Enquête sur les films retrouvés de l’entourage d’Ernest Cormier. Relations intermédiatiques entre cinéma, photographie et beaux-arts

Sébas­tien Hudon


On ne com­prend pas tou­jours une œuvre d’art du pre­mier coup d’œil, sur­tout si elle vous apporte quelque chose à laquelle on est peu habi­tué [sic] – on pré­fère revoir les mêmes scènes habi­tuelles comme, en musique, on aime se rap­pe­ler un leit-motiv [sic]. II en est de même d’un port. On doit le visi­ter plu­sieurs fois avant d’en décou­vrir la beau­té. – Qu’on évite sur­tout de le par­cou­rir à grande vitesse, assis dans cer­tains auto­cars, à bord des­quels un guide à méga­phone donne des expli­ca­tions de fan­tai­sie1.

Adrien Hébert, 1935

C’est quelque part au milieu de l’été 2013 qu’allait débu­ter cette recherche, à la faveur d’une conver­sa­tion télé­pho­nique autour d’œuvres pho­to­gra­phiques de l’architecte Ernest Cor­mier (1885–1980) conser­vées au Centre cana­dien d’architecture (CCA)2. Un col­lègue nous informe alors avoir vu, quelque treize années plus tôt, lors de la rétros­pec­tive consa­crée au sculp­teur Hen­ri Hébert3 du Musée du Qué­bec (actuel Musée natio­nal des beaux-arts du Qué­bec [MNBAQ]), un « bout de film où on voit dan­ser les sœurs Per­ron dans le jar­din de l’atelier Cormier ».

Ce moment aurait été cap­té à Mont­réal par un cinéaste incon­nu entre 1920 et 1935, c’est-à-dire dans un inter­valle qui recouvre les Années folles et les pre­mières années de la Grande Dépres­sion. À cette époque, l’atelier d’Ernest Cor­mier4 (ou le « stu­dio » comme il se plai­sait à l’appeler) agit comme un car­re­four d’influences. Il fédère l’activité artis­tique d’un cercle res­treint (figure 1) qui noyaute les mon­da­ni­tés d’une part de l’intelligentsia cana­dienne-fran­çaise et celle d’un réseau de socia­bi­li­té for­mé la décen­nie pré­cé­dente autour d’une « revue de com­bat5 », Le Nigog6. Le milieu est fécond : y gra­vitent notam­ment les sœurs Cécile (1903–1983) et Clo­rinthe Per­ron (1900–1984), qui devien­dront tour à tour les sources d’inspiration et les véri­tables figures de proue por­tées par la créa­tion de quatre amis et com­plices, à savoir Ernest Cor­mier, les frères et artistes Adrien (1890–1967) et Hen­ri Hébert (1884–1950), de même que Fer­nand Pré­fon­taine (1888–1949), archi­tecte, pho­to­graphe, édi­teur et théoricien.

Figure 1 : Clorinthe Perron. Fernand Préfontaine, Cécile Perron, Adrien Hébert, Henri Hébert et Ernest Cormier dans le jardin de l’atelier d’Ernest Cormier, Montréal, juillet 1924. Épreuve à la gélatine argentique, 8,4 x 7,9 cm. Collection du MNBAQ. Fonds Fernand Préfontaine (P14). Achat en 2004 (2006.335.101). Photographe : MNBAQ, Denis Legendre.
Figure 1 : Clo­rinthe Per­ron. Fer­nand Pré­fon­taine, Cécile Per­ron, Adrien Hébert, Hen­ri Hébert et Ernest Cor­mier dans le jar­din de l’atelier d’Ernest Cor­mier, Mont­réal, juillet 1924. Épreuve à la géla­tine argen­tique, 8,4 x 7,9 cm. Col­lec­tion du MNBAQ. Fonds Fer­nand Pré­fon­taine (P14). Achat en 2004 (2006.335.101). Pho­to­graphe : MNBAQ, Denis Legendre.

Dès 1919, alors qu’elles font vrai­sem­bla­ble­ment la connais­sance d’Ernest Cor­mier et des autres membres de son groupe par l’intermédiaire d’Henri Hébert, Cécile et Clo­rinthe Per­ron se trouvent repré­sen­tées dans une mul­ti­tude d’œuvres et d’artefacts, aujourd’hui conser­vés dans plu­sieurs ins­ti­tu­tions publiques et col­lec­tions par­ti­cu­lières. Aqua­relles, des­sins, pas­tels (figure 2), san­guines, eaux-fortes, pho­to­gra­phies, sculp­tures, pro­jets archi­tec­tu­raux : il suf­fit de s’intéresser à la pro­duc­tion de l’un ou l’autre des quatre com­plices – tou­jours à l’affût des der­nières nou­veau­tés dans le domaine artis­tique – et on sera immé­dia­te­ment convain­cu de la pré­sence effer­ves­cente et essen­tielle7 de ces deux femmes au sein du groupe.

Figure 2 : Henri Hébert. À la barre, Montréal, 1923. Pastel sur papier fort, 47,4 x 59,9 cm (image). Collection particulière.
Figure 2 : Hen­ri Hébert. À la barre, Mont­réal, 1923. Pas­tel sur papier fort, 47,4 x 59,9 cm (image). Col­lec­tion particulière.

Cela dit, un mys­tère entou­rait l’assertion selon laquelle il exis­tait un film les mon­trant en train de s’animer dans le jar­din situé devant le célèbre stu­dio. Pré­sen­té de cette manière, son sujet sem­blait inusi­té. Plus étrange encore était le fait que ce film ait d’abord été décou­vert dans le cadre d’une rétros­pec­tive sur Hen­ri Hébert, mais qu’il soit demeu­ré pra­ti­que­ment introu­vable tant dans son his­to­rio­gra­phie que dans celle de Cor­mier. Qui pou­vait bien être l’auteur de cette séquence ?

Dans cet article, nous tâche­rons d’expliquer notre démarche pour retrou­ver le film et son créa­teur, tout comme nous cher­che­rons à défi­nir com­ment cette séquence (et le groupe de films la ren­fer­mant) pour­rait révé­ler un réseau occul­té de rela­tions inter­mé­dia­tiques dans la pro­duc­tion artis­tique qué­bé­coise de l’entre-deux-guerres8. L’examen de ces rela­tions nous per­met­tra en outre d’en situer l’importance, et ce, tant dans la pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique de l’époque que dans la culture visuelle qui lui est contem­po­raine, c’est-à-dire au moment où le ciné­ma devient une pra­tique acces­sible aux « ama­teurs » qué­bé­cois. Nous aurons aus­si l’occasion de nous inter­ro­ger sur les manières dont s’effectuent les migra­tions et décli­nai­sons thé­ma­tiques entre les dif­fé­rents médias que sont le ciné­ma, la pho­to­gra­phie, la pein­ture, la sculp­ture et le des­sin, ce qui nous mène­ra à éva­luer com­ment leurs créa­teurs, en inter­agis­sant de concert autour de sup­ports et de motifs ico­no­gra­phiques défi­nis, inflé­chissent, conso­lident et sta­bi­lisent les esthé­tiques res­pec­tives de leurs médias de prédilection.

Le « Montréal moderne »

Afin de rendre compte avec exhaus­ti­vi­té de notre enquête, il faut reprendre notre récit depuis le len­de­main de l’allusion télé­pho­nique au rare « bout de film » qui se trouve à son ori­gine. Puisqu’il n’y avait aucune men­tion d’un film mon­trant les sœurs Per­ron dans le cata­logue de l’exposition dédiée à Hen­ri Hébert, il s’agissait vrai­sem­bla­ble­ment de maté­riel com­plé­men­taire qui ne fai­sait pas par­tie du cor­pus appar­te­nant à ce der­nier. Nous avons donc pour­sui­vi nos recherches jusque dans les archives du MNBAQ, où un simple car­tel, conser­vé dans le dos­sier de l’exposition, indi­quait : « Quelques brefs ins­tants de la vie et de l’œuvre de Hen­ri Hébert, Mont­réal, Archives de la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise (CQ), Durée : 7 min., 30 sec. » C’est là que nous avons trou­vé un cor­pus de qua­torze bobines 16 mm ver­sées à l’institution en 1978 et ras­sem­blées sous le titre « Col­lec­tion Adrien-Hébert »9 par­mi les­quelles, mal­gré la faible réso­lu­tion de l’image, la séquence espé­rée était recon­nais­sable10.

Figure 3 a. et b. : Cécile et Clorinthe Perron improvisent un charleston dans le jardin du studio Cormier, Montréal, été 1926; c. Henri Hébert fumant un cigare et Clorinthe Perron dansant le charleston, photogrammes depuis un film 16 mm. CQ « Collection Adrien-Hébert ». Acquisition en 1978 (07182-11). Photographe : Eva Létourneau.
Figure 3 a. et b. : Cécile et Clo­rinthe Per­ron impro­visent un char­les­ton dans le jar­din du stu­dio Cor­mier, Mont­réal, été 1926; c. Hen­ri Hébert fumant un cigare et Clo­rinthe Per­ron dan­sant le char­les­ton, pho­to­grammes depuis un film 16 mm. CQ « Col­lec­tion Adrien-Hébert ». Acqui­si­tion en 1978 (07182–11). Pho­to­graphe : Eva Létourneau.

Autour du miroir d’eau au centre du jar­din de l’atelier Cor­mier, les sœurs Per­ron dansent effec­ti­ve­ment un char­les­ton libre et expres­sif en com­pa­gnie d’Henri Hébert fumant un cigare (figure 3) et d’Adrien Hébert sau­tillant en pitre­ries enthou­siastes. À une époque où le char­les­ton atteint son apo­gée en Amé­rique, mais est consi­dé­ré au Qué­bec comme une danse « immo­rale » et d’une « déchéance totale »11 par cer­tains milieux plus conser­va­teurs, ce témoi­gnage fil­mique est fon­ciè­re­ment inat­ten­du (figure 4).

Un vision­ne­ment de l’entièreté du conte­nu cap­té allait nous per­mettre de réa­li­ser qu’il ne s’agit que d’une brève scène, per­due dans une accu­mu­la­tion d’environ deux heures et demie d’images en mou­ve­ment, mises en ordre12 plus ou moins chro­no­lo­gi­que­ment lors d’un vision­ne­ment coïn­ci­dant avec l’acquisition de la collection.

Figure 4 : Henri Hébert. Charleston, Montréal, 1927. Bronze patiné « à l’antique », 49,0 x 19,6 x 8,7 cm. Collection Particulière. Photographe : MNBAQ, Patrick Altman.
Figure 4 : Hen­ri Hébert. Char­les­ton, Mont­réal, 1927. Bronze pati­né « à l’antique », 49,0 x 19,6 x 8,7 cm. Col­lec­tion Par­ti­cu­lière. Pho­to­graphe : MNBAQ, Patrick Altman.

La sen­si­bi­li­té par­ti­cu­lière du cinéaste pour ses sujets et les moyens plas­tiques uti­li­sés pour les repré­sen­ter nous ont mené à situer plu­sieurs séquences de cette col­lec­tion hors des registres intimes et anec­do­tiques appar­te­nant aux genres du film de famille ou du film de voyage. Dans les images de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert » (figure 5), on dis­cerne effec­ti­ve­ment un inté­rêt appuyé pour les évé­ne­ments publics et le mou­ve­ment des foules ; le tra­vail humain, ouvrier et indus­triel ; l’ingénierie ; les machines et moyens de trans­port contem­po­rains (voi­tures, dénei­geuses méca­ni­sées, loco­mo­tives, trans­at­lan­tiques, avions biplans) ain­si que pour les sujets urbains (et en par­ti­cu­lier les plus récents monu­ments archi­tec­tu­raux et gratte-ciels mont­réa­lais de style art déco). À cela s’ajoute un accent spé­ci­fique sur les ins­tal­la­tions por­tuaires de plu­sieurs villes amé­ri­caines et euro­péennes – dont celles de Mont­réal, avec leurs élé­va­teurs et silos à grain –, lequel dénote une sin­gu­lière vision avant-gardiste.

