Autour des « Mauvais genres » : une table ronde en compagnie de Simon Chénier, David Fortin, Eva Létourneau, Mathieu Li-Goyette et Francis Ouellette, animée par Louis Pelletier et Julie Ravary-Pilon


13 sep­tembre 2019
Trans­crip­tion : Fré­dé­rique Kha­zoom et Nyas­sa Munyonge
Édi­tion : Maude Trottier

Louis Pel­le­tier : Pour ouvrir cette table ronde qui porte sur les mau­vais genres, la ques­tion de la ciné­phi­lie me sem­blait impor­tante. Il y a trois ans, Jean-Pierre Sirois-Tra­han m’a dit que c’était simple, au fond, le mau­vais genre : ça pou­vait se résu­mer, en gros, à tout ce qui n’a pas fait l’objet d’une cri­tique dans les Cahiers du ciné­ma ou, à une cer­taine époque, dans 24 images. Ce soir, le point de départ est le sui­vant : nous sommes à la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise et nous vous avons invi­tés en tant que repré­sen­tants d’une nou­velle géné­ra­tion. Les gens qui ont bâti la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise ont à l’époque mené un com­bat pour légi­ti­mer le ciné­ma en tant qu’art. Des Robert Dau­de­lin, des Pierre Jutras se sont par consé­quent inter­ro­gés selon les cri­tères de leur époque sur ce qui est appro­prié de mon­trer et de conser­ver. Depuis les années 1960–1970, les choses ont évo­lué, tant en ce qui a trait aux archives de la Ciné­ma­thèque qu’à ce que l’on veut y mon­trer. C’est aus­si un peu le moment de faire le point dans cet endroit, soit une ins­ti­tu­tion qui pos­sède une riche his­toire de ce que veut dire être ciné­phile. Or, qu’est-ce que veut dire être ciné­phile en 2019 ? Est-ce que c’est syno­nyme de s’en tenir sim­ple­ment à un cer­tain type de ciné­ma, ou est-ce qu’au contraire, ça peut vou­loir dire de se mon­trer un peu plus ouverts et tendres vers les « mau­vais genres » ? Nous vous avons invi­tés, Julie et moi, parce qu’en plus de votre exper­tise ou connais­sance des mau­vais genres, vous êtes éga­le­ment des ciné­philes éclai­rés, vous connais­sez bien votre Berg­man, votre Fel­li­ni, etc. Bref, j’aimerais qu’on explore ce soir la ten­sion entre le ciné­ma légi­ti­mé ou d’auteur et les autres cor­pus qu’on redé­couvre et qu’on essaie de reva­lo­ri­ser. Aus­si, il y a un nombre impor­tant de pra­tiques qui se situent en dehors du ciné­ma pour les salles et du ciné­ma d’auteur ou en-dehors des pra­tiques qu’on pour­rait qua­li­fier d’un peu plus res­pec­tables. Autre­ment dit, on ne parle pas seule­ment des films en eux-mêmes, mais des pra­tiques entou­rant la récep­tion, de la consom­ma­tion des films, et donc des com­mu­nau­tés ciné­phi­liques qui se nouent autour des films. Je pense en effet que l’on doit dis­cu­ter, ce soir, aus­si bien de films que de com­mu­nau­tés et de pratiques.

Figure 1 : Bacurau (Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles, 2019).
Figure 1 : Bacu­rau (Kle­ber Men­don­ça Fil­ho & Julia­no Dor­nelles, 2019).

Un changement de paradigme ?

Fran­cis Ouel­lette : Si tu me per­mets, je te lan­ce­rais une anec­dote. Dans le cadre de mon tra­vail, je vis une rela­tion bicé­phale au ciné­ma parce que je suis d’une part ciné­phile – et j’adore le ciné­ma de genre – et d’autre part, un dis­tri­bu­teur qui ne tra­vaille pas sur le ciné­ma de genre, mais qui se spé­cia­lise plu­tôt dans les films dits d’Art et essai. Je suis donc tou­jours déchi­ré entre les deux pos­tures. Je ne pour­rais pas aisé­ment dis­tri­buer du ciné­ma qu’on pour­rait qua­li­fier de genre au Qué­bec pour des rai­sons pla­te­ment éco­no­miques. Mais cette année, c’était la pre­mière fois que, dans le contexte de mon tra­vail, j’allais au Fes­ti­val de Cannes. Pour aller ache­ter les films, les rap­por­ter, mais aus­si pour voir et super­vi­ser ce qui se pas­sait au niveau de la vente de nos films sur le ter­ri­toire fran­çais via les ven­deurs inter­na­tio­naux. J’ai eu un assez gros choc. Cette mou­ture du fes­ti­val était satu­rée des thèmes du genre, à tra­vers des films qui célé­braient l’hybridité entre le ciné­ma d’auteur et le ciné­ma de genre. Même dans les films en com­pé­ti­tion, ça sen­tait le genre, et je ne parle pas juste de Jar­musch qui parle de zom­bies ou de Ber­trand Bonel­lo qui parle aus­si de zom­bies, ou du film Bacu­rau (Kle­ber Men­don­ça Fil­ho & Julia­no Dor­nelles, 2019), hom­mage débri­dé à l’intérieur du film Art et essai au ciné­ma de John Car­pen­ter. Et puis, en tant que dis­tri­bu­teur au mar­ché, on se pro­mène dans les allées de vente où j’ai pu consta­ter qu’il n’y avait que des films de genre et très peu de films d’auteur ou de docu­men­taires. On retrou­vait dans ces allées plu­tôt des films de kung-fu, des films poli­ciers, des films d’horreur en quan­ti­té. Le vent est en train de tour­ner. Le fait que tu puisses le sen­tir à Cannes, ça veut dire qu’il y a vrai­ment un chan­ge­ment de para­digme en train de se pro­duire. Même la Palme d’or de cette année a été attri­buée à un réa­li­sa­teur asso­cié au genre (Para­site, Bong Joon-ho, 2019).

David For­tin : Et on sent que tous les cinéastes impor­tants qui ont été consi­dé­rés comme cinéastes d’auteur, que ce soit Jar­musch ou le cinéaste qui a fait Neigh­bou­ring Sounds (2012) et Aqua­rius (2016), Kle­ber Men­don­ça Fil­ho, aiment jouer avec le genre. Qu’ils se reven­diquent d’un cer­tain ciné­ma de genre qu’ils ont admi­ré à une cer­taine époque et que tran­quille­ment, ils le laissent trans­pa­raître dans leur ciné­ma. Mais tu par­lais de Cannes et de l’importance du genre dans le fes­ti­val, on le sent aus­si depuis quelques années dans les fes­ti­vals, ici. Que ce soit le Fes­ti­val du nou­veau ciné­ma (FNC) qui, avec la sec­tion « Temps 0 », a ouvert la porte au genre ou avec Fan­ta­sia, fes­ti­val des films de genre par excel­lence, qui devient de plus en plus popu­laire, d’année en année.

Fran­cis Ouel­lette : Un quart de la pro­gram­ma­tion de Fan­ta­sia vient main­te­nant direct de Cannes. Il se passe quelque chose, le chan­ge­ment est palpable.

Mathieu Li-Goyette : L’autre quart vient de la Ber­li­nale et du mar­ché euro­péen, aus­si satu­rés par le genre. D’ailleurs, ça fait deux années que je vais à la Ber­li­nale et je remarque autant là-bas que dans les cir­cuits fes­ti­va­liers euro­péens que les grands films por­teurs qui pro­posent des réflexions de fond sur le ciné­ma le font sou­vent par le biais du genre. Par exemple, La flor (Maria­no Llinás, 2018), qui était un évé­ne­ment Rot­ter­dam, TIFF avant 2018, qu’on a fait venir à Mont­réal récem­ment au Ciné­ma Moderne, film de 14 heures, entre­prend de réflé­chir l’histoire du ciné­ma à tra­vers le genre, la place du genre dans le ciné­ma, la manière dont le genre, avec ses contraintes de tour­nage, ses contraintes scé­na­ris­tiques, nar­ra­tives, est venu for­mer un pay­sage ciné­ma­to­gra­phique à l’aide de réfé­rents qu’on peut faci­le­ment lire, déce­ler. J’ai l’impression que ce qui res­sort de tout ça, c’est que plus on avance dans l’histoire du ciné­ma et dans l’évolution de notre per­cep­tion des choses, plus le genre ou les genres ciné­ma­to­gra­phiques deviennent peut-être ce vers quoi on est en train de recon­fi­gu­rer une forme d’ontologie du ciné­ma. Se dire qu’est-ce qui est typi­que­ment ciné­ma­to­gra­phique ? Bien c’est peut-être le wes­tern. Avec Taran­ti­no, par exemple, on arrive sou­vent un peu à ce type de réflexion esthé­tique-là où en tous les cas, les genres vont ser­vir vrai­ment de point d’amarre pour que s’affirme un « vrai ciné­ma ». C’est un ciné­ma qui, outre le « vrai » ciné­ma au sens hégé­mo­nique, reven­dique faci­le­ment l’espèce d’héritage clas­sique asso­cié au genre.

Fran­cis Ouel­lette : Pen­dant long­temps, on s’attendait dans le milieu fes­ti­va­lier inter­na­tio­nal à un film de qua­li­té, à une cer­taine esthé­tique et une cer­taine suite des thèmes. Je pense à un cinéaste comme Albert Ser­ra, par exemple. Albert Ser­ra sort un film et c’est un évé­ne­ment. Même chose pour Pedro Cos­ta. Or, ces der­nières années, il y a de plus en plus d’impatience envers ce type de ciné­ma-là, aus­si bien au niveau de sa durée que de son rythme ou de son conte­nu. Les errances contem­pla­tives sur pel­li­cule tendent à emmer­der beau­coup de gens en ce moment. Il va y avoir toute une géné­ra­tion de cinéastes qui, bien­tôt, n’intéresseront plus beau­coup de per­sonnes. Ça va être dif­fi­cile par exemple pour un cinéaste comme Phi­lippe Gran­drieux d’aller tou­cher une nou­velle géné­ra­tion, on dirait qu’il a épui­sé son capi­tal d’attention, si vous vou­lez. Je ne men­tion­ne­rai pas le film parce que je trouve ça agres­sif, mais récem­ment Les Cahiers du ciné­ma ont évo­qué ce ciné­ma-là en par­lant d’« érec­tion fes­ti­va­lière molle » ou de « contem­pla­tif chic ».

Julie Rava­ry-Pilon : Par rap­port à cet effet-là, je trouve qu’on a sou­vent « tapé » sur le ciné­ma qué­bé­cois, mais c’est effec­ti­ve­ment une ten­dance peut-être plus inter­na­tio­nale. Quelles sont les ten­sions que tu remarques ici ?

Fran­cis Ouel­lette : On observe un écart déme­su­ré, étant don­né que l’on parle d’un ciné­ma d’État sub­ven­tion­né à 98 %. Nous avons un ciné­ma qui est un peu de grille : cochons ceci, cochons cela pour avoir notre finan­ce­ment et espé­rons, dans le meilleur des cas, que nos films voyagent et fassent les fes­ti­vals. C’est bon pour la san­té éco­no­mique et cultu­relle de tout le monde au Qué­bec de faire ça. Mais la for­mule com­mence elle aus­si à s’user. Je dirais même que si l’on peut consi­dé­rer que la divi­sion entre la gauche et la droite idéo­lo­giques est de plus en plus grande et agres­sive, on la per­çoit jusque dans l’opinion sur le ciné­ma. Il y a tout d’un coup une voix popu­laire qui s’élève et ose dire : « C’est ce ciné­ma-là que paient mes taxes. Je ne le recon­nais pas. » Les résul­tats du box-office cana­dien sont récem­ment sor­tis en ordre chro­no­lo­gique. Le film Men­teur (Émile Gau­dreault, 2019), pro­duit par Ciné­ma­gi­naire1 avec ses six mil­lions et des pous­sières, a fait plus d’argent que tous les quinze ou vingt films cana­diens sub­sé­quents. Le Cana­da au com­plet dans les quinze films, n’a pas fait autant d’argent… Le fos­sé est énorme.

Figure 2 : Turbo Kid (François Simard, Anouk Whissel & Yoann-Karl Whissel, 2015).
Figure 2 : Tur­bo Kid (Fran­çois Simard, Anouk Whis­sel & Yoann-Karl Whis­sel, 2015).

Réseaux et décloisonnement des genres

Louis Pel­le­tier : Pour conti­nuer sur les chiffres, on peut sou­li­gner l’importance des réseaux. Quels sont les réseaux du ciné­ma de genre ? Dans quel contexte le public va-t-il ren­con­trer le ciné­ma de genre en 2019 ? On a par­lé de fes­ti­vals. On peut dire que Fan­ta­sia Mont­réal, c’est fon­da­men­tal, en rai­son des com­mu­nau­tés et des groupes que le fes­ti­val ras­semble autour du ciné­ma de genre, du ciné­ma culte, etc. Mais sinon, de quoi parle-t-on quand on parle des reve­nus d’un film ? De sor­ties en salles ? De strea­ming ? De dvd ? De ventes aux télé­vi­sions ? De tout ça ? Au début de ton inter­ven­tion, Fran­cis, tu disais que le ciné­ma de genre, c’était casse-gueule pour un dis­tri­bu­teur. Pour moi, ça n’a pas valeur d’évidence.

Fran­cis Ouel­lette : Je pren­drais un exemple. Le film qui a peut-être chan­gé un peu la donne, c’est Les affa­més (Robin Aubert, 2017). C’est un cas inté­res­sant parce qu’il fonc­tionne jus­te­ment selon ce type de ciné­ma hybride dont on par­lait, à la fois film de genre et film d’auteur. C’est presque un champ de récon­ci­lia­tion des deux types de ciné­phi­lie. Et s’il faut que le ciné­ma de genre fonc­tionne au Qué­bec, il va pro­ba­ble­ment devoir apprendre cette façon de faire d’une cer­taine manière, inté­grer de façon assez orga­nique, entre­te­nir le com­men­sa­lisme. Que l’on pense à un film comme Tur­bo Kid (Fran­çois Simard, Anouk Whis­sel & Yoann-Karl Whis­sel, 2015), par exemple, qui est un pur film de genre. Yoann-Carl Rous­sel, un des réa­li­sa­teurs du col­lec­tif, disait que le film avait été fait en anglais parce qu’il n’avait aucune chance d’exister en fran­çais au Qué­bec. Il aurait été au mieux can­ton­né à quelques repré­sen­ta­tions aux festivals.

Louis Pel­le­tier : Mais est-ce que ça veut dire qu’il y a peut-être des réseaux hori­zon­taux et ver­ti­caux ? Tur­bo Kid, c’est peut-être un bon exemple au Qué­bec : dans notre com­mu­nau­té, on en a par­lé, mais dans les médias, pas for­cé­ment. Ce n’est pas vrai que ma tante à Rivière-du-Loup a enten­du par­ler de Tur­bo Kid ! Mais je ne serais pas sur­pris si l’on me disait que ce film-là a beau­coup plus cir­cu­lé à l’international qu’une comé­die qué­bé­coise ou un film d’auteur.

