi­teurs à réflé­chir aux tech­niques mar­ke­ting des orga­ni­sa­teurs de l’évènement. Les images fil­mées reflètent les sté­réo­types fémi­nins véhi­cu­lés dans les années 1970. Tou­te­fois, la vidéo trans­met aus­si des témoi­gnages s’opposant à ces mes­sages archaïques. Pen­sons notam­ment au témoi­gnage d’une repré­sen­tante du Réseau d’action et d’information pour les femmes (RAIF) dénon­çant les tech­niques de mani­pu­la­tion abu­sives contri­buant à trans­mettre une image réduc­trice des femmes.

Jusqu’en 1976, les vidéastes de Vidéo Femmes s’impliquent dans des pro­jets béné­voles et conti­nuent leur mis­sion de dif­fu­sion à tra­vers la pré­pa­ra­tion du fes­ti­val. Celui-ci se nomme dans un pre­mier temps le Fes­ti­val de films et vidéos de femmes puis devient Des filles et des vues de 1978 à 1988. C’est cette même année qu’Hélène Roy annonce un tout nou­veau pro­jet pour le col­lec­tif : la créa­tion du film Une Nef et ses sor­cières. Hélène Roy exprime à ce pro­pos15 :

L’année de la femme a per­mis le finan­ce­ment de col­lec­tifs comme le nôtre et a sus­ci­té la créa­tion de nom­breux évé­ne­ments. Une grande plé­nière eut lieu en mai à l’Université Laval pour faire le point sur les résul­tats de cette année. Luce Guil­beault et Nicole Bros­sard ont été invi­tées à témoi­gner. Luce m’a pro­po­sé de me joindre à elles. En dis­cu­tant avec elle, j’ai appris qu’elles tra­vaillaient sur la pré­pa­ra­tion d’une pièce de théâtre (La nef des sor­cières) au Théâtre du Nou­veau Monde pour le prin­temps 76. Il n’y avait pas de scé­na­rio, uni­que­ment des mono­logues de sept écri­vaines fémi­nistes inter­pré­tés par Luce Guil­beault, cinq autres comé­diennes et le décor par Mar­celle Fer­ron. Le direc­teur du Théâtre du Nou­veau Monde avait accep­té le pro­jet, mais ça ne pas­sait pas très bien au C.A. La pièce était très révo­lu­tion­naire pour l’époque. Pour reve­nir à notre trio, Luce Guil­beault, Nicole Bros­sard et moi, avions conve­nu très rapi­de­ment que je pré­sen­te­rais ce pro­jet de film au Conseil des arts de Mont­réal (et ailleurs) pour suivre le pro­ces­sus de créa­tion de la pièce, cela a duré plus d’un an. Mon équipe (Helen Doyle, Nicole Giguère et Hélène Bour­gault) a été d’accord pour me suivre. Nous avons reçu 5 000$ du Conseil des arts de Mont­réal, assez pour cou­vrir les nom­breux dépla­ce­ments à Mont­réal. Je n’avais jamais réa­li­sé de docu­men­taire et encore moins fait d’études en ciné­ma. Helen Doyle, Nicole Giguère et Hélène Bour­gault étaient à la camé­ra, j’avais le chro­no­mètre au cou comme une vraie réa­li­sa­trice et plus tard, pen­dant un an et demi, le mon­tage des 52 bobines de 30 minutes. J’avais reçu une ini­tia­tion au mon­tage par Pierre Falar­deau qui était tech­ni­cien au Vidéo­graphe. (Entre­tien avec Hélène Roy, 2017)

Il est impor­tant de pré­ci­ser que peu d’images de la pièce ont été retrou­vées. En effet, il était en réa­li­té, très com­pli­qué à cette époque de réa­li­ser des cap­ta­tions de cer­taines pièces, sur­tout si leurs conte­nus étaient sub­ver­sifs. Seuls, le réseau Vidé-elle et le col­lec­tif Vidéo Femmes ont réus­si à obte­nir des images volées de la pièce. Comme le men­tionne Hélène Roy, l’étape du tour­nage de la cap­ta­tion fut une mis­sion très déli­cate pour les réalisatrices.