Figure 5 : a. Vue depuis la rue Notre-Dame en direction du Aldred Building lors d’une tempête de neige, Montréal, 1931 ; b. Vue depuis l’arrière d’un train en marche vers le Pont du Havre en construction (actuel pont Jacques-Cartier), Montréal, 1927 ; c. Panoramique du port avec l’élévateur à grains nº 5, Montréal, 1929 ; d. Transatlantique depuis une plateforme, Montréal, 1929 ; e. Installation de la partie supérieure du monument à Jacques de Lesseps et Theodor Chichenko, Gaspé, été 1931 ; f. Ouvrier se risquant à passer sous la bielle d’un navire en marche, 1927 ; g. Locomotive à vapeur filant à grande vitesse, Montréal, 1930 ; h. Deux opérateurs de la Associated Screen News en tournage depuis le toit d’un camion en marche lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste, Montréal, 24 juin 1931 ; i. Scène d’un carrefour en plongée depuis un édifice, Marseille, 1929. Photogrammes depuis plusieurs films 16 mm. CQ « Collection Adrien-Hébert ». Acquisition en 1978 (07182). Photographe : Eva Létourneau.
Figure 5 : a. Vue depuis la rue Notre-Dame en direc­tion du Aldred Buil­ding lors d’une tem­pête de neige, Mont­réal, 1931 ; b. Vue depuis l’arrière d’un train en marche vers le Pont du Havre en construc­tion (actuel pont Jacques-Car­tier), Mont­réal, 1927 ; c. Pano­ra­mique du port avec l’élévateur à grains nº 5, Mont­réal, 1929 ; d. Trans­at­lan­tique depuis une pla­te­forme, Mont­réal, 1929 ; e. Ins­tal­la­tion de la par­tie supé­rieure du monu­ment à Jacques de Les­seps et Theo­dor Chi­chen­ko, Gas­pé, été 1931 ; f. Ouvrier se ris­quant à pas­ser sous la bielle d’un navire en marche, 1927 ; g. Loco­mo­tive à vapeur filant à grande vitesse, Mont­réal, 1930 ; h. Deux opé­ra­teurs de la Asso­cia­ted Screen News en tour­nage depuis le toit d’un camion en marche lors du défi­lé de la Saint-Jean-Bap­tiste, Mont­réal, 24 juin 1931 ; i. Scène d’un car­re­four en plon­gée depuis un édi­fice, Mar­seille, 1929. Pho­to­grammes depuis plu­sieurs films 16 mm. CQ « Col­lec­tion Adrien-Hébert ». Acqui­si­tion en 1978 (07182). Pho­to­graphe : Eva Létourneau.

Il s’agit, en effet, de choix thé­ma­tiques d’une éton­nante pré­co­ci­té à un moment où l’intérêt pour la pay­san­ne­rie et le monde rural guide l’essentiel de la pro­duc­tion visuelle, artis­tique et média­tique au Qué­bec. L’insistance sur ces motifs fait élo­quem­ment écho à l’œuvre peinte et au dis­cours d’Adrien Hébert, qui affirme à la même époque que « [d]ans la ville elle-même, non seule­ment les coins du vieux Mont­réal, mais dans le Mont­réal moderne, il y a quan­ti­té de choses à peindre13. »

Cette volon­té de cap­ter le « Mont­réal moderne » est coor­don­née à des prises de vues sophis­ti­quées. La cohé­rence des sujets et le lan­gage for­mel uti­li­sé pour la cap­ta­tion des images indiquent que le cinéaste pos­sé­dait des connais­sances en matière de com­po­si­tion. Les effets gra­phiques (ou pic­tu­raux) des scènes choi­sies, les angles de camé­ra en fortes plon­gées et contre-plon­gées y sont remarquables.

Par leur évo­ca­tion de la culture visuelle qui leur était contem­po­raine, ces indices dénotent une com­pré­hen­sion raf­fi­née des ten­dances artis­tiques, pho­to­gra­phiques et ciné­ma­to­gra­phiques locales et inter­na­tio­nales de l’époque, des ten­dances que le cinéaste donne l’impression de citer avec abon­dance14. Une fois ces obser­va­tions cumu­lées et ren­for­cées par le constat de l’homogénéité des séquences fil­mées (expo­si­tion, ryth­mique des plans, uti­li­sa­tion fré­quente de pano­ra­miques), il nous res­tait une forte pré­somp­tion à l’effet que l’entièreté de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert » soit d’un seul auteur. Mais s’agissait-il d’Adrien Hébert ?

Outre la pro­ve­nance pré­su­mée des bobines (qui auraient été recueillies depuis la suc­ces­sion de la sœur de l’artiste), la pré­sence dans moult séquences d’Adrien et de sa famille immé­diate nous inci­tait à croire que le cinéaste était inti­me­ment lié à ce der­nier ou, au moins, au cercle d’amis for­mé autour de Cor­mier et de son ate­lier. Nous avions ain­si déjà assez de maté­riel rare et inédit pour enta­mer la pré­sente étude et pré­sen­ter un aper­çu de la col­lec­tion lors d’une dif­fu­sion publique. C’est ce que nous fîmes dans les deux années qui sui­virent grâce à la pro­duc­tion, avec la pré­cieuse col­la­bo­ra­tion de la vidéaste Nel­ly-Ève Rajotte, d’un mon­tage des scènes fil­mées écour­té à une cin­quan­taine de minutes et inté­gré à un pro­gramme pré­sen­té par Anti­tube le 22 octobre 2015, inti­tu­lé Du mythe à l’abstraction : images défri­chées du ciné­ma qué­bé­cois (1898–1950).

Une symphonie inachevée

Au moment de la pré­sen­ta­tion de ce pro­gramme, nous avions émis l’hypothèse que ces films étaient peut-être à lier à un genre ciné­ma­to­gra­phique en vogue auprès des cinéastes de cette période, soit les city sym­pho­nies ou, si l’on pré­fère, les « sym­pho­nies urbaines », un genre docu­men­taire rele­vant éga­le­ment du ciné­ma d’avant-garde. Il importe à cet égard de rap­pe­ler que, selon les tra­vaux de l’historien du ciné­ma Charles Tep­per­man, les caté­go­ries du « ciné­ma ama­teur » et du « ciné­ma d’avant-garde » se recou­paient dans une large mesure pen­dant l’entre-deux-guerres15. Par ailleurs, le genre de la sym­pho­nie urbaine vient tout juste de faire l’objet d’une étude appro­fon­die dans un ouvrage col­lec­tif inti­tu­lé The City Sym­pho­ny Phe­no­me­non: Cine­ma, Art, and Urban Moder­ni­ty Bet­ween the Wars (Ste­ven Jacobs, Antho­ny Kinik & Eva Hiel­scher, 2019). Dans cet ouvrage, les auteurs s’accordent pour défi­nir le genre comme suit :

The 1920s and 1930s saw the rise of the city sym­pho­ny, an expe­ri­men­tal film form that pre­sen­ted the city as pro­ta­go­nist ins­tead of mere decor. Com­bi­ning expe­ri­men­tal, docu­men­ta­ry, and nar­ra­tive prac­tices, these films were mar­ked by a high level of abs­trac­tion remi­nis­cent of high-moder­nist expe­ri­ments in pain­ting and pho­to­gra­phy. Moreo­ver, inter­war city sym­pho­nies pre­sen­ted a high­ly frag­men­ted, often­times kalei­do­sco­pic sense of modern life, and they orga­ni­zed their urban-indus­trial images through rhyth­mic and asso­cia­tive mon­tage that evoke musi­cal struc­tures16.

Dans un article de ce volume, Antho­ny Kinik traite notam­ment d’une sym­pho­nie urbaine mont­réa­laise inti­tu­lée Rhap­so­dy in Two Lan­guages (1934). Réa­li­sée par Gor­don Spar­ling, l’action de cette sym­pho­nie se déroule aus­si au cœur de la métro­pole, si bien que plu­sieurs élé­ments ico­no­gra­phiques nous per­mettent d’associer les images de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert » avec celle-ci. En phase avec nos obser­va­tions sur les sujets abor­dés dans les bobines 16 mm, Kinik fait même expli­ci­te­ment réfé­rence à Adrien Hébert et à la revue Le Nigog, diri­gée à l’époque par Fer­nand Préfontaine :

Spar­ling did not have the back­ground in abs­tract pain­ting and expe­ri­men­tal cine­ma […], but he did have a past as an ama­teur pho­to­gra­pher, and aspects of Rhap­so­dy – most nota­bly its har­bor sequences – not only call to mind simi­lar scenes in Man­hat­ta [Charles Shee­ler & Paul Strand, 1921] and Twen­ty-Four Dol­lar Island [Robert Fla­her­ty, 1927] (as well as a brief sequence in Man­hat­tan Med­ley [Bon­ney Powell, 1931]), they were consistent with a line of moder­nist art prac­tice in Mon­treal that began with the Machine Age Ame­ri­ca­nism of the short-lived art jour­nal Le Nigog (1918–1919) and exten­ded through the pain­tings of its alum­nus Adrien Hébert, who became known as the “poet” of the port of Mon­treal. This aes­the­tic was cer­tain­ly not the most auda­cious example of moder­nism, but it remai­ned a high­ly contro­ver­sial one in Mon­treal in the 1930s as Quebec’s poli­tics took a sharp turn to the right17.

Nous y revien­drons à quelques reprises, mais l’intérêt de cet extrait réside dans le fait que l’auteur rap­proche d’un trait les séquences por­tuaires de la « rhap­so­die » de Spar­ling aux thèmes d’Adrien Hébert aus­si bien qu’au film Man­hat­ta18.

De même, si des paren­tés thé­ma­tiques et tech­niques peuvent être éta­blies entre les images de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert » et des films comme Man­hat­ta ou Rhap­so­dy in Two Lan­guages, il serait tou­te­fois pré­ci­pi­té de vou­loir recon­naître à notre tour les séquences éparses de cette col­lec­tion comme appar­te­nant à la sym­pho­nie urbaine à pro­pre­ment par­ler. L’absence d’intertitres et un mon­tage orga­nique intra-camé­ra sui­vi d’un assem­blage linéaire des sec­tions de métrage com­plètes col­lées en « bout-à-bout » sans effets de tran­si­tion par­ti­cu­liers nous retiennent en effet d’établir une par­faite équi­va­lence de genre.

On peut tou­te­fois affir­mer qu’un riche ensemble de rela­tions existe entre la col­lec­tion conser­vée à la CQ et la sym­pho­nie urbaine. Déjà, dans un texte publié en 1935 et repre­nant – par moments – le ton reven­di­ca­teur des mani­festes artis­tiques euro­péens, Adrien Hébert s’exprime en ces termes :

Le port de Mont­réal fait par­tie de notre vie – il est bien outillé, il est moderne, il a du carac­tère. Ayant accep­té la vie moderne, je crois logique d’apprécier en art les sujets modernes. Il y a de la gran­deur, et même de la poé­sie dans notre port de Mont­réal. Visi­tez-le un jour de semaine, alors qu’il est en plein tra­vail. Ten­dez l’oreille à sa musique – oui par­fai­te­ment, sa musique. La grande sym­pho­nie des char­geurs et des déchar­geurs de grains, le cla­que­ment des câbles d’acier sur les mâts de charge, le bruit des treuils, le dia­logue des remor­queurs et des trans­at­lan­tiques les jours de départ. On admet qu’un poète ou qu’un musi­cien puisent leur ins­pi­ra­tion dans la vie active des che­mins de fer, des ports et des usines. Le poète belge Emile [Verhae­ren] a écrit des vers mer­veilleux sur la vie indus­trielle de la Bel­gique. Le com­po­si­teur Honeg­ger n’a‑t-il pas com­po­sé la Paci­fic 2,3,1 ? Et, pour citer un des nôtres, Robert Cho­quette a expri­mé admi­ra­ble­ment la beau­té de la loco­mo­tive. Pour­quoi un peintre n’aurait-il pas lui aus­si le droit de s’inspirer à ces sources19 ?

De tels pro­pos ne sont qu’un bref aper­çu de la den­si­té des rela­tions inter­mé­dia­tiques que le peintre entre­voit notam­ment entre la musique et la poé­sie, aux­quelles il asso­cie ici le motif prin­ci­pal de son œuvre pic­tu­rale. À cet égard, la réfé­rence au poète Robert Cho­quette est d’autant plus signi­fi­ca­tive que ce der­nier publiait quelques années plus tôt un essai cri­tique sur le ciné­ma sonore por­tant sur des pré­oc­cu­pa­tions voi­sines. Dans ce texte, le poète éta­blit effec­ti­ve­ment quelques rap­ports entre la musique, la poé­sie et les arts plastiques :

Le ciné­ma est essen­tiel­le­ment un art muet. C’est même du silence qu’il tire sa puis­sance. Je pré­tends dire qu’il se pas­se­rait de musique ? Oui et non ; il faut nous entendre. Tout le monde a consta­té que, du moment que la musique cesse, le fil d’émotion qui nous liait à l’écran se relâche, quand il ne se brise pas. C’est que l’éducation de l’oreille est faite ; il nous est main­te­nant dif­fi­cile de ne pas entendre, au cours du dérou­le­ment d’un film, une musique qui l’accompagne. […] Au ciné­ma l’œil doit être la grande ave­nue de nos sen­sa­tions, la seule et unique pas­se­relle qui joigne l’imagination à l’écran. J’ai cru un temps qu’un art qui offri­rait la syn­thèse des arts connus comme tels, poé­sie, musique, arts plas­tiques, assu­re­rait à l’homme la jouis­sance céré­brale la plus intense20.