Simon Ché­nier : Le film est dis­po­nible sur Net­flix par­tout ailleurs, mais pas ici. Ici, le moyen de le voir, c’était soit en salle ou en loca­tion sur Apple.

David For­tin : Il était sur iTunes, aus­si. J’ai l’impression que le « grand public » l’a vu parce qu’il y avait un ruban autour du film, un hype et que de cette façon, le film a beau­coup cir­cu­lé. Men­teur – ou peu importe la comé­die qué­bé­coise de l’heure qui fait vrai­ment beau­coup d’argent ici – s’exporte super mal, parce que les réfé­rents humo­ris­tiques y sont très qué­bé­cois. Ce type de films n’est pro­ba­ble­ment pas vrai­ment dis­tri­bué ailleurs qu’ici.

Simon Ché­nier : On peut com­pa­rer la récep­tion de Tur­bo Kid au Qué­bec à celle reçue par le film dans le reste du monde avec les prix Aurore d’Info­man2. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, cet évè­ne­ment fait par­ler des films. Lau­rence Leboeuf, actrice de Tur­bo Kid3, y a reçu une nomi­na­tion pour le rôle de la moins bonne comé­dienne, alors que ce per­son­nage-là est aimé par plein de monde, ailleurs. Il y a du monde qui ont des tat­toos de ce per­son­nage-là, mais ici, c’est comme « ah, c’est un peu weird », alors on n’aime pas ça.

Fran­cis Ouel­lette : C’est comme si notre culture de masse n’avait pas les réfé­rents, qu’elle est inca­pable de com­prendre les méca­nismes du genre. Et on le voit par exemple à Radio-Cana­da. La vieille gang se demande « qu’est-ce qu’on va faire ? », alors que Les mys­té­rieux éton­nants4 s’intéressent aux films de genre depuis dix ans déjà. Ça me fait pen­ser à la fameuse scène de Rea­dy Player One (Ste­ven Spiel­berg, 2018), où il y a des com­pa­gnies qui ne connaissent abso­lu­ment pas les réfé­rents de la culture geek et qui engagent des geeks de ser­vice pour dis­pen­ser leur savoir à la masse.

Louis Pel­le­tier : Et puis, il y a eu l’autre évé­ne­ment cette année quand Alexandre Fon­taine Rous­seau s’est retrou­vé devant Fran­co Nuo­vo5. Le cli­vage géné­ra­tion­nel entre l’ancienne ciné­phi­lie et la plus jeune est assez évident, violent, même.

Julie Rava­ry-Pilon : J’enseigne le papier d’Alexandre Fon­taine-Rous­seau et l’affaire Fon­taine-Rous­seau-Nuo­vo à l’émission radio­pho­nique de Chris­tiane Cha­rette dans le cours de Ciné­ma qué­bé­cois. Les étu­diantes et les étu­diants adorent parce que, jus­te­ment, cette entre­vue-là illustre par­fai­te­ment le cli­vage générationnel.

Simon Ché­nier : Mais aus­si, on par­lait de l’intérêt pour le genre dans les fes­ti­vals. Dans ma vie per­son­nelle, quand j’écoutais des films de séries B il y a dix ans, les gens me disaient : « Ah ouais, tu écoutes juste ça ? » Non, je n’écoutais pas juste ça. Main­te­nant, les gens sont beau­coup plus inté­res­sés. Ils posent des ques­tions sur ces films-là parce que clai­re­ment il y a un intérêt.

David For­tin : J’ai l’impression que jus­te­ment, on peut aller s’émouvoir du film Entre la mer et l’eau douce (Michel Brault, 1967) et, quelques jours après, regar­der Mia­mi Connec­tion (Richard Park & Y.K. Kim, 1988) ou Fast Life (Tho­mas Ngi­jol, 2014) ou peu importe. Il y a de moins en moins de dis­tinc­tions entre les diverses ciné­phi­lies parce qu’elles se mélangent et se déve­loppent à tra­vers ce à quoi on a été expo­sé au fil du temps. Cette nou­velle ciné­phi­lie se sent à tra­vers cette géné­ra­tion qui endosse aus­si bien les rôles de pro­fes­seur que de cinéaste et de pro­gram­ma­teur de fes­ti­vals. J’ai l’impression que cette ligne entre ciné­ma d’auteur et de genre est main­te­nant brouillée. Tout s’influence. Ça se voit dans la pro­gram­ma­tion du FNC qui ouvre une porte au ciné­ma de genre ou dans celle de Fan­ta­sia qui de son côté se penche, avec « Came­ra Luci­da », sur un ciné­ma qui est peut-être plus d’auteur, tout en conti­nuant de se réfé­rer au genre.

Fran­cis Ouel­lette : Ceci n’est pas une plug parce que je ne fais plus par­tie de ce pod­cast-là dont j’ai été un membre fon­da­teur, mais David fait encore par­tie du 7ème anti­quaire6. L’une des idées fon­da­men­tales de ce pod­cast, c’était jus­te­ment d’opérer ce décloi­son­ne­ment-là, c’est-à-dire sai­sir l’occasion de par­ler d’un film de série B ou d’un film culte avec toute la dili­gence avec laquelle on par­lait d’un grand chef‑d’œuvre ; ou encore, par­ler de chefs d’œuvre ciné­ma­to­gra­phiques à par­tir des cri­tères d’analyse appro­priés au film de genre. En tant que ciné­phile, je regarde Car­ni­val of Souls (Herk Har­vey, 1962) comme un drame berg­ma­nien. Et L’année der­nière à Marien­bad (Alain Resnais, 1961) pour moi, c’est un film d’horreur, un film han­té, un film de zom­bies, de fan­tômes, de reve­nants. Quand on essayait de faire cet exer­cice-là en 2006, on avait vrai­ment l’impression d’être dans un monde où ce décloi­son­ne­ment n’existait à peu près nulle part. J’avais vrai­ment l’impression qu’on était les freaks de ser­vice et on ado­rait ça, mais plus les années avan­çaient et moins on était des freaks.

David For­tin : C’est drôle, car cette approche cri­tique s’est déve­lop­pée en bris de la popu­la­ri­té ou d’une meilleure place publique. On le voyait, la plu­part des films dont on trai­tait au 7ème anti­quaire dans les cinq der­nières années ont tous eu des réédi­tions Blu-ray. Ils sont sor­tis de nulle part, ils sont pas­sés du 35 mm au Blu-ray tout d’un coup. Il y a une demande pour ces films-là qui étaient oubliés ou qui étaient mal aimés. Main­te­nant, ils ont droit à des res­tau­ra­tions 4K qui doivent coû­ter une fortune.

Figure 3 : The Peanut Butter Solution (Michael Rubbo, 1985).
Figure 3 : The Pea­nut But­ter Solu­tion (Michael Rub­bo, 1985).

Marché et distributeurs

Fran­cis Ouel­lette : Quel serait le mar­ché du dvd et du Blu-ray en ce moment si ce n’était pas de ça ?

Louis Pel­le­tier : Oui, on parle d’Arrow7 et c’est le cas que j’ai en tête, mais au Qué­bec, qui occupe ce créneau ?

Eva Létour­neau : On a un film qué­bé­cois qui va sor­tir chez Seve­rin8, The Pea­nut But­ter Solu­tion (Michael Rub­bo, 1985), avec une res­tau­ra­tion. C’est un cas où l’international nous aide à res­tau­rer nos chefs‑d’œuvre redé­cou­verts. Il y a un inté­rêt inter­na­tio­nal pour des films qu’on redé­couvre. Bon, Éle­phant9 en fait beau­coup, mais c’est cer­tain qu’on ne va pas cher­cher un public large avec ces films. Donc quand tu as de l’aide à l’international pour sor­tir une res­tau­ra­tion 2K d’un film comme celui-là, ça ajoute quelque chose. Les ciné­philes aiment ache­ter, mais on n’a pas assez du mar­ché qué­bé­cois pour sor­tir un Blu-ray 4K d’un film de genre qué­bé­cois des années 1970.

Louis Pel­le­tier : Est-ce que c’est une ques­tion de droits ? Fran­cis, tu es en dis­tri­bu­tion, est-ce que de sor­tir des films patri­mo­niaux en Blu-ray, c’est un cau­che­mar pour la ges­tion des droits ?

Fran­cis Ouel­lette : Sor­tir un film en dvd, chez nous, en ce moment, ce serait un cau­che­mar, pour des ques­tions de droit ou plus géné­ra­le­ment finan­cières. C’est comme la ciné­ma­to­gra­phie ita­lienne des années 1960–1970 qui a cou­vert tous les genres. Les ciné­ma­thèques de par­tout à tra­vers le monde qui veulent jouer tel ou tel wes­tern spa­ghet­ti, tel ou tel gial­lo font « merde, on ne sait pas du tout qui a les droits ». On n’arrive pas à retra­cer les droits. On a plein de films comme ça au Québec.

Eva Létour­neau : Je pense que notre seule porte sera de pas­ser par des com­pa­gnies qui peuvent dis­tri­buer beau­coup plus lar­ge­ment pour que ça vaille la peine de faire des sor­ties des films qu’on vou­drait pour nous-mêmes, chez nous. Mais avant qu’il y ait Arrow, qu’il y ait Vine­gar Syn­drome10, qui est très fort main­te­nant aus­si, qu’il y ait Seve­rin… Ça fait quand même plu­sieurs bons joueurs qui peuvent sor­tir des films et ça per­met de dis­tri­buer et de faire connaître le ciné­ma qué­bé­cois. C’est juste drôle que ça ne passe pas par chez nous. En même temps, le mar­ché n’est pas assez gros ici.

David For­tin : Ils se sont bâti une répu­ta­tion qui fait que main­te­nant, ils peuvent sor­tir ce truc-là. Pour l’international, The Pea­nut But­ter Solu­tion, ça ne son­ne­ra pas de cloches, mais ils vont être intri­gués : « Ah, ça vient de Severin ».

Mathieu Li-Goyette : Jus­te­ment, il y a un cas inté­res­sant pour ça. C’est le cas d’Evokative Films11 qui a été créé par Sté­pha­nie Tré­pa­nier. En voyant le suc­cès popu­laire de Fan­ta­sia, elle a eu l’idée de par­tir une boîte de dis­tri­bu­tion à Mont­réal et s’est dit : « pour­quoi ne pas par­tir une boîte mais qui soit foca­li­sée sur le genre et qui puisse répondre aux attentes des ciné­philes de genre, c’est-à-dire pro­duire de belles édi­tions dvd, bien fou­tues, avec des com­men­taires audio, des sup­plé­ments ? » Le genre de trai­te­ment de luxe qu’à peu près aucun autre dis­tri­bu­teur de films au Qué­bec, à ma connais­sance, fai­sait à ce point-là. C’était vrai­ment unique. Sté­pha­nie Tré­pa­nier ache­tait les films qui fonc­tion­naient le mieux à Fan­ta­sia. Son pro­to­cole était assez simple. Je crois que ça a duré près de trois ans, cette aven­ture. La chute fut assez dure, car elle a per­sis­té en se disant que ça allait finir par décol­ler, qu’à un moment don­né, le prin­cipe de col­lec­tion – le type qu’on peut retrou­ver chez Cri­te­rion, Amos ou Seve­rin – fini­rait par prendre le des­sus et que les gens pour­raient se dire « OK, c’est un Evo­ka­tive ». Mais ça n’a pas pris. J’en avais par­lé avec elle à l’époque, et la grosse brique qui lui était tom­bée sur la tête, c’était de réa­li­ser que les gens qui sortent de chez eux pour aller à Fan­ta­sia au mois de juillet dis­pa­raissent le reste de l’année. Que cet effet de masse – on est en gang, on aime le genre, on va en salle, on achète des billets, on achète des pos­ters et des dvd à la table d’Arrow – ne durait pas… Ren­dus en sep­tembre, ces gens-là ont com­plè­te­ment dis­pa­ru de la carte.

Julie Rava­ry-Pilon : Est-ce que ces ciné­philes de genre pré­fèrent l’expérience en salle ?

Mathieu Li-Goyette : C’est com­pli­qué Fan­ta­sia, parce que ce n’est pas juste une ques­tion d’expérience de salle. C’est une expé­rience évé­ne­men­tielle. C’est tout ça qui entre en ligne de compte. Ce sont aus­si des gens qui col­lec­tionnent les cata­logues de Fan­ta­sia et qui les échangent parce que : « ah, moi j’ai un double de 1998 et toi tu en as un de 1996 et je le veux. » Tu n’as pas de fans du FNC comme ça. Ce sont des gens qui empilent leurs expé­riences fes­ti­va­lières fan­ta­siennes, parce que c’est vrai­ment le fes­ti­val de la nos­tal­gie et du sou­ve­nir. Tu vas l’entendre entre ciné­philes : « ah, te rap­pelles-tu en telle année quand on avait vu un tel film et que telle per­sonne est sor­tie en ambu­lance ? » C’est un fes­ti­val qui se construit beau­coup, comme les com­mu­nau­tés de genre, à tra­vers l’anecdote, puis à tra­vers un rap­port très intime à l’objet qui est regardé.

Fran­cis Ouel­lette : C’est un fait inté­res­sant que la pro­jec­tion fes­ti­va­lière dans la pro­vince de Qué­bec fait tou­jours pro­fon­dé­ment mal à la sor­tie en salles. On est main­te­nant à cet extrême-là où les dis­tri­bu­teurs doivent négo­cier d’arrache-pied pour avoir les plus petites salles pos­sibles et de mau­vaises jour­nées de pre­mières pour s’assurer que la sor­tie en salles ne va pas être tota­le­ment morte et esca­mo­tée. Si tu as eu 1 500 per­sonnes à Mont­réal pour aller voir un film japo­nais de 3 heures et demie, qu’est-ce qui se passe ? Quels autres fans veulent ça à Mont­réal et au Qué­bec ? Parce que la ciné­phi­lie mont­réa­laise et la ciné­phi­lie de la pro­vince, c’est com­plè­te­ment deux mondes. Mont­réal est un épi­centre d’intérêt cultu­rel sin­gu­lier, le bilin­guisme aidant, aussi.

Louis Pel­le­tier : Mais il n’y a pas autre chose ? Je n’ai jamais vécu à Qué­bec, mais j’ai beau­coup d’amis qui sont ou qui étaient à Qué­bec et il me semble que ce que je res­sen­tais, c’est que Qué­bec, c’est une ville où, en sur­face, il ne se passe pas beau­coup de choses, seule­ment, lorsque tu es dans le réseau, il y a tou­jours quelqu’un qui orga­nise quelque chose. Il y avait un club d’ota­ku. Si tu étais fan d’anime, il y avait une salle à l’Université Laval où, à tel jour, une per­sonne allait faire une projection.