La cap­ta­tion de la Nef des sor­cières s’est faite dans des condi­tions déplo­rables, c’est pour­quoi il manque 15 minutes de texte. Le syn­di­cat des machi­nistes du T.N.M. s’opposait à cette cap­ta­tion. Avec la com­pli­ci­té de la régis­seuse, Hélène Bour­gault et moi avons tour­né la pièce durant une repré­sen­ta­tion, cachées dans une ancienne loge. (Entre­tien avec Hélène Roy, 2017)

Le mon­tage final du film com­porte des séquences alter­nées entre la cap­ta­tion de la pièce et des entre­tiens avec les autrices et comé­diennes. Luce Guil­beault ponc­tue le film de ses inter­ven­tions et nous offre une fin des plus mar­quante. Elle impro­vise un texte d’environ sept minutes dans lequel elle nous livre son res­sen­ti de comé­dienne fémi­niste. Ce geste poé­tique, fil­mé par La Femme et le film, confirme les enga­ge­ments artis­tiques du col­lec­tif, notam­ment la volon­té d’explorer des formes nou­velles et d’assurer la mémoire des œuvres féministes.

À par­tir de 1978, grâce à l’Office fran­co-qué­bé­cois pour la jeu­nesse, la réa­li­sa­trice Michèle Pérusse fait un stage sur les liens entre fémi­nisme et com­mu­ni­ca­tion dans plu­sieurs villes de France, telles qu’Aix-en-Provence et Paris. Ce voyage offre plu­sieurs membres du col­lec­tif, la pos­si­bi­li­té de tis­ser des liens avec Carole Rous­so­pou­los, Del­phine Sey­rig et Ioa­na Wie­der, les fon­da­trices du Centre audio­vi­suel Simone de Beau­voir, et Jacky Buet, co-fon­da­trice du Fes­ti­val de films de femmes de Créteil.

La fin des années 1970 prend une tour­nure plus média­tique avec la sor­tie de la vidéo Cha­pe­rons rouges. Cette copro­duc­tion réa­li­sée avec le Groupe Inter­ven­tion Vidéo confirme les liens d’amitié avec la vidéaste Hélène Bour­gault. Autrice de plu­sieurs vidéos au GIV, Hélène Bour­gault s’associe de nou­veau avec Helen Doyle, qui lui pro­pose très rapi­de­ment un pro­jet. L’intention des deux cinéastes est, au départ, de par­ler des femmes et de la ten­dresse. Après le témoi­gnage du viol d’une proche, les deux vidéastes changent le sujet de leur film pour dénon­cer les nom­breux viols sou­vent occul­tés par les auto­ri­tés à cette époque. La vidéo a un tel reten­tis­se­ment que le cir­cuit ciné­ma­to­gra­phique pro­pose une nou­velle sor­tie de ce moyen métrage sur un sup­port 16mm. De nou­veau, le groupe ins­crit cette réa­li­sa­tion dans une démarche poli­tique, par la volon­té de repré­sen­ter le vécu des femmes. Les cinéastes ajoutent dans cet essai vidéo une per­for­mance dan­sée de Chris­tiane Vien, qui accom­pagne les témoi­gnages des femmes vio­lées16. En 1979, le col­lec­tif change de nom pour Vidéo Femmes et assure, par la même occa­sion, la suc­ces­sion d’une œuvre conséquente.