Ce fais­ceau de réfé­rences croi­sées entre les deux auteurs, en fai­sant appel à la ryth­mique par­ti­cu­lière de l’image en mou­ve­ment et de la musique, nous mène au cœur même de la défi­ni­tion de la sym­pho­nie urbaine. Si celle-ci doit être lue comme une ten­ta­tive synes­thé­sique, expres­sive et sub­jec­tive de l’activité foi­son­nante de la ville au ciné­ma, l’inverse peut être aus­si vrai dans le cas de la pro­duc­tion artis­tique d’Adrien Hébert. Celui-ci cher­chait peut-être à faire réson­ner cette même « musique » de la ville, du tra­vail et ces sen­sa­tions pro­vo­quées par l’image en mou­ve­ment dans sa pein­ture. C’est du moins ce que laissent pen­ser ses propos :

Regar­dez le débar­deur au tra­vail. Voyez ses atti­tudes, son expres­sion, ses mou­ve­ments ; il tend tous ses muscles. Il res­semble plu­tôt à un ath­lète essayant de bri­ser un record, qu’à un simple manœuvre. Les débar­deurs ont aus­si leur argot. Une après-midi d’automne, un débar­deur se penche au-des­sus de l’écoutille et inter­pelle ceux à fond de cale. « Haye, y d’ l’école à souer ! » Ce qui veut dire, il y a du tra­vail de nuit. Vous avoue­rez que cette expres­sion a du charme21.

L’écho visuel à de tels pro­pos est patent tant dans le métrage de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert » que dans les œuvres de l’artiste, où abondent les scènes de débar­deurs et de marins au tra­vail (figure 5).

Figure 6 : Élévateur à grains nº 3, Montréal, août-septembre 1929 ; trois hommes regardant les élévateurs à grains devant une locomotive de la Harbor Commissioners of Montreal (HCM). Photogrammes depuis un film 16 mm. CQ « Collection Adrien-Hébert ». Acquisition en 1978 (07182-6). Photographe : Eva Létourneau.
Figure 6 : Élé­va­teur à grains nº 3, Mont­réal, août-sep­tembre 1929 ; trois hommes regar­dant les élé­va­teurs à grains devant une loco­mo­tive de la Har­bor Com­mis­sio­ners of Mon­treal (HCM). Pho­to­grammes depuis un film 16 mm. CQ « Col­lec­tion Adrien-Hébert ». Acqui­si­tion en 1978 (07182–6). Pho­to­graphe : Eva Létourneau.

Il en va de même pour plu­sieurs séquences issues de la bobine 6, où l’on voit de manière sou­te­nue ces mêmes débar­deurs accom­pa­gnés d’Adrien Hébert devant les élé­va­teurs et les silos à grain mont­réa­lais (figure 6). Ces séquences rap­pellent for­te­ment les tableaux vivants et cer­taines des huiles et fusains du peintre à ceux qui les connaissent. Cela est vrai spé­cia­le­ment pour les œuvres réa­li­sées entre 1924 et 1932. À l’inverse, la proxi­mi­té entre les sujets et les com­po­si­tions des deux médias est par­fois telle que nous serions même pous­sé à croire que cer­taines œuvres d’Adrien Hébert puissent avoir été réa­li­sées pos­té­rieu­re­ment à la prise de vue (figures 6 et 7).

Figure 7 : Adrien Hébert. Élévateur à grain nº 3, vers 1930. Huile sur toile, 76,7 x 53,8 cm. Collection du MNBAQ. Achat (1937.25). ©Succession Adrien Hébert. Photographe : Denis Legendre.
Figure 7 : Adrien Hébert. Élé­va­teur à grain nº 3, vers 1930. Huile sur toile, 76,7 x 53,8 cm. Col­lec­tion du MNBAQ. Achat (1937.25). ©Suc­ces­sion Adrien Hébert. Pho­to­graphe : Denis Legendre.

En somme, ce furent peut-être ces nom­breux points de ren­contre entre les œuvres pic­tu­rales et gra­phiques d’Hébert et ces séquences qui inci­tèrent les com­mis­saires de l’exposition sur le Groupe du Bea­ver Hall pré­sen­tée au Musée des beaux-arts de Mont­réal à attri­buer leur réa­li­sa­tion à Adrien Hébert22. Comme il était celui qui avait don­né son nom à la col­lec­tion où elle était conser­vée (à la CQ), la cause était entendue.

Prémisses photographiques pour un cinéma amateur

Cepen­dant, puisqu’Adrien Hébert semble n’avoir jamais manié de camé­ra, pas même pho­to­gra­phique, les preuves que l’artiste se trou­vait der­rière l’objectif nous parais­saient fra­giles. En outre, l’intérêt rela­tif du peintre envers la pro­duc­tion d’œuvres pho­to­gra­phiques – par oppo­si­tion à celui des autres membres du groupe – sou­lève de sérieux doutes quant au fait qu’il ait pu être l’auteur des images ras­sem­blées au sein de la col­lec­tion de la CQ qui porte aujourd’hui son nom.

Avant les années 1960, une ten­dance récur­rente vou­lait que les cinéastes indé­pen­dants ou « ama­teurs » se soient d’abord fami­lia­ri­sés avec la pho­to­gra­phie avant de tour­ner23. Pour résu­mer sim­ple­ment, sai­sir la logique intrin­sèque des appa­reils à pel­li­cule par essai-erreur était un pro­ces­sus qui pou­vait s’avérer cou­teux pour les auto­di­dactes alors qu’une pho­to­gra­phie, ratée ou réus­sie, faci­li­tait la com­pré­hen­sion empi­rique des effets d’une prise de vues sur la pel­li­cule à émul­sion argentique.

En étu­diant le résul­tat de ses mani­pu­la­tions, l’amateur pou­vait s’ajuster et en venir à maî­tri­ser les nom­breux aspects tech­niques liés à la cap­ta­tion des images. La durée d’exposition à la lumière, la foca­li­sa­tion, la sta­bi­li­té à la prise de vues sont autant de para­mètres tech­niques que devait s’approprier l’amateur qui ne pou­vait pro­fi­ter du luxe d’une for­ma­tion sys­té­ma­tique ou aca­dé­mique. Ain­si, un cer­tain tâton­ne­ment pour s’assurer de résul­tats posi­tifs tant en pho­to­gra­phie qu’en ciné­ma pas­sait sou­vent par une com­pré­hen­sion préa­lable des bases pho­to­gra­phiques inhé­rentes aux sup­ports argen­tiques per­met­tant de s’assurer des résul­tats satis­fai­sants. Sauf rares excep­tions, c’est le che­min qu’empruntèrent les cinéastes « ama­teurs » avant de tour­ner leurs films, dont les coûts demeu­raient rela­ti­ve­ment élevés.

Selon l’état de nos recherches au moment où paraît cet article, et puisqu’il appa­raît à plu­sieurs endroits dans les séquences de la col­lec­tion, il demeure peu pro­bable qu’Adrien Hébert ait opé­ré de tels tour­nages – du moins pas à lui seul. À l’époque, il aurait pu au mieux comp­ter sur le sou­tien d’Ernest Cor­mier, sinon de son frère Hen­ri ou peut-être de Fer­nand Pré­fon­taine, cha­cun ver­sés dans cette tech­nique et ayant pro­duit d’importants cor­pus pho­to­gra­phiques tel que nous le ver­rons un peu plus loin24. Il n’en demeure pas moins qu’Adrien Hébert fut un acteur de pre­mier ordre lors de la pro­duc­tion des films de la col­lec­tion épo­nyme, spé­cia­le­ment pour l’essentiel de la bobine 6, puisqu’on le voit accom­pa­gner le cinéaste vers des sujets dont les cadrages, les angles et les points de vue sont à pla­cer dans un rap­port d’adéquation frap­pant avec les com­po­si­tions de ses œuvres.

Intermédialité et transmédialité : entre photographie et peinture

Figure 8 : Henri Hébert. Ernest Cormier et Fernand Préfontaine examinant un appareil photographique, Saint-Hilaire (Correlieu), juillet 1924. Épreuve à la gélatine argentique, 6,8 x 9,3 cm. Collection du MNBAQ. Fonds Fernand Préfontaine (P14). Achat en 2004 (2006.335.110). Photographe : Jean-Guy Kérouac.
Figure 8 : Hen­ri Hébert. Ernest Cor­mier et Fer­nand Pré­fon­taine exa­mi­nant un appa­reil pho­to­gra­phique, Saint-Hilaire (Cor­re­lieu), juillet 1924. Épreuve à la géla­tine argen­tique, 6,8 x 9,3 cm. Col­lec­tion du MNBAQ. Fonds Fer­nand Pré­fon­taine (P14). Achat en 2004 (2006.335.110). Pho­to­graphe : Jean-Guy Kérouac.

Faute de preuves nous per­met­tant de cer­ner avec cer­ti­tude l’identité du cinéaste, il a fal­lu nous tour­ner vers une autre figure pro­met­teuse, celle de Fer­nand Pré­fon­taine (figure 8). Pré­fon­taine est recon­nu pour avoir pro­duit une œuvre pho­to­gra­phique éche­lon­née sur une longue période, ce dont font foi les six albums per­son­nels acquis par le MNBAQ en 2004. À quelques nuances près et peut-être parce qu’il fut le pre­mier du groupe à s’intéresser à la pho­to­gra­phie, on le croit res­pon­sable de l’émulation au sein de ce cercle, dont il col­li­gea plu­sieurs tirages ori­gi­naux dans ses albums25.

Figure 9 : Fernand Préfontaine (attribué à). L’élévateur à grain nº 2 et le port de Montréal, juillet 1924. Épreuve à la gélatine argentique, 23,3 x 17,6 cm. Collection du MNBAQ. Fonds Fernand Préfontaine (P14). Achat en 2004 (2006.335.149). Photographe : Jean-Guy Kérouac.
Figure 9 : Fer­nand Pré­fon­taine (attri­bué à). L’élévateur à grain nº 2 et le port de Mont­réal, juillet 1924. Épreuve à la géla­tine argen­tique, 23,3 x 17,6 cm. Col­lec­tion du MNBAQ. Fonds Fer­nand Pré­fon­taine (P14). Achat en 2004 (2006.335.149). Pho­to­graphe : Jean-Guy Kérouac.

Nous avons donc sup­po­sé que ce pou­vait être Pré­fon­taine qui s’était ren­du avec Adrien Hébert dans le port de Mont­réal, à la faveur d’une ou de deux excur­sions réa­li­sées au mois de juillet 1924, afin de pro­duire une suite pho­to­gra­phique que l’on retrouve dans un des albums Pré­fon­taine26. La rela­tion inter­mé­dia­tique de cette suite pho­to­gra­phique avec l’œuvre d’Adrien Hébert est indu­bi­table : ce sont plu­sieurs de ces images (figure 9) qui infor­me­ront la com­po­si­tion des pein­tures les plus emblé­ma­tiques d’Adrien Hébert dans les années sui­vantes (figure 10).

Figure 10 : Adrien Hébert. Le port de Montréal, 1924. Huile sur toile, 153 x 122,5 cm. Collection du MNBAQ. Achat en 1975 (1975.289). Photographe : MNBAQ, Idra Labrie.
Figure 10 : Adrien Hébert. Le port de Mont­réal, 1924. Huile sur toile, 153 x 122,5 cm. Col­lec­tion du MNBAQ. Achat en 1975 (1975.289). Pho­to­graphe : MNBAQ, Idra Labrie.
Figure 11 : Fernand Préfontaine (attribué à). Adrien Hébert devant l’élévateur à grains nº 2, Montréal, juillet 1924. Épreuve à la gélatine argentique, 9,7 x 6,3 cm. Collection du MNBAQ. Fonds Fernand Préfontaine (P14). Achat en 2004 (2006.335.115). Photographe : Jean-Guy Kérouac.
Figure 11 : Fer­nand Pré­fon­taine (attri­bué à). Adrien Hébert devant l’élévateur à grains nº 2, Mont­réal, juillet 1924. Épreuve à la géla­tine argen­tique, 9,7 x 6,3 cm. Col­lec­tion du MNBAQ. Fonds Fer­nand Pré­fon­taine (P14). Achat en 2004 (2006.335.115). Pho­to­graphe : Jean-Guy Kérouac.