David For­tin : J’ai l’impression que ça s’est déve­lop­pé plus tar­di­ve­ment parce que du temps que j’étais à Qué­bec, les films de réper­toires, cultes ou bis ne se trou­vaient pas facilement.

Fran­cis Ouel­lette : Vous deman­de­rez éven­tuel­le­ment à David For­tin de vous racon­ter ses his­toires, ses épo­pées de quand il mon­tait à Mont­réal pour finir à la Boîte Noire et qu’il rame­nait à Qué­bec 20 vhs en sha­kant parce qu’il ne les trou­vait pas là-bas, les films.

David For­tin : En même temps, ça fait main­te­nant vingt ans que je suis à Mont­réal et c’est sûr que depuis les vingt der­nières années, j’ai l’impression que ça s’est beau­coup déve­lop­pé. Il y avait quand même quelque chose qui était là, auquel je n’étais peut-être pas aus­si attentif.

Eva Létour­neau : Il y avait quelques places. Moi, ado­les­cente, je dépen­sais 50 $ par semaine au Vidéo­drome, un club vidéo de Qué­bec. J’y allais toutes les semaines et y reve­nais semaine après semaine.

David For­tin : Tu avais éga­le­ment Anti­tube12 qui fai­sait des trucs. Pour les ciné­philes, il y avait un moyen de s’en sor­tir. Pour le ciné­ma de genre en tant que tel, tu avais la télé ou tu avais les films qui sor­taient en salles. Le ciné­ma de genre est quand même dis­tri­bué en géné­ral, mais si tu cher­chais du poin­tu, il fal­lait à cette époque-là que tu ailles au club vidéo Car­tier dans le centre-ville.

Mathieu Li-Goyette : Le fait que ça ait été de niche, je pense que c’est un peu le même cas par­tout. Je ne veux pas oser par­ler d’exception qué­bé­coise, mais il y a quand même quelque chose de bizarre dans notre mar­ché. Il y a eu des mar­chés de niche comme ça un peu par­tout dans les années 1990 en Occi­dent, mais là, en ce moment, on vit à une époque où, jus­te­ment, le genre se démo­cra­tise. Le genre se popu­la­rise, se mains­trea­mise très rapi­de­ment par­tout sauf ici, comme on en par­lait tan­tôt avec l’exemple des chro­ni­queurs de Radio-Cana­da qui ne savent pas en par­ler. Quand ils abordent le genre, comme tu par­lais tan­tôt de l’intervention de Fran­co Nuo­vo, ça sonne comme un dis­cours tota­le­ment aber­rant pour des gens qui s’entendent sur ce cinéma-là.

Eva Létour­neau : Est-ce que ce sont les ins­ti­tu­tions qui ne suivent pas le mar­ché ou le public ?

Mathieu Li-Goyette : J’ai le goût de dire qu’une rai­son sou­ter­raine à tout ça, c’est le fran­çais. C’est l’indisponibilité des sous-titres fran­çais et le fait que le ciné­ma de genre, si tu ne parles pas du tout anglais, ça ne t’est quand même pas acces­sible. C’est peut-être quelque chose qui est peu dit, mais je pense qu’à Radio-Cana­da, la rai­son pour laquelle ça a pris autant de temps avant de s’intéresser, par exemple, aux super­hé­ros ou à la culture geek, c’est parce que c’est une culture anglo­phone. Parce qu’au Qué­bec, on a un sen­ti­ment d’infériorité où on se dit que n’importe quoi qui vient des États-Unis, c’est tout de suite une marque de l’impérialisme amé­ri­cain qui cherche à nous enva­hir. Alors qu’à notre époque, ce n’est pas ce qu’on res­sent. Quand on regarde un film de genre, un film de série B ou un film qui pas­tiche un genre, peu importe, ou qu’on voit jus­te­ment une réfé­rence à un ciné­ma hol­ly­woo­dien clas­sique dans un film d’auteur coréen ou argen­tin, on n’est pas en train de se dire : « Ah, sale­té d’Américains ! Ils ont vrai­ment pris pos­ses­sion de la culture mon­diale. » On a vrai­ment dépas­sé ces discours-là.

Fran­cis Ouel­lette : Tu te rends compte que, fina­le­ment, il y a un com­plexe d’infériorité dans la culture qué­bé­coise et en même temps, une pro­fonde fier­té d’avoir sa par­ti­cu­la­ri­té. Elle s’exprime par­tout, cette espèce de bipo­la­ri­té cultu­relle. Tu la vois par­tout et pour cette rai­son, le genre ne s’est jamais mieux expri­mé chez nous que du côté cana­dien avec Ciné­pix13. Je suis per­sua­dé que tôt ou tard, il y a un col­lec­tion­neur qui fera : « Hey man, le Maple Syrup Exploi­ta­tion, le Canux­ploi­ta­tion ». Il y a aus­si le fait que c’étaient des films qui ne rechi­gnaient pas à avoir des comé­diens anglo­phones un peu popu­laires ; des Chris­to­pher Plum­mer à gauche, name it. D’ailleurs, je trouve qu’une des sec­tions les plus inté­res­santes de Fan­ta­sia, c’est « Genres du pays14 ». J’ai fait des décou­vertes ful­gu­rantes les dix der­nières années à tra­vers cette sec­tion. Il y a un bud­dy cop sur­na­tu­rel comme Bon Cop, Bad Cop (Érik Canuel, 2006) avant l’heure qui s’appelle La lunule ou The Pyx (Har­vey Hart, 1973), avec Chris­to­pher Plum­mer et Donald Pilon qui chassent un Jean-Louis Roux sata­niste. Et tu t’exclames : « Oh, je n’ai jamais enten­du par­ler de ça ! »

Julie Rava­ry-Pilon : Fan­ta­sia avait pro­gram­mé Pou­voir intime (Yves Simo­neau, 1986) en 2014, un thril­ler avec une gen­der-fluid Marie Tifo qui est l’atout phy­sique de la bande de cri­mi­nels. Son per­son­nage effec­tue toutes les tâches qui demandent une maî­trise ou une force phy­sique. Très rafrai­chis­sant pour l’époque ! Je n’aurais jamais vu ce film si ce n’était du tra­vail de pro­gram­ma­tion de Fan­ta­sia. C’est presque absent de tous les ouvrages sur l’histoire du ciné­ma québécois.

Eva Létour­neau : Le pro­blème, c’est que si les films n’ont pas mar­ché, il reste peu d’éléments pour faire des res­tau­ra­tions. Car s’ils n’ont pas voya­gé, et même si ce n’étaient pas de grosses pro­duc­tions, très sou­vent, on n’a pas tous les élé­ments du film.

David For­tin : Tu par­lais de Pou­voir intime. C’est un film qui n’a même pas eu droit à son dvd. Il y avait bien eu une vhs, mais c’est tout. Alors comme tu dis, des sec­tions comme « Genres du pays » ça devient jus­te­ment un moyen impor­tant de mon­trer les films de genre. Du ciné­ma de genre, on en a fait au Qué­bec et pas juste depuis les vingt der­nières années.

Figure 4 : Mustang (Yves Gélinas & Marcel Lefebvre, 1975).
Figure 4 : Mus­tang (Yves Géli­nas & Mar­cel Lefebvre, 1975).

Acquisition et conservation

Louis Pel­le­tier : D’un point de vue d’historien, ce qui est dif­fi­cile, c’est qu’on va sur­tout par­ler des films que l’on connaît. Et ceux qu’on connaît, c’est ceux dont on parle. Dans le ciné­ma qué­bé­cois, pour beau­coup de cri­tiques ou d’historiens des années 1960, 1970 et 1980, un bon film, c’était un film qui cadrait bien avec une cer­taine vision natio­na­liste du Qué­bec émergent, qui se bat­tait contre l’envahisseur étran­ger. Je ne sais pas ce que Yves Lever, par exemple, a pu écrire au sujet d’un film comme Mus­tang (Yves Géli­nas & Mar­cel Lefebvre, 1975), un film de genre de cow­boys, mais ça m’étonnerait qu’il ait por­té ce film aux nues. Comme les gens de cette géné­ra­tion-là en ont peu par­lé – et s’ils l’ont fait, c’est pro­ba­ble­ment avec un cer­tain mépris –, un tel film est appe­lé à dis­pa­raître. Il devient donc presque impos­sible d’avoir accès à ce qui pour­rait tou­jours exis­ter comme copie et d’en dis­cu­ter. À la Ciné­ma­thèque, ça res­semble à quoi vos poli­tiques, tant au point de vue des acqui­si­tions que de la programmation ?

Eva Létour­neau : C’est quand même le fun de retour­ner dans les archives, je dois dire. Je me pro­mène dans les allées et je ren­contre des films que j’aimerais voir et voir en salle aus­si. La pro­gram­ma­tion ne me concerne pas beau­coup, je ne tra­vaille pas dans ce dépar­te­ment-là, je suis aux col­lec­tions et c’est cer­tain qu’on ne fait pas des acqui­si­tions selon les genres. Tout ce qui est qué­bé­cois et cana­dien est dans notre prio­ri­té d’acquisition, peu importe le genre.

Louis Pel­le­tier : On peut évo­quer Ciné­pix, par exemple, qui est vrai­ment fon­da­men­tal en his­toire de ciné­ma de genre au Qué­bec. Est-ce qu’à la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise, vous avez un fonds Ciné­pix ? Est-ce que ces films-là sont bien conser­vés ? Est-ce qu’il y a des néga­tifs ori­gi­naux ou des élé­ments de tirage qui existent ?

Eva Létour­neau : Je ne connais pas par­ti­cu­liè­re­ment l’histoire de Ciné­pix à la Ciné­ma­thèque, mais dès qu’on a des pos­si­bi­li­tés d’acquérir des fonds issus du ciné­ma qué­bé­cois ou cana­dien, c’est tou­jours une prio­ri­té. Et sou­vent, ces films-là sont des prio­ri­tés de conser­va­tion par le fait qu’ils ont peu voya­gé, qu’ils ont eu une petite vie par rap­port à cer­tains autres films. Beau­coup moins d’éléments existent autour de ces films et ces élé­ments deviennent donc très pré­cieux. Car si on a une seule copie d’un film dans la col­lec­tion, ce n’est pas assez pour la conser­va­tion. On consi­dère que l’œuvre n’est pas pro­té­gée et alors, ne peut pas être pro­je­tée. C’est ça aus­si le pro­blème. Les pro­jec­tions de ces films-là, si on n’a pas assez d’éléments en ce qui les concerne, on ne peut pas en bonne conscience les lais­ser se pro­me­ner et être pro­je­tés. On essaie d’être actifs pour per­mettre la conser­va­tion à long terme ou la res­tau­ra­tion éven­tuelle de ces films-là et c’est tou­jours notre but à long terme.

David For­tin : Juste pour com­plé­ter, il y a bien des archives Ciné­pix. Je te confir­me­rai si c’est réel­le­ment un fonds ou une somme d’éléments, mais dans les archives, on a bel et bien les car­tables que la dis­tri­bu­tion Ciné­pix construi­sait autour de la récep­tion des films.

Eva Létour­neau : Par­fois, il y a éga­le­ment des pro­blèmes de droits pour les acqui­si­tions, par exemple lorsque les gens ne sont plus là ou dis­po­nibles pour signer les auto­ri­sa­tions. On a beau­coup de films en dépôt, ce qui consti­tue un pro­blème. Dans le cas où les gens ne sont plus dis­po­nibles, ne serait-ce que pour faire des res­tau­ra­tions, il faut essayer de retra­cer les gens pour savoir si on peut sor­tir le maté­riel, si on peut l’envoyer au laboratoire.

David For­tin : Je serais curieux de savoir pour les acqui­si­tions. Tu disais que tout ce qui est qué­bé­cois ou cana­dien, par défaut, vous allez le prendre. Mais pour le reste, pour l’international, est-ce qu’il y a des per­sonnes qui vont déci­der de ce qui doit être conser­vé ? Est-ce que le genre va jouer dans leurs déci­sions ? Par exemple, avec un film d’horreur des années 1980.

Eva Létour­neau : Ce n’est pas vrai­ment le genre qui joue. C’est cer­tain que le ciné­ma expé­ri­men­tal et le ciné­ma d’animation sont deux de nos prio­ri­tés d’acquisition. Parce que le ciné­ma expé­ri­men­tal est un ciné­ma très mar­gi­nal d’une cer­taine façon, très peu pro­té­gé. Les artistes, par­fois, jouent leurs propres inver­sibles15 et c’est cer­tain que si des gens nous offrent ces films-là ou si on a la pos­si­bi­li­té de les acqué­rir, on les veut aus­si pour cette rai­son. On veut essayer de pro­té­ger le ciné­ma qui est très pré­caire, ce qui vient aus­si avec des dif­fi­cul­tés énormes dans la docu­men­ta­tion des œuvres. Il n’y a pas de docu­men­ta­tion des œuvres, d’informations sur com­ment les œuvres doivent être pro­je­tées, par exemple. Sou­vent, on n’a même pas de copie de réfé­rence lorsqu’on veut faire une res­tau­ra­tion. Tous les films qui ont eu une petite vie à la base amènent pas mal de pro­blèmes, c’est tou­jours dif­fi­cile de les faire revivre.

Louis Pel­le­tier : On parle par­fois de la schi­zo­phré­nie qué­bé­coise au sens où notre culture dans le domaine du ciné­ma, entre autres, s’est beau­coup consti­tuée par l’appropriation des pra­tiques des films étran­gers. Ça remonte jusqu’aux boni­men­teurs, si on revient aux recherches de Ger­main Lacasse, et au dou­blage au Qué­bec ? Je pense que c’est enjeu vrai­ment impor­tant. Pen­dant long­temps, on n’avait pas les moyens d’avoir une indus­trie qui allait sor­tir une cen­taine de films de fic­tion par année. Donc, on dou­blait les films étran­gers pour les rendre acces­sibles et puis sou­vent, dans ces cas-là, il y avait une forme d’appropriation, un dou­blage qui n’est pas trans­pa­rent, comme avec Slap Shot (George Roy Hill, 1977), Les Lavi­gueur (Dick Maas, 1986) ou Les Pier­ra­feu (ABC, 1960–1966) à la télé­vi­sion. Mais c’est là, peut-être, où la contri­bu­tion des col­lec­tion­neurs est impor­tante et inté­res­sante parce qu’on peut ima­gi­ner qu’une ciné­ma­thèque sou­haite conser­ver la meilleure ver­sion d’un film, qui est la ver­sion de l’auteur. Est-ce que le dou­blage, pour une ciné­ma­thèque, c’est une pro­duc­tion intéressante ?