Il serait dif­fi­cile d’établir un réper­toire exhaus­tif des pro­duc­tions de Vidéo Femmes. Nous pou­vons mettre en avant, mal­gré tout, quelques œuvres comme Mani­fes­ta­tion pour l’avortement libre et gra­tuit réa­li­sé en 1979, His­toire des luttes fémi­nistes au Qué­bec, qui regroupent des entre­tiens inédits avec la roman­cière Marie Car­di­nal et l’historienne Michèle Jean. Vidéo Femmes conti­nue de s’engager par la suite à docu­men­ter les luttes fémi­nistes. Nous pou­vons pen­ser à Repre­nons la nuit! réa­li­sé en 1980. Elles filment à cette occa­sion une mani­fes­ta­tion orga­ni­sée par des femmes, pour récla­mer leur droit de cir­cu­ler dans la rue la nuit, sans har­cè­le­ment ni agression.

Les thèmes de l’aliénation et de la folie sont aus­si sou­vent repré­sen­tés dans la vidéo­gra­phie des vidéastes. Des recherches à la fois esthé­tiques et for­melles prennent une place impor­tante dans leurs œuvres. On peut les retrou­ver notam­ment dans le film C’est pas le pays des mer­veilles, réa­li­sé par Helen Doyle et Nicole Giguère en 1981, en 16mm. Entre docu­men­taire et fic­tion, cette œuvre cherche à iden­ti­fier les fac­teurs cultu­rels qui engendrent et nour­rissent les malaises et la colère des femmes. Juste pour me cal­mer, une vidéo de 1981, dénonce les pres­crip­tions abu­sives de psy­cho­tropes. À tra­vers ce cor­pus, nous sommes témoins des nom­breuses expé­ri­men­ta­tions déve­lop­pées au sein de Vidéo Femmes, aus­si bien du point de vue for­mel que de la diver­si­té des contenus.

Les pre­mières années de Vidéo Femmes assurent une base solide aux géné­ra­tions de vidéastes sui­vantes. Dans les années 1980, l’équipe s’agrandit et intègre entre autres Johanne Four­nier, Louise Giguère, Lyn­da Roy, Fran­çoise Dugré, Natha­lie Roy et Lise Bonen­fant. Celles-ci pro­posent, dans leur vidéo­gra­phie, dif­fé­rentes thé­ma­tiques comme la vio­lence, les femmes en pri­son (C’est pas parce que c’est un châ­teau qu’on est des prin­cesses, Lise Bonen­fant et Louise Giguère, 1983), l’art des femmes (On fait toutes du show busi­ness, Nicole Giguère, 1984), le sida (Le sida au fémi­nin, Lise Bonen­fant et Marie For­tin, 1989) et les femmes autoch­tones (Mon­ta­gnaises de parole, Johanne Four­nier, 1992)17.

Écrire l’histoire de ces col­lec­tifs reste une démarche essen­tielle dans notre ten­ta­tive de leur don­ner une légi­ti­mi­té. Il faut aus­si sau­ve­gar­der ces col­lec­tions deve­nues fra­giles pour assu­rer la mémoire des œuvres. La Ciné­ma­thèque qué­bé­coise a entre­pris depuis quelques mois la créa­tion d’un pro­jet sur les don­nées ouvertes et le web séman­tique, « Savoirs Com­muns du Ciné­ma ». Il s’agit pour l’institution de mettre à la dis­po­si­tion des cher­cheurs et citoyens les don­nées (archives, films et vidéos) qu’elle conserve dans les for­mats que pro­pose le web séman­tique. Dans le cadre de mes recherches sou­te­nues par le Dépar­te­ment de com­mu­ni­ca­tion de l’Université de Mont­réal, je tra­vaille en par­te­na­riat avec la Ciné­ma­thèque afin de réper­to­rier les col­lec­tions audio­vi­suelles des femmes, de docu­men­ter ces œuvres à l’aide d’archives et enfin de valo­ri­ser la struc­tu­ra­tion de ces don­nées par des publi­ca­tions scien­ti­fiques, des ate­liers citoyens avec Wiki­pé­dia afin d’inspirer la créa­tion de réseaux entre ces don­nées dans le cadre de pro­jets scien­ti­fiques mobi­li­sant le web. Grâce à cette col­la­bo­ra­tion, nous met­trons en lumière les sources dis­po­nibles autour de Vidéo Femmes, ceci pour insuf­fler l’élaboration de nou­velles recherches sur ce corpus.