Or, tel que nous l’évoquions, même si ces pho­to­gra­phies ont par­fois été attri­buées à Adrien Hébert, il appert que, ces jours-là, l’artiste sera légi­ti­me­ment plus occu­pé à faire des cro­quis ou à peindre sur le motif qu’à pro­duire lui-même des cli­chés pho­to­gra­phiques. En effet, dans une image de cette suite, on recon­naît Adrien Hébert trans­por­tant son maté­riel de peintre (figure 11) : tré­pied à la main, boîte à peindre en ban­dou­lière, toile de grandes dimen­sions enta­mée et dépo­sée à ses pieds, il est debout devant le monu­men­tal élé­va­teur à grains no 2. On constate dans cette repré­sen­ta­tion que l’angle et le point de vue choi­sis par le pho­to­graphe sont rigou­reu­se­ment les mêmes que ceux que l’on retrouve dans un cro­quis d’Adrien Hébert (figure 12) paru dans la revue Le Nigog quelques années plus tôt. La conjonc­tion spé­ci­fique des mêmes sujets et angles, où pose l’artiste même qui en avait réa­li­sé le des­sin, ne relève pas du hasard. Pour Adrien Hébert, que l’on sur­nom­me­ra plus tard le « peintre des ports et des paque­bots géants27 », ce por­trait contex­tua­li­sé, où l’artiste se trouve en dia­logue avec le motif prin­ci­pal de son œuvre, est por­teur de sens. Ces rela­tions inter­mé­dia­tiques nous ren­seignent sur le pro­ces­sus créa­tif même d’Adrien Hébert, qui, contrai­re­ment à ce que l’on croyait jusqu’ici, pour­rait bien avoir peint sur le motif et non pas exclu­si­ve­ment en ate­lier depuis des cro­quis ou photographies.

Figure 12 : Adrien Hébert. Élévateur nº 2, vers 1918. Dessin reproduit dans Le Nigog 1.5 (mai 1918) : 144.
Figure 12 : Adrien Hébert. Élé­va­teur nº 2, vers 1918. Des­sin repro­duit dans Le Nigog 1.5 (mai 1918) : 144.

Si les images de la bobine 6 peuvent être consi­dé­rées comme com­plé­men­taires aux pein­tures d’Adrien Hébert réa­li­sées entre 1924–1932, nous savons désor­mais avec cer­ti­tude que plu­sieurs de ces œuvres sont des trans­po­si­tions – lit­té­rales ou par­tielles – des pho­to­gra­phies de juillet 1924. Nous pou­vons donc croire ces reports inter­mé­dia­tiques du même sujet comme issus de col­la­bo­ra­tions com­pa­rables : Adrien Hébert accom­pa­gne­rait un proche habi­tué à la pel­li­cule dans le port de Mont­réal pour y consi­gner leur sujets d’inspiration communs.

Il faut men­tion­ner que Pré­fon­taine embras­sait déjà – et depuis long­temps – des idées déce­lées dans des thèmes et sujets simi­laires à ceux pri­vi­lé­giés par Hébert, qu’il consi­gnait pour sa part sur la pel­li­cule argen­tique. Comme le sou­ligne Esther Tré­pa­nier dans ses tra­vaux fon­da­teurs sur l’art qué­bé­cois de cette période, c’est d’ailleurs dans Le Nigog que l’on retrouve « la pre­mière expres­sion cohé­rente de l’idéologie de la moder­ni­té au Qué­bec28 ». Il serait alors dif­fi­cile de pas­ser à notre tour sous silence le texte inti­tu­lé « L’esthétique de l’ingénieur » (Pierre-Paul Lecointe, 1918) tant il reflète à nos yeux l’esprit qui ani­mait la revue et plu­sieurs des concep­tions esthé­tiques peu à peu endos­sées par le réseau for­mé autour des Hébert, de Cor­mier et de Préfontaine :

Y a‑t-il une esthé­tique de l’art de l’ingénieur, autre­ment dit, une règle des belles formes, à laquelle l’ingénieur peut, et à mon avis, doit se sou­mettre ? […] À l’heure actuelle, à quelques excep­tions près, (les loco­mo­tives anglaises, par exemple, bario­lées de cou­leurs diverses et vio­lentes), on ne cherche plus la beau­té, et, du même coup, on y atteint. De la machine dépouillée du super­flu, se dres­sant simple, réduite aux organes essen­tiels, émane une cer­taine impres­sion d’admiration, émo­tion esthé­tique. […] [N]e trou­vez-vous pas que l’élévateur no 2 du port de Mont­réal, bien que masse de ciment armé, bien que conçu par un simple ingé­nieur, est après tout œuvre d’artiste29 ?

Cette vision, nova­trice au moment et au lieu où elle est énon­cée30, est éga­le­ment obser­vable chez Pré­fon­taine, dont l’esthétique pho­to­gra­phique est elle aus­si réduite à sa plus simple essence :

Beau­coup de pho­to­graphes s’entêtent à vou­loir repro­duire la fac­ture des arts étran­gers à la pho­to­gra­phie. Ils veulent faire des choses qui rap­pellent des pein­tures, des eaux-fortes et même des san­guines. Ils sont hyp­no­ti­sés par les arts du des­sin. On dirait que le rêve de cer­tains pho­to­graphes soit d’obtenir des épreuves qui puissent être prises pour n’importe quoi excep­té pour une pho­to­gra­phie. Je crois plu­tôt que chaque pro­cé­dé doit avoir son carac­tère bien affir­mé et qu’il y a quelque chose de faux et d’inutile dans ces ten­ta­tives d’imitation31.

Figure 13 : Studio Dupas et Colas (actif 1906-1994). Henri Hébert et sa sculpture Fatum (dédicace autographe à la cantatrice Germaine Manny), Montréal, 1922. Épreuve photographique au platine (?), retouches et virage, 19,4 x 24,7 cm. Collection particulière.
Figure 13 : Stu­dio Dupas et Colas (actif 1906–1994). Hen­ri Hébert et sa sculp­ture Fatum (dédi­cace auto­graphe à la can­ta­trice Ger­maine Man­ny), Mont­réal, 1922. Épreuve pho­to­gra­phique au pla­tine (?), retouches et virage, 19,4 x 24,7 cm. Col­lec­tion particulière.

Vision­naire, Pré­fon­taine sai­sit et cri­tique le ren­du au tirage pri­vi­lé­gié au début des années 1920 par nombre de pho­to­graphes qué­bé­cois, dont Lac­tance Giroux (1869–1942) et Syd­ney Car­ter (1880–1956). Dans cet extrait, il semble réfé­rer au style pho­to­gra­phique qui fut aus­si adop­té à divers degrés par cer­tains stu­dios pro­fes­sion­nels tels Dupras et Colas (figure 13), Rice, W.B. Edwards, etc. Ce style repo­sait sur un pic­to­ria­lisme de conven­tion : atmo­sphère vapo­reuse, flou à la prise de vues, tirages sur papiers sen­sibles pré­pa­rés avec divers métaux pré­cieux (or, pla­tine, pal­la­dium), mani­pu­la­tions et retouches en labo­ra­toire, etc. Autre­ment dit, Pré­fon­taine semble renier ici l’accumulation d’effets pic­tu­raux et gra­phiques visant à faire recon­naître la pho­to­gra­phie impri­mée comme un objet pré­cieux et à lui faire acqué­rir la valeur d’« art ».

Le pho­to­graphe se réclame plu­tôt d’une pho­to­gra­phie « pure » (ou sans arti­fices) défen­due depuis quelques années par les pho­to­graphes et cinéastes amé­ri­cains. Son constat est sans appel :

Beau­coup d’artistes méprisent la pho­to­gra­phie et se refusent à la consi­dé­rer comme un art. Ils veulent bien lui atta­cher une cer­taine impor­tance au point de vue docu­men­taire, mais ils pré­fè­re­ront tou­jours un mau­vais des­sin à une excel­lente épreuve pho­to­gra­phique.32

Cette volon­té d’épuration de la prise de vues et du tirage n’est-elle pas cohé­rente avec la rup­ture esthé­tique adop­tée dès 1924 par Adrien Hébert dans sa pein­ture? N’est-ce pas au len­de­main de l’excursion pho­to­gra­phique de juillet 1924 dont il s’inspire à maintes reprises, alors qu’il aban­donne la touche post-impres­sio­niste au pro­fit d’un des­sin pré­cis et d’une appli­ca­tion lisse de la cou­leur qui feront sa renom­mée auprès des cri­tiques d’ici et d’ailleurs ? Charles Feg­dal, cri­tique lors de la pre­mière expo­si­tion du peintre en France, décri­ra la plas­tique adop­tée par ce dernier :

L’écriture d’Adrien Hébert est rec­ti­ligne, qua­si mathé­ma­tique, par­tout sévère et quelque peu sèche ; sa palette est sur­tout com­po­sée de tons sourds qui donnent à ses toiles tout leur sérieux, toute leur gra­vi­té, disons même toute leur pure­té froide. La trans­po­si­tion colo­rée est réelle, elle sauve un objec­ti­visme linéaire dont les scru­pules sont cer­tains33.

L’historiographie, il est vrai, rap­proche sou­vent le tra­vail pré­cur­seur qu’effectue Adrien Hébert à par­tir de 1924 à l’émergence conco­mi­tante du mou­ve­ment pic­tu­ral amé­ri­cain du « pré­ci­sion­nisme »34, un mou­ve­ment inté­res­sé à des sujets simi­laires et dont l’esthétique s’appuyait elle aus­si sur des bases photographiques.

Cette boucle de rétro­ac­tion trans­mé­dia­tique – trans­ferts de sujets et d’esthétiques d’un nou­veau média vers un média plus ancien et vice-ver­sa – n’est pour­tant pas unique aux artistes d’Amérique du Nord. Amor­cée dans tout l’Occident dès l’invention de la pho­to­gra­phie, elle sera reven­di­quée par la plu­part des artistes issus des milieux artis­tiques d’avant-garde. Cette boucle se défi­nit par une dia­lec­tique, syn­thé­tique et coor­don­née, entre les médias, laquelle s’accélère dès les années 1910 pour culmi­ner vers 1925, au moment même où sont mis en mar­ché les pre­miers appa­reils Lei­ca 35 mm ain­si que les pre­miers appa­reils ciné­ma­to­gra­phiques por­ta­tifs pro­duits en série. D’utilisation flexible, ces appa­reils sti­mu­le­ront des prises de vues dans des angles auda­cieux et jusqu’alors inédits, qui en vien­dront gra­duel­le­ment à migrer vers les autres médias gra­phiques, ce qui trans­for­me­ra radi­ca­le­ment les rap­ports esthé­tiques à la base du pro­ces­sus créa­tif des beaux-arts tra­di­tion­nels (des­sin, pein­ture, sculpture).

Adrien Hébert recon­naît et embrasse lui-même cet état de fait :

Puisqu’on accepte des choses ultra-modernes en pho­to­gra­phie, ne serait-il pas logique de les accep­ter en des­sin et en pein­ture ? […] L’âge des ailes, l’âge des machines com­mencent ; la pein­ture doit s’adapter à ces temps nou­veaux ou dis­pa­raître. […] Il y a assez de pous­sière sur les murs de nos ate­liers ; ne nous condam­nez pas à la mélan­ger aux cou­leurs de nos palettes35

Il est pro­bable que ce soit ce dia­logue trans­mé­dia­tique entre pein­ture et pho­to­gra­phie qui ait d’abord sti­mu­lé – tant chez Adrien Hébert que chez Fer­nand Pré­fon­taine – l’abandon des effets lyriques dans leurs médias de pré­di­lec­tion res­pec­tifs. En consé­quence, ce dia­logue aura per­mis aux deux artistes d’atteindre à une cer­taine « objec­ti­vi­té » docu­men­taire, alors asso­ciée à la véri­si­mi­li­tude et au ren­du pré­cis dans la repré­sen­ta­tion pho­to­gra­phique (ou ciné­ma­to­gra­phique, par extension).