Eva Létour­neau : Ça dépend vrai­ment des œuvres. Il y a des cas où per­son­nel­le­ment, j’étais très en faveur de conser­ver la ver­sion fran­çaise. Un film comme Seed of Chu­cky (Don Man­ci­ni, 2004), par exemple, je trouve plus inté­res­sant d’en conser­ver la ver­sion dou­blée en fran­çais, que de gar­der des copies dou­blées d’un Gus Van Sant. Il y a quand même des cas où ce n’est pas néces­sai­re­ment notre poli­tique géné­rale de faire ça, mais on le consi­dère quand même selon les genres. Et puis, je dirais qu’on est quand même plu­sieurs à s’intéresser au ciné­ma de genre dans des ins­ti­tu­tions comme la Ciné­ma­thèque. Je ne consi­dère pas que ça soit mal vu d’aimer ou de tra­vailler sur ce sujet. Ce n’est pas néces­sai­re­ment ce que je fais dans mes tâches prin­ci­pales, mais par exemple, j’aime beau­coup tra­vailler sur les bandes-annonces. Au fil du temps, on a fait des pro­jec­tions d’équipe de bandes-annonces de films éro­tiques et autres. Laisse-toi faire, la neige est bonne (Hen­ri Sala, 1976), la bande-annonce est com­plè­te­ment ridi­cule, c’est fantastique.

David For­tin : Et jus­te­ment, cet inté­rêt-là, je ne sais pas s’il était pré­sent avant que tu n’arrives, du moins, j’ai l’impression que je n’en enten­dais pas autant parler.

Eva Létour­neau : C’est sûr qu’en me pro­me­nant dans la col­lec­tion, je tombe sur des curio­si­tés. On découvre même des films que l’on igno­rait être des œuvres cana­diennes. Je pense à la bande-annonce d’un film comme The Yin and the Yang of Mr. Go (Le Troi­sième œil, en fran­çais, Bur­gess Mere­dith, 1970). C’est un film avec Jeff Bridges dans un de ses pre­miers rôles et on pense que c’est pos­si­ble­ment une co-pro­duc­tion cana­dienne. C’est en sor­tant la bande-annonce qu’on s’en est ren­du compte.

David For­tin : J’allais juste glis­ser un mot pour com­plé­ter par rap­port aux poli­tiques d’acquisition. Il y a des dou­blages faits au Qué­bec en joual, par exemple. Est-ce que, au-delà de tes inté­rêts dans la poli­tique ou des déci­sions des direc­teurs de pro­jec­tion, on peut dire que l’importance de ce dou­blage en joual est recon­nue et considérée ?

Eva Létour­neau : C’est arri­vé récem­ment qu’on garde des films en dou­blage fran­çais, mais ce sont des titres qui ont été sélec­tion­nés. Moi, je pense à faire des listes des films dou­blés à conser­ver. Je dirais quand même que l’on consi­dère qu’il y a un public pour des types de films comme ça.

David For­tin : C’est juste au niveau du public ? Ce n’est pas à un niveau his­to­rique, que c’est impor­tant, his­to­ri­que­ment, de conser­ver ça ?

Eva Létour­neau : Je ne sais pas com­ment les autres jugent ça, mais on peut consi­dé­rer Fan­ta­sia, qui vient aus­si s’approvisionner en copies chez nous. La pré­sence de La Ciné­ma­thèque inter­dite16 par exemple peut nous convaincre de gar­der des copies dans notre col­lec­tion de dif­fu­sion – qui n’est pas notre col­lec­tion de conser­va­tion de films qué­bé­cois – en sachant qu’il y a un public que ça peut tou­cher. Mais comme on ne peut pas tout gar­der, on ne garde pas for­cé­ment les dou­blages de tous les films.

Julie Rava­ry-Pilon : Ça fait com­bien de temps que tu fais ce tra­vail à la Cinémathèque ?

Eva Létour­neau : Je tra­vaille à la Ciné­ma­thèque depuis à peu près trois ans, mais sur dif­fé­rents postes.

Julie Rava­ry-Pilon : Est-ce que vous voyez une pro­gres­sion ou bien ça a tou­jours été là, cet inté­rêt du public dont tu parlais ?

Eva Létour­neau : Je ne suis pas très au cou­rant des don­nées entou­rant le nombre d’entrées en salle. Les cycles clas­siques attirent énor­mé­ment de monde. La Ciné­ma­thèque inter­dite attire un autre type de gens qui ne viennent pas à la Ciné­ma­thèque d’habitude.

David For­tin : J’ai l’impression, en tous les cas, qu’il y a quand même eu, de façon semi-régu­lière, des pro­jec­tions de « films de genre » à la Ciné­ma­thèque ou de films qui penchent vers les genres. Chaque fois, ça peut être sur­pre­nant de voir le nombre de per­sonnes que ces pro­jec­tions attirent, habi­tuées ou nou­velles. Avec Pano­ra­ma-ciné­ma, on avait pré­sen­té A Touch of Zen (King Hu, 1971) qui est un film qui s’inscrit dans le genre du wuxia, donc du film de sabre et d’épée chi­nois, et c’était une salle comble.

Louis Pel­le­tier : Je pense que c’est quand même assez nou­veau que la Ciné­ma­thèque pré­sente du ciné­ma de genre.

Fran­cis Ouel­lette : C’est venu avant cette vague-là. Je me sou­viens, il y a une dizaine d’années, j’avais vu ici un wes­tern réa­li­sé par Claude Four­nier avec Donald Suther­land et Jean Duceppe qui s’appelle Alien Thun­der (1974). C’était sor­ti à une époque où ça ne se fai­sait pas, mais il y avait des perles rares de ciné­ma de genre de temps en temps dans la pro­gram­ma­tion de la Ciné­ma­thèque. Je suis allé voir ce film-là qui était lit­té­ra­le­ment un wes­tern spa­ghet­ti. Donald Suther­land y joue une police mon­tée. La salle était com­plè­te­ment pleine, et il y avait autant des vieux qui avaient vu ce film-là une fois à l’époque que des jeunes ciné­philes comme moi qui étaient comme : « C’est quoi ce film-là ? ». La Ciné­ma­thèque était quand même gut­sy. Elle essayait. Elle sor­tait un ou deux films com­plè­te­ment fous, une fois de temps en temps.

David For­tin : Il y a eu une ini­tia­tive de pro­gram­ma­tion, il y a plu­sieurs années, avant même que j’y tra­vaille qui s’appelait Les nuits psy­cho­tro­niques17 et qui avait lieu, je pense, les ven­dre­dis. Je pense que ça mar­chait bien et qu’aujourd’hui, cer­tains pro­gram­ma­teurs vont vers ça, d’autres moins. Ça bouge selon les époques. Ça essaie comme ça peut.

Figure 5 : La pomme, la queue et les pépins (Claude Fournier, 1974).
Figure 5 : La pomme, la queue et les pépins (Claude Four­nier, 1974).

La sexualité et la violence dans le cinéma de genre

Louis Pel­le­tier : Je pense que ça per­met peut-être de rebon­dir sur la ques­tion : c’est quoi une bonne expé­rience de ciné­ma de genre ?

Fran­cis Ouel­lette : Il y a une affaire à laquelle je réflé­chis beau­coup : on dirait que plu­sieurs des bas­cu­le­ments cultu­rels et des évo­lu­tions ciné­ma­to­gra­phiques les plus impor­tantes qui ont eu lieu au sein du sep­tième art n’auraient pas eu lieu sans la por­no­gra­phie. Parce que la por­no­gra­phie arrive et change les mœurs de la consom­ma­tion du ciné­ma à une échelle déme­su­rée. C’est la por­no­gra­phie qui a créé le vhs. Le dvd aus­si ; à tout le moins, la por­no­gra­phie y a, dans le der­nier cas, énor­mé­ment contri­bué. Je me demande jusqu’à quel degré l’histoire du Qué­bec ou du ciné­ma qué­bé­cois au com­plet per­drait l’un de ses plus gros ten­ta­cules si on lui reti­rait Valé­rie (Denis Héroux, 1969) ? Valé­rie a l’air super inno­cent comme film, mais c’est un film qui a bâti à lui seul une indus­trie. Ciné­pix n’aurait pas exis­té sans ce film. Il aura donc fal­lu le film de cul ou le film foli­chon pour en arri­ver là. Tu vas d’ailleurs trou­ver plein de Qué­bé­cois assez jeunes, capables de citer La pomme, la queue et les pépins (Claude Four­nier, 1974). On redé­couvre des films qui étaient consi­dé­rés comme des blagues, mais qui sont main­te­nant pris au deuxième puis au troi­sième degré. Ces films sont des délices cultu­rels que l’on récupère.

Julie Rava­ry-Pilon : Mais Valé­rie est aus­si arri­vé immé­dia­te­ment après la fin de la cen­sure18. Y‑a-t-il un lien direct entre la fin de la cen­sure et la nais­sance d’une indus­trie « com­mer­ciale » du ciné­ma québécois ?

Eva Létour­neau : Bien, pour avoir ins­pec­té beau­coup de copies de films érotiques/pornographiques, je peux dire qu’on le voit direc­te­ment : il y a des copies qui ont le visa de cen­sure et d’autres pas. Et d’une copie à l’autre, il manque des plans. Même chose pour les bandes-annonces : la bande-annonce de ces films dure 30 secondes de moins. Ça repré­sente tout de même un pro­blème de conser­va­tion puisque les copies sont com­plè­te­ment char­cu­tées et par­fois de façon abso­lu­ment ridicule.

David For­tin : On parle du Bureau de la cen­sure, mais je pense à autre chose. Il y a plu­sieurs exemples qui démontrent bien com­ment la récep­tion du film de genre s’est trans­for­mée avec le temps. Je pense à un orga­nisme comme Media­film19. Tu regardes les pre­mières fiches de Night of the Living Dead (George Rome­ro, 1968), par exemple, qui était coté 6 ou 7. La petite fiche détrui­sait le film, essen­tiel­le­ment. Tu regardes main­te­nant sur leur site web et le film a été révi­sé. Il est main­te­nant 4 ou 3, je ne sais plus. Mais clai­re­ment, il y a une switch qui fait qu’on est pas­sé d’un très mau­vais film à un bon film. Il y a plu­sieurs autres exemples où l’on peut voir, jus­te­ment, de quelle manière, la récep­tion d’un film par des orga­nismes comme Media­film ou le Bureau de cen­sure s’est trans­for­mée avec le temps.

Mathieu Li-Goyette : Ou comme dans le cas de la revue Séquences. Je veux dire, Léo Bon­ne­ville, c’était un Père reli­gieux si ma mémoire est bonne20. C’est assez drôle. Je m’étais beau­coup inté­res­sé à la récep­tion du ciné­ma japo­nais au Qué­bec. Il faut vrai­ment attendre les années 1960 et que Claude R. Blouin com­mence à écrire dans Séquences des articles du genre « Com­ment voir le ciné­ma japo­nais ? », qu’il se mette à défendre des films qui sont pour­tant des chefs‑d’œuvre comme le Hara­ki­ri (1962) de Kobaya­shi en disant : « ce n’est pas un film trash, ce n’est pas un film violent, c’est un film qui porte sur une caste en par­ti­cu­lier, c’est une réa­li­té socio­cul­tu­relle ». Il fal­lait vrai­ment qu’il sorte tout son petit change pour défendre des films qui sont aujourd’hui des piliers du ciné­ma japo­nais. Parce qu’à l’époque, les gens s’arrêtaient à deux choses : d’une part, l’exotisme et, d’autre part, la vio­lence et la sexua­li­té qui en accom­pa­gnaient l’idée. Je pense que la récep­tion et le milieu des médias au Qué­bec a énor­mé­ment conser­vé de ses vieux plis, ins­ti­tués d’abord par Séquences puis par l’Office des com­mu­ni­ca­tions sociales21 et Media­film22. Aujourd’hui, on lit Cas­si­vi ou Lus­sier dans La Presse ou même les gens du Devoir et c’est hal­lu­ci­nant à quel point j’ai l’impression qu’ils s’offusquent davan­tage sur des bases de petite mora­li­té que sur des enjeux esthé­tiques for­mels. C’est fou à quel point ça ne parle jamais de mise en scène dans La Presse ou dans Le Devoir.

Fran­cis Ouel­lette : J’ai par­fois l’impression de revoir les réflexes de récep­tion qu’il y a eu à l’époque d’Hiro­shi­ma, mon amour (Alain Resnais, 1959)23. Géné­ra­le­ment, la repré­sen­ta­tion de la sexua­li­té est très pré­sente dans le ciné­ma de genre et beau­coup plus débri­dée que dans le ciné­ma d’auteur. Tu vas sou­vent avoir une charge sexuelle dans ces films-là, qu’elle soit sym­bo­lique ou lit­té­ra­le­ment mon­trée à l’écran. Le rap­port que le Qué­bec, dans son art ciné­ma­to­gra­phique, a avec la sexua­li­té, c’est un tra­vail uni­ver­si­taire à faire de toute urgence. Nom­mez-moi, ces vingt der­nières années, un film qué­bé­cois qui montre une vision franche, saine, agréable, désin­volte de la sexua­li­té. Il n’y en a pas ou à peu près pas. S’il y a de la sexua­li­té, géné­ra­le­ment, ça va lor­gner vers l’inceste, vers le viol ou une sexua­li­té qui est vécue avec une série de féti­chismes ou avec des paraphilies.

Mathieu Li-Goyette : Ou alors, c’est apa­thique, à tra­vers une sexua­li­té ennuyée.

Fran­cis Ouel­lette : Tout à fait. La sexua­li­té, elle est ennuyée. Elle est morne, elle est molle et quand elle est dure, elle est dans l’agression la plu­part du temps.

Mathieu Li-Goyette : C’est rough comme dans Lau­ren­tie (Mathieu Denis  & Simon Lavoie, 2011).

Fran­cis Ouel­lette : Com­plè­te­ment. Je pense à un film comme Nuit #1 (2011) de Anne Émond, que j’aime beau­coup ou même à Les salopes ou le sucre natu­rel de la peau (Renée Beau­lieu, 2018). C’est un genre de sexua­li­té qu’on ne voit pas sou­vent dans notre ciné­ma, mais ça demeure très froid, cli­nique, il n’y a pas de plai­sir non plus.

Simon Ché­nier : Si on parle de mau­vais genres, il y a aus­si Échan­gistes (Simon Bois­vert, 2007). C’est une autre ver­sion de la sexua­li­té, mais vrai­ment mal représentée.

Fran­cis Ouel­lette : Et qui, étran­ge­ment, rejoint un peu le ciné­ma d’auteur. Même chez un gars comme Bois­vert, qui est une indus­trie à lui tout seul avec son ciné­ma culte, on est à la même place que tout le monde avec la sexua­li­té. J’ai l’impression que l’absence d’une véri­table indus­trie du ciné­ma de genre a fait que dans le ciné­ma, la repré­sen­ta­tion de la sexua­li­té n’est pas très pré­sente. Ou du moins, elle n’est pas positive.

