De La haine (1995) au désœuvrement : contre‐culture, résistance et politique du refus dans La ferme des humains (2013) d’Onur Karaman

Mer­cé­dès Baillargeon


De La haine (1995) au dés­œu­vre­ment : contre-culture, résis­tance et poli­tique du refus dans La ferme
des humains
(2013) d’Onur Karaman

Mer­cé­dès Baillar­geon Uni­ver­si­té du Mas­sa­chu­setts à Lowell

Comme le sou­ligne Concep­ción López-Campos Bodi­neau, qui cite dans un article publié en 2012 les pro­pos de Michèle Lagny, le ciné­ma immi­grant révèle « “un mode d’expression du groupe dans lequel il est créé et à tra­vers lequel se trans­mettent de nom­breuses idées et valeurs ancrées consciem­ment ou incons­ciem­ment dans notre socié­té”1 ». Il pré­sente éga­le­ment «une par­tie de la socié­té repré­sen­tée de manière sub­jec­tive à tra­vers la vision qu’en ont les dif­fé­rents met­teurs en scène2 ». Au cours des der­nières années, de nom- breux films ayant pour thème l’immigration ont été réa­li­sés au Qué­bec : que l’on pense à L’ange de gou­dron (Denis Choui­nard, 2001), à Mam­bo italiano

(Émile Gau­dreault, 2003), à Incen­dies (Denis Vil­le­neuve, 2010) ou encore à Anti­gone (Sophie Deraspe, 2019). Si López-Campos Bodi­neau sou­ligne que « la plu­part des films [de la décen­nie 2000] dépeignent une réa­li­té beau­coup plus dure et dif­fi­cile pour l’immigré, confron­té à la pré­ca­ri­té du tra­vail, aux pro­blèmes de loge­ment, à la propre dif­fi­cul­té d’adaptation à la socié­té d’accueil et par­fois même au racisme qui s’exerce à son encontre3 », on assiste pré­sen­te­ment à une diver­si­fi­ca­tion des repré­sen­ta­tions des immi­grants au ciné­ma. Ces repré­sen­ta­tions s’ancrent de moins en moins dans les problé- matiques d’intégration et de com­mu­nau­tés immi­grantes (comme c’est le cas du ciné­ma dia­spo­rique ou du accen­ted cine­ma, prin­ci­pa­le­ment réa­li­sé par des réa­li­sa­teurs exi­lés ou immi­grés) et davan­tage dans des ques­tion­ne­ments liés aux ten­sions trans­na­tio­nales et aux dif­fé­rents échanges et trans­ferts inter­cul­tu­rels qui existent dans les socié­tés et les éco­no­mies mon­dia­li­sées d’aujourd’hui 4.

En effet, une nou­velle géné­ra­tion de cinéastes, incluant Ivan Grbo­vic (Roméo onze, 2011 ; Les oiseaux ivres, 2021), Ky Nam Le Duc (Oscil­la­tions, 2017; Le meilleur pays du monde, 2019) et Onur Kara­man (La ferme des humains, 2014; Là où Atti­la passe, 2016), re-problématise en des termes trans­na­tio­naux la ques­tion de l’immigration et semble affir­mer que celle-ci fait bel et bien par­tie du pay­sage iden­ti­taire qué­bé­cois. Les pro­blé­ma­tiques abor­dées dans les films de ces cinéastes touchent à la fois à la réa­li­té des jeunes immi­grants de la deuxième géné­ra­tion, qui s’identifient tant à leur pays d’ori- gine qu’à leur pays ou pro­vince d’adoption, et les thème du dés­œu­vre­ment, de la perte de repères et de la place de l’individu dans le monde5. Afin de sou­li­gner ces nou­velles ten­dances dans le ciné­ma immi­grant au Qué­bec, cet article explore, à titre d’exemple, les dif­fé­rentes dimen­sions inter­cul­tu­relles du film La ferme des humains d’Onur Kara­man. D’abord, nous ana­ly­se­rons l’intertexualité du film de Kara­man avec le film culte La haine, réa­li­sé en France par Mathieu Kas­so­vitz en 1995. Film social, La haine dénonce la bru- tali­té poli­cière contre les jeunes des ban­lieues et pro­pose, de façon nova­trice, une image de la nou­velle jeu­nesse fran­çaise mul­tieth­nique des années 1990. S’il existe plu­sieurs paral­lèles entre les deux films, nous nous inté­res­se­rons tout par­ti­cu­liè­re­ment à la façon dont la construc­tion de l’espace arti­cule dif- férem­ment l’opposition entre le centre et la péri­phé­rie dans les deux œuvres. Nous nous pen­che­rons ensuite sur la place qu’occupe le dés­œu­vre­ment dans La ferme des humains en arguant que la contre-culture, repré­sen­tée dans le film par des élé­ments tels que le reg­gae, la consom­ma­tion de can­na­bis et l’errance, ins­crit celui-ci dans des ques­tions de résis­tance et de pou­voir plus larges qui dépassent le cadre de l’expérience immi­grante. Puis, nous nous inté­res­se­rons à la place à la fois cen­trale et mar­gi­nale qu’occupent les ques- tions d’identité eth­no­cul­tu­relle et d’immigration dans le film de Kara­man. Nous mon­tre­rons que plu­sieurs élé­ments liés à ces ques­tions sont sug­gé­rés, plu­tôt qu’explicitement dis­cu­tés, le film refu­sant de faire de la ques­tion iden- titaire le noyau de son intrigue. Enfin, nous pro­po­se­rons une ana­lyse de la der­nière scène du film en tant que cri­tique du sys­tème capi­ta­liste, ce qui nous per­met­tra de mon­trer que l’existence même du film est une forme de cri­tique sociale engagée.

Péri­phé­rie et inter­tex­tua­li­té : La haine et le dés­œu­vre­ment
Né à Istan­bul en 1982 et habi­tant Mont­réal, au Cana­da, depuis 1990, Onur Kara­man est le réa­li­sa­teur de trois longs métrages à ce jour (La ferme des humains ; Là où Atti­la passe ; Le cou­pable, 2019). Son pre­mier long métrage, La ferme des humains, pré­sen­té en 2013 aux Rendez-vous du ciné­ma qué­bé­cois, a reçu un accueil cha­leu­reux pour sa repré­sen­ta­tion d’une socié­té multieth- nique que le ciné­ma qué­bé­cois avait aupa­ra­vant été accu­sé d’ignorer6. Ins­pi­ré par des films indé­pen­dants comme Clerks (1994) de Kevin Smith, La haine de Mathieu Kas­so­vitz et Trains­pot­ting (1996) de Dan­ny Boyle, le film pré­sente un rythme lent, de même qu’un arc nar­ra­tif limi­té et une absence de récit clair. Ces carac­té­ris­tiques sont le reflet du dés­œu­vre­ment et du malaise que par­tagent ses pro­ta­go­nistes, trois jeunes Qué­bé­cois des années 2010 : Karim, le fils d’immigrants maro­cain, J.-P., un Qué­bé­cois d’origine canadienne- fran­çaise, et José, un jeune d’origine latino-américaine. Ensemble, ils passent leurs jour­nées à fumer et à vendre du can­na­bis dans un parc de la région de Mont­réal. Oisifs et dés­in­té­res­sés, ils spé­culent sur la vie des habi­tants de leur quar­tier multiethnique.

