Intertextualité et porno Made in Québec : de la traduction à l’émergence d’un genre

Éric Falar­deau et Domi­nique Pelletier


Aver­tis­se­ment : Ce texte traite de por­no­gra­phie et contient des termes, expres­sions et figures de style qui pour­raient cho­quer ou offen­ser cer­taines personnes.

L’identité qué­bé­coise por­no­gra­phique est bien en vue dans la culture ciné­ma­to­gra­phique popu­laire de la pro­vince. La par­faite démons­tra­tion de ce fait se trouve dans une scène d’anthologie de Jésus de Mont­réal (Denys Arcand, 1989). Le per­son­nage de Mar­tin, un acteur de théâtre inter­pré­té par Rémy Girard, boucle ses fins de mois en dou­blant des films por­no­gra­phiques, accom­pa­gné de deux actrices. Lors de l’une de ces séances, un qua­trième per­son­nage entre en scène dans la bande vidéo, ce qui mène le réa­li­sa­teur à deman­der à Mar­tin de dou­bler dans la même prise les deux rôles mas­cu­lins. La scène se veut comique : on y oppose des comé­diens sérieux à une pro­duc­tion jugée bas de gamme. Elle débute avec les voix fémi­nines, qui com­mentent la dic­tion de leurs col­lègues inter­prètes de dou­blage. L’extrait est dou­blé dans un registre que l’on recon­naît comme le « fran­çais inter­na­tio­nal », avec tous les arti­fices qui l’accompagnent, et fait se suc­cé­der les « copain », « prends ça », « dis-le que tu aimes ça » et l’inévitable « salope ». N’y ont cer­tai­ne­ment pas leur place les « chum », « quin toé » et « t’aimes ça, ma cochonne » ; c’est du sérieux, leur affaire. « Salope », on se l’accorde, est l’une des rares occur­rences d’un fran­çais por­no­gra­phique véri­ta­ble­ment inter­na­tio­nal. Mar­tin pour­suit, fait de son mieux, change sa voix, alterne rapi­de­ment entre deux micros, le souffle court, jusqu’à confondre les per­son­nages. Le réa­li­sa­teur n’en fait pas de cas, féli­cite plu­tôt ses comé­diens et leur rap­pelle que « ce n’est pas grave, per­sonne ne fait la dif­fé­rence ». On n’a pas besoin d’être ver­sé dans la langue pour com­prendre qu’il a tort. C’est en effet l’enjeu lin­guis­tique de la por­no­gra­phie qui la situe comme objet dans la culture popu­laire. En por­no, comme ailleurs, il y a de mau­vais jeux, de mau­vaises langues et de mau­vais jeux de langues. La por­no­gra­phie qué­bé­coise serait-elle de l’ordre du mau­vais genre ?

À la croi­sée inter­dis­ci­pli­naire des études por­no­gra­phiques1 et des études lan­ga­gières, notam­ment la tra­duc­to­lo­gie, la lin­guis­tique et l’analyse cri­tique du dis­cours2, cet article pro­pose de situer le genre por­no­gra­phique qué­bé­cois par rap­port à son contexte socio­his­to­rique d’émergence. Avec une approche his­to­rique et socio­lin­guis­tique, en consi­dé­rant tou­jours le film comme un texte dont on ne peut pas sépa­rer les élé­ments3, cette étude de cas docu­men­te­ra l’émergence de la por­no­gra­phie qué­bé­coise en pre­nant comme point de départ le dou­blage au Qué­bec de films por­no­gra­phiques dis­tri­bués avant ou en syn­chro­nie avec les pre­miers longs métrages qué­bé­cois sous licence. En d’autres termes, en tra­çant l’histoire de la por­no­gra­phie ciné­ma­to­gra­phique au Qué­bec depuis son émer­gence, cet article tâche­ra de répondre aux ques­tions sui­vantes : les textes des longs métrages dou­blés en qué­bé­cois contri­buent-ils à la dis­tinc­tion d’une culture et d’une iden­ti­té por­no­gra­phiques qué­bé­coises ? De quelle manière la por­no­gra­phie s’inscrit-elle dans la tra­di­tion plus large du ciné­ma québécois ?

Afin de répondre à ces ques­tions, nous com­pa­re­rons les pre­miers longs métrages por­no­gra­phiques locaux, dont Putain de chô­mage (Daniel Ménard, 1993), Les pipeuses de l’entrepôt (Ron King, 1994) et Mont­réal est une ville ouverte (Mr. White, 1996), aux textes de films en langue fran­çaise ou dou­blés ayant été dis­tri­bués loca­le­ment dans les clubs vidéos avec l’autorisation de la Régie du ciné­ma du Qué­bec (RCQ), ain­si qu’à cer­taines ver­sions en langue ori­gi­nale. Cette étude de cas marque la pre­mière étape d’une recherche plus large sur l’histoire de la por­no­gra­phie au Qué­bec incluant le ciné­ma, la lit­té­ra­ture, les maga­zines, le Web, la musique et le spec­tacle, une recherche qui paraî­tra bien­tôt sous forme de monographie.

Une brève histoire du genre pornographique au Québec

L’émergence du genre por­no­gra­phique qué­bé­cois est un sujet peu docu­men­té. Avant la sor­tie des pre­miers long métrages locaux sous licence au début des années 1990, la majo­ri­té des films pour adultes dis­tri­bués en fran­çais avec l’accord de la RCQ4 étaient des pro­duc­tions étran­gères, dou­blées en grande par­tie ailleurs que dans la pro­vince. Selon les don­nées de la RCQ, 70 longs métrages étran­gers dis­tri­bués en vidéo ont été dou­blés en fran­çais entre 1980 et 1995, par­mi les­quels 27 films dont la ver­sion ori­gi­nale est en ita­lien, 24, en anglais et 19, en alle­mand. Quant à la pro­duc­tion qué­bé­coise, seule­ment 20 longs métrages sont appa­rus sur les éta­lages des clubs vidéos entre 1993 et 1995.

Il est impos­sible, pour l’instant, de dater avec pré­ci­sion l’arrivée des tout pre­miers longs métrages por­no­gra­phiques qué­bé­cois. Il est évident que des films por­no­gra­phiques ont été tour­nés au Qué­bec dans les années 1960 et 1970, un fait cor­ro­bo­ré par l’existence de cer­taines copies de loops5 répar­ties dans des col­lec­tions pri­vées6 ain­si que par des témoi­gnages que nous avons recueillis. Une recen­sion des petites annonces publiées dans des maga­zines et revues pour adultes, dont plu­sieurs étaient des­ti­nées à la com­mu­nau­té liber­tine ou échan­giste, prouve éga­le­ment l’existence de vidéo­cas­settes fil­mées par des ama­teurs, qui se les échan­geaient entre par­ti­cu­liers. Les encarts à la fin de publi­ca­tions telles que Éro­sphères, Sex­tra, Super Sexe et L’Interdit confirment qu’un mar­ché paral­lèle under­ground se char­geait de la dis­tri­bu­tion par la poste de pro­duc­tions ama­teurs et pro­fes­sion­nelles sur sup­port vhs. Tou­te­fois, l’illégalité du genre et la cen­sure ins­ti­tu­tion­nelle impo­saient de fac­to une non docu­men­ta­tion de cette pro­duc­tion et, le cas échéant, une cir­cu­la­tion en dehors des cir­cuits tra­di­tion­nels ren­dant l’archéologie de ces médias difficile.

Figure 1 : Collection Éric Falardeau.
Figure 1 : Col­lec­tion Éric Falardeau.

Dès les années 1960, les salles d’art et d’essai repoussent les limites de la per­mis­si­vi­té entou­rant la dif­fu­sion et la repré­sen­ta­tion de la sexua­li­té. Ce n’est qu’à la fin de cette décen­nie que le ciné­ma éro­tique s’impose après le suc­cès popu­laire de plu­sieurs films étran­gers et celui, défi­ni­ti­ve­ment local, de l’incontournable Valé­rie (Denis Héroux, 1969). Ce genre ciné­ma­to­gra­phique est une bouée de sau­ve­tage pour les salles mono-écran, que les spec­ta­teurs délaissent pro­gres­si­ve­ment pour la télé­vi­sion. Tou­te­fois, si les salles d’art et d’essai décloi­sonnent la sexua­li­té et pro­fitent d’un cer­tain degré d’indulgence de la part des auto­ri­tés, le ciné­ma pro­pre­ment por­no­gra­phique, lui, n’est tou­jours pas auto­ri­sé7 ni accep­té dans les ménages comme dans la société.

Ce n’est qu’au début des années 1980 que l’on assiste aux pre­mières ten­ta­tives pour inau­gu­rer des ciné­mas consa­crés au conte­nu pour adultes, ce qui place la dif­fu­sion du ciné­ma por­no­gra­phique au Qué­bec en syn­chro­nie avec celle de plu­sieurs pays occi­den­taux ayant enta­mé pro­gres­si­ve­ment l’ouverture de cette tri­bune dans les années 1970. Par exemple, « Roland Smith, l’infatigable pro­mo­teur des ciné­mas de réper­toire, tente d’accélérer l’acceptation sociale du film XXX, ou hard­core. Le 10 février 1982, il ouvre le Ciné­ma X dans La Sca­la, salle qui vient de fer­mer sur la rue Papi­neau à Mont­réal8. » L’aventure est de courte durée et la salle ferme ses portes en juillet de la même année, car le public n’est pas au ren­dez-vous. Le gou­ver­ne­ment est tou­jours réti­cent à lever les inter­dic­tions9 et les réac­tions néga­tives de plu­sieurs groupes mili­tants limitent les pos­si­bi­li­tés d’un espace de dif­fu­sion voué à ce genre de ciné­ma10. Comme le résume l’historien Yves Lever dans son his­toire de la cen­sure ciné­ma­to­gra­phique au Qué­bec, la por­no­gra­phie demeure un cas singulier :

Si des pro­duc­tions inter­na­tio­nales auda­cieuses comme Le der­nier tan­go à Paris ([Ber­nar­do] Ber­to­luc­ci[, 1972]) sus­citent nombre de contro­verses en Europe, la cen­sure qué­bé­coise se contente de le réser­ver aux adultes en 1973. La seule limite qui demeure, à la fin de cette période, est la por­no­gra­phie dite hard. Si la nudi­té ne pose plus de pro­blèmes, les gestes amou­reux pul­lulent, mais simu­lés, les gros plans sur les sexes, l’érection et la péné­tra­tion res­tent encore inter­dits. […] Au début des années 1980, les formes tra­di­tion­nelles de la cen­sure sont presque com­plè­te­ment dis­pa­rues. Il reste quelques res­tric­tions envers la por­no­gra­phie, mais presque tout le ciné­ma du monde est acces­sible aux adultes. […] Dans le Cana­da, le Qué­bec est deve­nu, et de loin, la pro­vince la plus libé­rale […]11.