Au regard de ce que nous avons vu pré­cé­dem­ment, une preuve sup­plé­men­taire venue des car­nets et jour­naux per­son­nels de Fer­nand Pré­fon­taine aurait encore pu expli­quer l’insistance mise sur les motifs des ports inter­na­tio­naux et des trans­at­lan­tiques dans les films 16 mm de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert » :

Les sou­ve­nirs de mon enfance qui me reviennent le plus aisé­ment à la mémoire par le plai­sir qu’ils m’ont cau­sé sont tou­jours liés, d’une façon ou d’une autre, soit à des voyages en mer, soit, tout sim­ple­ment, à des pro­me­nades dans un port. […] Tout jeune encore, les jours de congé, je pre­nais plai­sir à me bala­der dans le port de Mont­réal. La vue d’un trans­at­lan­tique me ravis­sait ; je connais­sais tous ceux qui venaient régu­liè­re­ment à Mont­réal, je savais leur ton­nage, leur force motrice, leur vitesse et je mépri­sais mes cama­rades qui igno­raient ces notions élé­men­taires. Cette curio­si­té pour les choses de la mer ne m’a jamais quit­té. J’aime tous les ports […]36.

En plus de l’engagement réso­lu de Pré­fon­taine envers le média pho­to­gra­phique, cette dyna­mique éta­blie entre son his­toire intime et ses albums le dési­gnait vrai­sem­bla­ble­ment comme le pro­duc­teur des images ciné­ma­to­gra­phiques. N’étaient-t-elles pas, elles aus­si, truf­fées de sou­ve­nirs fami­liaux et de voyages aux accents confi­den­tiels ? La preuve fac­tuelle nous per­met­tant de lier for­mel­le­ment les tour­nages anciens à Pré­fon­taine man­quait cepen­dant tou­jours : aucune men­tion des films dans ses cor­res­pon­dances, ni dans ses écrits, n’avait encore refait surface.

Codes spéciaux, manuscrits et autres indices

En dépit des infor­ma­tions cumu­lées ci-haut et de nos pré­somp­tions entou­rant la pos­si­bi­li­té que Fer­nand Pré­fon­taine ait pu être le mys­té­rieux cinéaste que nous recher­chions, il nous était encore impos­sible de déter­mi­ner l’identité pré­cise de l’individu ayant tour­né les films. Un an allait encore s’écouler avant qu’une nou­velle piste se pré­sente. En effet, à l’automne 2016, l’investigation phy­sique de la maté­ria­li­té du métrage pro­po­sée par l’historien du ciné­ma Louis Pel­le­tier allait nous encou­ra­ger à consul­ter en per­sonne les pel­li­cules ori­gi­nales de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert ».

Cette approche, bien connue des spé­cia­listes du ciné­ma, repose notam­ment sur le fait qu’avant 1980, les pel­li­cules de la com­pa­gnie East­man-Kodak étaient munies de codes spé­ciaux consti­tués de figures géo­mé­triques (tri­angles, cercles, car­rés, croix). Seules ou agen­cées, per­mu­tées puis renou­ve­lées sur des cycles de vingt ans, ces formes, ins­crites sur les man­chettes des films, ser­vaient d’étalon de data­tion. Invi­sibles à moins d’examiner phy­si­que­ment la bobine parce que situés en dehors de l’image pro­je­tée, ces codes pré­ci­saient l’année de pro­duc­tion en usine de la pel­li­cule. Ain­si, comme nous savions que la date de péremp­tion des pel­li­cules don­née par Kodak suit de douze mois37 leur fabri­ca­tion et que l’achat des pel­li­cules se fai­sait géné­ra­le­ment à la pièce selon les besoins des tour­nages, nous pou­vions déduire que la date don­née par le code était, sauf excep­tion, celle de l’année où la cap­ta­tion des images avait eu lieu.

Figure 14 : Codes de datation sur la marge droite de la bobine 11. Photogramme d’un film 16 mm. CQ « Collection Adrien-Hébert ». Acquisition en 1978 (07182-11). Photographe : Eva Létourneau.
Figure 14 : Codes de data­tion sur la marge droite de la bobine 11. Pho­to­gramme d’un film 16 mm. CQ « Col­lec­tion Adrien-Hébert ». Acqui­si­tion en 1978 (07182–11). Pho­to­graphe : Eva Létourneau.

À en croire les marques pré­sentes sur les man­chettes des qua­torze bobines 16 mm de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert », l’entièreté de la pel­li­cule qui les com­pose aurait été pro­duite entre 1926 et 1932 inclu­si­ve­ment. Par exemple, en marge de la séquence où on remarque Cécile et Clo­rinthe dans le jar­din de l’atelier Cor­mier (figure 14), le code est com­po­sé d’un tri­angle et d’un cercle, une com­bi­nai­son cor­res­pon­dant à l’année 1926 (figure 15).

Figure 15 : Détail de la charte consignant les codes de datation des pellicules 16 mm Eastman Kodak, https://www.filmpreservation.org/userfiles/image/PDFs/fpg_10.pdf, (dernière consultation le 7 mars 2021).
Figure 15 : Détail de la charte consi­gnant les codes de data­tion des pel­li­cules 16 mm East­man Kodak, https://www.filmpreservation.org/userfiles/image/PDFs/fpg_10.pdf, (der­nière consul­ta­tion le 7 mars 2021).
Figure 16 : Échantillon manuscrit du papier identificateur original pour la bobine 12. CQ « Collection Adrien-Hébert », Acquisition en 1978 (07182).
Figure 16 : Échan­tillon manus­crit du papier iden­ti­fi­ca­teur ori­gi­nal pour la bobine 12. CQ « Col­lec­tion Adrien-Hébert », Acqui­si­tion en 1978 (07182).

Or, au moment même où nous en étions à dater toutes les séquences, le doute s’installa quant à une attri­bu­tion ferme de celles-ci à Fer­nand Pré­fon­taine. Un indice inédit nous obli­gea en effet à pous­ser l’investigation ailleurs : il s’agit de papiers iden­ti­fi­ca­teurs trou­vés dans les conte­nants métal­liques ori­gi­naux – main­te­nant dis­pa­rus – où repo­saient les bobines lors de leur entrée dans les col­lec­tions de la CQ (figure 16). Heu­reu­se­ment, ces papiers manus­crits ori­gi­naux, qui décrivent som­mai­re­ment les images de chaque bobine, ont été pré­ser­vés38 (figure 17).

Figure 17 : Échantillon manuscrit de Henri Hébert. Collection du MNBAQ. Fonds de la Famille Hébert (P10).
Figure 17 : Échan­tillon manus­crit de Hen­ri Hébert. Col­lec­tion du MNBAQ. Fonds de la Famille Hébert (P10).
Figure 18 : Échantillon manuscrit de Fernand Préfontaine. Collection du MNBAQ. Fonds de la Famille Hébert (P10).
Figure 18 : Échan­tillon manus­crit de Fer­nand Pré­fon­taine. Col­lec­tion du MNBAQ. Fonds de la Famille Hébert (P10).
Figure 19 : Échantillon manuscrit d’Ernest Cormier. Collection du MNBAQ. Fonds de la Famille Hébert (P10).
Figure 19 : Échan­tillon manus­crit d’Ernest Cor­mier. Col­lec­tion du MNBAQ. Fonds de la Famille Hébert (P10).

Une com­pa­rai­son rapide avec l’écriture manus­crite de Pré­fon­taine (figure 18) nous a mené à un constat sans équi­voque : ces iden­ti­fi­ca­tions n’étaient pas de sa main. Même constat pour Cor­mier, dont la gra­phie régu­lière et ordon­née d’architecte (figure 19) parais­sait toute aus­si éloi­gnée des docu­ments conser­vés par la CQ. Hor­mis Cécile et Clo­rinthe, il ne res­tait plus qu’Adrien Hébert (figure 20) et son frère Hen­ri… L’écriture manus­crite de Hen­ri Hébert (figure 16) – et par­ti­cu­liè­re­ment la manière carac­té­ris­tique dont il tra­çait la pre­mière lettre de ses nom et pré­nom – cor­res­pon­dit alors à celle de tous les papiers iden­ti­fi­ca­teurs, fai­sant de lui notre nou­veau sus­pect. Tou­te­fois, même si cette cor­res­pon­dance nous por­tait à croire qu’Henri ait pu être l’auteur des films, une ana­lyse gra­pho­lo­gique rigou­reuse ne suf­fi­rait pas à affir­mer un tel constat hors de tout doute. L’investigation nous menait tout de même vers une hypo­thèse nou­velle : Hen­ri Hébert, sculp­teur et cinéaste. L’incongruité était telle qu’elle méri­tait d’être vérifiée.

Figure 20 Échantillon manuscrit d’Adrien Hébert. Collection du MNBAQ. Fonds de la Famille Hébert (P10).
Figure 20 Échan­tillon manus­crit d’Adrien Hébert. Col­lec­tion du MNBAQ. Fonds de la Famille Hébert (P10).

Nous avons déjà avan­cé que les cinéastes ama­teurs de cette époque étaient géné­ra­le­ment pho­to­graphes avant d’être cinéastes. Cette affir­ma­tion pou­vait se véri­fier chez Hen­ri, qui fut, lui aus­si, très inves­ti dans la créa­tion d’œuvres pho­to­gra­phiques. Dans le brouillon (en copie car­bone) d’une lettre du 26 juin 1923 qu’il pré­voyait adres­ser à Fer­nand Pré­fon­taine, Hébert fait état de cer­tains détails tech­niques concer­nant ses pho­to­gra­phies suite à l’acquisition récente d’un appa­reil chez Hogg39 et des dif­fi­cul­tés qu’il éprouve face à sa manipulation :

Mon appa­reil donne des pho­to­gra­phies deux et quart par trois et quart ; elles sont satis­fai­santes pour l’intérieur mais pour l’extérieur l’angle est un peu grand. De plus, l’appareil est plu­tôt encom­brant à trans­por­ter, ce qui peut faire réa­li­ser des éco­no­mies vu que l’on perd très vite l’habitude de pho­to­gra­phier tout ce que l’on voit40.

Outre le sar­casme amu­sé de Hen­ri, ce qu’il y a d’intéressant dans ce tapus­crit, c’est qu’il semble avoir été rédi­gé à un moment clé de l’émulation pho­to­gra­phique entre Cor­mier, Pré­fon­taine et lui.

Dès ce moment, Hen­ri Hébert mul­ti­plie les occa­sions de pro­duire des images pho­to­gra­phiques et de les dif­fu­ser, tou­jours prompt à en faire l’envoi à ses col­la­bo­ra­teurs et amis41 ou à s’en ser­vir comme maté­riel d’inspiration pour ses eaux-fortes (Dan­seuse avec cer­ceau, 1923, MNBAQ, 90.747), sculp­tures (Ève, 1927, MBAM, 1992.19) et comme com­plé­ments à ses cro­quis, aqua­relles et pas­tels. Tel qu’il explique lui-même, dans le pro­ces­sus créatif,

[…] il est mal­adroit d’exiger d’un artiste une res­sem­blance pho­to­gra­phique. La pho­to­gra­phie repré­sente l’être dans une frac­tion infi­ni­té­si­male de son exis­tence seule­ment, cinq à six secondes au plus, et après qu’on l’a tour­né, retour­né, éclai­ré dans un beau jour (« Sou­riez plus que ça, moins ; un peu plus pen­ché, bien ! Non, le front plus haut, ouvrez les yeux, pas tant, davan­tage, etc… »). S’il s’agissait de copier fidè­le­ment, le mou­la­ger sur nature et la pho­to­gra­phie en cou­leurs seraient le comble de l’art. Or il n’en est pas ain­si, il n’en sera jamais ain­si. Ces arts acces­soires, que je suis loin de mépri­ser, sont d’un pré­cieux secours lorsqu’il s’agit de notes et de docu­ments. Mais l’artiste, lui, tra­duit le sens, comme on tra­duit un livre dans une langue étran­gère. Le mot à mot ne serait qu’un chaos de ver­biage42.

À la lec­ture, nous pour­rions même nous deman­der si Hen­ri Hébert, par exten­sion, aurait pous­sé l’audace jusqu’à s’inspirer des films de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert » pour en faire la tra­duc­tion sculp­tu­rale. Est-ce que, par exemple, la sculp­ture Char­les­ton (figure 4) aurait pu être infor­mée des séquences de la bobine 11 que nous avons retrou­vées dès l’amorce de notre parcours ?