La dimen­sion inter­cul­tu­relle dans La ferme des humains se joue à plu- sieurs niveaux, notam­ment à tra­vers le métis­sage d’imaginaires qui s’ali- mentent de réfé­rences trans­na­tio­nales. En effet, La ferme des humains se pré­sente sous plu­sieurs aspects comme une exten­sion de La haine, bien que la réa­li­té qu’explore le film de Kara­man soit dif­fé­rente : on se trouve quelques vingt ans plus tard, au Qué­bec et non en France, dans un quar­tier rap­pe­lant Montréal-Nord (le film a été tour­né à Lon­gueuil) plu­tôt que dans les cités des ban­lieues pari­siennes. Rap­pe­lons que La haine, racon­té sur une période de 24 heures, suit les péri­pé­ties d’un trio mul­tieth­nique incar­nant la réa­li­té « black- blanc-beur» de la France des années 19907. Après une nuit d’émeutes oppo- sant d’autres jeunes à la police en région pari­sienne, Vinz, Hubert et Saïd, trois gar­çons ori­gi­naires de la cité, se pro­mènent dans celle-ci avant de par­tir à Paris pour la soi­rée. La haine est ain­si l’un des exemples phares du ciné­ma de ban­lieue de la décen­nie 1990 et par­ti­cipe à cimen­ter ce type de ciné­ma comme un genre en soi8. Ces films, «com­mu­né­ment recon­nu [s] comme la tri­bune d’une com­mu­nau­té métis­sée et socia­le­ment domi­née, qui se voit offrir par le biais du film de fic­tion une pro­fon­deur psy­cho­lo­gique étran- gère aux autres repré­sen­ta­tions média­tiques de la ban­lieue9 », pré­sentent en effet sou­vent une image pes­si­miste de la socié­té mar­quée par la vio­lence et la délin­quance. Dans La haine, un ennui, voire un nihi­lisme, pénètre la vie des jeunes hommes, qui se sentent exclus de la socié­té domi­nante. Le film expose ain­si les effets néfastes que l’exclusion struc­tu­relle peut avoir sur les jeunes raci­sés et issus d’une classe sociale pauvre en repré­sen­tant la vie dans les marges ou à la péri­phé­rie – la ban­lieue n’est-elle pas phy­si­que­ment «à la péri­phé­rie » de la capi­tale fran­çaise, après tout ? – de la socié­té fran­çaise, comme nous le rap­pellent Shar­ma et Shar­ma10.

La ferme des humains construit l’espace péri­phé­rique autre­ment, car le film sou­lève des enjeux spé­ci­fiques à la situa­tion du Qué­bec des années 2010. Contrai­re­ment à La haine, qui accen­tue l’opposition entre le centre – blanc et franco-français de Paris – et les péri­phé­ries – les ban­lieues mul­tieth­niques –, La ferme des humains sou­ligne l’interculturalisme du Qué­bec. Ce modèle d’intégration, contrai­re­ment au modèle mul­ti­cul­tu­ra­liste du reste du Cana­da, met l’accent sur l’intégration des immi­grants à une culture com­mune, en par­ti­cu­lier à tra­vers l’adoption de la langue fran­çaise11. À la fois trans­na­tio­nal et inter­cul­tu­rel, La ferme des humains (au même titre que le ciné­ma immi- grant de façon plus large) devient ain­si un miroir pour les valeurs qué­bé­coises et, plus pré­ci­sé­ment, une réflexion sur le suc­cès (ou l’échec) des poli­tiques d’intégration adop­tées par la pro­vince. Comme le sou­ligne Bill Mar­shall, si l’identité qué­bé­coise a long­temps été construite sur l’opposition entre Soi et l’Autre, l’emploi du terme «péri­phé­rie», en contexte qué­bé­cois, est un concept riche qui pos­sède plu­sieurs signi­fi­ca­tions en fonc­tion de la place du Qué­bec, le terme pre­nant […] mobile and mul­ti­fa­rious mea­nings […] in the Qué­bec context, in rela­tion to an overw­hel­min­gly Anglo­phone North Ame­ri­ca; to a French-spea­king or French Atlan­tic world domi­na­ted demo­gra­phi­cal­ly, cultu­ral­ly, and poli­ti­cal­ly by metro­po­li­tan France; and to its mar­gi­nal place in the glo­bal film indus­try. That mobi­li­ty of mea­ning is also played out in the context of Qué­bec itself, where natio­nal cultu­ral iden­ti­ties are loca­ted in a play of cen­ters and per­iphe­ries, for the per­iphe­ry in one view­point can become the cen­ter for ano­ther, and vice ver­sa. The case of Qué­bec is thus a fruit­ful one for thin­king through this rela­tion­ship, chal­len­ging its bina­ries, and pro­bing alter­na­tive map­pings12.

La ferme des humains cir­cons­crit ain­si une péri­phé­rie du Qué­bec que l’on oublie sou­vent de men­tion­ner: celle des immi­grants, et par­ti­cu­liè­re­ment des jeunes issus d’une deuxième géné­ra­tion d’immigration. Si l’immigration dans La haine appa­raît en péri­phé­rie, à la limite de la socié­té une margi- nali­té réité­rée lorsque Vinz, Hubert et Saïd se trouvent à Paris et que tout leur rap­pelle qu’ils sont étran­gers à cet envi­ron­ne­ment , l’opposition entre le centre et la péri­phé­rie est davan­tage inté­grée dans La ferme des humains, qui trace des limites dif­fé­rentes. Dans le film de Kara­man, les espaces appa- raissent plus poreux et les oppo­si­tions entre les iden­ti­tés ne sont pas aus­si nettes. Le film ne s’intéresse donc pas expli­ci­te­ment à la ques­tion iden­ti­taire, mais il met tout de même en jeu les ten­sions, l’ambigüité et les résis­tances de ce groupe de per­son­nages exis­tant de manière marginale.