L’arrivée du sup­port vidéo com­plexi­fie les choses et trans­forme les modes de dif­fu­sion, de consom­ma­tion, de légi­ti­ma­tion et de régle­men­ta­tion du ciné­ma. La por­no­gra­phie ne fait pas excep­tion, comme l’explique Pierre Pageau :

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, l’arrivée pro­gres­sive de la vidéo et de la vidéo­cas­sette cor­res­pond à la fin des salles éro­tiques. Ces films d’art et d’essai et ces films éro­tiques pré­sen­tés dans des salles spé­cia­li­sées se sont heur­tés à la col­lec­ti­vi­té et au consen­sus social. Ils remettent en cause les cri­tères de mora­li­té qui régis­saient le ciné­ma depuis le début du siècle. Si le soft por­no éta­blit une nou­velle liber­té de repré­sen­ta­tion de la sexua­li­té dans le ciné­ma local, on est cepen­dant encore loin de la por­no­gra­phie. Il faut attendre une dizaine d’années avant que ne soient per­mis les gros plans sur les vagins et les pénis en érec­tion, sur les péné­tra­tions et la mas­tur­ba­tion. Et cela se pro­duit à tra­vers les copies vidéo des films, qui béné­fi­cient d’un vide juri­dique pen­dant les années 1980 et dont la loi n’oblige la clas­si­fi­ca­tion, à l’égal de tous les autres for­mats, qu’en 199112.

Le flou juri­dique auquel réfère Pageau réside dans le fait qu’avant 1991, nul n’était tenu de sou­mettre un film des­ti­né aux clubs vidéos pour appro­ba­tion à la RCQ. Par consé­quent, entre la mise en place de la Régie en 198313 et l’obligation pour chaque pro­duc­tion d’en obte­nir un visa14, plu­sieurs longs métrages ont été dis­tri­bués sur le ter­ri­toire sans lais­ser de traces. Tou­jours selon Yves Lever, « […] depuis 1992, un règle­ment impose de pla­cer le maté­riel vidéo “18 ans et plus” et carac­té­ri­sé de “sexua­li­té expli­cite” dans un espace dis­tinct et sépa­ré par des divi­sions, où est bien indi­quée la men­tion “ADULTES”15 ». Entre­temps, comme par­tout en Amé­rique du Nord, « on assiste rapi­de­ment, dans tout le Qué­bec, à la fer­me­ture de dizaines de salles, car le nou­veau sup­port vient bou­le­ver­ser la donne du pro­duit por­no­gra­phique qui, du grand écran, passe au petit dans l’intimité des foyers, là où aucune loi ne lui impose de res­tric­tions16 ». Comme le rap­port à la por­no­gra­phie n’est pas le même en salle que dans l’intimité de son domi­cile, le fait de reti­rer le vision­ne­ment public de l’équation a une influence sur la langue employée dans les films. Les réa­li­sa­teurs et les pro­duc­teurs n’ont plus à se sou­cier de la récep­tion col­lec­tive d’une œuvre et des com­men­taires que celle-ci génère sur la place publique. La por­no­gra­phie parle désor­mais direc­te­ment au spec­ta­teur, en toute inti­mi­té, seule à seul.

Figure 2 : Collection Cinémathèque québécoise.
Figure 2 : Col­lec­tion Ciné­ma­thèque québécoise.

Émergence de la pornographie québécoise originale

C’est en 1994 que la RCQ accorde une licence à sept longs métrages qué­bé­cois, dont Putain de chô­mage, consi­dé­ré offi­cieu­se­ment comme le pre­mier film qué­bé­cois du genre. Dès l’année sui­vante, des pro­duc­tions ori­gi­nales locales appa­raissent sur le mar­ché aux côtés des sor­ties étran­gères. Si l’industrie inter­na­tio­nale est en pleine effer­ves­cence, l’industrie qué­bé­coise, elle, tire de l’aile : elle émerge dif­fi­ci­le­ment de l’illégalité et demeure enli­sée dans ses tra­di­tions, tant du point de vue du conte­nant que du conte­nu. Le tabou entou­rant la por­no devient cultu­rel, à la vue de tous, incluant son esthé­tique ama­teur indis­so­ciable de ses moyens limi­tés. De plus, l’étroitesse du milieu place ses inter­prètes, ses pro­duc­teurs et ses tech­ni­ciens à risque, car il est très dif­fi­cile pour eux de conser­ver l’anonymat. Dans un dos­sier spé­cial de la revue Qué­bec éro­tique paru en 1994, le jour­na­liste Pierre Ger­vais décrit la situation :

Peu de films sont pro­duits au Qué­bec. Seule­ment sept sont sur le mar­ché légal qué­bé­cois. Selon [Stan, le pro­prié­taire du club vidéo Sexe-O-Choix], ils sont de mau­vaise qua­li­té, n’offrent que peu d’action aux clients qui sont habi­tués à beau­coup plus. Les his­toires prennent trop de place, les expli­ca­tions sont trop longues. Ils ennuient les clients en mal d’action. Tou­te­fois, cette répu­ta­tion risque de chan­ger avec l’avènement de la com­pa­gnie Black Lava Pro­duc­tions, qui offri­ra sous peu des films tour­nés au Qué­bec, avec des acteurs qué­bé­cois : des films de bonne qua­li­té. Le pre­mier est d’ailleurs sur les tablettes depuis le 29 août der­nier. Il se nomme Sex Fan Club [(Ron King, 1994)]. Il lui reste main­te­nant à se tailler une place par­mi les 180 nou­veaux films légaux qui arrivent sur le mar­ché du vidéo por­no­gra­phique chaque mois17.

L’année sui­vante, une dou­zaine de films qué­bé­cois pour adultes obtiennent une licence de dis­tri­bu­tion de la RCQ. Les pre­miers pro­duc­teurs-cinéastes font leur appa­ri­tion, notam­ment Shawn Ricks, Robert Moreau, Marc Hen­drix et quelques autres. Les films por­no­gra­phiques locaux, nous l’avons vu, étaient aupa­ra­vant dis­po­nibles par l’entremise de réseaux de dis­tri­bu­tion paral­lèles (petites annonces, maga­zines échan­gistes, etc.) à l’abri des regards, donc dif­fi­ciles, sinon impos­sibles à retra­cer. C’est d’ailleurs le cas des pre­mières pro­duc­tions du cinéaste Marc Hen­drix, qui œuvrait déjà dans le genre pen­dant les années 1980. Selon un autre article de la revue Qué­bec éro­tique, ce dernier

[…] est dans le milieu du film pour adultes depuis une dou­zaine d’années [en 1997]. Il a tour­né son pre­mier film, L’initiation de Méla­nie, en 1993, ont sui­vi Mémoires intimes [(1995)], Les filles de Fan­ta­sex [(1996)], et sa suite, Les filles de Fan­ta­sex 2 [(1997)], qui vient de paraître, sous l’étiquette Valen­tine Vidéo, l’étiquette XXX des dis­tri­bu­tions Show­Time. En 1992, lorsque la Régie du ciné­ma a don­né son aval à la pro­duc­tion de films por­no­gra­phiques, le pre­mier film d’Hendrix a été le deuxième approu­vé par la régie. Une nou­velle indus­trie venait de naître18.

L’industrie qué­bé­coise des films por­no­gra­phiques voit « offi­ciel­le­ment » le jour dans les années 1990, au moment de sa léga­li­sa­tion par les organes gou­ver­ne­men­taux régis­sant la dif­fu­sion et la dis­tri­bu­tion de ces objets19. Depuis cette léga­li­sa­tion, la por­no­gra­phie qué­bé­coise a pris deux tan­gentes : d’une part, la prise d’assaut du mar­ché inter­na­tio­nal par l’entremise du Web avec des acteurs qui devien­dront les futurs géants de la por­no­gra­phie numé­rique, comme Gam­ma et Mind­Geek ; et, d’autre part, l’intégration de réfé­rents cultu­rels et de per­son­nages qué­bé­cois comme élé­ments cen­traux dans le récit des pro­duc­tions d’ici, comme celles pro­duites par Éro­bec, AD4X et Pégas Pro­duc­tions, pour ne nom­mer que celles-là. Cer­taines pro­duc­tions se démarquent par leur ancrage dans l’identité, la poli­tique et la culture qué­bé­coises. C’est notam­ment le cas de Mont­réal est une ville ouverte, l’une des pre­mières pro­duc­tions ayant fait l’objet de notre ana­lyse, mais éga­le­ment de pro­duc­tions plus récentes, comme celles qui évoquent la crise étu­diante de 2012, dont Agente 728 XXX (AD4X, 2012), 3 car­rés rouges (AD4X, 2013) et Montre-moi ton car­ré rouge (AD4X, 2013), ain­si que celles qui mettent de l’avant des figures bien connues des Qué­bé­cois comme le Bon­homme Car­na­val, rebap­ti­sé Bon­homme Car­na­nal dans la pro­duc­tion Bon­homme Car­na­nal : la recherche des duchesses (AD4X, 2015).