Mathieu Li-Goyette : Même chose avec la vio­lence ; c’est-à-dire que la vio­lence dans le ciné­ma qué­bé­cois, elle n’est jamais cathar­tique comme elle peut l’être dans un Taran­ti­no. Ça va être un truc qu’on doit endu­rer ou quelque chose qu’on doit cacher ou qui va ame­ner, comme dans Les sept jours du talion (Podz, 2010), une manière d’accuser le personnage.

Louis Pel­le­tier : J’aime bien mon­trer Gina (Denys Arcand, 1975) à mes étu­diants. C’est Ciné­pix qui a pro­duit le film la même année que Ilsa, la louve des SS (Don Edmonds, 1975). En somme, c’est Denys Arcand qui s’amuse avec les codes du rape and revenge. Il y a une charge cathar­tique à la fin quand les vio­leurs se font explo­ser – il y en a qui passent dans le chasse-neige –, mais même là, le côté génial du film, c’est qu’il sub­ver­tit la dimen­sion cathar­tique, car les types qui arrivent en sau­veur, ce sont les mêmes types que tu as vu battre une femme dans la séquence d’ouverture du film. Tu penses alors « yes, le méchant passe dans le chasse-neige ». Mais non, en fait, le type qui le pour­suit, il est aus­si sale. Même quand Arcand joue avec les codes de ciné­ma de genre, c’est pour te faire sen­tir mal et pour enle­ver la charge cathartique.

Mathieu Li-Goyette : Mais alors que jus­te­ment, si on revient à l’exemple de Tur­bo Kid, ça, c’est un film qui se vou­lait aller jus­te­ment à plein gaz vers cette cathar­sis jouis­sive. Et jus­te­ment, ça a été un film très mal reçu, très mal compris.

Figure 6 : Les affamés (Robin Aubert, 2017).
Figure 6 : Les affa­més (Robin Aubert, 2017).

Écosystèmes médiatique et critique

Julie Rava­ry-Pilon : Un cri­tique de ciné­ma de genre au Qué­bec, qu’est-ce que c’est ? Quelles sont les impli­ca­tions liées à cette pra­tique ? Quelles en sont les spé­ci­fi­ci­tés dans un mar­ché plus petit qu’aux États-Unis ? Qu’est-ce qui a chan­gé en dix ans ?

Mathieu Li-Goyette : Il faut dire qu’il y a un pro­blème dans l’écosystème média­tique qué­bé­cois. Comme n’importe quel éco­sys­tème média­tique, il fonc­tionne au consen­sus, mais le nôtre est par­ti­cu­liè­re­ment per­vers. Des médias comme La Presse et Le Devoir vont vou­loir, au niveau de leurs cri­tiques de ciné­ma, ten­ter de défendre un ciné­ma d’une cer­taine qua­li­té en essayant jus­te­ment de se tenir un peu à dis­tance du genre parce qu’ils se voient, eux, en tant que média géné­ra­liste res­pec­table, comme une forme de rem­part aux films de genre. Et parce qu’ils se voient comme une forme de rem­part, il n’y a aucune place à l’intérieur de ces publi­ca­tions pour une forme de voix mino­ri­taire. Que ce soit par rap­port aux genres ou par rap­port à n’importe quel autre type de ciné­ma, on pour­rait dire la même chose du docu­men­taire ou de l’expérimental. Quel est la place du ciné­ma docu­men­taire dans les pages du Devoir ? Il est peu pré­sent, sauf quand le sujet du film s’accorde à l’air ambiant. Et lorsqu’il l’est, très peu pro­posent de lire le film à tra­vers ses qua­li­tés for­melles ciné­ma­to­gra­phiques. Il y a un manque de diver­si­té de médias. On est concen­tré autour d’essentiellement deux médias au niveau de la récep­tion ciné­ma­to­gra­phique, soit La Presse et Le Devoir, et Media­film, d’une autre manière. Puis ces trois organes-là avec Radio-Cana­da, cultivent une même forme de regard et s’entendent à peu près tous sur les mêmes films. Ils vont don­ner à peu près trois étoiles et demie à tout ce qui est local et qui va sor­tir en salle, sans non plus don­ner de coup de gueule. J’ai l’impression qu’au Qué­bec, cette culture consen­suelle fait que « péter sa coche », ce n’est pas bien vu. Et pour défendre le ciné­ma de genre, il faut être plus passionnel.

Fran­cis Ouel­lette : On n’est pas de l’école de la cri­tique française.

David For­tin : L’histoire de l’écriture cri­tique sur le ciné­ma de genre, de toute façon, s’est déve­lop­pée tel­le­ment len­te­ment. On peut par­tir de l’Europe avec une revue comme Midi-Minuit Fan­tas­tique qui s’ouvrait au ciné­ma de genre. Après, il y eu L’Écran fan­tas­tique et com­pa­gnie. Main­te­nant, nous avons des sites Web spé­cia­li­sés. Pour ce qui est du Qué­bec, on a Hor­reur Qué­bec qui couvre mas­si­ve­ment depuis plu­sieurs années tout le ciné­ma d’horreur qui est dis­tri­bué ici.

Fran­cis Ouel­lette : C’est drôle com­ment une cer­taine cri­tique essaie quand même de désa­mor­cer le brouillage des genres. Tu vas avoir des cri­tiques qui vont uti­li­ser, ces der­nières années, le terme ele­va­ted hor­ror pour par­ler de ces films d’horreur d’auteur. Or, je pense que les réa­li­sa­teurs que ce terme désigne ne veulent pas de cette caté­go­rie. Pour eux, ça n’a aucun sens de se faire dire que c’est du ele­va­ted hor­ror.

Mathieu Li-Goyette : L’ele­va­ted hor­ror, c’est un terme de mar­ché du film, un terme ven­deur qui, pour faire le tri, va accro­cher des dis­tri­bu­teurs plus sérieux, plus pres­ti­gieux, qui vont tout de suite dire : « oui, celui-là, c’est un film d’horreur, mais il n’est pas comme les autres, c’est un ele­va­ted hor­ror ». C’est comme une espèce de stamp auteu­riste qui finit par fil­trer jusqu’à la lit­té­ra­ture, jusqu’à la cri­tique de cinéma.

En tant que cri­tique, ce qui me déprime dans le fond quand je vais dans les fes­ti­vals ou quand je cri­tique des films de genre ou quand j’essaie d’avoir un angle par­ti­cu­lier, c’est qu’étant basé à Mont­réal, on se pose très sou­vent des ques­tions quant à savoir qui est notre lec­to­rat, qui aime nous lire. J’aimerais aus­si qu’on puisse étendre notre lec­to­rat. Et je me dis qu’à côté d’une cri­tique por­tant sur un Car­los Rey­ga­das, il va y avoir un film de genre et puisque les deux sont trai­tés avec le même sérieux et qu’ils ont eu le même espace édi­to­rial – ça a tou­jours été un peu comme une espèce d’utopie –, qu’il y aura peut-être une forme de trans­va­se­ment d’un public vers l’autre. Mais à notre époque, Inter­net fait que le genre crée des espèces d’hypersavoirs hyper­con­nec­tés où tout le monde sait. Depuis Nanar­land,24 depuis Les dou­teux25, il y a toute une culture qui fait qu’on le pos­sède bien, main­te­nant, cette espèce de patri­moine du ciné­ma bis. Ce qui fait main­te­nant en sorte que tout le monde est de mèche et qui per­met l’émergence d’une nou­velle capi­ta­li­sa­tion sur ce mar­ché-là qui se construit sur la nos­tal­gie, qui se construit sur une espèce de désir de pou­voir repro­duire ces expé­riences ciné­philes-là et d’être capable de les marchandiser.

Fran­cis Ouel­lette : Comme pour Rea­dy Player One.

Mathieu Li-Goyette : Oui, mais avant ça, je pense qu’un des films qui a été vrai­ment moteur dans cette évo­lu­tion-là, ça a peut-être été aus­si le Grind­house (2007) de Taran­ti­no et Rodri­guez qui a été dif­fu­sé at large en pro­gramme double. Et là, depuis, Shud­der26, avec ses espèces de nuits drive-in ani­mées par Joe Briggs, essaie aus­si de repro­duire ce type d’expérience-là, mais à tra­vers la VSD, à tra­vers le ser­vice de strea­ming. Quand je regarde le tra­vail du col­lec­tif de cinéastes Road­kill Super­star, ce qu’ils ont fait avec Tur­bo Kid, ce qu’ils ont fait avec Sum­mer of 84 (Fran­çois Simard, Anouk Whis­sell & Yoann-Karl Whis­sell, 2018), on est encore une fois dans un désir de capi­ta­li­ser sur un mau­vais genre, dans une espèce de zone qui est super bizarre et vrai­ment alié­nante parce qu’il y a un talent ciné­ma­to­gra­phique qui est véri­ta­ble­ment mis de l’avant, qui est déployé, on le voit. En même temps, c’est uti­li­sé pour essayer de pas­ti­cher une esthé­tique qui était mau­vaise, mais qui était mau­vaise à ses dépens. Les gens dans les années 1970 qui fai­saient ces films-là, j’imagine qu’ils met­taient du cœur à l’ouvrage. C’était tout croche, il y avait des contraintes de tour­nage com­plè­te­ment débiles où ils devaient faire des longs métrages en une semaine et ça don­nait ce que ça don­nait. Alors qu’aujourd’hui, on est dans une époque extrê­me­ment capi­ta­liste qui essaie de repro­duire ça de manière super arti­fi­cielle… Bref, ce qui me déprime en tant que cri­tique par rap­port à ce para­digme-là, c’est de me sen­tir pris. Par exemple, j’ai eu à cri­ti­quer Tur­bo Kid. Et j’ai aus­si cri­ti­qué Les affa­més, qui n’a pas du tout les mêmes défauts Mais dans les deux cas, j’étais un peu déchi­ré parce que je me disais : « ce ne sont pas des films que j’aime d’un amour intense », tout en me deman­dant où nous étions ren­dus, au Qué­bec, par rap­port à notre per­cep­tion du genre. C’est le fun que Tur­bo Kid ait été pro­duit, c’est le fun qu’on ait pro­duit Les affa­més. Mais j’aimerais ça qu’on ait quinze films de genre pro­duits au Qué­bec par année et qu’on en ait suf­fi­sam­ment pour que je puisse me don­ner la liber­té de cri­ti­quer un film d’horreur, par exemple, que je trouve assez moyen, sans être aveugle à ses défauts sous pré­texte que je sou­haite le suc­cès du film. Et je sou­haite que le film marche parce qu’idéalement, si c’est le cas, ça peut pos­si­ble­ment envoyer un signal aux sub­ven­tion­naires comme quoi on pour­rait avoir une indus­trie du genre au Qué­bec. Cette espèce de per­cep­tion cri­tique est constam­ment faus­sée parce que, paral­lè­le­ment, Arrow publie plein d’affaires, parce que Seve­rin fait ce tra­vail-là, si bien que les ciné­philes fans de genre ont acquis des goûts assez aigui­sés. Bref, on est ren­du assez loin dans notre connais­sance du genre. Inter­net fait que cette espèce d’écart entre ce public ciné­phile qui aime le ciné­ma de genre et la masse publique qué­bé­coise s’est creu­sé à une vitesse phé­no­mé­nale. L’écart entre ces deux publics-là, à mon sens, est bien plus grand aujourd’hui qu’il ne pou­vait l’être quand j’ai com­men­cé à faire de la cri­tique il y a dix ans. Moi, per­son­nel­le­ment, en ce moment, quand j’écris sur des films de genre, je me sens vrai­ment tiraillé par rap­port à ce que mon regard de ciné­phile de genre voit et mon rôle en tant que cri­tique – au sens de la toute petite place qu’on peut occu­per dans l’écosystème ciné­ma­to­gra­phique au Qué­bec. Est-ce qu’on y va vrai­ment fran­che­ment au risque de s’aliéner le grand public qué­bé­cois puis les sub­ven­tion­naires qui ne sont pas plus des fans de ciné­ma de genre en géné­ral ? Ou est-ce que, jus­te­ment, on ravale ces pers­pec­tives cri­tiques-là en se disant : « OK, on va essayer de le faire pour, je ne sais pas moi, le bien com­mun du genre ? »

Julie Rava­ry-Pilon : Mais dans ce cas, est-ce que ça revient aux « sys­té­ma­tiques » trois étoiles et demie attri­buées aux pro­duc­tions qué­bé­coises aux­quelles tu fai­sais réfé­rence plus tôt ?

Mathieu Li-Goyette : J’ai don­né trois étoiles et demie à Tur­bo Kid et aux Affa­més. C’est sûr que les réti­cences que j’avais vis-à-vis de Tur­bo Kid et des Affa­més, je ne me serais jamais gêné pour les écrire au sujet d’un film japo­nais, amé­ri­cain ou allemand.

Louis Pel­le­tier : C’est peut-être se poser la ques­tion : est-ce qu’on fait la cri­tique d’abord et avant tout pour le spec­ta­teur de 2019 qui se demande s’il va mettre treize dol­lars sur le der­nier film d’untel ou d’unetelle, ou si l’on tra­vaille pour construire une ciné­ma­to­gra­phie nationale ?

Fran­cis Ouel­lette : Tu viens de tou­cher le nerf de la guerre qui inter­pelle les dis­tri­bu­teurs. Au bout de la ligne, c’est le même mon­tant d’argent inves­ti par le citoyen et cette dimen­sion-là, elle est fon­da­men­tale. Ça rejoint ta ques­tion par rap­port aux cri­tiques. C’est un point de vue quand même assez impor­tant. Quand tu regardes la majo­ri­té de la ciné­ma­to­gra­phie qué­bé­coise et que tu essaies de la pla­cer sur un échi­quier d’équivalences inter­na­tio­nales, plu­sieurs de ces films-là ne sont inté­res­sants que chez nous. Il n’y a aucun inté­rêt à l’international. Ils ne font que sti­mu­ler l’intérêt natio­nal et tous les pays ont leur ciné­ma­to­gra­phie natio­nale qu’on ne connaît pas. L’Allemagne sort vingt films de comé­die foli­chonne de cul par année. Mais nous, on s’enorgueillit, on est obsé­dé à l’idée que le moindre des films qui se fait au Qué­bec, il faut qu’il ait une vie à l’étranger. Ben non. Cer­tains de ces films-là, exac­te­ment les mêmes dans un autre contexte socio­cul­tu­rel, sont sans consé­quence. C’est assez sur­pre­nant qu’une pro­vince ait une ciné­ma­to­gra­phie qui inté­resse plus l’international. Déjà là, c’est un pri­vi­lège. À l’international, le ciné­ma qué­bé­cois, c’est le ciné­ma cana­dien pour les fes­ti­vals si on exclut Egoyan, Guy Mad­din et David Cro­nen­berg. C’est quand même assez excep­tion­nel et ça ajoute une coche sur la crise iden­ti­taire. Je vous dirais même que si un ana­lyste de ciné­ma d’un autre pays regar­dait notre ciné­ma­to­gra­phie main­te­nant et qu’il se met­tait à essayer de faire une espèce de psy­cha­na­lyse de ce que notre culture va deve­nir, il vous dirait : « ça fait dix ans que je regarde du ciné­ma qué­bé­cois et le ciné­ma qué­bé­cois parle de son immi­nente dis­pa­ri­tion et ago­nie ». Les Qué­bé­cois ont peur de dis­pa­raître et leur ciné­ma, même en fili­grane, même au troi­sième degré, ne parle que de ça.