L’espace joue un rôle majeur dans l’univers ciné­ma­to­gra­phique de La ferme des humains. L’histoire se déroule dans un quar­tier sans nom, plu- tôt calme, ni pauvre ni aisé, où l’on voit défi­ler un ensemble de per­son­nages de dif­fé­rentes ori­gines eth­niques. La scène d’ouverture du film, qui pré­sente un vieil Haï­tien regar­dant la vie du quar­tier à tra­vers sa fenêtre, situe le parc qui se trouve au centre du quar­tier comme un lieu d’observation, une sorte d’arène publique. Cette scène expose tant la divi­sion que la poro­si­té entre espace pri­vé et espace public dans cet endroit, tout en pla­çant l’espace du parc au centre de l’action du film et du quar­tier. Le parc dans La ferme des humains ren­voie de fait au parc dans La haine, un espace cen­tral dans la Cité où les jeunes trainent, mais où ils sont aus­si sou­mis aux regards du voi- sinage, les fenêtres des tours d’habitation offrant un point de vue pri­vi­lé­gié sur cet espace. Ain­si, les regards des per­son­nages sur leur envi­ron­ne­ment (leurs fenêtres donnent sur le parc) et la place de la camé­ra par rap­port à ces per­son­nages donnent à voir à la fois le spec­tacle de cette jeu­nesse per- due et le regard que la socié­té peut por­ter sur elle, tout en jouant sur la sub- jec­ti­vi­té des regards et sur leur impor­tance (arbi­traire) dans la construc­tion de l’identité des groupes mar­gi­naux. Comme le sou­ligne Joe Hard­wick au sujet de La haine, ce va-et-vient entre dif­fé­rentes pers­pec­tives a pour effet de rela­ti­vi­ser et de saper le pou­voir auto­ri­taire du regard et des iden­ti­tés13. Le parc, cir­cons­crit par quatre rues, est un lieu cen­tral dans lequel les gens – des voi­sins, d’anciens amis, des parents – vont et viennent, ce qui a pour effet de créer un pay­sage mul­ti­cul­tu­rel proche de la réa­li­té mont­réa­laise, autre- ment peu repré­sen­tée au ciné­ma ou dans les médias. Comme dans La haine, les per­son­nages ne sortent de leur quar­tier qu’une seule fois. Dans le cas de Karim, J.-P. et José, c’est pour aller ache­ter une voi­ture usa­gée en ban­lieue, dans un quar­tier mieux nan­ti. La ban­lieue nord-américaine, quin­tes­sence du rêve amé­ri­cain, est ici à dis­tin­guer de la ban­lieue fran­çaise, sou­vent consi- dérée néga­ti­ve­ment pour sa rela­tive pau­vre­té. Sym­bole d’une mobi­li­té qui leur per­met­trait d’échapper à la dimen­sion claus­tro­phobe de leur quar­tier, la voi­ture tombe cepen­dant en panne sur le che­min du retour – ils ont oublié de mettre de l’essence –, une scène qui met au jour la contrainte spa­tiale qui pèse sur les jeunes.

Comme dans La haine, La ferme des humains expose les méca­nismes de sur­veillance sociale mis en place dans les milieux mul­tieth­niques. Des voi- tures de police ser­pentent le quar­tier et font le tour du parc régu­liè­re­ment, sans tou­te­fois inter­ve­nir. La camé­ra montre aus­si les per­son­nages et le décor à tra­vers les clô­tures qui encerclent le parc, tan­dis que Kara­man jux­ta­pose plu­sieurs images telles que celle d’une voi­ture de police arpen­tant les rues et un gros plan de pro­fil du visage de J.-P. La camé­ra suit, à de nom­breuses reprises, le pour­tour du parc au moyen de longs tra­vel­lings ou de mouve- ments pano­ra­miques, accen­tuant ain­si ses limites et tra­dui­sant le sen­ti­ment d’emprisonnement des per­son­nages. Les images s’enchaînent en fon­du et Kara­man pri­vi­lé­gie les mou­ve­ments de camé­ra laté­raux ain­si que l’usage de plans larges en plon­gée à par­tir d’un drone. Ces plans donnent une vue en sur­vol du qua­dri­la­tère du parc et font réfé­rence à un célèbre plan en plon­gée de La haine. En ins­cri­vant La ferme des humains dans la fou­lée de La haine et du ciné­ma de contes­ta­tion, Kara­man éla­bore une cri­tique de la socié­té qué- bécoise. Si la contes­ta­tion est moins vive dans La ferme des humains que dans La haine, la ques­tion de la place, tant phy­sique que figu­rée, des jeunes mul- tieth­niques dans la socié­té se trouve tout de même cen­trale et est inter­ro­gée à la fois sur les plans thé­ma­tique et ciné­ma­to­gra­phique. Si les poli­tiques inter- cultu­relles du Qué­bec per­mettent l’intégration de ces jeunes à une socié­té plu­ra­liste, Kara­man attire plus notre atten­tion sur leur rap­port à l’espace que sur les per­son­nages eux-mêmes en déli­mi­tant l’espace qu’ils occupent et en accen­tuant, du même geste, la place « péri­phé­rique » qu’ils occupent.

Le dés­œu­vre­ment, la contre-culture et l’expérience esthétique

Si le film La haine a eu un immense impact au moment de sa sor­tie en 1995 et qu’il conti­nue à avoir une influence trans­cul­tu­relle sur le ciné­ma et sur nos per­cep­tions des ban­lieues fran­çaises, un autre aspect que par­tagent les deux films est la façon dont ils intègrent des élé­ments de la contre-culture occi­den­tale. Comme l’explique J. Mil­ton Yin­ger, la contre-culture opère « whe­re­ver the nor­ma­tive sys­tem of a group contains, as a pri­ma­ry ele­ment, a theme of conflict with the values of the total socie­ty, […] and whe­re­ver its norms can be unders­tood only by refe­rence to the rela­tion­ships of the group to a sur­roun­ding domi­nant culture14 ». La culture de ban­lieue, au même titre que celle des immi­grants, se pré­sente ain­si comme une contre-culture, car elle a un rap­port dis­tan­cié, voire ten­du, avec la culture domi­nante. De cette contre-culture ban­lieu­sarde, les films à l’étude exposent de nom­breux aspects. Les deux films accordent éga­le­ment une large place au reg­gae, au can­na­bis et à l’hypermasculinité, des motifs qui sont depuis long­temps asso­ciés à la contre-culture géné­rale ou ban­lieu­sarde. Asso­cié aux luttes de libé­ra­tion en Jamaïque, en Grande-Bretagne et à tra­vers le monde, le reg­gae aborde des thèmes sou­vent liés à des ques­tions poli­tiques et sociales et est deve­nu, au fil du temps, la musique des pauvres et des oppri­més. Le reg­gae est aus­si asso­cié au mou­ve­ment ras­ta­fa­ri, au sein duquel la consom­ma­tion de can­na­bis est consi­dé­rée comme une pra­tique spi­ri­tuelle. En dehors de ces communau- tés, comme le sou­ligne Nick Brown­lee, il existe éga­le­ment toute une culture autour du can­na­bis et de sa consom­ma­tion : « If there is one thing that means more to pot-heads than the pot itself, it is the rich culture that sur­rounds can­na­bis and those who par­take of it. Per­haps because of its ancient mys­ti­cal and spi­ri­tual roots, because of the psy­cho­the­ra­peu­tic effects of the drug and because it is ille­gal, even the very act of smo­king a joint has deep sym­bo­lism ». Les deux films puisent en outre dans un ima­gi­naire de la contre-culture glo­bale en s’inscrivant dans le sillon de la Beat Gene­ra­tion (1944-1964), du mou­ve­ment hip­pie des années 1960 et 1970 et de la scène punk et alter­na­tive des années 1980 et 1990, des mou­ve­ments qui, asso­ciés à la jeu­nesse de leur époque, se sont dis­tin­gués par une atti­tude de contes­ta­tion et de défiance par rap­port à leurs aînés et à la domi­na­tion cultu­relle de la bourgeoisie.