Le doublage au Québec

L’histoire du dou­blage au Qué­bec est indis­so­ciable du contexte d’insécurité lin­guis­tique ayant mené à l’adoption de mesures légis­la­tives visant à pro­té­ger le fait fran­çais en Amé­rique du Nord20. Cer­taines études détaillent l’arrivée de ver­sions dou­blées dès les années 194021. Rap­pe­lons tou­te­fois que de nom­breuses ten­ta­tives pour impo­ser une tra­duc­tion (par sous-titrage ou par dou­blage) ont été faites dans les années 1960 et 1970. Selon Lacasse, Sabi­no et Schep­pler, en 1982,

en réac­tion à l’augmentation des films en ver­sion ori­gi­nale anglaise dans les salles qué­bé­coises le gou­ver­ne­ment du Qué­bec éla­bo­ra un nou­veau pro­jet de loi. Cette loi ne fut fina­le­ment adop­tée que trois ans plus tard. La loi 109 (pho­né­ti­que­ment « sang neuf ») for­çait les majors amé­ri­cains à four­nir une ver­sion en fran­çais dans les 60 jours sui­vant la sor­tie de la ver­sion ori­gi­nale anglaise dans les salles du Qué­bec22.

Outre ces consi­dé­ra­tions his­to­riques, la tra­duc­tion et le dou­blage – avec ses par­ti­cu­la­ri­tés sonores (accent, pro­non­cia­tion, syn­taxe, hau­teur de la voix, etc.) – sou­lèvent de nom­breuses ques­tions théo­riques. Dans un article sur le dou­blage au Qué­bec, la tra­duc­to­logue Luise von Flo­tow sou­ligne que les dis­cours entou­rant cette pra­tique depuis les années 1960 sont de trois ordres : cultu­rel, éco­no­mique et péda­go­gique. Par consé­quent, et c’est ce qui nous inté­resse dans ce qui carac­té­rise l’émergence de la pro­duc­tion por­no­gra­phique qué­bé­coise, « ques­tions about the qua­li­ty and type of lan­guage used for dub­bing in Qué­bec are pres­sing and recur­rent. They per­tain in many other socie­ties that dub Hol­ly­wood film and raise sen­si­tive issues rela­ted to aes­the­tic and culture, the control of lan­guage and iden­ti­ty23. » Sachant que la por­no­gra­phie est d’abord et avant tout une pro­duc­tion cultu­relle spé­ci­fique dont la réson­nance est indis­so­ciable de son envi­ron­ne­ment24, com­ment peut-on, dans ce contexte, tra­cer son ima­gi­naire pro­pre­ment qué­bé­cois avant la pre­mière vague locale de films pour adultes ? La tra­duc­tion a‑t-elle ser­vi de trem­plin à la pro­duc­tion locale ? De quelles façons les pro­duc­tions dou­blées font-elles état des spé­ci­fi­ci­tés cultu­relles et socio­lin­guis­tiques québécoises ?

Le dou­blage por­no­gra­phique inter­lin­guis­tique (entre deux langues) a de par­ti­cu­lier qu’il émerge d’une longue tra­di­tion de dou­blage intra­lin­guis­tique (dans la même langue). Dans un dos­sier sur la tra­duc­tion éro­tique et por­no­gra­phique que nous avons codi­ri­gé pour Cir­cuit, le maga­zine de l’Ordre des tra­duc­teurs, ter­mi­no­logues et inter­prètes du Qué­bec, nous men­tion­nons que

[d]ans les années 1960, 1970 et 1980, bon nombre de cinéastes por­no­gra­phiques enre­gis­traient leurs scènes de sexe en plan muet et ajou­taient le son à l’étape de la post­pro­duc­tion. En plus d’échapper à cer­taines contraintes tech­niques et bud­gé­taires, ils pou­vaient ain­si fil­mer des scènes entières sans cou­pures inutiles, en employant plu­sieurs camé­ras ou en effec­tuant le mon­tage à l’intérieur même du plan (nom­breux reca­drages, camé­ra à l’épaule, zoom avant / zoom arrière). Cette méthode per­met­tait éga­le­ment de mettre faci­le­ment l’accent sur les voix ou la musique et de raf­fi­ner les effets du mon­tage, notam­ment ceux des gros plans, dans le pro­duit final. […] En rai­son de la pra­tique qui consiste à dou­bler sys­té­ma­ti­que­ment les films por­no­gra­phiques peu importe la langue dans laquelle ils sont tour­nés, la tra­duc­tion intra­lin­guis­tique occupe une place impor­tante dans cette indus­trie. Mais l’arrivée des camé­scopes semi-pro­fes­sion­nels au début des années 1980 change la donne. Il est désor­mais pos­sible d’enregistrer le son à même la bande, et ce, pour de plus longues périodes qu’avant. La tech­no­lo­gie n’a cepen­dant pas tout à fait mis fin à l’enregistrement sans son, tou­jours en usage dans cer­taines pro­duc­tions25.

Le ciné­ma qué­bé­cois a sa propre tra­di­tion de post­pro­duc­tion sonore. Beau­coup de cinéastes por­no­gra­phiques qué­bé­cois enre­gis­traient le son direc­te­ment avec la camé­ra vidéo, mais y ajou­taient une musique d’accompagnement. Ils allaient par­fois jusqu’à omettre com­plè­te­ment la prise de son de la scène, à l’image des pro­duc­tions étran­gères en vogue à l’époque, comme Babes Angels, tour­né dans l’ancien manoir des Lavi­gueur (Sté­phane Choui­nard, 1997). Nous ajou­tons ain­si, dans le dos­sier pré­cé­dem­ment men­tion­né, que

[s]i le ciné­ma vise à accro­cher la spec­ta­trice par la pau­pière, le dou­blage cherche à l’attraper par l’oreille. En matière de por­no­gra­phie, l’esthétique de l’image n’est pas tout ; le son et le lan­gage ont une part impor­tante à jouer dans le résul­tat final. En consé­quence, pour exci­ter davan­tage le public, on amende la trame sonore. On ne tra­duit ain­si pas seule­ment des mots, mais des voix, des sons, une ambiance. Les sons du sexe doivent séduire : les dia­logues sont tra­duits soit pour lais­ser libre cours à l’imagination, soit pour don­ner une impres­sion de réa­lisme, selon le cou­rant ciné­ma­to­gra­phique dont se réclame la cinéaste. Mais peu importe la tra­di­tion, la visée reste la même : amé­lio­rer la qua­li­té de l’original26.

En effet, l’œuvre por­no­gra­phique est sou­vent le résul­tat de plu­sieurs démarches de tra­duc­tion : cer­taines intra­lin­guis­tiques, comme le sous-titrage codé, qui gagne en popu­la­ri­té depuis les der­nières années, et cer­taines inter­lin­guis­tiques, comme le dou­blage ou le sous-titrage dans une autre langue. Cer­taines sont d’ordre inter­sé­mio­tique, comme les choix esthé­tiques sui­vant les modes de pro­duc­tion ou la média­tion cultu­relle de cer­tains dis­cours por­no­gra­phiques devant per­mettre de rejoindre davan­tage le public par l’ajout de réfé­rents. Nous pour­sui­vons fina­le­ment en pré­ci­sant que

[l]es types de dou­blage inter­lin­guis­tique varient selon le genre de por­no­gra­phie, la mai­son de pro­duc­tion, la région et par­fois même les actrices choi­sies par [le ou] la cinéaste. Cer­tains dou­blages s’éloignent des dia­logues d’origine, d’autres trans­forment la voix des per­son­nages ou ins­crivent ceux-ci dans un contexte géo­gra­phique ou social dif­fé­rent de l’original. Dans les pro­duc­tions dou­blées au Qué­bec, comme À la recherche de chattes cana­diennes (In Search of Cana­dian Bea­ver, Shawn Ricks, 1994), on tente en géné­ral de limi­ter la varia­tion lin­guis­tique et les accents, de même que les expres­sions et termes qué­bé­cois au pro­fit d’un fran­çais arti­fi­ciel­le­ment inter­na­tio­nal, bien que plu­sieurs actrices [et acteurs] conservent, par choix ou [non], leur accent, leurs locu­tions et leur lexique27.

Depuis la popu­la­ri­sa­tion du ciné­ma éro­tique avec, entre autres, la série Bleu Nuit, dif­fu­sée à la chaîne télé TQS de 1986 à 2007, « [l]e dou­blage a don­né un cachet par­ti­cu­lier à ces œuvres aux titres et répliques déso­pi­lantes, gra­cieu­se­té de tra­duc­tions inven­tives28 ».

Particularités du cinéma pornographique traduit au Québec

La pré­sente ana­lyse porte sur les par­ti­cu­la­ri­tés cultu­relles du texte de ciné­ma por­no­gra­phique qué­bé­cois, tant celui issu du dou­blage que celui pro­ve­nant de ver­sions ori­gi­nales. Elle s’attache à trois élé­ments – la trame nar­ra­tive, les expres­sions idio­ma­tiques et les por­nèmes – rele­vant cha­cun d’enjeux de tra­duc­tion par­ti­cu­liers. La tra­duc­tion du genre por­no­gra­phique en un genre fil­mique pro­pre­ment qué­bé­cois témoigne d’une média­tion cultu­relle sans pré­cé­dent. Dans notre ana­lyse des trames nar­ra­tives, nous com­pa­rons les réfé­rents cultu­rels des tra­duc­tions des pro­duc­tions étran­gères à ceux des films por­no­gra­phiques qué­bé­cois émer­gents. En fai­sant l’analyse com­plé­men­taire des expres­sions idio­ma­tiques pré­sentes dans les films de notre cor­pus, nous avons situé la langue des dia­logues par rap­port au fran­çais qué­bé­cois et à ses varia­tions de lexique et de registre. De plus, notre ana­lyse des por­nèmes, un concept sug­gé­ré par Roland Barthes et appro­fon­di par la lin­guiste Marie-Anne Paveau, met en lumière les mots et inter­jec­tions reflé­tant l’identité cultu­relle por­no­gra­phique qué­bé­coise pro­je­tée à l’écran29. Paveau men­tionne, dans son livre sur le dis­cours por­no­gra­phique, que le lexique de la por­no­gra­phie s’articule à l’abri des regards pour les gens qui ne sont pas en contact direct avec le milieu. Le voca­bu­laire de ce champ d’activité pré­sente des signi­fiés qui relèvent exclu­si­ve­ment de ce domaine ; il consti­tue une langue de spé­cia­li­té avec sa ter­mi­no­lo­gie propre. En s’appuyant sur le modèle concep­tuel issu de la lin­guis­tique du sème et du lexème, res­pec­ti­ve­ment les plus petites uni­tés de sens et du lexique, Paveau reprend cette notion de por­nème pour dési­gner les termes issus du lexique por­no­gra­phique. Le por­nème repré­sente la plus petite uni­té du dis­cours por­no­gra­phique ; c’est un mot du domaine spé­cia­li­sé de la por­no­gra­phie, éla­bo­ré par la por­no­gra­phie et ses propres milieux30.