Julie Rava­ry-Pilon : Est-ce que c’est pour ça qu’on n’a pas de sexua­li­té dans le plaisir ?

Fran­cis Ouel­lette : Pro­ba­ble­ment. On ne peut pas se repro­duire, on n’a pas de plai­sir. Avez-vous remar­qué com­ment le ciné­ma qué­bé­cois répond éga­le­ment sou­vent d’une cer­taine filia­tion avec la nor­di­ci­té, mais sans aucune exal­ta­tion ? Tu vas trou­ver dans le ciné­ma islan­dais, dans le ciné­ma danois, une exal­ta­tion propre à la nor­di­ci­té que tu ne trouves pas au Qué­bec, ici elle n’est qu’une morgue, qu’une souf­france. Et j’ai dis­tri­bué cer­tains de ces films-là. Ça n’a rien à voir avec la Scan­di­na­vie. On a notre propre nor­di­ci­té ici.

L’homme rapaillé de Gas­ton Miron (1970), à la base, le titre ori­gi­nal de ce recueil de poé­sie-là, c’était La vie ago­nique. Le Qué­bé­cois mène très sou­vent une vie ago­nique. Ça le repré­sente assez bien. Pas trop d’exaltation depuis Gilles Carle et For­cier et ce n’est cer­tai­ne­ment pas dans les der­niers For­cier que l’exaltation va être appa­rente. Ils sont où nos pro­chains For­cier et nos pro­chains Gilles Carle ? Les voit-on quelque part ? En tant que dis­tri­bu­teur, je ne les vois pas. Je lis cent scé­na­rios par année et je n’en vois aucun. Il va fal­loir qu’il se passe quelque chose.

Figure 7 : Deadly Prey (David A. Prior, 1987).
Figure 7 : Dead­ly Prey (David A. Prior, 1987).

Accessibilité : où chercher, où trouver, le numérique

Louis Pel­le­tier : J’aimerais reve­nir vers Simon puisque que l’on parle d’homogénéité dans les médias, dans les dis­cours autour du ciné­ma. Je pense que l’ouverture sur le ciné­ma de genre et les autres ciné­mas nous per­met pré­sen­te­ment d’avoir en tête une grande diver­si­té d’œuvres que les médias mains­tream et même les his­toires offi­cielles du ciné­ma qué­bé­cois ne nous ont pas trans­mise. À tra­vers Simon et son tra­vail de cher­cheur, j’ai décou­vert des tonnes de trucs. Je vais poser la ques­tion à Simon d’abord. Ensuite, on pour­ra élar­gir. Je serais curieux de savoir com­ment tu fouilles, com­ment tu trouves ?

Simon Ché­nier : Bonne ques­tion. C’est sûr qu’avant, je fai­sais le tour des clubs vidéo, tout simplement.

Louis Pel­le­tier : La vhs, je pense que c’est important.

Simon Ché­nier : Oui, en effet. Puis on par­lait plus tôt de la dis­tri­bu­tion, disons qu’ici, on essaie sou­vent d’avoir la ver­sion fran­çaise sans quoi on n’écoute pas les films. Beau­coup de films sont oubliés parce que main­te­nant, les Blu-ray n’ont pas la ver­sion fran­çaise. Et alors, ces films-là, en fran­çais, deviennent des vhs. Autour des films de mau­vais genre, il n’y avait pas beau­coup d’informations qui cir­cu­laient, autre­fois. Tu trou­vais une vhs, tu cher­chais le nom. IMDb n’était pas com­plet encore. À un moment, je suis tom­bé sur le site d’un gars qui fai­sait des cri­tiques de ces films-là. J’ai com­men­cé à faire des liens par cette entre­mise et entre-temps, il y a Nanar­land qui est arri­vé, un site qui m’a fait décou­vrir beau­coup de choses. Depuis ce temps-là, les clubs vidéo sont morts. Quand tu regardes sur Google Maps, tu vois un club vidéo, tu y vas et là, il y a du papier brun dans les vitres parce que ça n’existe plus depuis deux ans. Main­te­nant, tu peux juste cher­cher par le Net pour décou­vrir du nou­veau stock. Et il y a tel­le­ment de monde main­te­nant qui s’intéresse à ça qu’il y a encore plus d’informations. On trouve de l’information sur le making of de cer­tains films qu’on ne pen­sait jamais avoir. Les guer­riers du Bronx (Enzo G. Cas­tel­la­ri, 1982) par exemple. Le fait que j’aie un Blu-ray avec un com­men­ta­ry track de Cas­tel­la­ri qui m’explique : « ah ouais, le drum­mer qui joue là, sur le bord de la plage, il était là quand j’ai fait du scou­ting pour la place et j’ai déci­dé de le reprendre ». Quand j’ai regar­dé ce film-là, je me suis deman­dé pour­quoi il y avait un drum­mer là et là, j’ai une expli­ca­tion. Je n’aurais jamais pen­sé ça.

David For­tin : Tu passes d’un vhs qu’on regarde entre amis à une édi­tion Blu-ray res­tau­rée avec un mil­lion de sup­plé­ments. Entre-temps, les gens qui s’y inté­res­saient se sont mis à écrire à son sujet, à créer des blogues et des sites Web. Tran­quille­ment, il y a de plus en plus d’informations qui cir­culent et de plus en plus de monde qui va décou­vrir ces films-là. Ça fait un effet de boucle. Et puis, tu as des gens comme Sacha Lebel qui vont venir à la média­thèque éplu­cher les archives de Ciné­pix pour écrire une thèse de doc­to­rat sur les comé­dies popu­laires au Qué­bec27. Ou encore des gens comme toi, qui col­lec­tionnent les vhs ou qui ne font pas encore le pont avec le Blu-ray, peu importe, qui décident de numé­ri­ser ça mai­son et de rendre dis­po­nibles les films sur une chaîne YouTube.

Simon Ché­nier : Tu as des chaînes You­Tube qui ana­lysent ces films-là maintenant.

David For­tin : Tout à fait. Avec les pod­casts, aus­si, il y a comme une com­mu­nau­té qui se crée.

Louis Pel­le­tier : D’un point de vue archi­vis­tique, si un dis­tri­bu­teur comme Arrow veut sor­tir un film, ou si une ciné­ma­thèque veut res­tau­rer un film, on dirait que c’est tout ou rien, c’est-à-dire que c’est soit un Blu-ray, numé­ri­sé en 4K avec édi­tion cri­tique et sup­plé­ments, ou rien du tout. C’est donc bien d’avoir des col­lec­tion­neurs qui vont rendre les choses dis­po­nibles. C’est bien d’avoir la totale, mais je pense que ça fait par­tie de l’expérience du ciné­ma de genre et du ciné­ma d’exploitation de le voir dans des condi­tions un peu par­ti­cu­lières (la copie 35 mm virée et rayée, la cas­sette vhs, etc.).

Simon Ché­nier : Se poser des ques­tions aus­si, c’est une grande par­tie du fun à avoir du mau­vais genre. Quand tu regardes un film, tu te dis : « pour­quoi ils ont fait ça ? »

Louis Pel­le­tier : Per­son­nel­le­ment, je suis curieux par rap­port au ciné­ma de genre et au ciné­ma d’exploitation culte, mais ce n’est pas mon inté­rêt prin­ci­pal. Les quelques fois où je suis allé aux Dou­teux ou même à Fan­ta­sia, c’était presque par défaut. Et puis, c’est sou­vent la déri­sion qui l’emporte. Ce que j’adore de l’approche de Simon, c’est que c’est une approche ouverte, curieuse, qui accepte que ça puisse être magique de ne rien comprendre.

Simon Ché­nier : Ma vision a chan­gé aus­si. Au début, je me moquais beau­coup. Main­te­nant, j’apprécie. J’essaie de com­prendre, mais par­fois, je ne com­prends rien. Et puis, j’ai du fun avec ça.

David For­tin : On disait que c’est le fun de regar­der les films dans des condi­tions spé­ciales, mais de la même manière, on peut les redé­cou­vrir quand ils sont pro­je­tés, res­tau­rés. Je me rap­pelle quand la Ciné­ma­thèque a pro­je­té Les mutants de la deuxième huma­ni­té (Bru­no Mat­tei, 1984) en 35 mm – une copie qui était vrai­ment belle. J’ai redé­cou­vert le film en me disant : « Wow, OK, le cadrage est génial et la pho­to est vrai­ment belle ! » Je veux dire, ce n’est pas un grand film, mais tech­ni­que­ment, ça a de la gueule. C’était sur­pre­nant de le redé­cou­vrir de cette façon-là.

Fran­cis Ouel­lette : N’est-ce pas un drôle de para­doxe que les fans de ciné­ma de genre qu’on asso­cie à des col­lec­tion­neurs de vhs, des gens qui font du strea­ming, télé­chargent, s’intéressent à des films super rares, à une époque où tout le monde s’inquiète de la déser­tion des salles ? J’ai l’impression que ce type de ciné­philes-là va contri­buer à gar­der leur magie. Il y a aus­si les gens qui aiment le ciné­ma clas­sique, mais je veux juste dire que la magie de la pro­jec­tion comme Fan­ta­sia, ce que tu disais tout à l’heure, la magie de la pro­jec­tion col­lec­tive avec la fré­né­sie qu’elle génère, c’est ce genre de truc qu’ils entre­te­naient aux Dou­teux. Il fal­lait y être pour com­prendre, c’était un peu cin­glé. Tu réécoutes tout seul chez vous Le nin­ja de Bever­ly Hil­ls (Den­nis Dugan, 1997) et ce n’est pas la même chose.

David For­tin : C’est l’expérience en salle com­mune. Plu­sieurs pla­te­formes de VSD sont appa­rues main­te­nant, aus­si spé­cia­li­sées que l’est Arrow pour les dvd, mais les pla­te­formes comme Shud­der qui se spé­cia­lisent dans le ciné­ma de genre pro­duisent des films comme Man­dy (Panos Cos­ma­tos, 2018). Le film était voué à sor­tir direc­te­ment sur Shud­der, mais suite à la demande, il y a fina­le­ment eu une sor­tie en salles et ça a très bien mar­ché pour un film qui n’était pas sup­po­sé sor­tir en salles. Donc, on voit que l’intérêt des ama­teurs de ciné­ma de genre va au-delà de Shud­der. Ils veulent aller le voir en salles, vivre cette expé­rience-là. Et puis, les cinéastes qui font main­te­nant des films de genre s’appuient sur des films qui réfèrent beau­coup à un cer­tain ciné­ma des années 1980 avec les­quel ils ont gran­di. Ils ont aus­si gran­di avec plein d’autres ciné­mas et ils incor­porent un peu toutes ces influences-là. Il n’y a plus que des traces du genre dans ces films, les films se retrouvent plu­tôt fina­le­ment enve­lop­pés dans le genre. Ça donne quelque chose qui est un peu à côté, comme le film It Fol­lows (David Robert Mit­chell, 2014) qui fait énor­mé­ment pen­ser aux films d’horreur des années 1980. Et puis le nombre de cinéastes qui se disent aujourd’hui être influen­cés par John Car­pen­ter. Ce nom-là revient constamment.

Julie Rava­ry-Pilon : On a évo­qué à plu­sieurs reprises la ques­tion de la com­mu­nau­té. Il y eu un chan­ge­ment avec le numé­rique. Le numé­rique a per­mis de ras­sem­bler des infor­ma­tions, de créer de nou­velles com­mu­nau­tés de fans.

David For­tin : Je te dirais qu’en fai­sant beau­coup de recherches sur les films qu’on aime­rait pro­je­ter, j’aime sou­vent creu­ser sur Inter­net à pro­pos de films ou d’informations que je n’arrive pas à trou­ver ailleurs. Je pense à Le prince Nez­ha triomphe du roi Dra­gon de Wang Shu­chen, film d’animation de 1979, que j’essaie de trou­ver depuis deux ans, et tous les trucs sur les­quels je suis tom­bé étaient issus des forums de per­sonnes qui, jus­te­ment, tra­vaillent dans des col­lec­tions de films, à la pro­jec­tion de films en pel­li­cule ou dans les ciné­ma­thèques ou les ciné-clubs. Il y a éga­le­ment des cas où il n’y a pas de copies 35 mm ou pour les­quels on ne retrouve que des vieux trans­ferts VCD qui cir­culent en Asie. Donc, ces endroits-là, ces regrou­pe­ments de com­mu­nau­tés vir­tuelles (et peut-être les réseaux sociaux main­te­nant) servent, j’ai l’impression, à conti­nuer le tra­vail de recherche.

Eva Létour­neau : Via le numé­rique, même les ins­ti­tu­tions ont plus faci­le­ment accès aux cata­logues des autres ins­ti­tu­tions et, de là, se posent des ques­tions entre elles, notam­ment dans le cas des co-pro­duc­tions où il faut faire des véri­fi­ca­tions avec les autres pays.

David For­tin : Il y a aus­si eu cette époque où Inter­net était moins contrô­lé. On pou­vait trou­ver des sites sur les­quels des ciné­philes don­naient accès à plu­sieurs films rares ou moins accessibles.

Simon Ché­nier : Je peux don­ner deux exemples mar­quants. D’abord, il y a un film très connu chez les gens qui trippent sur les films de mau­vais genre, c’est le film Dead­ly Prey (David A. Prior, 1987), un film d’action très de base, ins­pi­ré par Ram­bo (David Mor­rell, 1982). À un moment, le réa­li­sa­teur ou les gens autour de lui se sont ren­du compte qu’il y avait un inté­rêt pour ce film-là. Plus ça allait, plus les gens en par­laient. Le réa­li­sa­teur a donc essayé de par­tir un Kicks­tar­ter28 pour faire une suite trente ans plus tard et ça a mar­ché, avec Dead­liest Prey (2013). Le film est vrai­ment mau­vais et c’est exac­te­ment le même film sauf pour un élé­ment : on sur­veille le héros par Inter­net. Il y a aus­si le fameux Samou­rai Cop (Amir Sher­van, 1989), le samou­raï de Los Angeles. L’acteur prin­ci­pal avait dis­pa­ru de la carte et à un moment, une vidéo est sor­tie sur le Web où il disait : « oui, j’existe encore. Vous trou­vez ce film drôle et moi aus­si ». Un autre Kicks­tar­ter a alors per­mis de pro­duire Samou­rai Cop 2: Dear­ly Ven­geance (Gre­go­ry Hata­na­ka, 2015).