Nous men­tion­nions plus tôt l’existence d’un car­tel adjoint à l’un des extraits de film pré­sen­tés lors de l’exposition du Groupe du Bea­ver Hall au MBAM en 2015, qui attri­buait les bobines à Adrien Hébert. Or, après avoir sup­po­sé qu’Henri Hébert pou­vait être l’auteur de ces images, une véri­fi­ca­tion sup­plé­men­taire depuis nos archives allait renou­ve­ler le sens que nous lui avions accor­dé. Voi­ci la trans­crip­tion com­plète du texte du car­tel : « Ce film sera pré­sen­té au Pen & Pen­cil Club of Mon­treal, le same­di 5 octobre 1929, par Hen­ri Hébert. On peut lire dans le pro­cès-ver­bal de la soi­rée : “Hébert a mon­tré un inté­res­sant film du port de Mont­réal43.” »

À l’époque de l’exposition du MBAM, la pré­somp­tion des com­mis­saires était qu’Henri Hébert pou­vait avoir mon­tré les films, mais qu’ils avaient pro­ba­ble­ment été faits par son frère Adrien. En d’autres mots, Hen­ri Hébert pou­vait en avoir fait la pré­sen­ta­tion sans pour autant en avoir été l’auteur. La men­tion laco­nique du pro­cès-ver­bal poin­tait dans ce sens. Mais per­sonne ne pou­vait être cer­tain qu’il s’agissait bien des films qui furent pré­sen­tées par le sculp­teur ce soir-là. Qui pou­vait affir­mer qu’il ne s’agissait pas d’un simple film ins­ti­tu­tion­nel ou com­mer­cial pro­duit par la Asso­cia­ted Screen News éta­blie à Mont­réal (figure 5) ou par un quel­conque pro­duc­teur d’actualités filmées ?

Ceci dit, comme les bobines 2, 6 et 14 conte­naient toutes des scènes pro­lon­gées du port de Mont­réal et qu’elles étaient toutes tour­nées sur de la pel­li­cule pro­duite en 1929, la coïn­ci­dence avec cette men­tion allait enfin cir­cons­crire le champ de nos recherches. En gar­dant en tête ces infor­ma­tions, il nous était pos­sible de creu­ser encore un peu du côté de la cor­res­pon­dance d’Henri Hébert en fonc­tion de ces dates.

Et c’est là, iro­ni­que­ment, au lieu où nous avions ini­tié cette recherche, c’est-à-dire dans les archives de la famille Hébert conser­vées au MNBAQ, que nous allions enfin trou­ver la réponse défi­ni­tive à notre inter­ro­ga­tion pre­mière. Dans une lettre envoyée par Fran­çois Her­bette44 à Hen­ri Hébert le 25 juin 1931, l’identité de notre mys­té­rieux cinéaste allait nous être dévoilée :

Je suis très heu­reux d’avoir Le port de Mont­réal vu par votre frère, après avoir appris à le connaître par vos excel­lents films. Le reste de l’exposition conte­nait de très bonnes choses, mais ce tableau-là m’a immé­dia­te­ment don­né l’impression qu’il me man­quait et je suis très recon­nais­sant à son auteur […]45.

L’exposition à laquelle Her­bette fait réfé­rence cor­res­pond à la pre­mière expo­si­tion par­ti­cu­lière et inter­na­tio­nale qu’Adrien Hébert consa­cra presqu’exclusivement au port de Mont­réal. Inti­tu­lée Adrien Hébert : le port de Mont­réal, elle fut pré­sen­tée à Paris à la Gale­rie A. Bar­rei­ro du 17 au 31 mars 1931. Quant aux films men­tion­nés, il y a tout lieu de croire que les séquences vues par Her­bette sont celles qui avaient été tour­nées à l’automne de 1929 et qu’Henri Hébert trans­por­ta avec lui à Paris. C’est du moins ce que sug­gèrent d’autres cor­res­pon­dances de la même période conser­vées dans le fonds de la famille Hébert. Celles-ci confirment l’identité du cinéaste ayant réa­li­sé la majo­ri­té des tour­nages au cœur de notre enquête. En effet, il existe plu­sieurs autres men­tions des séquences et sujets cap­tés par Hen­ri Hébert, notam­ment suite à leur pré­sen­ta­tion devant la famille Her­bette le dimanche 15 juin 193046. Dans une lettre rédi­gée quelques mois plus tard, Her­bette insiste ain­si sur les films : « Com­ment vont tous les vôtres, en par­ti­cu­lier vos char­mantes petites nièces, dont mes enfants parlent tou­jours, tant vos films les ont inté­res­sés47 ? »

Après une pareille démons­tra­tion, on s’étonnera moins qu’Henri Hébert, esprit curieux et tou­jours inté­res­sé par les pos­si­bi­li­tés créa­tives des nou­veaux médias qui s’offraient à lui, ait été un cinéaste pion­nier. La pro­jec­tion publique au Pen & Pen­cil Club de Mont­réal de ce que nous croyons être la bobine 14, dont le tour­nage venait à peine d’être ache­vé en octobre 1929, rend cette décou­verte encore plus excep­tion­nelle. En effet, bien qu’il s’agisse d’une dif­fu­sion ponc­tuelle effec­tuée devant un groupe de pairs, le simple fait qu’elle ne soit pas res­tée uni­que­ment confi­den­tielle est digne de men­tion. Sa dif­fu­sion publique nous per­met à la fois d’extraire ce tra­vail des genres asso­ciés au film de famille ou de voyage et de le voir comme un épi­phé­no­mène de la « sym­pho­nie urbaine », bien que frag­men­té ou nar­ra­ti­ve­ment incom­plet (par l’absence d’intertitres).

La pro­duc­tion d’Henri Hébert se démarque avec net­te­té des pré­ju­gés sur le ciné­ma qué­bé­cois de cette époque, que l’on asso­cie géné­ra­le­ment à la valo­ri­sa­tion du ter­roir et des tra­di­tions reli­gieuses. Tant du point de vue des idées que de l’utilisation de la tech­nique ciné­ma­to­gra­phique à des fins artis­tiques, son tra­vail est en adé­qua­tion avec les ten­dances inter­na­tio­nales. Insis­tons encore sur la sin­gu­la­ri­té de la chose : peu d’artistes plas­ti­ciens à cette époque, et encore moins des sculp­teurs, ont pro­duit une œuvre ciné­ma­to­gra­phique aus­si essen­tielle, au cœur d’un réseau artis­tique ayant eu une pro­fonde influence sur l’esthétique et la culture visuelle de leur temps. Il y a lieu de croire que l’étude que nous venons d’entamer sur le cor­pus sculp­tu­ral d’Henri Hébert au regard de son ciné­ma don­ne­ra lieu à d’intéressantes pers­pec­tives théoriques.

Afin de (ne pas) conclure

Ce que nous avons retra­cé ici est l’exact par­cours de notre pro­ces­sus de recherche, éta­lé sur plus de sept années. Le lec­teur a donc été témoin de la démarche indi­cielle48 que nous avons appli­quée à la pro­duc­tion d’un entre­lacs syn­chro­nique de faits his­to­riques cor­ro­bo­rés par des obser­va­tions maté­rielles et tech­niques dans dif­fé­rents médias. Cette méthode a su pro­duire ici des résul­tats tan­gibles en pré­ci­sant le contexte de réa­li­sa­tion de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert » tout en menant à la décou­verte de son véri­table auteur.

La déter­mi­na­tion d’éléments visuels comme preuves arte­fac­tuelles pour l’attribution des films à un cinéaste par­ti­cu­lier nous a per­mis de révé­ler plu­sieurs dyna­miques inter­mé­diales à l’intérieur même des pro­duc­tions autour de l’atelier Cor­mier, les­quelles se trouvent insé­rées dans un inter­valle souple allant de 1920 à 1935 dont les balises cor­res­pondent aux années de réa­li­sa­tion des films. Cet exer­cice nous a en outre per­mis de révé­ler les phé­no­mènes trans­mé­dia­tiques entre pho­to­gra­phie, ciné­ma et beaux-arts à cette époque, c’est-à-dire au moment où ils se popu­la­risent auprès d’« ama­teurs » issus de divers milieux artistiques.

Faute d’une com­pré­hen­sion réelle de ces dyna­miques – d’ailleurs impos­sible sans une attri­bu­tion des films à un cinéaste jus­ti­fiée par les faits –, il était vain d’espérer que notre enquête se conclue sur une étude d’esthétique com­pa­rée qui aurait révé­lé les points de rup­ture plas­tiques pro­vo­qués par la pho­to­gra­phie et le ciné­ma chez les artistes de for­ma­tion aca­dé­mique que nous avons étu­diés. Comme il s’agit d’objets intem­pes­tifs, attri­bués fau­ti­ve­ment à Adrien Hébert et tenus à l’écart de leur créa­teur prin­ci­pal, Hen­ri Hébert, com­ment éta­blir que ces nou­veaux médias sont à l’origine d’un chan­ge­ment de para­digme dans les œuvres de l’un et l’autre au cours des années 1920 ?

Les séquences de notre cor­pus n’ont pas fini de déce­voir ceux ou celles qui n’y recon­naî­traient que des docu­ments visuels n’allant pas au-delà d’une trans­crip­tion naïve du réel, fon­dée uni­que­ment sur la véri­si­mi­li­tude du média et dont on tire­rait des images méca­niques, lit­té­rales, objec­tives. Cet état de fait laisse d’ailleurs pen­ser que si les contri­bu­tions réelles de la pho­to­gra­phie et du ciné­ma à l’art qué­bé­cois avant 1960 n’ont pas été exa­mi­nées plus sérieu­se­ment aupa­ra­vant, c’est parce qu’elles impli­quaient une rééva­lua­tion ris­quée des esthé­tiques dis­ci­pli­naires défi­nies par des cri­tères et un héri­tage dont elles inflé­chis­saient l’organisation et les pré­sup­po­sés. Est-ce la rai­son pour laquelle on ne les pré­sen­tait jusqu’à tout récem­ment que comme des docu­ments audio­vi­suels ou du maté­riel d’appui dans les expo­si­tions de type « beaux-arts » ?

Tan­dis que l’on consi­dère ces médias (pho­to­gra­phie, ciné­ma) comme des outils épis­té­mo­lo­giques visant plu­tôt à remé­dier le réel de manière sub­jec­tive pour infor­mer la créa­tion et l’expression artis­tique, on constate toute la valeur de leur inter­ac­tion. Que ce soit dans le lien sous-ter­rain qu’ils entre­tiennent avec les « sym­pho­nies urbaines » ou encore dans les migra­tions ico­no­gra­phiques et les trans­ferts esthé­tiques qu’ils imposent aux beaux-arts tra­di­tion­nels (et ceux-ci rétro­ac­ti­ve­ment aux pre­miers), ces nou­veaux médias ouvrent le champ de la culture visuelle à une réflexion sur la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té dont cha­cun peine encore à mesu­rer le plein potentiel.

Pour le cher­cheur qui serait ten­té de repro­duire cette démarche, la dif­fi­cul­té demeu­re­ra de com­po­ser un équi­libre fait à la fois de doute sys­té­ma­tique, d’intuition et de séren­di­pi­té. Le tru­che­ment de la méthode indi­cielle et des notions inter­mé­diales engendre une quan­ti­té impor­tante d’hypothèses, dont les divers degrés de plau­si­bi­li­té agissent comme autant de déchi­rures ouvertes dans la fabrique du temps, des déchi­rures que l’histoire maté­ria­liste se doit de recoudre fil par fil. À ce titre, il était impos­sible d’imaginer au départ qu’Henri Hébert pour­rait en venir à rem­pla­cer Pré­fon­taine comme auteur des films, alors qu’il était lui-même un meilleur can­di­dat qu’Adrien Hébert. Tou­te­fois, c’est en insis­tant sur la séquence à l’origine de notre enquête que l’on pour­ra réa­li­ser que cette méthode doit fonc­tion­ner comme une auto­cri­tique en constante rééva­lua­tion de ses résultats.

Ernest Cormier cinéaste ?

Figure 21 : Marques de caméra laissées en marge de la fenêtre de prise de vues. Ciné-Kodak model B (objectif 20 mm, f/3,5). Photogrammes de films 16 mm. CQ, « Collection Adrien-Hébert ». Acquisition en 1978 (07182). Photographe : Eva Létourneau.
Figure 21 : Marques de camé­ra lais­sées en marge de la fenêtre de prise de vues. Ciné-Kodak model B (objec­tif 20 mm, f/3,5). Pho­to­grammes de films 16 mm. CQ, « Col­lec­tion Adrien-Hébert ». Acqui­si­tion en 1978 (07182). Pho­to­graphe : Eva Létourneau.

L’exemple le plus clair de ce que nous venons d’avancer est peut-être à situer dans ce qui suit. Nous disions plus tôt qu’il était pos­sible de déter­mi­ner quels étaient la camé­ra et l’objectif en usage lors du tour­nage. À voir les marques cir­cu­laires (figure 21) et ellip­tiques (figure 22) lais­sées en marge des pel­li­cules, il nous a été pos­sible, grâce à une autre charte (figure 23), de déter­mi­ner que non pas une, mais deux camé­ras avaient été uti­li­sées pour les tour­nages, à des époques différentes.