Le style de Kara­man accorde une place impor­tante à la musique. Avec l’omniprésence du reg­gae dans sa trame musi­cale, La ferme des humains fait notam­ment un clin d’œil à la trame sonore de la scène d’ouverture de La haine, qui pré­sente des images média­tiques d’archives accom­pa­gnées de la chan­son « Bur­nin’ and Loo­tin’ » de Bob Mar­ley. De façon plus pré­cise, des plans lents forcent constam­ment notre atten­tion sur l’image et sur la trame sonore qui l’accompagne au fil du film, met­tant de fait l’accent sur la créa­tion d’atmosphères que celui-ci pro­pose. Sur une musique de reg­gae, Kara­man agence par exemple des images au ralen­ti des trois amis traî­nant dans le parc, assis les uns à côtés des autres, en silence, à rou­ler et fumer des joints. Les plans aériens res­treints, le mou­ve­ment de la camé­ra encer­clant les person- nages de façon laté­rale, mais aus­si les plans fixes où on les voit entrer et sor­tir du cadre ont pour effet de ralen­tir le rythme du film au point où l’action y devient très limi­tée. L’action du film se situe ain­si plu­tôt dans le rap­port entre J.-P., Karim et José et le rythme de leurs conver­sa­tions, au cours des- quelles ils dis­cutent de la vie, passent des com­men­taires sur les indi­vi­dus qui peuplent leur quar­tier ou encore com­mentent les inter­ac­tions qu’ils ont avec eux. Fumant du can­na­bis, ven­dant cette drogue aux voi­sins du quar- tier, traî­nant au parc, ils refusent de s’intégrer dans la culture domi­nante. Lorsque José, jusqu’alors ven­deur d’assurances, s’intègre au groupe, il le fait en lan­çant sa mal­lette au sol et en lui hur­lant après, disant ensuite aux autres qu’il en a assez de tra­vailler dans un bureau et qu’il pré­fère relaxer avec eux. Les trois copains repré­sentent alors l’un des sté­réo­types les plus for­te­ment asso­ciés aux «fumeurs de pot» selon Brown­lee: «The cli­chéd image […] is of a sla­cker who lies around all day lis­te­ning to The Gra­te­ful Dead, glad­ly eva­ding work and any­thing that might contri­bute to a use­ful exis­tence15.» Le devoir de cha­cun appa­rais­sant comme celui de par­ti­ci­per à la vie collec- tive, et sur­tout à une éco­no­mie capi­ta­liste qui valo­rise le tra­vail et force ses citoyens à être des êtres « pro­duc­tifs » dans la socié­té – le terme « pro­duc­tif » étant lui-même un terme éco­no­mique qui appa­raît avec l’émergence du capi- talisme à l’époque de la révo­lu­tion indus­trielle –, cette figure du sla­cker revêt alors une valeur néga­tive dans le cadre impo­sé par la culture domi­nante. La mise en scène d’un uni­vers contre-culturel dans le film de Kara­man sug­gère, par consé­quent, les contours de la culture domi­nante elle-même. Le film est contre-culturel en ce sens où J.-P., Karim et José se dis­tinguent par une oppo- sition consciente et déli­bé­rée à la culture dominante.

Contrai­re­ment à La haine, une chro­nique dans laquelle les évé­ne­ments s’enchaînent à un rythme sur­pre­nant (il est dif­fi­cile de croire, à la fin du film, que nous n’avons été témoin que de 24 heures), La ferme des humains est un film axé sur la vie ordi­naire où il ne se passe pas grand-chose. Ceci est dû à l’importance de la consom­ma­tion dans le récit : comme l’explique Brown­lee, «[c]annabis causes per­cep­tual changes that make the user more aware of other peoples’ [sic] fee­lings, enhance the enjoy­ment of music and give a gene- ral sense of eupho­ria16 ». De plus, l’usage du can­na­bis crée géné­ra­le­ment un sen­ti­ment de relaxa­tion, lève les inhi­bi­tions et altère les sens et les percep- tions, des effets qui sont alors repris dans les pro­cé­dés ciné­ma­to­gra­phiques de Kara­man. Le réa­li­sa­teur, dans La ferme des humains, raconte ain­si l’histoire de son film à tra­vers le res­sen­ti plu­tôt qu’à tra­vers le récit. Une scène char­nière du film accen­tue notam­ment cet effet en mon­trant les per­son­nages assis en cercle dans le salon du vieil Haï­tien et fumant un joint. Une camé­ra sub­jec­tive, située au centre du cercle, tourne sur elle-même et, foca­li­sant en gros plan sur le visage de cha­cun des per­son­nages à tour de rôle, suit le joint que les person- nages se passent. La scène, qui se déroule au ralen­ti, devient incon­for­table tant elle dure long­temps et pro­duit l’effet res­sen­ti lorsque l’on est sous l’influence du can­na­bis. Ce fai­sant, le film devient une expé­rience esthé­tique plu­tôt qu’un simple récit. À tra­vers ces choix esthé­tiques (uti­li­sa­tion [exces­sive ?] du ralen­ti, plans aériens impos­sibles, fon­dus enchaî­nés), le film fait res­sen­tir au specta- teur la sen­sa­tion de dés­œu­vre­ment qui habite les jeunes protagonistes.

Dés­œu­vre­ment, immi­gra­tion et marginalisation

Si l’histoire de La ferme des humains n’est pas d’une impor­tance pri­mor­diale, on peut alors se deman­der quel est l’intérêt du film de Kara­man. Notre hypo- thèse est que la réponse à cette inter­ro­ga­tion se trouve du côté des élé­ments impor­tants du film qui sont sug­gé­rés plu­tôt que men­tion­nés expli­ci­te­ment, en par­ti­cu­lier en ce qui concerne le contexte et les réfé­rences du film (dont la réfé­rence à La haine). Ces élé­ments, qui sont sub­ti­le­ment pré­sen­tés par Kara­man, nous per­mettent en effet de mieux per­ce­voir les enjeux du film et son mes­sage. Rap­pe­lons que, d’un côté, La haine accen­tue l’opposition entre le centre (Paris) et les péri­phé­ries (les ban­lieues mul­tieth­niques) alors que, de l’autre, La ferme des humains sou­ligne l’interculturalisme du Qué­bec, qui, depuis les années 1970, repose sur l’adoption de valeurs com­munes incluant «le res­pect du régime et des valeurs démo­cra­tiques, une socié­té plu­ra­liste et le fran­çais comme langue de la vie publique17 ». En entre­vue, Kara­man a expli­qué avoir vou­lu créer un film dans lequel les jeunes Qué­bé­cois de cultures dif­fé­rentes pour­raient se retrou­ver, ce qui explique les dif­fé­rentes ori­gines eth­niques repré­sen­tées par J.-P., Karim et José18. Le film peint donc un por­trait mul­ti­cul­tu­rel du Qué­bec dans lequel les trois gar­çons se veulent les repré­sen­tants d’une cer­taine jeu­nesse sans grande dis­tinc­tion. Karim et José font par­tie de la seconde géné­ra­tion de l’immigration et semblent, en grande par­tie, avoir aban­don­né leur culture d’origine pour s’intégrer à la culture qué­bé­coise de leur géné­ra­tion. À cet égard, La ferme des humains pro­pose un visage du Qué­bec plus réa­liste et diver­si­fié que celui que l’on avait jusqu’alors vu dans les ciné­mas qué­bé­cois, en ce sens où l’on y pré­sente « des modèles iden­ti­taires alter­na­tifs fon­dés sur l’hybridité, le métis­sage, le cumul des appar­te­nances col­lec­tives et l’alternance des codes19 ». L’accent québé- cois de José et les dif­fé­rences cultu­relles qui séparent Karim de ses parents pré­sentent effec­ti­ve­ment ces deux per­son­nages comme le pro­duit d’une poli- tique d’immigration inter­cul­tu­relle réussie.