Notes

  1. Sur la ques­tion des dis­po­si­tifs d’audition et de vision, voir Fran­çois Albe­ra et Maria Tor­ta­ja­da (dir.), Ciné-dis­po­si­tifs : spec­tacles, ciné­ma, télé­vi­sion, lit­té­ra­ture, Lau­sanne, L’âge d’homme, 2011. Notons l’appropriation mul­tiple de la notion de « dis­po­si­tif », à la fois concrète et abs­traite. Les auteur.e.s cherchent d’un point de vue tech­nique et his­to­rique à défi­nir plu­sieurs strates per­met­tant de mieux appré­hen­der la notion de « dis­po­si­tif » audi­tif et visuel. Cette approche peut s’appliquer au champ de la vidéo. Il s’agirait d’aborder ces pra­tiques dans leur diver­si­té et sans téléo­lo­gie.
  2. Voir le Guide pra­tique de la vidéo légère de Claire Mazard, publié dans le Bul­le­tin des biblio­thèques de France (BBF), n° 11, 1980, p. 570–570.
  3. Réfé­rence à l’ouvrage col­lec­tif diri­gé par Natha­lie Magnan, La Vidéo entre art et com­mu­ni­ca­tion, Paris, École natio­nale supé­rieure des Beaux-arts, 1997. Natha­lie Magnan regroupe plu­sieurs textes d’artistes et d’auteur.e.s appor­tant des récits et inter­ro­ga­tions sur dif­fé­rentes pra­tiques vidéo­gra­phiques. Ces textes invitent à recon­si­dé­rer des pra­tiques dites plus « mili­tantes ».
  4. Voir l’ouvrage de Phi­lippe Dubois, La ques­tion vidéo, entre ciné­ma et art contem­po­rain. L’auteur ques­tionne les liens entre ciné­ma et vidéo, et cherche à com­prendre com­ment la forme ciné­ma­to­gra­phique a influen­cé la forme vidéo­gra­phique, et inver­se­ment. Il tente ain­si de déter­mi­ner les influences ciné­ma­to­gra­phiques déve­lop­pées par cer­tains vidéastes, comme Mar­cel Oden­bach et Klaus Vom Bruch. Des cinéastes se sont éga­le­ment ser­vis du médium vidéo­gra­phique pour pen­ser le ciné­ma. Citons notam­ment à cet effet Jean-Luc Godard ou encore les frères Dar­denne.
  5. Pour défi­nir le mou­ve­ment de la vidéo d’intervention sociale et poli­tique, je m’appuierai sur l’article de Marie-Michèle Cron, publié en 2002 dans la revue Esse, La vidéo com­bat­tive des années 1970. Selon l’autrice, la vidéo était consi­dé­rée comme « un ins­tru­ment de chan­ge­ment et d’affirmation iden­ti­taire, mais, éga­le­ment, comme un outil de pro­pa­gande ancré dans le rôle for­ma­teur des indi­vi­dus qui ont uti­li­sé le médium à des fins mul­tiples. » (http://esse.ca/fr/la-video-combative-des-annees-70)
  6. Andrée Duchaîne contex­tua­lise qua­torze pro­duc­tions réa­li­sées sur sup­port vidéo et brosse un por­trait his­to­rique de la vidéo­gra­phie qué­bé­coise entre 1967 et 1981. Nous retrou­vons des œuvres de vidéastes enga­gées telles que Cha­pe­rons rouges d’Helen Doyle et Hélène Bour­gault, Dutch Light : Tex­tual Actions de Mar­sha­lore ain­si que Qué­bé­coi­se­rient de Suzanne Ver­tu et Diane Hef­fer­nan.
  7. Il est dif­fi­cile aujourd’hui de trou­ver des recherches détaillées sur les débuts du « GIV », mais la pré­sen­ta­tion du site inter­net nous donne quelques réfé­rences. Lors d’une table ronde pré­vue dans la pro­gram­ma­tion du « Fes­ti­val de films fémi­nistes de Mont­réal » le same­di 12 mai 2018, Diane Poi­tras est inter­ve­nue à pro­pos de ses pre­miers films réa­li­sés dans ce col­lec­tif. Le témoi­gnage de cette pro­fes­seure et réa­li­sa­trice nous per­met aujourd’hui d’avoir accès à des infor­ma­tions sup­plé­men­taires sur le fonc­tion­ne­ment de cet orga­nisme.