Cer­taines études dans le champ de l’analyse fil­mique se sont inté­res­sées au dou­blage – l’image étant géné­ra­le­ment au cœur de ces recherches –, mais rares sont celles qui portent direc­te­ment un regard sur l’objet por­no­gra­phique. Par­mi celles-ci, notons celle de Fran­çois Per­ea, qui pro­pose de caté­go­ri­ser les mises en scène et affects pro­vo­qués par les dia­logues sur les sites inter­net dédiés aux conte­nus pour adultes (les tubes). Il iden­ti­fie quatre formes ver­bales et vocales, soit :

  • des formes dif­fi­ci­le­ment cir­cons­crip­tibles, par­fois confon­dues, tels les souffles sonores, râles, gémis­se­ments, cris (ne cor­res­pon­dant pas à des élé­ments du lexique) très lar­ge­ment majo­ri­taires (elles repré­sentent de manière variable selon les extraits entre 70 % et 100 % des pro­duc­tions de notre cor­pus), à la pré­sence et à l’intensité crois­santes, se résor­bant après le cli­max arti­cu­lé à l’éjaculation mas­cu­line la plu­part du temps ;
  • plus rare­ment (entre 5 % et 18 % de notre cor­pus), des formes lexi­cales que l’on qua­li­fie de manière très géné­rale d’interjectives (« oui », « oh oui », « yeah ») et des jurons (« putain ») ;
  • plus rare­ment encore, des formes inci­ta­tives (moins de 5 % de notre cor­pus) : « Vas‑y » (seul ou en posi­tion ini­tiale des formes sui­vantes), « mets-moi ta queue là », « viens », « avale tout », « crache », « oui » ;
  • et / ou des com­men­taires du res­sen­ti (moins de 5 % de notre cor­pus) cen­sé être celui du locu­teur ou de son / sa par­te­naire : « Ouais, je vais jouir là », « j’ai envie de la sen­tir », « tu aimes ça ma cochonne », « ça te plaît de voir ça31 ».

Selon Per­ea, les formes vocales ou ver­bales sont donc soit indis­cer­nables, inter­jec­tives, inci­ta­tives ou affec­tives, mais on constate que la fonc­tion prin­ci­pale du dis­cours est pha­tique. Il sert à agré­men­ter la connexion entre les par­te­naires et à don­ner l’impression d’une com­mu­ni­ca­tion fluide, alors que peu d’importance est accor­dée au sens des énon­cés. Pour­tant, dans le cas du ciné­ma por­no­gra­phique qué­bé­cois, la signi­fi­ca­tion cultu­relle des énon­cés et des signes est pré­ci­sé­ment ce qui per­met au public de le com­prendre en s’y iden­ti­fiant. Les indis­cer­nables doivent avoir une sono­ri­té fami­lière, les inter­jec­tions ne doivent pas jurer avec ce qui reste accep­table à entendre, les inci­ta­tives doivent être moti­vantes et les affec­tives doivent être cré­dibles. Le récit, les expres­sions et les por­nèmes doivent se pré­sen­ter aux Qué­bé­cois comme étant les leurs. Cepen­dant, en écou­tant les pro­duc­tions et en en com­pa­rant les simi­li­tudes et les varia­tions, on constate que la qué­bé­ci­tude demeure dans la por­no­gra­phie hau­te­ment influen­cée par la sub­jec­ti­vi­té de ses tabous lin­guis­tiques, sexuels et esthétiques :

Par­mi les nom­breuses ques­tions à l’étude : quelles sont les rai­sons pour les­quelles cer­tains por­nèmes spé­ci­fiques à une région, comme les mots qué­bé­cois « four­rer » et « graine », leurs qua­si-syno­nymes plus répan­dus « bai­ser » et « queue » ou leurs contre­par­ties plus fré­quentes de l’autre côté de l’Atlantique « niquer » et « bite », sont tous des consti­tuants du dis­cours por­no­gra­phique du Qué­bec ? Faut-il en conclure qu’au-delà de l’influence de la por­no­gra­phie étran­gère, les choix édi­to­riaux des pro­duc­trices, réa­li­sa­trices et tra­duc­trices d’ici ne se font pas en fonc­tion de la région ? Doit-on poser que le rôle de ces der­nières est de choi­sir des por­nèmes qui vont exci­ter leur public, peu importe la pro­ve­nance de ces mots ? Au-delà des réponses aux­quelles ces recherches mène­ront, un des résul­tats espé­rés est d’amener les Qué­bé­coises à recon­naître leur por­no­gra­phie comme pro­duc­tion cultu­relle, afin qu’elles soient mieux en mesure de la pro­duire, de la tra­duire et de la dif­fu­ser selon leurs besoins et leurs sen­si­bi­li­tés32.

Figure 3 : Collection Éric Falardeau.
Figure 3 : Col­lec­tion Éric Falardeau.

Un cas d’exception

Tour­né au Qué­bec, Les jeunes Qué­bé­coises (The Young Que­be­cers, Clau­dio Cas­tra­vel­li, 1980) est un cas de dou­blage unique en son genre. Comme peu de films sem­blables dou­blés en qué­bé­cois, le long métrage contient un grand nombre d’expressions ver­na­cu­laires spé­ci­fiques à nos régions. Le registre de langue est fami­lier, ce qui confère au film une cer­taine flui­di­té. Les répliques donnent en effet l’impression de dia­logues qui pour­raient avoir lieu dans la réa­li­té, mal­gré quelques expres­sions inter­ro­ga­tives dans un fran­çais très nor­ma­tif, comme « Va-t-il…? » à la place de « Il va-tu…? » Le film contient aus­si de nom­breuses expres­sions fami­lières, comme « envoye », « pogner », « gui­doune », « mener du bruit », de même que des jurons comme « hos­tie » et « tabar­nac ». D’un point de vue cultu­rel, sa phra­séo­lo­gie por­no­gra­phique est par­ti­cu­liè­re­ment riche. Des phrases telles que « Y’était ban­dé comme un mau­dit », pour com­men­ter une érec­tion ; « Ça y allait par-là », pour com­men­ter l’action ; « J’ai pogné la picouille du groupe ! », pour témoi­gner du dépit de l’un des acteurs d’avoir pigé le gode­mi­chet le plus petit lors d’un tirage à la courte paille ; « J’aimerais ça te man­ger le casque », pro­non­cé [kas], pour mani­fes­ter l’intérêt de faire une fel­la­tion ; et « Mange-moi le bat », pour inci­ter à la fel­la­tion, dénotent des tra­duc­tions bien ancrées dans la culture qué­bé­coise. Celles-ci pro­dui­raient dif­fi­ci­le­ment le même effet chez un public d’ailleurs, qui se ver­rait dépay­sé devant la syn­taxe et le lexique uti­li­sés33. Les por­nèmes pure­ment qué­bé­cois du film font presque tous réfé­rence au phal­lus, comme « casque » ou « batte » (qui ren­voie à la batte de base­ball), et leurs occur­rences sont très peu nom­breuses. Ceci confirme la ten­dance qu’ont géné­ra­le­ment les dou­bleurs au Qué­bec de le faire dans un fran­çais géné­ral, voire inter­na­tio­nal : la phra­séo­lo­gie et le lexique employés sont très proches de la langue géné­rale, avec très peu de termes spé­ci­fiques à la por­no­gra­phie. Les por­no­gra­phies dou­blées au Qué­bec peuvent ain­si aspi­rer à être attrayantes pour une diver­si­té de fran­co­pho­nies et dif­fu­sées à l’échelle internationale.

En rai­son de divers inci­ta­tifs, dont cer­tains de nature fis­cale, le film s’inscrit dans une série de longs métrages tour­nés en anglais au Qué­bec dans les années 1970 et 1980 par des réa­li­sa­teurs étran­gers. Quelques-uns de ces réa­li­sa­teurs mettent l’accent sur le carac­tère pit­to­resque du Qué­bec, sa fran­co­pho­nie, ses pay­sages natu­rels et urbains, ses réfé­rents cultu­rels exo­ti­sants et ven­deurs. De ce fait, durant cette période, une par­tie de la pro­duc­tion por­no­gra­phique ori­gi­nale qué­bé­coise ne s’adresse pas direc­te­ment à un public qué­bé­cois, mais plu­tôt à un public étran­ger, atti­ré par le roman­tisme euro­péa­ni­sé de notre ter­roir. En plus de Les jeunes Qué­bé­coises, c’est le cas de Sex and the Office Girl (Ron Clark, 1972) et des pre­miers longs métrages por­no­gra­phiques gais d’ici tels que French Erec­tion : Au Maxi­mum (William Dufault, 1992) et Call of the Wild (Kris­ten Bjorn, 1992).

Mis à part les films que nous venons de men­tion­ner, le film Scan­dale (George Mihal­ka, 1982) se démarque du lot. Cette comé­die éro­tique à la limite de la por­no­gra­phie, dans laquelle des fonc­tion­naires décident de tour­ner un film osé à même les fonds du gou­ver­ne­ment, pré­sente des scènes que l’on pour­rait juger de nature X, bien que le film ne soit pas consi­dé­ré comme une pro­duc­tion por­no­gra­phique. Il marque la fin du cha­pitre que l’on qua­li­fie de « Maple Syrup Porn » et met la table pour la léga­li­sa­tion de la por­no­gra­phie au Qué­bec et l’émergence des pre­miers longs métrages qué­bé­cois pro­pre­ment por­no­gra­phiques34.