Figure 22 : Marques de caméra laissées en marge de la fenêtre de prise de vues. Ciné-Kodak model B (objectif 25 mm, f/1,9). Photogrammes de films 16 mm. CQ, « Collection Adrien-Hébert ». Acquisition en 1978 (07182). Photographe : Eva Létourneau.
Figure 22 : Marques de camé­ra lais­sées en marge de la fenêtre de prise de vues. Ciné-Kodak model B (objec­tif 25 mm, f/1,9). Pho­to­grammes de films 16 mm. CQ, « Col­lec­tion Adrien-Hébert ». Acqui­si­tion en 1978 (07182). Pho­to­graphe : Eva Létourneau.
Figure 23 : Détail d’une charte consignant les marques marginales laissées par différents modèles de caméras 16 mm. Alan Kattelle, Home Movies: A History of the American Industry, 1897-1979, Appendix 11 : « Identification Marks used in Substandard Motion Picture Cameras » (Nashua, NH : Transition Publishing, 2000), 369.
Figure 23 : Détail d’une charte consi­gnant les marques mar­gi­nales lais­sées par dif­fé­rents modèles de camé­ras 16 mm. Alan Kat­telle, Home Movies: A His­to­ry of the Ame­ri­can Indus­try, 1897–1979, Appen­dix 11 : « Iden­ti­fi­ca­tion Marks used in Sub­stan­dard Motion Pic­ture Came­ras » (Nashua, NH : Tran­si­tion Publi­shing, 2000), 369.

Selon nos obser­va­tions, les tour­nages les plus anciens ont été faits avec une Ciné-Kodak Model B, peut-être acquise chez Hogg à l’été de 192649. Selon les publi­ci­tés qui cir­culent dans la plu­part des pério­diques mont­réa­lais de l’époque, on sait que les camé­ras assor­ties de leur pro­jec­teur étaient ven­dues chez Hogg au moment de leur mise en mar­ché cette année-là, pour un mon­tant qui serait aujourd’hui équi­valent à près de deux mille dol­lars50. Une somme consi­dé­rable, qui implique la pro­ba­bi­li­té qu’une pre­mière camé­ra ait été ache­tée dès sa sor­tie et qu’elle ait été ponc­tuel­le­ment mise à la dis­po­si­tion de tous, pour le béné­fice du cercle du stu­dio Cor­mier, plu­tôt que pour un seul indi­vi­du. Or en addi­tion­nant les codes de data­tion avec les marques lais­sées sur le métrage par cette der­nière, on com­prend qu’une deuxième camé­ra, plus flexible, a séduit Hen­ri Hébert, qui l’utilisera dès son acqui­si­tion à l’été de 1927. Nous ne savons tou­jours pas ce qu’il est adve­nu de la pre­mière camé­ra, mais il est pro­bable qu’Hébert l’ait échan­gée pour acqué­rir le nou­veau modèle plus performant.

Figure 24 : Fernand Préfontaine (?) (attribué à). Ernest Cormier et Henri Hébert munis de leurs appareils Graflex dans le jardin de l’atelier Cormier, Montréal, juillet 1924. Épreuve à la gélatine argentique, 8,4 cm x 7,0 cm. Collection du MNBAQ. Fonds de la famille Hébert (P10.S21.DD.P1).
Figure 24 : Fer­nand Pré­fon­taine (?) (attri­bué à). Ernest Cor­mier et Hen­ri Hébert munis de leurs appa­reils Gra­flex dans le jar­din de l’atelier Cor­mier, Mont­réal, juillet 1924. Épreuve à la géla­tine argen­tique, 8,4 cm x 7,0 cm. Col­lec­tion du MNBAQ. Fonds de la famille Hébert (P10.S21.DD.P1).

Ces détails tech­niques ont leur impor­tance, dans la mesure où ils nous ren­seignent sur le fait que deux camé­ras passent peut-être entre les mains du cercle de l’atelier Cor­mier à dif­fé­rentes époques. Il est ain­si pro­bable qu’Henri Hébert n’ait pas été le seul à se lan­cer dans l’aventure ciné­ma­to­gra­phique… Pho­to­graphe pro­li­fique dont l’œuvre est encore mécon­nue, Ernest Cor­mier (figure 24) a pu pro­duire à son tour cer­tains films, ce que confir­me­ra peut-être l’étude maté­rielle d’une quin­zaine de courtes bobines de 100 pieds conser­vées au sein du fonds Ernest Cor­mier du CCA. Ce métrage com­plé­men­taire pro­duit dans les mêmes années pour­rait être de Cor­mier, dans la mesure où il est conser­vé dans son fonds personnel.

Se pour­rait-il que la séquence de 1926 où l’on voit Cécile et Clo­rinthe ait été tour­née par Ernest Cor­mier ? Nous n’avions pas entre­vu cette hypo­thèse jusqu’à main­te­nant, mais il pour­rait en effet s’agir des toutes pre­mières images tour­nées par le (ou les) nouveau(x) propriétaire(s) de la camé­ra afin d’en mesu­rer le poten­tiel lors de son acqui­si­tion. Sinon, quel serait le sens de ce fra­gile moment d’euphorie, pal­pi­tant d’amitié, de com­pli­ci­té et où tous dansent, sau­tillent, s’émerveillent… ? Ne serait-ce pas un témoi­gnage pré­cieux de l’excitation et de la fas­ci­na­tion cau­sées par la décou­verte d’un nou­veau média fil­mique qui, par le dis­po­si­tif 16 mm, leur était enfin deve­nu acces­sible ? Car c’est un fait indis­cu­table, dans le jar­din du stu­dio d’Ernest Cor­mier, ce jour-là, Adrien et Hen­ri Hébert, Cécile et Clo­rinthe Per­ron sont – de toute évi­dence – devant la camé­ra, alors que le pro­prié­taire des lieux, lui, demeure énig­ma­ti­que­ment absent de la séquence…

ANNEXE I

Don­nées tech­niques et codes chro­no­lo­giques des bobines sui­vant la numé­ro­ta­tion actuelle de la « Col­lec­tion Adrien-Hébert » conser­vée à la CQ :

No BOBINE MÉTRAGE DURÉE ANNÉES (CODES DATES)
07182–1 117 m 10’40’’ 1927
07182–2 109 m 10’00’’ 1926/1931
07182–3 136 m 12’26’’ 1929
07182–4 115 m 10’22’’ 1931
07182–5 121 m 11’03’’ 1929
07182–6 123 m 11’13’’ 1929
07182–7 113 m 10’20’’ 1927/1928
07182–8 131 m 12’00’’ 1928
07182–9 103 m 9’26’’ 1926/1927
07182–10 112 m 10’16’’ 1929
07182–11 87 m 7’54’’ 1929/1927/1926/1929
07182–12 134 m 12’16’’ 1931/1932/1931
07182–13 119 m 10’54’’ 1928/1929
07182–14 109 m 9’59’’ 1929

Notice biographique

Sébas­tien Hudon est cher­cheur en his­toire des médias spé­cia­li­sé en pho­to­gra­phie qué­bé­coise avant 1960. Titu­laire d’un bac­ca­lau­réat en his­toire de l’art et d’un D.E.S.S en muséo­lo­gie de l’Université Laval, il est depuis 2010 auteur et com­mis­saire indé­pen­dant. Dans ses tra­vaux, il s’intéresse à la reva­lo­ri­sa­tion d’œuvres et de cor­pus inédits ou de créa­teurs mécon­nus tel qu’Évariste Des­pa­rois. Ses plus récentes recherches portent sur les rela­tions inter­mé­dia­tiques entre les beaux-arts et le ciné­ma ama­teur de l’entre-deux-guerres. Elles feront pro­chai­ne­ment l’objet d’une publi­ca­tion dans la Revue cana­dienne d’études ciné­ma­to­gra­phiques.


  1. Adrien Hébert, « Un point de vue », L’Action uni­ver­si­taire 1.5 (avril 1935) : 11.

  2. Remer­cie­ments à notre inter­lo­cu­teur, René Vil­le­neuve, conser­va­teur hono­raire de l’art cana­dien ancien au Musée des beaux-arts du Cana­da.

  3. Janet M. Brooke, Hen­ri Hébert, 1884–1950 : un sculp­teur moderne. Expo­si­tion pré­sen­tée du 5 octobre 2000 au 7 jan­vier 2001 au Musée du Qué­bec (Qué­bec).

  4. Construit en 1921, il s’agit d’un édi­fice patri­mo­nial de brique rouge tou­jours visible aujourd’hui à Mont­réal au 3450A, rue Saint-Urbain, à ne pas confondre avec la rési­dence Ernest Cor­mier sise au 1418, ave­nue des Pins.

  5. Selon les mots de Guillaume Apol­li­naire dans un article cri­tique inti­tu­lé « Revue de la quin­zaine : Le Nigog », Le Mer­cure de France : série moderne 126.465 (16 avril 1918) : 765.

  6. Michel Lacroix, « Des Mon­tes­quiou à Mont­réal : Le Nigog et la mon­da­ni­té », Voix et Images 29.1 (automne 2003) : 105–114.

  7. Clo­rinthe devient à cette époque la com­pagne d’Ernest Cor­mier jusqu’à leur mariage tar­dif en 1976. On sait qu’elle assiste Ernest lors de sa réa­li­sa­tion de reliures d’art et il est rai­son­nable de croire qu’elle l’appuie éga­le­ment dans la réa­li­sa­tion de plu­sieurs autres tra­vaux à teneur artis­tique comme le tirage en chambre noire.

  8. Rémy Bes­son, « Pro­lé­go­mènes pour une défi­ni­tion de l’intermédialité à l’époque contem­po­raine » (2014), https://hal-univ-tlse2.archives-ouvertes.fr/hal-01012325v2/document (der­nière consul­ta­tion le 19 février 2021).

  9. Il s’agit de bobines de lon­gueurs variant entre 85 et 135 mètres, offrant des durées d’environ huit à douze minutes cha­cune et tota­li­sant envi­ron 2 heures 30 minutes pour une cadence de lec­ture nor­ma­li­sée à 16 images secondes (voir Annexe I). L’hypothèse la plus plau­sible indi­que­rait que ces bobines pro­viennent de la suc­ces­sion de Pau­line Hébert (1892–1977) dont la famille com­plète paraît plu­sieurs fois sur les séquences. Décé­dée en mai de l’année pré­cé­dant l’acquisition des bobines, ses biens et ceux légués par ses frères Hen­ri et Adrien (dis­pa­rus suc­ces­si­ve­ment en 1950 et 1967) furent alors dis­per­sés.

  10. La dégra­da­tion liée à la migra­tion entre les sup­ports devient ici un cas exem­plaire : il s’agit de cap­tures numé­riques, faites depuis un trans­fert dvd, lui-même tiré d’un trans­fert sur bande magné­tique, lui-même cap­té depuis une pro­jec­tion lumi­neuse sur écran d’après une pel­li­cule ori­gi­nale de 16 mm.

  11. [Incon­nu], « Le Char­les­ton », Le Clai­ron (27 août 1926) : 5.

  12. Les bobines (cotes 07182–1 à 07182–14) sont à l’origine numé­ro­tées de 1 à 14. C’est cette numé­ro­ta­tion sim­pli­fiée que nous uti­li­se­rons. Numé­ro de réfé­rence du cata­logue en ligne : 6379.

  13. Hébert, « Un point de vue », 10.

  14. Les élé­va­teurs et silos à grain deviennent rapi­de­ment un sym­bole de la moder­ni­té archi­tec­tu­rale et artis­tique cana­dienne et mont­réa­laise depuis leur mise en valeur dans Wal­ter Gro­pius, « Die Ent­wi­ck­lung moder­ner Indus­trie­bau­kunst », Die Kunst in Indus­trie und Han­del (Jahr­buch des Deut­schen Werk­bundes, Jena: Eugen Die­de­richs, 1913), 17–22 et leur reprise dans Le Cor­bu­sier, Vers une archi­tec­ture (Paris : G. Crès et Cie, 1923), 230. Citons pour exemple les pho­to­gra­phies du Van­cou­ve­rois John Van­der­pant qui, dès l’été 1926, pro­duit son image la plus dif­fu­sée, Colon­nades of Com­merce (Art Gal­le­ry of Van­cou­ver, 90.68.11); mais aus­si celles du pho­to­graphe amé­ri­cain Wal­ker Evans, réa­li­sées en août 1929 et conser­vées au Metro­po­li­tan Museum à New-York (1994.251.97 ; 1994.251.394 ; 1994.255.120 ;1994.255.85).