Dans cette pers­pec­tive, les per­son­nages sont pré­sen­tés comme les trois par­ties d’un tout : ils sont les égé­ries d’une nou­velle réa­li­té mul­ti­cul­tu­relle au Qué­bec. Or les ques­tions de l’immigration et de la dif­fé­rence raciale, voire celle du racisme qui fait suite à l’arrivée d’immigrants non-Européens, appa- raissent tout de même comme trame de fond du film : il suf­fit de pen­ser à sa scène d’ouverture, où l’on voit un groupe de jeunes qui jouent au soc­cer, ou encore aux conver­sa­tions que les trois amis ont entre eux, lors des­quelles les insultes à carac­tère raciste abondent. «Fucking Arabe», «T’es même pas né ici, toi», «Retourne dans ton pays» sont nombre d’insultes que le groupe uti­lise. Or, comme les psy­cho­logues Emi­ly McDiar­mid, Peter Richard Gill, Angus McLa­chlan et Lut­fiye Ali le sou­lèvent dans leur étude de l’usage des insultes chez les jeunes gar­çons, « it has become clear that play­ful dero­ga­tion among males, an appa­rent­ly aggres­sive form of exchange, has a prin­ci­pal aim of rein­for­cing close affi­lia­tion and a secon­da­ry func­tion as a way of exer- ting influence20 ». Il appa­raît alors que l’usage d’un lan­gage de la rue sou­vent per­çu comme inap­pro­prié, voire vul­gaire, au même titre que la néces­si­té de paraître « dur », per­mettent aux jeunes gar­çons de socia­li­ser et de créer des liens d’identification. Il s’agit aus­si d’une façon pour les groupes domi­nés de se réap­pro­prier de telles insultes de façon à reprendre le contrôle sur leur oppres­seur. Dans le film de Kara­man, les insultes vont pour­tant dans les deux sens: Karim insulte J.-P. en le trai­tant de «fils de pute» et lui dit qu’il « nique­rait bien sa mère », comme celle-ci porte des petits shorts et des bre- telles spa­ghet­ti qui donnent au jeune gar­çon l’impression que celle-ci refuse d’agir comme une mère «res­pec­table» ou «de son âge». La mère de J.-P. appa­raît ain­si de façon contras­tée par rap­port à la mère de Karim, qui porte le voile en public, ce qui ren­force par ailleurs la dif­fé­rence géné­ra­tion­nelle entre les immi­grants de pre­mière et de deuxième géné­ra­tions. De fait, Karim semble avoir bien plus en com­mun, socia­le­ment et cultu­rel­le­ment, avec son cama­rade J.-P. qu’avec sa famille, auprès de laquelle il se sent aliéné.

En réa­li­té, un seul pas­sage du film dis­cute expli­ci­te­ment de la ques­tion de l’immigration. Il s’agit de la scène se dérou­lant chez Karim, lorsque ce der- nier rentre chez lui avec la lèvre infé­rieure en sang et un œil au beurre noir après une bagarre. Karim sent for­te­ment l’alcool et ses parents le confrontent, par­ti­cu­liè­re­ment son père. Sa mère lui demande ce qui s’est pas­sé en lui rap- pelant qu’ils sont venus au Cana­da pour lui, pour ses études, pour sa vie. En larmes, Karim répète qu’il n’y est pas bien avant de dire : « J’ai une vie de merde, moi. Chuis pas un Qué­bé­cois, chuis pas un Cana­dien, chuis même plus maro­cain. Chuis rien. En fait, rien, c’est mieux – chuis un bâtard. » Les paroles de Karim expriment bien le malaise des jeunes immi­grants de la deu- xième géné­ra­tion par rap­port à leur sen­ti­ment d’appartenance. Ceux-ci sont en effet déchi­rés entre leurs cultures d’origine et d’accueil, ce qui ne manque pas d’exacerber les ten­sions entre les parents, immi­grants de la pre­mière géné­ra­tion, et leurs enfants, du fait de la sorte d’incompréhension qui sub- siste entre les dif­fé­rentes générations21. Si la mère de Karim semble émue par les pro­pos du jeune homme, son père ne l’est pas du tout. Il explose : « Alors, c’est ça ton pro­blème ? C’est ça tes his­toires et tout le tra­la­la ? Moi, je pen­sais que j’avais un fils. » Cette scène accen­tue le fait que Karim se sent incom­pris, car son père nie l’expérience de son fils en atta­quant sa mas­cu­li­ni­té. Comme le sou­lignent Maryse Pot­vin, Paul Eid et Nan­cy Venel, la dif­fé­rence entre l’expérience des immi­grants de la pre­mière géné­ra­tion et celle de ceux de la seconde entraîne de nom­breuses incompréhensions :

[L]es conflits inter­gé­né­ra­tion­nels, la contes­ta­tion des « valeurs cultu­relles » ou des pra­tiques paren­tales, la for­ma­tion de gangs délin­quants (sou­vent consi­dé­rés comme des agents de socia­li­sa­tion) sont attri­bués à un manque de contrôle nor­ma­tif, à une perte des « racines » ou à une absence d’autorité paren­tale, eux-mêmes liés aux effets de la migra­tion sur la struc­ture des familles22.

Cette vision des jeunes issus de l’immigration, si elle repose sur cer­taines obser­va­tions et expé­riences réelles, ren­voie aus­si à un ima­gi­naire social homo­gé­néi­sant qui est mis en scène et exploi­té tant dans La haine que dans La ferme des humains23. Cette mise en scène fait res­sor­tir l’aliénation ressen- tie par le per­son­nage de Karim, issu de l’immigration, et sou­ligne le fait que son expé­rience se trouve à la fois à l’extérieur de la culture de ses parents et de la culture québécoise.

Les per­son­nages du quar­tier mul­tieth­nique où vivent les pro­ta­go­nistes de La ferme des humains n’appartiennent donc pas néces­sai­re­ment à la marge de la socié­té qué­bé­coise : ils sont repré­sen­tés comme le reflet d’une nou­velle réa­li­té mul­ti­cul­tu­relle inté­grant des per­son­nages qué­bé­cois « pure laine » avec des per­son­nages aux ori­gines eth­no­cul­tu­relles dif­fé­rentes et qui sont mieux inté­grés dans la socié­té qué­bé­coise que leurs parents ne le sont. Si bon nombre d’études s’intéressent aux obs­tacles sup­plé­men­taires que doivent sur­mon­ter les immi­grants pour trou­ver un emploi et inté­grer le monde pro­fes­sion­nel au Qué­bec et ailleurs, le por­trait mixte que pré­sente le trio de J.-P., Karim et José sug­gère une cri­tique trans­na­tio­nale et géné­ra­tion­nelle de leur situa­tion24. En effet, le film repose sur une ambi­guï­té; d’un côté, les per­son­nages sont dés­œu­vrés parce qu’ils sont exclus de la socié­té capi­ta­liste domi­nante (que l’on s’imagine blanche, de classe moyenne et d’origine canadienne-française) tan­dis que, de l’autre, ils refusent de se plier à l’impératif de pro­duc­ti­vi­té du sys­tème capi­ta­liste glo­bal et y résistent son imposition.