Figure 8 : L’Ouragan Fuck You Tabarnak ! (Ara Ball, 2013).
Figure 8 : L’Ouragan Fuck You Tabar­nak ! (Ara Ball, 2013).

Films de genre, films cultes du Québec

Julie Rava­ry-Pilon : En fai­sant un tour de table, je vous deman­de­rais quelles sont vos réfé­rences qué­bé­coises de mau­vais genre. J’aimerais vous entendre par­ler de votre film pré­fé­ré, mais aus­si des cinéastes que vous sui­vez dans l’écosystème média­tique qué­bé­cois des mau­vais genres.

David For­tin : Je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu, au Qué­bec, un cinéaste qui se soit à ce point-là lan­cé dans le genre et qui ait déve­lop­pé une fil­mo­gra­phie consé­quente, mais on doit beau­coup à Jean-Claude Lord et à Yves Simo­neau. Ce sont peut-être les pre­miers cinéastes qu’on a com­men­cé à remar­quer parce qu’ils étaient plus mas­si­ve­ment dis­tri­bués, autour de films qu’eux consi­dé­raient, je pense, dans cer­tains cas, comme des films de « com­mande ». Mais ils ten­taient le genre, jus­te­ment. Je pense à The Vin­di­ca­tor (1986) de Jean-Claude Lord, qui est un Robo­cop (Paul Verhoe­ven, 1987) avant le temps. Ça se passe à Hoche­la­ga avec Pam Grier. C’est un film de cyborg très sur­pre­nant. Tu as des films d’Yves Simo­neau comme Les yeux rouges (1982) qui est vrai­ment un genre de De Pal­ma weird, un peu fan­tas­tique ou on peut aus­si pen­ser à Dans le ventre du dra­gon (1989). Si on recule un peu plus loin, des cinéastes comme Gilles Carle ont quand même un peu tou­ché au genre. On pense par exemple à Red (1970).

Fran­cis Ouel­lette : Red est abso­lu­ment un jalon fon­da­men­tal de l’évolution du ciné­ma de genre qui n’est pas assez évo­qué. Ce film-là « pré­da­tait » la Blax­ploi­ta­tion. Tu regardes le film et il y a vrai­ment tout le swag­ger, toute l’essence d’un film de Blax­ploi­ta­tion. Ce n’est pas le film de Gilles Carle dont on parle dans sa ciné­ma­to­gra­phie, parce que c’est pro­ba­ble­ment celui qui est le plus gen­ré, justement.

Mathieu Li-Goyette : Un film comme La mort d’un bûche­ron (Gilles Carle, 1973), c’est très western.

Louis Pel­le­tier : Et Carle va cher­cher des icônes de la culture qué­bé­coise. Dans Red, il y a Gra­tien Géli­nas qui appa­raît ; dans La mort d’un bûche­ron, Denise Filia­trault et Willie Lamothe.

Fran­cis Ouel­lette : Je me per­mets de sau­ter sur Mus­tang, qui pré­sente la stra­té­gie dont tu parles, qui consiste à aller vers le popu­laire, la varié­té, le monde du caba­ret et de la musique. Quels sont les films qui fonc­tionnent le plus au Qué­bec en ce moment ? Ils ont encore la même for­mule. Ils vont cher­cher un comé­dien de théâtre, un humo­riste ou un ani­ma­teur de télé.

Louis Pel­le­tier : Jean Lapointe, c’était quelqu’un de caba­ret avant d’être dans Les ordres (Michel Brault, 1974).

Fran­cis Ouel­lette : Et n’a‑t-il pas don­né par­mi cer­taines des plus belles inter­pré­ta­tions du ciné­ma qué­bé­cois ? J’ai l’impression que le ciné­ma qui fonc­tionne encore de nos jours va dans cette zone-là. Prends deux ou trois acteurs de Like-moi (Télé-Qué­bec, 2015–2020), un chan­teur popu­laire et un acteur légi­time, et tu vas avoir un suc­cès popu­laire. Mais pour l’instant, la recette Ciné­ma­gi­naire, c’est vrai­ment une recette. Ils la répètent jusqu’à leurs affiches et leurs bandes-annonces qui ont le même timing et qui ont le même desi­gn. Et il faut avouer une chose, ça fonctionne.

Julie Rava­ry-Pilon : On peut pen­ser à Émile Gau­dreault plus qu’à Ciné­ma­gi­naire parce que c’est Ciné­ma­gi­naire qui fait encore tout Arcand quand même.

Fran­cis Ouel­lette : Ta nuance est fon­da­men­tale. Émile Gaudreault.

Julie Rava­ry-Pilon : Oui, Émile Gau­dreault et Ciné­ma­gi­naire, les gros suc­cès, c’est encore Bon Cop, Bad Cop, ce sont les films poli­ciers. D’un côté peut-être plus contem­po­rain, on peut pen­ser à la pre­mière pro­duc­tion qué­bé­coise de Net­flix, qui sera un thril­ler nor­dique, Jusqu’au déclin (Patrice Lali­ber­té, 2020).

Fran­cis Ouel­lette : Le scé­na­riste, Nico­las Krief, traîne ce scé­na­rio-là depuis des années et les ins­ti­tu­tions lui disaient, avec une cer­taine condes­cen­dance : « Ça, c’est le genre de stock que Net­flix pren­drait ». Ils y sont allés et c’est ça qui s’est pas­sé. Mais en cinq ans, les choses ont un peu changé.

Eva Létour­neau : Je pense pour ma part à Panique (Jean-Claude Lord, 1977), Visi­ting Hours (Jean-Claude Lord, 1982), Les yeux rouges, dans les gros films. Mais aus­si à Elvis Grat­ton (Pierre Falar­deau et Julien Pou­lin, 1985), qui est un grand film culte qué­bé­cois. Je revois la scène où il se bat avec sa chaise sur la plage en maillot de bain avec le dra­peau du Cana­da et l’autre où il essaie d’expliquer qu’il est un Cana­dien fran­çais d’expression fran­çaise amé­ri­cain. Il y a un gars dans l’avion qui ne com­prend rien de ce qu’il dit.

Louis Pel­le­tier : C’est un cas inté­res­sant parce que culte, puis auteur, géné­ra­le­ment, c’est exclu­sif. Un film d’auteur, ce n’est pas un film culte.

Eva Létour­neau : La récep­tion est impor­tante. Elvis Grat­ton, c’est un film qui a été pris pour une comé­die alors que ce n’était pas si drôle que ça. C’est plu­tôt dépri­mant. C’est quand même un vieux dégueu­lasse com­plè­te­ment con. C’est drôle, mais ce n’est pas drôle. Ce côté-là, pour moi, en fait un film culte.

Fran­cis Ouel­lette : C’est un peu comme un éven­tail, un spectre, qui va d’un mau­vais genre mau­vais et d’un mau­vais genre bon. Pour moi, c’est La pomme, la queue et les pépins. Je peux le regar­der chaque semaine.

Julie Rava­ry-Pilon : Est-ce que c’est mau­vais ou c’est bon mauvais ?

Fran­cis Ouel­lette : C’est mau­vais mau­vais et c’est magni­fique. Ce film-là n’est pas un film, c’est l’héritage du caba­ret qué­bé­cois dans tout ce qu’il a de plus vul­gaire et cru. Il y a des lignes, là-dedans, que tu lis aujourd’hui et tu te dis : « Je ne suis même pas cen­sé dire ces choses-là. Je ne peux pas dire ça. » Avec La pomme, la queue et les pépins, je dirais qu’on reste dans le vul­gaire, mais que l’on tombe dans le culte pro­fond comme avec Elvis Grat­ton. On com­mence à se raf­fi­ner un peu, mais dans un absurde de type Denis Dro­let, avec Ding et Dong, le film (Alain Char­trand, 1990). Ce film-là est culte à un niveau qui n’a aucun sens au Qué­bec. Les gens connaissent les lignes par cœur et c’est un étrange film, un ovni com­plè­te­ment désta­bi­li­sant. Pour­quoi ce film-là ? Je ne le sais pas encore à ce jour. Dans l’autre spectre des films légi­ti­mi­sés, il y a IXE-13 (Jacques God­bout, 1971). C’est un cas unique dans la ciné­ma­to­gra­phie inter­na­tio­nale. C’est tel­le­ment par­ti­cu­lier. On peut aus­si pen­ser au pro­chain film de Mat­thew Ran­kin, Le ving­tième siècle (2019).

Mathieu Li-Goyette : Il y a quelque chose d’assez inté­res­sant qui s’est pro­duit à tra­vers notre his­toire du ciné­ma qué­bé­cois. Je me demande à quel point les comé­dies qué­bé­coises vont dans le même tiroir que les autres films, dans la mesure où on a un ciné­ma com­mer­cial qui s’est beau­coup construit autour de la culture du caba­ret et de l’humour. Aujourd’hui, c’est la culture mains­tream. Men­teur, c’est un film de genre, c’est une comé­die, mais en même temps, ça ne répond pas du tout aux attentes des ciné­philes de genre.

David For­tin : Pour moi, le terme « genre » a tou­jours été un peu étrange. Tout peut pas­ser pour genre. Si le genre, c’est juste les films d’horreur, c’est une autre his­toire. Mais j’ai l’impression que dans le genre, on a les comé­dies, les films de science-fic­tion, etc.

Fran­cis Ouel­lette : Peut-être qu’on pour­rait consi­dé­rer le cli­vage en uti­li­sant l’appellation culture popu­laire ou culture pop. La comé­die est le genre qui peut chan­ger de bord comme il veut. Tu peux avoir un petit film d’auteur, un film de Sté­phane Lafleur comme En ter­rains connus (2011) qui va jouer avec l’humour autant qu’avec la science-fic­tion d’une manière vrai­ment soft, à sa manière. On ne le classe pas néces­sai­re­ment dans la caté­go­rie des films de genre, mais ça joue là-dedans pareil.

Simon Ché­nier : L’affaire, c’est qu’on parle de mau­vais genre, pas de genre.

Mathieu Li-Goyette : Je pense qu’il y a des mau­vais genres et pro­ba­ble­ment des bons genres au sens ins­ti­tu­tion­nel du terme. Autre­ment dit, qu’il y a des bons genres qui plaisent bien à la SODEC alors qu’il y a des mau­vais genres qui ne plaisent pas du tout. En même temps, jus­te­ment, c’est un non-sens. Tu ne fais pas une demande de sub­ven­tion pour finan­cer ton film psychotronique.

Fran­cis Ouel­lette : Vous connais­sez sans doute le réa­li­sa­teur Ara Ball. Pas Fer­nan­do Arra­bal, mais Ara Ball qui a fait le court métrage L’Ouragan Fuck You Tabar­nak ! (2013)29. Un court métrage abso­lu­ment impro­bable dans notre ciné­ma­to­gra­phie qui rap­pelle le vieux ciné­ma, For­cier, Gilles Carle dans sa vul­ga­ri­té, son agres­si­vi­té, son éner­gie punk, mais que tu n’imagines plus, de nos jours, en long métrage. C’est agres­sif, c’est déses­pé­ré, c’est beau, c’est tendre, c’est violent. C’est un petit punk de l’Est dans les années 1990 qui lâche un « tabar­nak » aux deux phrases et ce sont des rap­ports sexuels troubles et beau­coup de pau­vre­té, chose qu’on ne voit à peu près plus dans notre ciné­ma­to­gra­phie parce qu’on parle de tout, sauf de la lutte des classes. Si la SODEC finance ce film-là, si Télé­film Cana­da finance ce film-là, peut-être que ce sera un léger indi­ca­teur que quelque chose se passe, mais je ne sens pas ça soit dans les pré­oc­cu­pa­tions contem­po­raines. Si vous n’entendez plus par­ler de L’Ouragan Fuck You Tabar­nak !, ça veut dire qu’au Qué­bec, on s’est pro­non­cé : on ne veut plus de ce ciné­ma-là, on ne veut plus pro­vo­quer. On veut res­ter clean même dans nos émo­tions néga­tives. Des Elvis Grat­ton, ce n’est plus pos­sible. Peut-être à la télé, c’est possible.

Simon Ché­nier : Moi, c’est sûr que je vais prê­cher pour Simon Bois­vert. Un ciné­ma d’auteur qué­bé­cois, popu­liste, aus­si. Ce n’est pas du grand art, mais c’est fas­ci­nant à regarder.

Fran­cis Ouel­lette : En ce moment, il y a trois ou quatre per­sonnes autour de la table qui peuvent vous citer des lignes de ses films parce qu’on les a vrai­ment beau­coup regar­dés. Il y a quelque chose dans ce ciné­ma-là qui ne res­semble à rien au Qué­bec. Tu as tout à fait raison.

Simon Ché­nier : Son der­nier film, Love or Lust (2017), il l’a fait tota­le­ment en anglais. Il joue un anglo­phone qui habite au Ver­mont – ce n’est pas très clair.

Fran­cis Ouel­lette : Il vaut la peine. Par­ti­cu­liè­re­ment Sté­pha­nie, Natha­lie, Caro­line et Vincent (2001).

Simon Ché­nier : Ah, moi je dirais par­ti­cu­liè­re­ment Vénus de Milo (2002). Le film sur un faux band qui fait une tour­née Montréal-Québec.

David For­tin : Simon Bois­vert a une rela­tion étrange avec le culte qui se déve­loppe autour de ses films parce que c’est le seul suc­cès qu’il a. Il n’a donc pas vrai­ment le choix de l’embrasser, mais en même temps, ça le chi­cote parce qu’on l’aime, mais en même temps on en rit un peu. Il doit dea­ler avec ça. En tous les cas, ça reste un des excel­lents exemples de cinéastes qui ont fait une œuvre deve­nue culte.

Fran­cis Ouel­lette : Je pense que dans cet ordre de pen­sées-là, à Papa est deve­nu un lutin (Domi­nique Adams, 2018). En ce sens que si vous vou­lez un gars qui a réa­li­sé un film, qui l’a mis sur You­Tube, qui a vou­lu le sor­tir en salles après et qui l’a fait, on se retrouve avec des gars comme Bois­vert et des gars comme Domi­nique Adams. Après, on est assez prompt à les condam­ner et à dire que ce sont des cin­glés finis. Mais ce sont des gens vrai­ment indus­trieux qui ont envie que leur ciné­ma se voit.

Simon Ché­nier : Il y a quelque chose de culte, mais qui n’est pas mau­vais genre, avec Prank (2016) de Vincent Biron.