  8. Concer­nant les pla­te­formes de vidéo à la demande, je prends en consi­dé­ra­tion le tra­vail impor­tant de dis­tri­bu­teurs comme le Vidéo­graphe (Vithèque) et Spi­ra pour le col­lec­tif Vidéo Femmes.
  9. Dans le cadre de ma thèse s’intitulant « Entre art et mili­tan­tisme : l’émergence des pra­tiques fémi­nistes en ciné­ma et en vidéo au Qué­bec et les liens déve­lop­pés à l’international », un pro­jet en cours consiste à éta­blir un réper­toire des œuvres fémi­nistes avec leurs géné­riques. Cette vidéo­gra­phie se consti­tue­ra avec l’aide et la par­ti­ci­pa­tion de réa­li­sa­trices et de par­te­na­riats ins­ti­tu­tion­nels comme la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise.
  10. Peu de temps après l’exposition d’Andrée Duchaîne, Chris­tine Ross réa­lise une pro­gram­ma­tion incluant 28 vidéos réa­li­sées par des femmes entre 1976 et 1982. Elle ana­lyse alors les pos­si­bi­li­tés du médium, qu’elles soient esthé­tiques ou qu’elles concernent la diver­si­té des conte­nus poli­tiques explo­rés par les vidéastes.
  11. L’ouvrage Vidéo, la mémoire au poing d’Anne-Marie Duguet publié en 1981 contient des réfé­rences pré­cieuses sur l’appropriation du médium, plus pré­ci­sé­ment sur le plan tech­nique. Elle vient ici contre­dire les fausses idées véhi­cu­lées sur la mani­pu­la­tion de l’outil et la pré­ten­due légè­re­té de ce sup­port.
  12. Noé­mie Bras­sard sou­ligne avec iro­nie dans son article « Des filles des vues à Vidéo Femmes, les dix pre­mières années » (Spi­ra­scope, n° 12, automne 2017) que le pre­mier local de Vidéo Femmes se situait en des­sous d’une mer­ce­rie pour hommes. Cet article pré­cieux sur les débuts du col­lec­tif offre un pano­ra­ma des dif­fé­rents lieux où Vidéo Femmes a mené ses acti­vi­tés.
  13. Cita­tion extraite de la bro­chure « La Femme et le film, 2e étape Ciné Vidéo-Bus », publiée entre 1973 et 1975, et expli­quant la démarche du pro­jet « Ciné-Vidéo­bus », pour sa deuxième tour­née. Elles pro­jettent prin­ci­pa­le­ment durant ces tour­nées des films qué­bé­cois (de Mireille Dan­se­reau, Aimée Danis ou Anne-Claire Poi­rier), mais aus­si des vidéos qu’elles pro­duisent.
  14. Plu­sieurs entre­tiens oraux avec Nicole Giguère, dont le pre­mier par télé­phone en mars 2016, m’ont per­mis d’obtenir plus d’information sur la pre­mière réa­li­sa­tion du col­lec­tif, mais aus­si sur la date de créa­tion du groupe.
  15. Cette cita­tion est issue d’un cour­riel d’Hélène Roy daté du pre­mier décembre 2017. Il concerne le film Une Nef et ses sor­cières.
  16. Entre­tien télé­pho­nique avec Helen Doyle datant de mars 2016 et ren­contre à la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise, pour la pro­gram­ma­tion « Bandes de fémi­nistes » en sep­tembre 2017.
  17. Pour pré­pa­rer la jour­née Wiki­pé­dia autour de Vidéo Femmes orga­ni­sée par mes soins à la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise, le 18 août 2018. Johanne Four­nier a rédi­gé un texte indi­quant plu­sieurs points de repères his­to­riques impor­tants par rap­port à la vidéo­gra­phie de Vidéo Femmes. Les dif­fé­rentes thé­ma­tiques rele­vées dans ce para­graphe m’ont été trans­mises par elle. https://fr.wikipedia.org/wiki/Vid%C3%A9o_Femmes