Par­lant de la géné­ra­tion des mil­lé­niaux, com­po­sée des per­sonnes nées entre le début des années 1980 et la fin des années 1990, Mal­colm Har­ris explique qu’il s’agit d’une géné­ra­tion ayant héri­té d’un sys­tème capi­ta­liste pous­sé à son extrême limite et conce­vant la jeu­nesse comme un «capi­tal humain », une forme d’investissement ou de machine de pro­duc­tion25. Selon Har­ris, la socié­té amé­ri­caine impose aux jeunes de plus en plus ses impé- ratifs de suc­cès, pro­fes­sion­nels et éco­no­miques, ces impé­ra­tifs se cou­plant tou­te­fois d’une pré­ca­ri­té des emplois, de salaires à la baisse, d’une hausse des frais de sco­la­ri­té et de taux d’endettement records. Un autre para­doxe de notre époque selon Har­ris se situe dans le fait que « [y]oung people feel— rea­so­na­bly, accurately—less in control of their lives than ever before26 », un phé­no­mène exa­cer­bé par la façon dont les tech­no­lo­gies de l’information, incluant le web, sont uti­li­sées par l’industrie pri­vée pour contrô­ler le public de toutes sortes de façons, «the least of which is encou­ra­ging us to bet­ter self-manage and self‐control27 ». Si les remarques de Har­ris concernent la réa- lité aux États-Unis, où plu­sieurs de ces fac­teurs sont accen­tués, on retrouve néan­moins plu­sieurs de ces élé­ments dans la socié­té qué­bé­coise actuelle à cause de l’accélération de la mon­dia­li­sa­tion et de ses effets tant sur les plans éco­no­miques que cultu­rels. Le pro­blème auquel sont confron­tés les jeunes dans La ferme des humains n’est donc pas seule­ment propre à l’immigration, mais s’étend éga­le­ment, du moins en par­tie, à la jeu­nesse d’aujourd’hui de façon plus géné­rale – cette idée est d’ailleurs plus saillante lorsque l’on pense au per­son­nage de J.-P., un jeune Qué­bé­cois « de souche » en contraste avec le per­son­nage de Vinz, qui est pour sa part juif et donc un per­son­nage « de la marge » dans La haine. Comme le sou­ligne Har­ris, la géné­ra­tion des mil­le­nials se sent dupée par les fausses pro­messes de la socié­té capi­ta­liste, qui lui avait pro­mis le suc­cès, le pou­voir et la richesse ; la réfé­rence inter­tex­tuelle à La haine et la dimen­sion contre-culturelle du film per­met ain­si de déduire que le dés­œu­vre­ment de J.-P., de Karim et de José vise sur­tout à expo­ser un sen­ti­ment géné­ra­li­sé de décep­tion et de décou­ra­ge­ment face à la socié­té dominante.

Allé­go­rie, cynisme et socié­té de sur­veillance :
la der­nière scène de La ferme des humains
La der­nière scène du film, qui pré­sente une ren­contre inopi­née entre un vieil Afri­cain à vélo et les trois pro­ta­go­nistes, peut être lue comme une allé­go­rie de la socié­té d’aujourd’hui. Elle met effec­ti­ve­ment au jour une pers­pec­tive cynique sur le monde contem­po­rain. Dans cette scène, le vieil Afri­cain, qui se balade tou­jours à vélo autour du parc, le sou­rire aux lèvres, fait une chute. Alors que les trois jeunes l’insultaient et le trai­taient jusqu’alors « d’attardé men­tal », ils choi­sissent plu­tôt de lui por­ter secours à la fin du film et vont l’aider à se remettre debout. Assis sur un banc du parc, les quatre person- nages entament alors une brève conver­sa­tion, lorsque l’homme demande à Karim com­ment il a eu son œil au beurre noir. Lors de cet échange, les jeunes gar­çons se rendent compte de l’intelligence du veillard, et cette décou- verte est d’une impor­tance signi­fi­ca­tive. Le vieil homme pro­pose en effet une réflexion qui éclaire le mes­sage por­té par le film :

L’homme afri­cain : L’individualisme métho­do­lo­gique.
J.-P. : […] Ça veut dire quoi ?
L’homme afri­cain : Ce qui veut dire : nous sommes tous res­pon­sables. Karim : De quoi ?
L’homme afri­cain : De tout.
José : De quoi tu parles, man ?
L’homme afri­cain : De rien. […] [L] » être humain n’est ni bien ni mal il est juste faible. Il est un éter­nel hypo­crite. Pour rien seule­ment. L’incompétence émo­tion­nelle ou ration­nelle amène l’incompréhension. L’incompréhension amène l’intolérance. De l’intolérance res­sort les dif­fé­rences. Les dif­fé­rences amènent la chi­cane. Et la chi­cane, la vio­lence. La vio­lence, le chaos. Le chaos est ter­rible pour tout le monde. À l’exception de quelques-uns.

À la suite de ce constat, l’homme se lève subi­te­ment, annon­çant qu’il doit par­tir. Puis, J.-P. met la main dans sa poche pour réa­li­ser que le vieil homme lui a volé son can­na­bis. La scène, fil­mée en gros plan, passe d’un visage à un autre en mon­trant les réac­tions des per­son­nages et en mas­quant les gestes qui se passent hors-champ. La para­bole semi-philosophique du vieil homme a pour effet de confondre les jeunes – José s’impatiente et veut fumer un joint et Karim le trouve stu­pide (« C’est quoi son rap­port d’incompétent pis tout ? »). Kara­man joue alors avec le sté­réo­type du « fumeur de pot », à la fois phi­lo­sophe et dont l’intellect serait ralen­ti par l’usage du can­na­bis, car J.-P. reste pan­tois un ins­tant avant de s’exclamer : « Fuck estie, c’est fucking deep ». Cette scène se pré­sente aus­si comme une para­bole du monde capi­ta­liste, lequel accen­tue les dif­fé­rences entre indi­vi­dus en fonc­tion de leur talent, de leur chance ou de leurs avan­tages innés afin de maxi­mi­ser la pro­duc­ti­vi­té et les pro­fits28.