  15. Charles Tep­per­man, « “The Ama­teur Takes the Lea­der­ship”: Ama­teur Film, Expe­ri­men­ta­tion, and the Aes­the­tic Van­guard », Ama­teur Cine­ma: The Rise of North Ame­ri­can Movie­ma­king (Ber­ke­ley : Uni­ver­si­ty of Cali­for­nia Press, 2015), 193–216 ; 326–329.

  16. Ste­ven Jacobs, Antho­ny Kinik et Eva Hiel­scher (dir.), The City Sym­pho­ny Phe­no­me­non: Cine­ma, Art, and Urban Moder­ni­ty Bet­ween the Wars (Londres et New York : Rout­ledge, 2019).

  17. Antho­ny Kinik, « Sparling’s Cana­dian City Sym­pho­nies », dans Jacobs, Kinik et Hiel­scher (dir.), The City Sym­pho­ny Phe­no­me­non, 192.

  18. Ce film, des pho­to­graphes amé­ri­cains Paul Strand (1890–1976) et Charles Shee­ler (1883–1965), dont l’action se situe à New York, est désor­mais consi­dé­ré comme l’une des pre­mières ité­ra­tions du genre.

  19. Hébert, « Un point de vue », 10–11.

  20. Robert Cho­quette, « Du ciné­ma », La Revue moderne 10.2 (décembre 1928) : 7.

  21. Hébert, « Un point de vue », 11.

  22. Une moder­ni­té des années 1920 à Mont­réal – le groupe de Bea­ver Hall. Expo­si­tion tenue du 24 octobre 2015 au 31 jan­vier 2016. Com­mis­sa­riat de Jacques Des Rochers et Brian Foss. L’exposition s’ouvrit le sur­len­de­main de la pré­sen­ta­tion du pro­gramme Du mythe à l’abstraction.

  23. On pour­rait, à cet égard, nom­mer les pion­niers Lac­tance Giroux (1867–1942), Joseph-Arthur Homier (1875–1934), Albert Tes­sier (1895–1976), Gor­don Spar­ling (1900–1994), Omer Parent (1907–2000), Michel Brault (1928–2013), Claude Jutra (1930–1986), Guy Bor­re­mans (1934–2012) et tant d’autres.

  24. Les cor­pus pho­to­gra­phiques d’Ernest Cor­mier et de Hen­ri Hébert sont, à peu de choses près, encore inédits et feront l’objet de futures recherches et publi­ca­tions.

  25. Pour les « albums Pré­fon­taine », plu­sieurs auteurs doivent être envi­sa­gés après l’été de 1923. Cela est plus spé­ci­fi­que­ment vrai pour l’album 2006.335, MNBAQ.

  26. L’uniformité tech­nique des tirages et les séquences qu’ils forment dans le contexte chro­no­lo­gique de l’album 2006.335, MNBAQ (aux numé­ros 83 ; 113 à 116 ; 126 à 132 ; 149) sug­gèrent que leur réa­li­sa­tion aurait été faite lors d’une seule ou de deux excursion(s) photographique(s) où Adrien Hébert était pré­sent. Faute de preuves, dont nous réser­vons la démons­tra­tion pour un autre article, nous devons main­te­nir l’attribution actuelle de ces pho­to­gra­phies au pro­prié­taire de l’album, et ce, mal­gré des doutes sérieux sur le fait qu’il en soit bien l’auteur.

  27. Albert Laberge, « Trois expo­si­tions d’art cette semaine à Mont­réal », La Presse (18 novembre 1931) : 7.

  28. Esther Tré­pa­nier, « L’émergence d’un dis­cours de la moder­ni­té dans la cri­tique d’art (Mont­réal 1918–1938) », L’avènement de la moder­ni­té cultu­relle au Qué­bec (Qué­bec : Ins­ti­tut qué­bé­cois de recherche sur la culture, 1986) : 69–112.

  29. Pierre-Paul Le Cointe, « L’esthétique de l’ingénieur », Le Nigog 1.5 (mai 1918) : 141–144. À noter que le texte était insé­ré dans la revue ori­gi­nale et accom­pa­gné du cro­quis (pré­sen­té en cul-de-lampe et repré­sen­tant l’élévateur à grains no 2 que nous avons déjà vu ci-haut [fig. 12]) réa­li­sé par Adrien Hébert.

  30. Patri­cia Ver­voort, « “Towers of Silence”: The Rise and Fall of the Grain Ele­va­tor as a Cana­dian Sym­bol », His­toire Sociale / Social His­to­ry 39.77 (mai 2006) : 181–204.

  31. Fer­nand Pré­fon­taine, « À pro­pos d’une expo­si­tion de pho­to­gra­phies », La Patrie (24 avril 1926) : 31.

  32. Pré­fon­taine, « À pro­pos d’une expo­si­tion de pho­to­gra­phies ».

  33. Charles Feg­dal, « Adrien Hébert », Semaine à Paris (20 mars 1931) : 13.

  34. Rap­pe­lons que Charles Shee­ler fût l’un des prin­ci­paux tenants de cette ten­dance aux États-Unis (voir la note 18).

  35. Hébert,« Un point de vue », 11.

  36. Fonds Fer­nand Pré­fon­taine, P14,S1 – Car­net manus­crit (MNBAQ). Retrans­crip­tion effec­tuée en jan­vier 2014 par Natha­lie Thi­bault.

  37. Cette infor­ma­tion a pu être éta­blie grâce à une bobine conser­vée au Centre cana­dien d’architecture avec sa boîte ori­gi­nale (voir CCA, ARCH2342). Sur celle-ci, on note­ra la copré­sence de la date de tour­nage (iden­ti­fiée à la main « Albé­ric, 11 juillet 1936 ») et de la date d’expiration don­née par East­man Kodak : « Deve­lop before June 1937 ». La bobine qu’elle conte­nait a donc été pro­duite en usine en juin 1936, ache­tée à Mont­réal et uti­li­sée quelques semaines plus tard.

  38. Un mer­ci par­ti­cu­lier à Sté­pha­nie Côté, Éva Létour­neau et Nico­las Dulac, qui nous ont aiguillés lors de ce tra­vail en archives. Mer­ci redou­blé à Éva Létour­neau, qui a pro­cé­dé à la numé­ri­sa­tion minu­tieuse des pho­to­grammes qui illus­trent le pré­sent article.

  39. Four­nis­seur de maté­riel pho­to­gra­phique et ciné­ma­to­gra­phique situé au 152, rue Craig Ouest, selon les publi­ci­tés parues dans la seconde moi­tié des années 1920, Hogg est dépo­si­taire des appa­reils Gra­flex et des pro­duits de la com­pa­gnie East­man Kodak à Mont­réal. Voir la publi­ci­té parue dans La Presse (15 août 1927) : 17.

  40. Voir en annexe la copie car­bone (brouillon d’une lettre adres­sée à Fer­nand Pré­fon­taine) datée du 23 juin 1923. MNBAQ, fonds de la famille Hébert (P10.S17.D4.P1).

  41. Dans une lettre datée du 23 décembre 1930, Fran­çois Her­bette écrit : « Mon cher ami, je vous remer­cie bien vive­ment de votre lettre du 5 décembre et des pho­tos, toutes fort inté­res­santes. Mont­réal est vrai­ment deve­nue une métro­pole et j’aurais grand plai­sir à y retour­ner pour admi­rer tous ses pro­grès […]. » On pré­sume que les images sou­mises repré­sentent des scènes de la vie urbaine mont­réa­laise et des édi­fices récents tels que le Aldred Buil­ding (figure 5).

  42. Hen­ri Hébert, « De l’art et des artistes », La Revue moderne 10.2 (décembre 1928) : 10. C’est ce même numé­ro de la revue qui s’ouvre sur le texte de Robert Cho­quette sur le ciné­ma muet comme média d’expression artis­tique.

  43. Le pro­cès-ver­bal de la ren­contre tenue au stu­dio de Edmond Dyon­net et rédi­gé en anglais sug­gère même une ver­sion nuan­cée de cette soi­rée. La men­tion est la sui­vante : « Hebert gave an inter­es­ting Cine­ma­to­graph pic­ture of Mon­treal Har­bour. » (Voir Musée McCord, P139 A3.3.210323R.1) Est-ce que le sens du verbe « to give » (don­ner) est ici à prendre au sens lit­té­ral ? En d’autres termes, Hen­ri Hébert a‑t-il pu, non seule­ment mon­trer mais aus­si don­ner une copie du film au béné­fice de la col­lec­tion du Pen and Pen­cil Club, une pra­tique cou­rante au sein de ce club ?

  44. Cette cor­res­pon­dance est effec­ti­ve­ment attri­buable à Fran­çois Her­bette, un éco­no­miste qui habi­tait bel et bien l’édifice du 85, ave­nue de Saint-Cloud (Ver­sailles, S[eine] et O[ise]), tel que l’indique l’en-tête du papier à lettres. Mer­ci à Oli­vier Ruf­fi­net­to-Del­haise et Daniel Clau­zier, qui nous aidèrent à soli­di­fier cette hypo­thèse, et mer­ci à Jean-Pierre Sirois-Tra­han, qui put la confir­mer dans les annuaires télé­pho­niques pour les années 1929–1931 lors d’une consul­ta­tion phy­sique in extre­mis à la Biblio­thèque natio­nale de France le 5 mars 2020.

  45. Lettre envoyée par Fran­çois Her­bette à Hen­ri Hébert le 25 juin 1931 (MNBAQ, Fonds de la famille Hébert [P10.S17.D7.P1]). Il est inté­res­sant de noter que, selon les mots choi­sis par ce cor­res­pon­dant, il aurait vrai­sem­bla­ble­ment acquis un tableau du port de Mont­réal peint par Adrien Hébert. S’agirait-t-il de l’œuvre per­due, pré­sen­tée à cette expo­si­tion et tou­jours man­quante à ce jour, inti­tu­lée Élé­va­teur n2, Bas­sin Jacques-Car­tier ? Voir Pierre L’Allier et Esther Tré­pa­nier, Adrien Hébert, cata­logue d’une expo­si­tion tenue au Musée du Qué­bec du 16 juin au 13 octobre 1993, (Qué­bec : Musée du Qué­bec, 1993), 87 et 124 . Il existe de cette œuvre une ver­sion res­tée sous forme d’ébauche de mêmes dimen­sions, acquise par Power Corp. en 1996 (1996.042.1). Cette image fut aus­si repro­duite comme illus­tra­tion pour l’article d’Adrien Hébert, « Un point de vue », 10–11.

  46. Lettre envoyée par Hen­ri Hébert à Pau­line Hébert, 22 juin 1930. MNBAQ, dos­sier de l’œuvre Ad Astra (1934.243).

  47. Lettre envoyée par Fran­cois Her­bette à Hen­ri Hébert, 27 octobre 1930. MNBAQ, Fonds de la famille Hébert P10.S17.D7.P2.

  48. On réfère ici à l’étude de la démarche « more­lienne ». Car­lo Ginz­burg, « “Signes, traces, pistes” : Racines d’un para­digme de l’indice », Le Débat 6 (1980) : 3–44.

  49. Mise en mar­ché en avril 1926, celle-ci était munie d’un objec­tif 20 mm ouvrant à f/3.5. Un an plus tard, en juin 1927, Kodak com­mer­cia­li­sa une nou­velle ver­sion avec un objec­tif 25 mm et une focale f/1.9.

  50. Une publi­ci­té parue dans les jour­naux de l’époque (au dos du pre­mier cahier de La Presse du 12 juin 1926) per­met d’en faire la com­mande. L’appareil seul, avec le nou­vel objec­tif f/3.5, était affi­ché pour la somme de 110 $, la for­mule avec le pro­jec­teur et l’écran de pro­jec­tion pour 162 $. En com­pa­rai­son, la publi­ci­té pour une auto­mo­bile Ford du der­nier modèle était ven­du au même moment pour la somme de 535 $. Selon Denis Robert, qui a connu per­son­nel­le­ment Ernest Cor­mier et Clo­rinthe Per­ron et eu l’occasion de dis­cu­ter de cette ques­tion avec eux, le pro­jec­teur conser­vé au CCA dans le Fonds Cor­mier (ARCH250485) pro­vient de l’ensemble ori­gi­nal et aurait effec­ti­ve­ment appar­te­nu à Hen­ri Hébert.