Animée par la langue de chez nous

La ten­dance des réa­li­sa­teurs étran­gers à mettre de l’avant des mar­queurs pit­to­resques du Qué­bec a per­mis de décom­plexer le dou­blage por­no­gra­phique qué­bé­cois par rap­port à sa propre iden­ti­té cultu­relle. Ce chan­ge­ment de rap­port à l’altérité, où l’objet dou­blé appar­tient à sa propre culture, per­met aux inter­prètes de dou­blage, aux­quels on accor­dait déjà une énorme liber­té dans le cadre de leurs per­for­mances, d’être plus à l’aise d’employer leur propre voca­bu­laire vul­gaire, notam­ment pour rema­nier les réfé­rents déjà pré­sents dans le texte ori­gi­nal. Dans beau­coup de ces pro­duc­tions, le dou­blage ne béné­fi­cie que d’une seule prise, où l’improvisation pré­do­mine, ce qui se remarque dans le manque de syn­chro­nisme entre les sons, les dia­logues et le mou­ve­ment des lèvres ain­si que dans l’utilisation abu­sive de trames sonores musi­cales pour mas­quer les défauts de la bande de doublage.

Figure 4 : Collection Éric Falardeau.
Figure 4 : Col­lec­tion Éric Falardeau.

À la recherche de chattes cana­diennes (The Search for Cana­dian Bea­ver, Shawn Ricks, 1994) est un bon exemple de film où les lèvres bougent, mais où le dou­blage ne cor­res­pond pas, rap­pe­lant la scène de Jésus de Mont­réal men­tion­née en intro­duc­tion. Ce film, à la dis­tri­bu­tion entiè­re­ment fémi­nine sauf pour des rôles secon­daires non por­no­gra­phiques, raconte l’histoire d’enseignantes de l’école amé­ri­caine des « lèvres rouges », en anglais Lips­tik Girls35, envoyées au Cana­da pour faire une tour­née des bars de dan­seuses. Elles tra­versent la fron­tière aux chutes Nia­ga­ra pour ensuite se retrou­ver dans un bar de motards, où elles se font arrê­ter lors d’une des­cente par la police mon­tée cana­dienne. L’un des deux poli­ciers, joué par le réa­li­sa­teur du film, avant de mettre les « Lèvres rouges » der­rière les bar­reaux, s’exclame : « Salope, t’es sur un sol cana­dien ! » Son col­lègue, tout aus­si contra­rié, leur dit qu’elles sont en train de man­ger tous leurs cas­tors, un réfé­rent à l’anatomie fémi­nine très com­mun en anglais, dont l’équivalent direct en fran­çais dépend des régions et des usages. Par­mi les locu­tions qué­bé­coises issues de la langue géné­rale, on trouve « la grosse Ber­tha », les « bobettes », « Allez les filles, vous êtes capables ! », « Lâchez pas ! » et l’expression raciste « plan de nègre ». Côté por­nèmes, que des ono­ma­to­pées inau­dibles et asyn­chrones. La trame nar­ra­tive est, quant à elle, truf­fée de réfé­rents asso­ciés à l’imaginaire cana­dien : police mon­tée, cas­tors, chutes Nia­ga­ra, froid hiver­nal, motards. Dans le dou­blage, la ver­ba­li­sa­tion de ces icônes cana­diennes est ren­due de manière très can­dide, presque paro­dique. Ceci ren­force notre impres­sion que le carac­tère qué­bé­cois d’un dou­blage ne repose pas néces­sai­re­ment sur le lexique employé dans sa tra­duc­tion, qu’il soit géné­ral ou por­no­gra­phique, mais plu­tôt sur le ren­du de ses réfé­rents, qui peut jouer tant sur la forme que sur le fond.

La suite du film, À la recherche de chattes cana­diennes 2 (The Search for Cana­dian Bea­ver 2, Shawn Ricks, 1995), montre les héroïnes par­tant recru­ter de nou­velles « Lèvres rouges » pour pré­pa­rer une autre tour­née cana­dienne des bars de dan­seuses. Le film com­mence avec un rap­pel du pre­mier : « On s’est retrou­vées en dedans avec toutes ces bitches qui vou­laient nous sau­ter. » Après quelques scènes d’audition, les nou­velles Lips­tik Girls prennent d’assaut la Place Bona­ven­ture pour le show Aphro­dite 1994, le pré­cur­seur du Salon de l’amour et de la séduc­tion. Après une audi­tion sup­plé­men­taire, nous sommes trans­por­tés sur la scène du bar de dan­seuses mont­réa­lais Solid Gold pour la pre­mière per­for­mance des nou­velles Lips­tik Girls. Le dou­blage de ce deuxième film se voit défi­ni­ti­ve­ment plus pré­cis et plus réus­si que celui de son pré­dé­ces­seur. Le carac­tère bon chic bon genre des recru­teuses venues de l’étranger est mar­qué par le fort accent anglo­phone des actrices de dou­blage. De leur côté, les actrices dou­blant les per­son­nages locaux uti­lisent un lexique très inter­na­tio­nal, ponc­tué par des expres­sions occa­sion­nel­le­ment ver­na­cu­laires, notam­ment le dédou­ble­ment du pro­nom « tu » dans les phrases inter­ro­ga­tives : « Tu veux-tu que je te mange encore l’orteil ? », « T’es-tu prête pour la pre­mière ? », ou encore l’omission du « ne » de néga­tion : « Je sais pas, mais cette conver­sa­tion com­mence à m’exciter roya­le­ment. » Sur le plan de la trame nar­ra­tive, les réfé­rents cana­diens sont beau­coup moins pré­sents et sont rem­pla­cés par des lieux ico­niques de Mont­réal. L’élaboration d’une tra­duc­tion réfé­ren­tielle pour ces élé­ments nar­ra­tifs est lais­sée à l’interprétation du spectateur.

L’appel de la nature (VF de Call of the Wild) nous ramène à ces arché­types cana­diens à tra­vers sa repré­sen­ta­tion de la figure mas­cu­line : bûche­ron, police mon­tée, cam­peur, chas­seur, tra­vailleur de chan­tier. À la manière des Vil­lage People, musique folk­lo­rique et che­mises « car­reau­tées » à l’appui, les per­son­nages du film sont repré­sen­tés sous forme de vignettes fai­sant de l’identité cana­dienne l’une des marques de com­merce de l’exotisme cos­mo­po­lite gai. À notre avis, le film est un clair inci­ta­tif pour le tou­risme gai au Cana­da. Il ajoute à l’attrait des lieux mar­quants dans l’histoire LGBTQ+ à l’échelle mon­diale, comme c’est le cas pour le vil­lage gai de Mont­réal, et de ses struc­tures légis­la­tives favo­rables au res­pect des droits de la per­sonne et à la liber­té d’expression de l’identité homosexuelle.

Comme l’a men­tion­né Niko­la Ste­pic, le tou­risme média­tique est une consé­quence consi­dé­rable des pèle­ri­nages effec­tués vers les lieux consa­crés par les médias. Les lieux de culte homoé­ro­tiques mis en lumière dans les por­no­gra­phies locales ne font pas excep­tion à cette règle36 :

Film-indu­ced tou­rism is a more recent example of what we his­to­ri­cal­ly might call “media tou­rism”; indeed, theo­rist Sti­jn Rei­jn­ders has his­to­ri­ci­zed media tou­rism to include oral folk tra­di­tions, which have promp­ted the so-cal­led “legend trips” to loca­tions asso­cia­ted with ghost sto­ries, as well as nine­teenth-cen­tu­ry “lite­ra­ry tou­rism”, orga­ni­zed around the set­tings of popu­lar Vic­to­rian novels, or the homes and graves of famous authors. Trans­me­dia examples from the nine­teenth cen­tu­ry onward include Baker Street in Lon­don, England, for its asso­cia­tion with Arthur Conan Doyle’s Sher­lock Holmes, Prince Edward Island for its asso­cia­tion with Lucy Maud Montgomery’s Anne of Green Gables, the so-cal­led Mil­len­nium Tour in Stock­holm, Swe­den, concei­ved around the lite­ra­ry hit The Girl with the Dra­gon Tat­too… (And for what it’s worth, I would argue that the Mon­treal porn canon is only mat­ched by Anne of Green Gables—I’ve been strug­gling to think of more examples of Cana­dian film-indu­ced tou­rism.) To say nothing of cities like New York, where tours based on popu­lar TV shows like Friends or Sex and the City have been popu­lar for years. Rei­jn­ders writes that media-indu­ced pil­gri­mages to urban cen­ters “pro­vide the fra­me­work within which many people get to know a new city37”.

En plein déve­lop­pe­ment, la por­no­gra­phie homo­sexuelle cana­dienne cherche à s’identifier au rayon­ne­ment de ses lieux et pay­sages mar­quants, les­quels sont pro­pices à l’épanouissement de l’identité et de la sexua­li­té gaies. L’imaginaire du ter­roir cana­dien comme une contrée sau­vage, vierge, incarne sou­vent l’invitation à explo­rer la cor­po­ra­li­té d’un ter­ri­toire incon­nu ou inter­dit. Le per­son­nage du film por­no­gra­phique gai devient ain­si fami­lier et pit­to­resque à la fois, car il pro­jette un soi sexuel sur un autre cultu­rel. La figure de la police mon­tée, pré­sen­tée aux côtés de son grand che­val noir, est frap­pante : on est dans le ter­ri­toire du tabou – celui de la zoo­phi­lie – et très peu d’images suf­fisent pour nous le rappeler.