En effet, Kara­man super­pose les couches de sens à tra­vers son mon­tage qui ajoute au com­men­taire iro­nique de son film. Lorsque le vieil Afri­cain parle dans la der­nière scène du film, on entend notam­ment la chan­son «Quand les hommes vivront d’amour» (1956) de Ray­mond Lévesque, un hymne qué­bé­cois appe­lant à la paix. La chan­son ancre la réa­li­té des jeunes dans le contexte cultu­rel qué­bé­cois tout en pro­po­sant une alter­na­tive aux ten­sions accen­tuées par la culture capi­ta­liste. Au même moment, le groupe de jeunes qui avait infli­gé ses bles­sures à Karim appa­raît à la course, accen­tuant l’in- ter­dé­pen­dance et la connec­ti­vi­té entre les dif­fé­rents citoyens du micro­cosme qu’est le quar­tier. Lorsque les trois pro­ta­go­nistes réa­lisent que le vieil Afri­cain leur a déro­bé leur can­na­bis, ils le pour­suivent. On voit alors ici un autre clin d’œil à La haine, puisque lorsque Karim tire de sa poche le revol­ver qu’il a empo­ché chez l’Haïtien, il réa­lise que ce n’est qu’un bri­quet. On se rappel- lera qu’une grande par­tie de l’intrigue de La haine tourne autour d’un revol- ver qu’un poli­cier a per­du dans la Cité et que Vinz retrouve au len­de­main des émeutes pro­vo­quées par un inci­dent de bru­ta­li­té poli­cière et de vio­lence sociale. La vio­lence, expli­cite dans La haine, est donc plu­tôt subli­mée dans La ferme des humains, dans une sorte de cynisme et de désa­bu­se­ment. Deux poli­ciers, qui longent le qua­dri­la­tère du parc dans leur voi­ture de patrouille, aper­çoivent la bande de jeunes qui avait vio­lem­ment agres­sé Karim la veille et se demandent ce qui se passe, mais décident de pas­ser outre : « [I] ls vont s’ar- ran­ger avec leurs troubles », disent-ils. Les trois amis conti­nuent de prendre en chasse le voleur sur son vélo jusqu’à ce que ce der­nier se fasse frap­per par la même voi­ture de police, par acci­dent ; à ce moment, deux uni­vers qui avaient l’air jusqu’alors dis­tincts, entrent fina­le­ment en col­li­sion. Abu­sant de leur pou­voir, les poli­ciers blâment l’Africain et l’embarquent. Lorsque ce der­nier tente de se déga­ger, ils vont au-delà de la force néces­saire et uti­lisent du poivre de Cayenne pour l’immobiliser. La camé­ra pour­suit alors un mou- vement pano­ra­mique jusqu’à ce que l’on voie le vieil Haï­tien sur son bal­con, fumant son joint et regar­dant la scène avec un air de conten­te­ment, bou­clant la boucle sur cette chro­nique de quar­tier. Kara­man, dans la der­nière scène de son film, affirme ain­si à la fois la façon dont les dif­fé­rents per­son­nages du quar­tier, voire du monde, sont inter­re­liés, mais aus­si la façon dont la vie de ces per­son­nages – et de ce quar­tier – est cir­cons­crite à l’extérieur de la socié­té qué­bé­coise de façon plus générale.

Repre­nant des élé­ments propres à la contre-culture des années 1960-1990 (le can­na­bis, le reg­gae, l’oisiveté) et ren­voyant à des élé­ments de La haine, un film qui dénonce la bru­ta­li­té poli­cière et la mar­gi­na­li­sa­tion des jeunes issus de l’immigration, La ferme des humains se pré­sente comme une allé­go­rie et une cri­tique de la socié­té contem­po­raine. Plu­tôt que de mettre l’accent sur le récit lui-même, le film expose les rela­tions qui se tissent entre les dif­fé­rents per­son­nages d’un même quar­tier mul­tieth­nique, de même que les sen­sa­tions et l’expérience des trois jeunes pro­ta­go­nistes au centre du récit. À l’aide de dif­fé­rentes tech­niques ciné­ma­to­gra­phiques, le film emprunte au ciné­ma de ban­lieue, et plus par­ti­cu­liè­re­ment à La haine, afin de don­ner l’impression que J.-P., Karim et José sont confi­nés à leur quar­tier, et plus spé­cia­le­ment au qua­dri­la­tère du parc où ils traînent à lon­gueur de jour­nées, aux franges de la socié­té. Mais, contrai­re­ment au film de Kas­so­vitz, La ferme des humains donne davan­tage l’impression de repré­sen­ter une tranche de la socié­té mul- ticul­tu­relle qué­bé­coise que d’accentuer l’opposition entre le centre et la péri­phé­rie. L’intérêt du film se situe alors dans sa dimen­sion affec­tive et esthé- tique, puisque Kara­man cherche à affec­ter aus­si le spec­ta­teur en représen- tant ses per­son­nages avec force sym­pa­thie et en cher­chant à lui faire par­ta­ger leur expé­rience. Plus encore, le ciné­ma de l’immigration dans lequel s’inscrit l’œuvre de Kara­man contri­bue à élar­gir la défi­ni­tion de qui est « Qué­bé­cois » tout en nor­ma­li­sant, sans atti­rer l’attention sur la spé­ci­fi­ci­té raciale ou ethno- cultu­relle, les dif­fé­rences à l’intérieur même du Qué­bec. Le film de Kara­man court alors les mêmes risques que La haine en ce sens où il risque de recon- duire cer­tains sté­réo­types néga­tifs asso­ciés aux jeunes issus de l’immigration, un constat que cor­ro­bore la repré­sen­ta­tion des per­son­nages fémi­nins dans l’œuvre. L’absence de per­son­nages fémi­nins actifs et le sexisme fla­grant des per­son­nages, entre autres envers les joueuses de ten­nis au début du film ou envers la mère de J.-P., qui est trai­tée de « pute » à mul­tiples reprises, font en effet du film le com­plice de ce sexisme. Cet état de fait rap­proche encore une fois l’œuvre de Kara­man à celle de Kas­so­vitz, puisque, vingt ans plus tôt, La haine glo­ri­fiait de façon simi­laire les atti­tudes viriles et sexistes de ses per- son­nages ban­lieu­sards. Comme La ferme des humains relègue sim­ple­ment ses per­son­nages fémi­nins au sta­tut d’objets, de dési­rs ou de mère et qu’il pro- pose de nom­breuses blagues sexistes, il brosse néan­moins aus­si les contours d’une mas­cu­li­ni­té en crise dont on a beau­coup par­lé au Qué­bec ces der­nières années29.

L’interprétation du film demeure ouverte. Kara­man ne dévoile jamais les rai­sons ou les moti­va­tions der­rière le refus de ses per­son­nages de par­ti­ci­per à la socié­té domi­nante : soit ils ont aban­don­né à l’avance, sachant qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la socié­té à cause de leur dif­fé­rence eth­nique ; soit il s’agit d’une chro­nique géné­ra­tion­nelle où, peu importe leur ori­gine ethnique,

les êtres refusent de par­ti­ci­per dans une éco­no­mie qui va pro­fi­ter d’eux. Dans cette pers­pec­tive, bien que le refus de J.-P., Karim et José de par­ti­ci­per à la vie col­lec­tive peut être per­çu comme nar­cis­sique et anti­so­cial, il s’agit plu- tôt d’une sorte d’inaction radi­cale ancrée dans la tra­di­tion de la cri­tique sociale. La révolte dans La ferme des humains n’est ain­si plus aus­si expli­cite qu’à l’époque de La haine et a lais­sé place à un cer­tain dés­œu­vre­ment, voire à une cer­taine démis­sion, deux formes de résis­tance qui sont dénon­cées par la socié­té néo­li­bé­rale. Le film se pré­sente alors comme une ren­contre intercultu- relle à la fois parce qu’il repré­sente des per­son­nages issus de l’immigration et parce qu’il métisse les ima­gi­naires avec ses réfé­rences cultu­relles mul­tiples. L’interculturel, chez Kara­man, se joue alors à plu­sieurs niveaux : dans la repré- sen­ta­tion d’un visage qué­bé­cois chan­geant et mul­ti­cul­tu­rel, dont Kara­man est lui-même l’image; dans l’intégration trans­na­tio­nale de sources, d’influences et d’inspirations, incluant la réfé­rence à La haine, le film culte de Mathieu Kas­so­vitz ; de même que dans sa cri­tique du sys­tème capi­ta­liste glo­bal et de sa place gran­dis­sante dans la culture qué­bé­coise d’aujourd’hui.