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Une Nef et ses sor­cières, Vidéo Femmes (Hélène Roy, Helen Doyle, Nicole Giguère, Hélène Bour­gault, Elaine Hamel), 30 minutes, 1976.

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Cha­pe­rons rouges, Vidéo Femmes et Groupe Inter­ven­tion Vidéo (Hélène Bour­gault, Helen Doyle), 43 minutes, 1979.

Viol : mythes et réa­li­té, Nicole Giguère, Helen Doyle, 22 minutes, 1979.

Mani­fes­ta­tion pour l’avortement libre et gra­tuit, Vidéo Femmes, 1979.

La valse des femmes, Vidéo Femmes (Lyn­da Roy), 27 minutes, 1980.

His­toire des luttes fémi­nistes au Qué­bec, Vidéo Femmes (Hélène Roy, Louise Giguère), 40 minutes, 1980.

Repre­nons la nuit!, Vidéo Femmes (Louise Giguère, Lyn­da Roy), 31 minutes, 1980.

Naître bien au chaud, Vidéo Femmes (Fran­çoise Dugré, Louise Giguère, Lyn­da Roy), 38 minutes, 1981.

C’est pas le pays des mer­veilles, [FILM] (Helen Doyle, Nicole Giguère), 57 minutes, 1981.

Juste pour me cal­mer, Vidéo Femmes (Helen Doyle Nicole Giguère), 32 minutes, 1981.

C’est pas parce que c’est un châ­teau qu’on est des prin­cesses, Vidéo Femmes, (Lise Bonen­fant et Louise Giguère), 57 minutes, 1983.

On fait toutes du show busi­ness, Vidéo Femmes (Nicole Giguère), 60 minutes, 1984.

Le sida au fémi­nin, Vidéo Femmes (Lise Bonen­fant et Marie For­tin), 40 minutes, 1989.

Mon­ta­gnaises de parole, Vidéo Femmes (Johanne Four­nier), 55 minutes, 1992.


Notice biographique

Julia Minne est doc­to­rante à l’Université de Mont­réal en Com­mu­ni­ca­tion et en Arts plas­tiques à l’Université Paris 1 Pan­théon-Sor­bonne ain­si que par­te­naire et coor­di­na­trice du pro­jet, Savoirs com­muns sur le ciné­ma sou­te­nu par la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise. Son sujet de thèse porte sur les moda­li­tés d’accès aux archives audio­vi­suelles fémi­nistes qué­bé­coises en étu­diant notam­ment l’applicabilité d’une nou­velle théo­rie sur les com­muns. Elle est déten­trice d’un diplôme de Mas­ter en études ciné­ma­to­gra­phiques déli­vré par l’Université Paris VIII en 2016. Elle a éga­le­ment tra­vaillé à la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise en tant que pro­gram­ma­trice invi­tée et com­mis­saire invi­tée pour l’exposition, « Silence, elles tournent » en juillet 2018.