Fran­cis Ouel­lette : Il me semble que Prank devrait avoir tout ce qu’il faut pour deve­nir un film culte. C’est aus­si l’affaire de scé­na­ristes, comme Alexandre Auger… Éric K. Bou­lianne qui a aus­si co-écrit Men­teur. On ne parle pas beau­coup des scé­na­ristes au Qué­bec, c’est vrai­ment une den­rée rare, mais Bou­lianne est quand même une valeur assez sûre, chez nous. Donc, oui, je suis tout à fait d’accord avec toi. Et puis, on n’a plus beau­coup de lignes citables, de cita­tions de ciné­ma dans nos scé­na­rios de nos jours.

Julie Rava­ry-Pilon : Est-ce que c’est un must pour les films de genre, les citations ?

Fran­cis Ouel­lette : Je pense que oui. Dans Prank, il y a une ligne défi­ni­ti­ve­ment impor­tante : « Qu’est-ce que tu veux que je lui achète ? Je vais lui ache­ter un chip au ket­chup. Pour­quoi ? Regarde-le ; il a la face d’un gars qui s’achète des chips au ket­chup. » Quand Prank nous est arri­vé, ça fai­sait 15 minutes que je l’écoutais et je vou­lais le distribuer.

Mathieu Li-Goyette : Pour ajou­ter à cette liste-là de gens à sur­veiller, moi, j’aime vrai­ment beau­coup le tra­vail d’Olivier Godin. C’est un cas assez par­ti­cu­lier parce qu’au niveau sty­lis­tique, il a un côté un peu plus Raoul Ruiz, Rivette même. C’est beau­coup de dia­logues, c’est beau­coup de mises en abîme à l’intérieur de son scé­na­rio – les récits dans le récit –, mais ses influences, ce sont Suzu­ki, Conan le bar­bare (John Milius, 1982), les films de série B, le ciné­ma ita­lien des années 1970. Il essaie tou­jours de les récu­pé­rer dans son ciné­ma. C’est très par­ti­cu­lier parce qu’en plus, ça passe à tra­vers un filtre du conte qué­bé­cois qui est tou­jours très pré­sent chez lui ; son amour de Fer­ron et de la culture orale ici. Je pense qu’à un moment don­né, il va finir par peut-être l’assumer un plus de son côté « genre », mais je trouve qu’il y a quelque chose dans son ciné­ma qui est vrai­ment inté­res­sant de ce point de vue.

Biographies des participants

Après avoir exer­cé les pro­fes­sions de loa­deur de trucks, de clown, de père Noël de centre com­mer­cial, d’homme de ménage nu, d’éducateur en gar­de­rie, de com­mis de club vidéo, d’agent de sécu­ri­té, de scé­na­riste de bande des­si­née frus­tré, de poète raté et de cri­tique de ciné­ma, Fran­cis Ouel­lette est deve­nu direc­teur géné­ral de Fun­Film Dis­tri­bu­tion. Son pre­mier roman, Mélasse de fan­tai­sie, paraî­tra aux Édi­tions La Mèche à l’automne 2022.

Mathieu Li-Goyette est cri­tique de ciné­ma et doc­to­rant en lit­té­ra­ture com­pa­rée à l’Université de Mont­réal. Rédac­teur en chef de Pano­ra­ma-ciné­ma, il a diri­gé deux publi­ca­tions col­lec­tives sur le ciné­ma japo­nais pour la revue : L’humanisme d’après-guerre japo­nais (2010) et Nik­kat­su : 100 ans de rébel­lion (2012). Pro­gram­ma­teur de nom­breux évé­ne­ments et rétros­pec­tives ciné­ma­to­gra­phiques à Mont­réal, il a été vice-pré­sident de l’Association qué­bé­coise des cri­tiques de ciné­ma et pro­gram­ma­teur invi­té à la Semaine de la cri­tique de Ber­lin en 2018. Il est aus­si char­gé de cours au Centre d’études asia­tiques (UdeM) où il enseigne alter­na­ti­ve­ment l’anime, le man­ga et le ciné­ma japonais.

Eva Létour­neau est res­pon­sable de la conser­va­tion des films et de l’audiovisuel à la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise où elle tra­vaille depuis 2016 et agit éga­le­ment à titre de pro­gram­ma­trice pour le Fes­ti­val des films under­ground de Mont­réal (MUFF). Titu­laire d’un bac­ca­lau­réat en Film Pro­duc­tion de l’Université Concor­dia et d’une maî­trise en Film and Pho­to­gra­phy Pre­ser­va­tion and Col­lec­tions Mana­ge­ment de l’Université Ryer­son, elle pour­suit actuel­le­ment des études en archivistique.

Pas­sion­né de ciné­ma depuis l’enfance, David For­tin est docu­men­ta­liste pour le centre de docu­men­ta­tion de la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise, un poste qu’il occupe depuis 2007. En 2013, il a rejoint l’équipe du 7ème anti­quaire et depuis 2015, il tient la barre de l’émission musi­cale Pla­nète sau­vage sur CHOQ.ca. En 2016, il s’est joint à l’équipe de Pano­ra­ma-ciné­ma à titre de direc­teur général.

Simon Ché­nier est tech­ni­cien aux archives à l’Office Natio­nal du Film, pod­cas­teur, musi­cien et vidéo­graphe. Depuis son ado­les­cence, il baigne dans le film de genre et le for­mat vhs, ce qui l’a pous­sé à étu­dier en tech­nique d’animation 2D-3D et en ges­tion des archives.


  1. Notam­ment connue pour avoir pro­duit les films de Denys Arcand, Ciné­ma­gi­naire est une com­pa­gnie de pro­duc­tion fon­dée en 1988 par Denise Robert et Daniel Louis.

  2. Les prix Aurore récom­pensent les pires pro­duc­tions et acteurs de l’année au Qué­bec, repre­nant le prin­cipe des Raz­zie Awards.

  3. La liste des nomi­na­tions pour la dixième mou­ture des prix est ici pré­sen­tée : https://parici.radio-canada.ca/television/5701/INFOMAN-Presente-Le-10e-Gala-Des-Prix-Aurore (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  4. Les mys­té­rieux éton­nants pré­sentent depuis une quin­zaine d’années des bala­do­dif­fu­sions consa­crées à la culture popu­laire, https://www.mysterieuxetonnants.com/ (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  5. Dans le cadre de l’émission de Chris­tiane Char­rette, une dis­cus­sion ten­due entre Alexandre Fon­taine Rous­seau et Fran­co Nuo­vo a eu lieu, à la suite de la cri­tique de Fon­taine Rous­seau du film La chute de l’empire amé­ri­cain (Denys Arcand, 2018) parue sur le site de 24 images (2 juillet 2018), https://revue24images.com/les-critiques/la-chute-de-lempire-americain/ (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022). Le genre y était notam­ment dis­cu­té, avec pour pré­sup­po­sé chez Nuo­vo qu’il était une chose néga­tive. « Denys Arcand fait-il du ciné­ma de mononc’ ? », Chris­tiane Char­rette (8 juillet 2018), https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/christiane-charette/segments/entrevue/79054/chute-de-l-empire-americain-franco-nuovo-alexandre-fontaine-rousseau (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  6. Le 7ème anti­quaire pré­sente des bala­do­dif­fu­sions dédiées au ciné­ma, à la culture popu­laire et à la culture geek, notam­ment, https://www.choq.ca/emissions-details/7eantiquaire/ (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  7. Arrow est un dis­tri­bu­teur indé­pen­dant bri­tan­nique spé­cia­li­sé dans le ciné­ma inter­na­tio­nal, d’art, d’horreur et clas­sique, https://www.arrowfilms.com/ (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  8. Seve­rin Films est une socié­té de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion amé­ri­caine spé­cia­li­sée dans la res­tau­ra­tion et la dif­fu­sion de films cultes, https://severinfilms.com/ (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  9. Éle­phant est un orga­nisme qué­bé­cois qui res­taure, numé­rise et rend acces­sibles les longs métrages de fic­tion qué­bé­cois, https://www.elephantcinema.quebec/ (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  10. Vine­gar Syn­drome est une com­pa­gnie amé­ri­caine de res­tau­ra­tion et de dis­tri­bu­tion de films indé­pen­dants et de genre, allant des années 1960 aux années 1980. https://vinegarsyndrome.com/pages/about (der­nière consul­ta­tion le 6 jan­vier 2022).

  11. https://www.evokative.xyz/ (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  12. Basé dans la région de Qué­bec, Anti­tube se défi­nit « comme un dif­fu­seur de ciné­ma d’animation, de ciné­ma expé­ri­men­tal ain­si que de ciné­ma d’auteur, fic­tion­nel ou docu­men­taire », avec au cœur de sa mis­sion la dif­fu­sion d’œuvres indé­pen­dantes, qué­bé­coises et cana­diennes, https://www.antitube.ca/ (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  13. Ciné­pix est un pro­duc­teur et dis­tri­bu­teur indé­pen­dant basé à Mont­réal, https://www.cinepix.ca/ (der­nière consul­ta­tion le 28 jan­vier 2022).

  14. Cette sec­tion, inau­gu­rée en 2014, fai­sait à l’origine hon­neur à l’histoire des films de genre qué­bé­cois pour ensuite s’élargir à d’autres patri­moines natio­naux et se consti­tue comme une « vitrine pri­vi­lé­giée à des films rares que l’histoire a négli­gés, oubliés, voire même sno­bés ». https://fantasiafestival.com/fr/festival-2021/programmation (der­nière consul­ta­tion le 3 jan­vier 2022).

  15. Les pel­li­cules inver­sibles pro­duisent une image posi­tive dès le déve­lop­pe­ment de l’élément ori­gi­nal expo­sé dans la camé­ra. Elles furent lar­ge­ment uti­li­sées par les cinéastes ama­teurs et expé­ri­men­taux, qui pro­je­taient sou­vent les élé­ments ori­gi­naux afin d’éviter les frais asso­ciés à la dupli­ca­tion et au tirage de leurs films.

  16. La Ciné­ma­thèque inter­dite est une série de pro­grammes doubles à la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise qui s’intéresse à « la grande his­toire paral­lèle du ciné­ma » et à « l’histoire du ciné­ma d’exploitation », aux « audaces débri­dées d’une culture Pop qui ose tout » à par­tir des archives de la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise, https://www.facebook.com/cinemathequeinterdite/ (consul­ta­tion le 3 jan­vier 2022).

  17. Dans La Presse (27 octobre 1994, D4), on men­tionne les « Ven­dre­dis psy­cho­tro­niques » et les « Nuits psy­cho­tro­niques », des évé­ne­ments qui pré­sentent des « films et télé­sé­ries de seconde zone », https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2178724 (der­nière consul­ta­tion le 3 jan­vier 2022).

  18. En acti­vi­té depuis 1913, le Bureau de cen­sure des vues ani­mées de la pro­vince de Qué­bec devient en 1967 le Bureau de sur­veillance du ciné­ma. Les films ne sont plus cen­su­rés, mais clas­sés. Pour un bref aper­çu his­to­rique, voir https://www.rcq.gouv.qc.ca/communiques.asp?id=138 (der­nière consul­ta­tion le 26 jan­vier 2022).

  19. Media­film se défi­nit comme « le pre­mier four­nis­seur de conte­nu ciné­ma­to­gra­phique en fran­çais en Amé­rique du Nord ». En 1968, l’organisme a mis au point une « échelle d’appréciation » ou de « de cotes artis­tique » en sept paliers, « repro­duite dans l’ensemble des télé-horaires dif­fu­sés dans les médias écrits de la pro­vince, ain­si que sur plu­sieurs sites Inter­net », https://mediafilm.ca/fr/mediafilm-c-est-quoi (der­nière consul­ta­tion le 3 jan­vier 2022).

  20. En effet, Bon­ne­ville était un Père membre des Clercs Saint-Via­teur. Fon­dée en 1955 par le Père Jean-Marie Poi­te­vin, prêtre de la Socié­té des Mis­sions étran­gères, la revue Séquences a été édi­tée pen­dant 40 ans par Bon­ne­ville, sous la tutelle de la Com­mis­sion des ciné-clubs du Centre catho­lique du ciné­ma de Mont­réal.

  21. L’Office des com­mu­ni­ca­tions sociales est fon­dé en 1966, dans la fou­lée des acti­vi­tés du Centre catho­lique natio­nal de ciné­ma, de la radio et de la télé­vi­sion.

  22. Au sujet de la pré­émi­nence catho­lique dans l’appréciation du ciné­ma au Qué­bec, voir Mar­tin Picard, « Media­film : un exemple de laï­ci­sa­tion des pra­tiques ciné­ma­to­gra­phiques au Qué­bec », Nou­velles Vues no 4 (automne 2005), https://nouvellesvues.org/wp-content/uploads/2021/07/picard.pdf (der­nière consul­ta­tion le 3 jan­vier 2022).

  23. Le pre­mier long métrage d’Alain Resnais avait été ampu­té de plu­sieurs minutes par la cen­sure qué­bé­coise avant sa sor­tie en salle dans la pro­vince à l’automne 1960. Yves Lever, « Hiro­shi­ma mon amour », dans Dic­tion­naire de la cen­sure au Qué­bec : lit­té­ra­ture et ciné­ma, sous la direc­tion de Pierre Hébert, Yves Lever et Ken­neth Lan­dry (Mont­réal : Fides, 2006), 311–314.

  24. Nanar­land se dit « le pre­mier site Web dédié aux nanars », https://www.nanarland.com/ (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  25. Douteux.org est une OSBL qui pro­pose une remise en ques­tion des pro­duits cultu­rels et des conte­nus média­tiques, https://douteux.org/douteux-org (der­nière consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  26. Shud­der est une pla­te­forme de vision­nage spé­cia­li­sée dans le ciné­ma d’horreur, les thril­lers, le ciné­ma fan­tas­tique et de science-fic­tion, https://www.shudder.com/ (consul­ta­tion le 4 jan­vier 2022).

  27. Sacha Lebel, Aller aux vues qu’ossa donne ? Pour une his­toire cultu­relle du ciné­ma popu­laire qué­bé­cois (1965–1975), thèse de doc­to­rat (Mont­réal : Uni­ver­si­té de Mont­réal, 2019).

  28. Kicks­tar­ter est un site inter­net qui donne la pos­si­bi­li­té à qui le pro­pose de finan­cer des pro­jets encore à l’état d’ébauche, per­met­tant ain­si de faire l’économie des coûts inhé­rents aux modes tra­di­tion­nels de pro­duc­tion. https://www.kickstarter.com/?lang=fr (der­nière consul­ta­tion le 26 jan­vier 2022).

  29. Le film est en accès libre, dis­po­nible sur la pla­te­forme Viméo : https://vimeo.com/108360289 (der­nière consul­ta­tion le 26 jan­vier 2022).