Notice bio­gra­phique

Mer­cé­dès Baillar­geon est pro­fes­seur agré­gé dans le dépar­te­ment de langues et de cultures étran­gères à l’Université du Mas­sa­chu­setts à Lowell aux États-Unis. Elle se spé­cia­lise dans la théo­rie lit­té­raire, fémi­niste et queer ain­si que les études de la récep­tion et s’intéresse par­ti­cu­liè­re­ment aux rap­ports entre esthé­tique et poli­tique dans la lit­té­ra­ture des femmes et dans le renou­veau du ciné­ma qué- bécois. Elle est l’autrice du livre Le per­son­nel est poli­tique : médias, esthé­tique et poli­tique de l’autofiction chez Chris­tine Angot, Chloé Delaume et Nel­ly Arcan (Pur­due Uni­ver­si­ty Press, 2019) et a codi­ri­gé l’ouvrage Remous, res­sacs et déri­va­tions autour de la troi­sième vague fémi­niste (Édi­tions du Remue-ménage, 2011). Elle a publié plu­sieurs articles et a déjà codi­ri­gé, avec Karine Ber­trand (Queen’s Uni­ver­si­ty), un numé­ro spé­cial de la revue Contem­po­ra­ry French Civi­li­za­tion dédié au trans­na­tio­na­lisme dans le ciné­ma et les (nou­veaux) médias au Qué­bec (2019). Elle est membre du groupe de recherche interuni- ver­si­taire EPIC (Esthé­tique et poli­tique de l’image cinématographique).

Notes

  1. Concep­ción López-Campos Bodi­neau, « L’immigration dans le ciné­ma fran­çais et qué­bé­cois à tra­vers quelques films », Hommes & migra­tions. Revue fran­çaise de réfé­rence sur les dyna­miques migra­toires no 1297 (2012): 20-28. L’auteur cite et tra­duit Michèle Lagny, Cine e His­to­ria. Pro­ble­mas y méto­dos en la inves­ti­ga­ción cine­ma­to­grá­fi­ca (Bar­ce­lo­na: Bosch Comu­ni­ca­ción, 1997) : 181.
  2. López-Campos Bodi­neau, « L’immigration dans le ciné­ma fran­çais et qué­bé­cois », 21.
  3. López-Campos Bodi­neau « L’immigration dans le ciné­ma fran­çais et qué­bé­cois », 21.
  4. Au sujet du ciné­ma dia­spo­rique, voir Lau­ra Marks, The Skin of the Film : Inter­cul­tu­ral Cine­ma, Embo­di­ment, and the Senses (Durham et Londres : Duke Uni­ver­si­ty Press, 2000). Au sujet du accen­ted cine­ma, voir Hamid Nafi­cy, An Accen­ted Cine­ma: Exi­lic and Dia­spo­ric Film­ma­king (Prin­ce­ton : Prin­ce­ton Uni­ver­si­ty Press, 2001).
  5. Au sujet des immi­grants de deuxième géné­ra­tion, voir Fran­çois Dubet, « Les secondes géné­ra­tions : des immi­grés aux mino­ri­tés », dans La deuxième géné­ra­tion issue de l’immigration, sous la direc­tion de Maryse Pot­vin, Paul Eid et Nan­cy Venel (Qué­bec : Athé­na, 2007), 11, et Pot­vin, Eid et Venel, La deuxième géné­ra­tion issue de l’immigration, 24.
  6. Éric Clé­ment, « Onur Kara­man : le Qué­bec moderne tel qu’il est », La Presse (12 jan­vier 2014).
  7. En réfé­rence au dra­peau tri­co­lore de la France, l’expression appa­raît en 1998 pour décrire les ori­gines eth­niques diverses de l’équipe natio­nale fran­çaise, cou­ron­née cham­pionne à la coupe mon­diale de foot­ball cette année-là.
  8. Carole Mil­le­li­ri, « Le ciné­ma de ban­lieue : un genre instable », Mise au point no 3 (2011), http:// journals.openedition.org/map/1003 (der­nière consul­ta­tion le 20 novembre 2021).
  9. Mil­le­li­ri, « Le ciné­ma de banlieue ». 
  10. San­jay Shar­ma et Ash­wa­ni Shar­ma, « “So Far So Good…” : La Haine and the Poe­tics of the Eve­ry­day », Theo­ry, Culture & Socie­ty 17.3 (juin 2000) : 107.
  11. Pot­vin, Eid et Venel, La deuxième géné­ra­tion issue de l’immigration, 21‐22.
  12. Bill Mar­shall, « New Spaces of Empire: Que­bec Cinema’s Cen­ters and Per­iphe­ries », in Cine­ma at the Per­iphe­ry, sous la direc­tion de Vidal Belen, David Martin-Jones et Dina Ior­da­no­va (Détroit : Wayne State Uni­ver­si­ty Press, 2010), 119.
  13. Joe Hard­wick, « Refra­ming the Per­iphe­ry: Nar­ra­tive Autho­ri­ty and Self-Reflexivity in Mathieu Kassovitz’s La Haine », Aus­tra­lian Jour­nal of French Stu­dies 52.2 (2015): 128.
  14. J. Mil­ton Yin­ger, « Contra­cul­ture and Sub­cul­ture », Ame­ri­can Socio­lo­gi­cal Review 25.5 (1960) : 629.
  15. Brown­lee, This Is Can­na­bis, 12.
  16. Brown­lee, This Is Can­na­bis, 103.
  17. Pot­vin, Eid et Venel, La deuxième géné­ra­tion de l’immigration, 21.
  18. Clé­ment, « Onur Karaman ».
  19. Pot­vin, Eid et Venel, La deuxième géné­ra­tion de l’immigration, 28.
  20. Emi­ly McDiar­mid, Peter Richard Gill, Angus McLa­chlan et Lut­fiye Ali, « “That Whole Macho Male Per­so­na Thing” : The Role of Insults in Young Aus­tra­lian Male Friend­ships », Psy­cho­lo­gy of Men & Mas­cu­li­ni­ty 18.4 (2017) : 353.
  21. Pot­vin, Eid et Venel, La deuxième géné­ra­tion issue de l’immigration, 135‐137.
  22. Pot­vin, Eid et Venel, La deuxième géné­ra­tion issue de l’immigration, 25.
  23. Pot­vin, Eid et Venel, La deuxième géné­ra­tion issue de l’immigration, 25.
  24. Pour plus de détails, voir : Pot­vin, Eid et Venel, La deuxième géné­ra­tion issue de l’immigration.
  25. Mal­colm Har­ris, Kids These Days : Human Capi­tal and the Making of Mil­len­nials (New York : Lit­tle, Brown and Com­pa­ny, 2017), 4-5.
  26. Har­ris, Kids These Days, 6.
  27. Har­ris, Kids These Days, 10.
  28. Jona­than Hop­kin, Anti-Sys­tem Poli­tics: The Cri­sis of Mar­ket Libe­ra­lism in Rich Demo­cra­cies (New York : Oxford Uni­ver­si­ty Press, 2020).
  29. À ce sujet, voir: Fran­cis Dupuis-Déri, La crise de la mas­cu­li­ni­té: autop­sie d’un mythe tenace (Mont­réal : Édi­tions du Remue-Ménage, 2018).