Alors que l’on vend le Cana­da comme l’escapade gaie ultime, le dou­blage de la bande sonore de L’appel de la nature se répète comme un man­tra. Les mêmes échan­tillons de voix sont jux­ta­po­sés dif­fé­rem­ment dans plu­sieurs scènes, plus par­ti­cu­liè­re­ment au moment de l’éjaculation : « Je viens, hos­tie ! », « Ah oui, viens, mon cochon ! », ponc­tués des mêmes glous­se­ments géné­riques. Les sacres se suc­cèdent sans gêne : « Envoye, mon hos­tie ! Envoye, tabar­nac ! Prends-là ! Hos­tie que c’est bon ! » Comme les acteurs sont qué­bé­cois, la langue de tour­nage du film est le fran­çais, la bande sonore des scènes de sexe est dou­blée dans les deux langues offi­cielles, tan­dis que les seg­ments de pré­sen­ta­tion entre les scènes sont en fran­çais et sous-titrés en anglais.

On constate que les pro­duc­tions por­no­gra­phiques cana­diennes et qué­bé­coises dou­blées, qu’elles soient homo­sexuelles ou hété­ro­sexuelles, suivent de façon géné­rale deux tra­jec­toires, et ce, peu importe le nombre de régio­na­lismes assu­més. On trouve d’une part les films qui sont tour­nés ici, dou­blés pour un public étran­ger, et, d’autre part, les films tour­nés ailleurs, dou­blés pour le mar­ché qué­bé­cois. Dans le pre­mier cas, les films cherchent à appâ­ter un public étran­ger en s’appuyant sur l’altérité des iden­ti­tés cana­dienne et qué­bé­coise et leurs diverses repré­sen­ta­tions sexuelles. Dans le deuxième cas, les films cherchent à atteindre des stan­dards de pro­fes­sion­na­lisme et de dif­fu­sion à l’échelle du mar­ché inter­na­tio­nal, ce qui les mènent à évi­ter un lexique ver­na­cu­laire, cepen­dant tra­hi par l’accent des acteurs et des actrices, typique de la socio­lin­guis­tique du Qué­bec. Le dou­blage en fran­çais inter­na­tio­nal existe alors pour les mêmes rai­sons qu’existe le dou­blage truf­fé de sacres et d’expressions qué­bé­coises, car exo­ti­ser le per­son­nage devient une autre stra­té­gie employée pour le vendre au public. Comme la por­no homo­sexuelle est prin­ci­pa­le­ment expor­tée, elle est plus assu­mée dans ses tabous lin­guis­tiques, notam­ment le ver­na­cu­laire qué­bé­cois, que la por­no hété­ro­sexuelle, prin­ci­pa­le­ment impor­tée et mar­quée par son carac­tère étran­ger, dont on n’arrive tou­jours pas à jus­ti­fier l’usage pour un public d’ici. Hust­ler 17 (VF de Hust­ler 17, De San­tos, 1984), dou­blé dans un fran­çais inter­na­tio­nal avec une dic­tion exa­gé­rée, mono­tone, presqu’infantilisante, en est le par­fait exemple. Ce n’est qu’avec l’arrivée des pre­miers films por­no­gra­phiques qué­bé­cois fran­co­phones que l’on s’adresse direc­te­ment aux gens du pays ; c’est enfin à leur tour de se lais­ser par­ler d’amour.

Une pornographie d’ici pour les gens d’ici

Bien que le conte­nu des pre­miers films por­no­gra­phiques qué­bé­cois fran­co­phones soit radi­ca­le­ment dif­fé­rent de celui de ses pré­cur­seurs étran­gers ou anglo­phones, les méthodes d’analyses res­tent les mêmes. Sur le plan du lan­gage, les phrases plus typi­que­ment qué­bé­coises sont sou­vent liées aux trames nar­ra­tives, se réfèrent au contexte socio­his­to­rique et n’appartiennent pas au registre expli­cite. Les por­nèmes uti­li­sés dans ces films relèvent sou­vent du fran­çais inter­na­tio­nal, asso­cié à un pro­fes­sion­na­lisme jugé expor­table, qui per­met de légi­ti­mer la qua­li­té des pro­duc­tions locales. La prin­ci­pale dif­fé­rence entre la por­no­gra­phie qué­bé­coise fran­co­phone et la por­no­gra­phie dou­blée au Qué­bec réside dans l’omniprésence de réfé­rents cultu­rels liés à l’identité qué­bé­coise que pré­sente la pre­mière, et ce, dans le récit plu­tôt que dans le langage.

Putain de chô­mage raconte la triste his­toire de Richard, inter­pré­té par Bos­co, qui a récem­ment été mis à pied par son employeur et qui hésite à dévoi­ler son sta­tut de chô­meur à son épouse, inter­pré­tée par Dun­dy Dan­ger, qui vient d’acheter une balayeuse à plein prix à un ven­deur porte-à-porte. Ne pou­vant pas retour­ner l’appareil, Richard sug­gère que sa conjointe se pros­ti­tue pour sub­ve­nir aux besoins du ménage. Voyant le plai­sir suc­cé­der à la néces­si­té, ce der­nier com­mence à regret­ter amè­re­ment sa pro­po­si­tion. Le futur lui don­ne­ra rai­son, car peu après son épouse mour­ra tra­gi­que­ment du sida, ce qui le lais­se­ra seul, tou­jours sur le chô­mage. Dans les dia­logues, plu­sieurs expres­sions sortent du lot, mais n’appartiennent pas au registre éro­tique et ren­voient à la situa­tion socioé­co­no­mique des per­son­nages, voire à celle des acteurs et actrices. Par­mi les exemples, notons « câlis­ser / cris­ser dehors » (mettre à pied), « la même hos­tie d’affaire », « je reste pas icitte », « Ques­sé que tu veux me dire ? » et le clas­sique « patente ». Au-delà du lan­gage, la trame nar­ra­tive marque le fait qué­bé­cois de manière frap­pante en bro­dant direc­te­ment sur la crise éco­no­mique des années 1980, l’œuvre bai­gnant dans une ambiance post-Révo­lu­tion tran­quille. Les réfé­rents catho­liques comme le cha­pe­let y côtoient les gode­mi­chets, qui sont les per­son­nages prin­ci­paux d’une por­no­gra­phie nou­vel­le­ment légale. Ce pas­sage moral vers le laïc, vers une laï­ci­té por­no­gra­phique, demeure ancré dans une culpa­bi­li­té judéo-chré­tienne. En témoigne la finale, où la pro­ta­go­niste est punie pour les déviances de son mari.

Figure 5 : Collection Éric Falardeau.
Figure 5 : Col­lec­tion Éric Falardeau.

Dans un même ordre d’idées, le film Mont­réal est une ville ouverte, presque dépour­vu de dia­logues, est une série de cartes pos­tales por­no­gra­phiques qui ne lésinent pas sur l’iconographie reli­gieuse. S’y côtoient le Diable, des bonnes sœurs, l’Oratoire Saint-Joseph et, bien enten­du, la Sainte-Fla­nelle, mise en vedette dans la scène d’ouverture, qui se déroule sur une pati­noire de hockey avec un gar­dien de but rap­pe­lant Patrick Roy. Le voyage se pour­suit avec Qué­bec Sexy Girls 2 : la confron­ta­tion (Chris­tian Larouche, 1995), un gon­zo qui raconte la suite des périples autour de la Belle Pro­vince de Big Ben et Butt Luke. Après avoir quit­té Qué­bec, le dyna­mique duo men­tionne le risque de se faire don­ner une contra­ven­tion pour excès de vitesse à la vue d’une auto-patrouille de la Sûre­té du Qué­bec et se voit plon­gé dans une série de fla­sh­backs de la crise d’Oka mêlant cari­ca­tures ori­gi­nales et images d’archives. S’ensuit une scène de sexe soft évo­quant le face à face entre Lasagne, ici inter­pré­té par une femme raci­sée aux che­veux bou­clés, et l’ex-caporal Patrick Clou­tier, en chair et en os38. La scène sui­vante se déroule dans la cui­sine d’un res­tau­rant, puis dans un héli­co­ptère. Ensuite, Big Ben et Butt Luke s’arrêtent à une halte rou­tière, où Ben sur­prend un couple tatoué et arbo­rant la coupe Lon­gueuil en train de for­ni­quer dans les toi­lettes. En bon por­no­graphe, Ben demande à Luke de sor­tir sa camé­ra pour les fil­mer : « Envoye, Butt Luke, elle est allu­mée, ta camé­ra, viens‑t’en. » Le film se ter­mine sur une scène fla­sh­back de deux les­biennes dans un club vidéo éro­tique. Encore une fois ici, le film est un récit de voyage autour du Qué­bec, à la dif­fé­rence qu’il s’adresse aux gens d’ici, les seuls capables de com­prendre l’accent, les réfé­rents et les ren­vois à l’actualité. Volon­tai­re­ment ou non, ce film s’inscrit dans les cou­rants contem­po­rains de la ciné­ma­to­gra­phie qué­bé­coise, for­te­ment mar­qués par la poli­tique et les ques­tions identitaires.

Figure 6 : Collection Éric Falardeau.
Figure 6 : Col­lec­tion Éric Falardeau.

Une question d’oralité

Des films comme La pêche aux sirènes (Ron King, 1993), Sex Fan Club et Les pipeuses de l’entrepôt repré­sentent un autre cou­rant de la por­no­gra­phie de cette époque, dont Les pipeuses de l’entrepôt est le plus par­fait exemple. Après une série de bandes-annonces en anglais pré­sentes sur plu­sieurs des vidéo­cas­settes de l’étiquette Black Lava, le film com­mence lorsque Rick Ledyk pro­pose à l’une de ses col­lègues de lui faire visi­ter l’entrepôt, sous l’œil vigi­lant de la récep­tion­niste anglo­phone. Après une par­tie de jambes en l’air entre employés, on passe à une soi­rée échan­giste entre amis autour d’un tra­di­tion­nel sou­per spa­ghet­ti. La struc­ture de ce scé­na­rio res­semble beau­coup à celle de cer­tains films étran­gers et ne s’adresse pas du tout au fait fran­çais d’Amérique du Nord. Le lexique employé est très inter­na­tio­nal, incluant les expres­sions por­no­gra­phiques : « J’adore ça ! », « Mange-moi les seins », « Fais-moi venir », « Oh oui, c’est bon ! » On sent dans le jeu des acteurs et des actrices que le ver­na­cu­laire est répri­mé, ce qui rend leurs dia­logues impro­vi­sés par­fois mal­adroits : « Vous avez bien de beaux vête­ments, les femmes ! » L’oralité est au pre­mier plan dans l’expression nar­ra­tive et cultu­relle du film. Comme men­tion­né pré­cé­dem­ment, le ver­na­cu­laire est à pros­crire ici ; on pri­vi­lé­gie plu­tôt l’exotisation des dic­tions, notam­ment au moyen de l’emploi d’un accent anglo­phone. Les dia­logues sont ponc­tués de tour­nures inter­ro­ga­tives : « On va faire l’amour ? / On va bai­ser », « Ce sera pas long que tu vas venir, hein ? », « Je t’excite plus que ta femme ? » L’expression de l’affirmative, dans le film, témoigne d’une réa­li­té tout à fait contraire.

À ses heures, l’une des actrices devient nar­ra­trice du film. Elle se laisse empor­ter par ses ébats, clai­re­ment per­lo­cu­toires, qui marquent une jouis­sance arti­fi­cielle indubitable :

Ah, je jouis fort. C’est tel­le­ment chaud que ça me jouit [sic]. Tu cha­touilles mon cli­to. Je veux venir en même temps que toi. Je suis toute à l’envers avec toi, j’ai des fris­sons. […] Je viens pour toi. Je me sens cochonne. J’en veux, du cul. J’en veux, donne-moi en comme il faut. Va loin, donne-moi en de ton sexe, des bons coups, comme faut, vas‑y, t’es capable. Je la sens, ma chatte. Je vais rendre des jaloux [sic]. T’es mouillé. Mouille-moi, mouille-là ma chatte39.

Dans Exci­table Speech (1997), Judith But­ler uti­lise la typo­lo­gie locu­toire d’Austin pour dis­tin­guer l’acte lin­guis­tique effi­cace, illo­cu­toire, où ce qui est dit est en syn­chro­nie avec une action, de l’acte lin­guis­tique per­for­ma­tif inef­fi­cace, per­lo­cu­toire, dont les consé­quences ne suivent pas immé­dia­te­ment l’acte lin­guis­tique en ques­tion. Dans sa manière de per­for­mer la por­no­gra­phie, l’actrice men­tionne tel­le­ment qu’elle jouit qu’il devient impos­sible de la croire. Pour­tant, sa façon de réci­ter son dis­cours orgas­mique confère une dimen­sion per­for­ma­tive à l’oralité de la por­no­gra­phie dis­so­ciée de sa cor­po­ra­li­té. S’il ne fait aucun doute que l’analyse des dia­logues du ciné­ma por­no­gra­phique reste par­mi l’un des moyens les plus effi­caces de mettre en lumière les dyna­miques cultu­relles et poli­tiques de tels films, elle s’avère éga­le­ment très révé­la­trice quant à la légi­ti­ma­tion de la pro­fes­sion pornographique :

The ques­tion of how best to use speech is an expli­cit ethi­cal ques­tion that can emerge only later. It pre­sup­poses a prior set of ques­tions: who are “we” such that without lan­guage we can­not be, and what does it mean “to be” within lan­guage? How is it that inju­rious lan­guage strikes at this very condi­tion of pos­si­bi­li­ty, of lin­guis­tic per­sis­tence and sur­vi­val? If the sub­ject who speaks is also consti­tu­ted by the lan­guage that he or she speaks, then lan­guage is the condi­tion of pos­si­bi­li­ty for the spea­king sub­ject, and not mere­ly its ins­tru­ment of expres­sion. This means that the sub­ject has its own “exis­tence” impli­ca­ted in a lan­guage that pre­cedes and exceeds the sub­ject, a lan­guage whose his­to­ri­ci­ty includes a past and future that exceeds that of the sub­ject who speaks. And yet, this “excess” is what makes pos­sible the exis­tence of the sub­ject. Fou­cault refers to this loss of control over lan­guage when he writes, “dis­course is not life; its time is not yours40”.

Le rôle per­for­ma­tif de l’acteur dans cette scène est, quant à lui, expli­ci­te­ment illo­cu­toire. Après un coït dont l’expression ver­bale est limi­tée à des gro­gne­ments de nature presqu’animale, Rick Ledyk se contente de dire : « Ah, je vais venir » et vient dans l’immédiat. Mal­gré le fait que ces ten­dances locu­toires soient propres au genre por­no­gra­phique en géné­ral, elles semblent exa­cer­bées par le rap­port d’insécurité entre­te­nu entre les acteurs et actrices locaux et la vul­ga­ri­té de leur langue. Sou­vent, lorsqu’il y a déro­ga­tion à cette règle, elle est accor­dée aux hommes, à qui il est plus facile de par­don­ner un : « Hos­tie, bébé ! Je sais que t’aimes ça te faire four­rer, hein ? » bien senti.

Dans Les pipeuses de l’entrepôt, l’analogie entre l’oralité inhé­rente à la consom­ma­tion de nour­ri­ture et celle de la sexua­li­té est cen­trale dans la trame nar­ra­tive. Elle sert éga­le­ment de stra­té­gie pour trans­for­mer la bana­li­té du quo­ti­dien en un uni­vers por­no­to­pique cen­tré sur l’alimentation. Dans la pre­mière par­tie du film, plu­sieurs expres­sions res­sortent : « Ché­ri, laisse-moi te man­ger. / Oh, t’as faim ! », « Fais aller ta langue. Mange ma chatte, d’accord ? » La deuxième par­tie du film s’ouvre sur l’un des acteurs qui men­tionne sa recette de « oua­na­niche », un terme typi­que­ment qué­bé­cois qui désigne le sau­mon d’eau douce. Dans cette moi­tié du film, et notam­ment dans la scène du sou­per spa­ghet­ti, les réfé­rences à la nour­ri­ture abondent sans gêne : « T’as sûre­ment une super de belle queue. Une queue à dégus­ter », « Tu manges bien », « Quel délice ! » Juste avant de pas­ser à table, les convives se mettent déjà à par­ler de consom­mer le des­sert. Les spa­ghet­tis se font donc attendre pen­dant que les hommes font des cun­ni­lin­gus aux femmes. Ils finissent par man­ger leurs spa­ghet­tis et c’est sur cette scène que le film se termine.

Cet ima­gi­naire nous ramène faci­le­ment aux tra­di­tions his­to­riques des Qué­bé­cois de socia­li­ser en famille et entre amis, autour d’une table, devant un bon sou­per. Il rap­pelle les veillées d’antan, où ça sent bon dans les vieilles mai­sons. Le sou­per spa­ghet­ti est une icône de la tablée qué­bé­coise, à la fois manière de recueillir des fonds et recette mater­nelle incon­tes­tée de tout un cha­cun. Le film nous rap­pelle avec une luci­di­té décon­cer­tante à quel point la cui­sine demeure proche de la chambre à cou­cher et que ces lieux débordent l’un sur l’autre, entre autres dans les chan­sons gri­voises qué­bé­coises, qui font actuel­le­ment l’objet de recherches com­plé­men­taires de notre part. Mal­gré tout, la repré­sen­ta­tion des bana­li­tés quo­ti­diennes de la vie au Qué­bec demeure la manière la plus fla­grante avec laquelle l’identité qué­bé­coise se mani­feste dans ses longs métrages por­no­gra­phiques, et ce, bien au-delà du lan­gage. De ce fait, l’étude de la por­no­gra­phie au Qué­bec a beau­coup à appor­ter à l’analyse fil­mique tra­duc­to­lo­gique en général.

Après avoir ana­ly­sé les pre­miers films por­no­gra­phiques pro­duits et dou­blés au Qué­bec, on constate que les par­ti­cu­la­ri­tés régio­nales de notre fran­çais sont rare­ment employées dans un contexte éro­ti­sant et qu’elles sont lar­ge­ment évi­tées. Elles n’apparaissent que dans le récit, à tra­vers le jeu des acteurs et actrices, et lors des mises en contexte. Qui plus est, ce qui demeure le plus élo­quent d’un point de vue cultu­rel dans les films por­no­gra­phiques, peu importe leur langue ori­gi­nale ou de dou­blage, c’est l’ancrage pro­fond qu’ils pré­sentent dans un uni­vers cultu­rel mar­qué par sa géo­gra­phie et son his­toire. L’analyse de ces films dou­blés et en ver­sions ori­gi­nales confirme que la por­no­gra­phie au Qué­bec a tou­jours été de l’ordre du mau­vais genre et n’est pas près de s’en dis­so­cier. Bien qu’elle ait, dans sa tra­di­tion de dou­blage, cher­ché à répondre à une clien­tèle inter­na­tio­nale et à éga­ler un mar­ché d’exportation, elle demeure un reflet du ciné­ma qué­bé­cois et ne manque pas de s’adresser à un public sen­sible à ses tabous et subtilités.

Mis à part la repré­sen­ta­tion gra­phique d’actes sexuels, le plus grand tabou lié à la por­no­gra­phie qué­bé­coise est sans aucun doute celui de la vul­ga­ri­té de la langue. Aus­si la por­no­gra­phie s’avère-t-elle révé­la­trice de l’identité pro­fonde du texte lit­té­raire et ciné­ma­to­gra­phique qué­bé­cois. Cela dit, lorsqu’on reven­dique que la fonc­tion pre­mière de la por­no­gra­phie est d’exciter, un doute demeure. Dans le cas du Qué­bec, le genre por­no­gra­phique est par­ti­cu­liè­re­ment cibliste : il doit rejoindre son public avant de pou­voir l’émoustiller. La seule façon pour les nou­velles pro­duc­tions de se dis­tin­guer des pro­duc­tions qui les pré­cèdent est de s’adresser direc­te­ment au public qué­bé­cois. C’est exac­te­ment ce que font les com­pa­gnies de pro­duc­tion AD4X et Pégas avec leurs films basés sur un régio­na­lisme pro­fond et un sen­sa­tion­na­lisme tiré de l’actualité locale. Il est mal­heu­reu­se­ment dif­fi­cile pour les per­sonnes qui n’ont pas d’histoire avec le Qué­bec de pou­voir appré­cier plei­ne­ment sa pornographie.

La culture qué­bé­coise en est une où la polé­mique sert de porte d’entrée à l’humour et vice-ver­sa. La por­no­gra­phie, en bon mar­ché de niche, s’accroche à ces ancrages cultu­rels pour s’élever à un sta­tut social qui lui per­met de faire par­ler d’elle et de vendre. L’humour gras, les blagues de « mononcle » et autres jeux de mots dou­teux y sont mon­naie cou­rante : pen­sons seule­ment au célèbre per­son­nage du Doc­teur Noune, héros de plu­sieurs pro­duc­tions Pégas. L’humour a tou­jours occu­pé une place impor­tante dans la culture d’ici comme il per­met de désa­mor­cer les trau­mas natio­naux. Notre por­no­gra­phie ne fait pas excep­tion et la per­cep­tion qu’on en a dans la sphère sociale non plus. Comme le résu­mait de manière laco­nique le maga­zine Croc : « Ce n’est pas parce qu’on en rit que c’est drôle. »

Filmographie

3 car­rés rouges (AD4X, 2013)

Agente 728 XXX (AD4X, 2012)

Babes Angels (Sté­phane Choui­nard, 1997)

Bon­homme Car­na­nal : la recherche des duchesses (AD4X, 2015)

Call of the Wild (Kris­ten Bjorn, 1992)

Deep Throat (Gerard Damia­no, 1972)

French Erec­tion: Au Maxi­mum (William Dufault, 1992)

Hust­ler 17 (De San­tos, 1984)

Jésus de Mont­réal (Denys Arcand, 1989)

La pêche aux sirènes (Ron King, 1993)

Les dan­seurs nus du Qué­bec (Daniel Ménard, 1992)

Les dan­seuses nues du Qué­bec (Daniel Ménard, 1992)

Les filles de Fan­ta­sex (Marc Hen­drix, 1996)

Les filles de Fan­ta­sex 2 (Marc Hen­drix, 1997)

Les pipeuses de l’entrepôt (Ron King, 1994)

L’initiation de Méla­nie (Marc Hen­drix, 1993)

Mémoires intimes (Marc Hen­drix, 1995)

Mont­réal est une ville ouverte (Mr. White, 1996)

Mont­réal inter­dit (Vincent Ciam­brone, 1990)

Montre-moi ton car­ré rouge (AD4X, 2013)

Putain de chô­mage (Daniel Ménard, 1993)

Qué­bec Sexy Girls 2 : la confron­ta­tion (Chris­tian Larouche, 1995)

Scan­dale (George Mihal­ka, 1982)

Sex and the Office Girl (Ron Clark, 1972)

Sex Fan Club (Ron King, 1994)

The Search of Cana­dian bea­ver (Shawn Ricks, 1994)

The Search for Cana­dian Bea­ver 2 (Shawn Ricks, 1995)

The Young Que­be­cers (Clau­dio Cas­tra­vel­li, 1980)

Valé­rie (Denis Héroux, 1969)

Notices biographiques

Éric Falar­deau est cinéaste et doc­to­rant en com­mu­ni­ca­tion (UQAM). Ses recherches portent sur le ciné­ma por­no­gra­phique. Il a été com­mis­saire de l’exposition per­ma­nente Secrets et illu­sions, la magie des effets spé­ciaux pré­sen­tée à la Ciné­ma­thèque qué­bé­coise (2013–2017). Il est le codi­rec­teur avec Simon Laper­rière de Bleu nuit, his­toire d’une ciné­phi­lie noc­turne (Somme toute, 2014) ain­si que l’auteur d’Une his­toire des effets spé­ciaux au Qué­bec (Somme toute, 2017) et de l’ouvrage Le corps souillé : gore, por­no et fluides cor­po­rels (L’instant même, 2019).

Domi­nique Pel­le­tier est cher­cheuse mul­ti­dis­ci­pli­naire et enseigne la tra­duc­tion à l’Université Concor­dia depuis 2013. Dans le domaine de la tra­duc­to­lo­gie, elle s’intéresse à la tra­duc­tion inter­es­pèce, au sous-titrage, à la loca­li­sa­tion de jeux vidéo et à la tra­duc­tion éro­tique et por­no­gra­phique. Du côté de la ludo­mu­si­co­lo­gie, ses tra­vaux portent sur la cor­po­ra­li­té et la féti­chi­sa­tion des consoles de jeux vidéo rétro dans les scènes de musique chip­tune. Sous le nom d’artiste Rain­bow Trash, elle s’est pro­duite avec ses ins­tru­ments inso­lites, du Nin­ten­do Game Boy au thé­ré­mine, sur plu­sieurs scènes d’Europe et d’Amérique, dont celle du GAMIQ à Mont­réal en 2021.


  1. Voir Lin­da Williams (dir.), Porn Stu­dies (Durham et Londres : Duke Uni­ver­si­ty Press, 2004) ; Peter Leh­man (dir.), Por­no­gra­phy: Film and Culture (New Bruns­wick [NJ] et Londres : Rut­gers Uni­ver­si­ty Press, 2006) ; Tim Dean, Ste­ven Ruszc­zy­cky et David Squires (dir.), Porn Archives (Durham et Londres : Duke Uni­ver­si­ty Press, 2014); et Flo­rian Vörös (dir.), Cultures por­no­gra­phiques. Antho­lo­gie des porn stu­dies (Amster­dam : Édi­tions Amster­dam, 2015).

  2. Voir Teun A. van Dijk, Ideo­lo­gy: A Mul­ti­dis­ci­pli­na­ry Approach (Londres : Sage Publi­ca­tions, 1998) ; Gideon Tou­ry, Des­crip­tive Trans­la­tion Studies—and Beyond , Revi­sed Edi­tion, (Amster­dam et Phi­la­del­phie : John Ben­ja­mins, 2012 [1995]) ; et Nor­man Fair­clough, Lan­guage and Power, Third Edi­tion (Londres : Rout­ledge, 2014 [1984]).

  3. Voir Chris­tian Metz, Essais sur la signi­fi­ca­tion au ciné­ma (Paris : Klinck­sieck, 1968) et Roger Odin, De la fic­tion (Bruxelles : De Boeck Uni­ver­si­té, 2000).

  4. Nous tenons à remer­cier Yves Bédard de la Régie du Ciné­ma du Qué­bec, qui nous a cor­dia­le­ment four­ni les listes détaillées des films por­no­gra­phiques dis­tri­bués au Qué­bec entre 1980 et 1995.

  5. Les loops sont de courtes bandes d’environ dix minutes le plus sou­vent tour­nées en super 8 et dif­fu­sées dans les cir­cuits paral­lèles ou ven­dues à des par­ti­cu­liers.

  6. Les auteurs ont par exemple eu accès à une copie noir et blanc, sans géné­rique, d’un loop dans lequel un couple per­forme devant une affiche de l’Expo 67. Sans prou­ver qu’il s’agit d’une pro­duc­tion qué­bé­coise, la pré­sence de cette affiche sug­gère néan­moins que le contraire serait sur­pre­nant, compte tenu de l’impact de cet évé­ne­ment dans la pro­vince. La copie pro­ve­nait en outre d’une col­lec­tion pri­vée locale, ce qui va dans le sens de cette hypo­thèse.

  7. Un pre­mier théâtre spé­cia­li­sé dans le ciné­ma éro­tique, Le Bijou, ouvre ses portes en 1968 sur la rue Papi­neau, à Mont­réal. S’ensuivent l’ouverture du Ève (bou­le­vard Saint-Laurent), du Bea­ver (ave­nue du Parc), du Midi-Minuit (rue Saint-Denis), du Pigalle (rue Sainte-Cathe­rine) et, sur­tout, sous l’égide de Roland Smith et d’André Pépin, la trans­for­ma­tion du Ciné­ma Hol­ly­wood en le Pus­sy­cat. Cette salle devien­dra le célèbre Ciné­ma l’Amour en 1981 (voir à cet égard Pierre Pageau, Les salles de ciné­ma au Qué­bec : 1896–2008 [Qué­bec : Les Édi­tions GID, 2009], 78–83).

  8. Yves Lever, Anas­ta­sie ou la cen­sure du ciné­ma au Qué­bec (Sille­ry : Sep­ten­trion, 2008), 270.

  9. Deep Throat (Gerard Damia­no, 1972) est un cas très bien docu­men­té qui révèle l’attitude du gou­ver­ne­ment face à la pro­duc­tion por­no­gra­phique. Refu­sé huit fois, « [a]u Qué­bec, Deep Throat n’est appor­té au Bureau de sur­veillance du ciné­ma que deux ans [après sa sor­tie], le 25 octobre 1974, et il est refu­sé le 15 novembre sui­vant. Dix mois aupa­ra­vant, une pro­jec­tion non auto­ri­sée par le Bureau a été inter­rom­pue et la copie sai­sie par la police dans un audi­to­rium de l’Université Sir George Williams (aujourd’hui Concor­dia). De retour devant le cen­seur, mal­gré trois minutes de cou­pures, il demeure inter­dit le 18 mars 1975. Cinq ans plus tard, il est clas­sé “18 ans” le 13 février 1980, dans une ver­sion cou­pée de ses scènes les plus hard, non encore auto­ri­sées. La cas­sette vidéo inté­grale est approu­vée pour “’18 ans +’” le 26 juin 1990. » Pierre Hébert, Ken­neth Lan­dry et Yves Lever (dir.), Dic­tion­naire de la cen­sure au Qué­bec : lit­té­ra­ture et ciné­ma (Mont­réal : Fides, 2006), 177.

  10. Yves Lever raconte éga­le­ment la ten­ta­tive d’ouverture d’une chaîne payante Play­boy, qui fut aban­don­née suite à des mani­fes­ta­tions anti-por­no­gra­phie. Voir Hébert, Lan­dry et Lever [dir.], Dic­tion­naire de la cen­sure au Qué­bec, 177.

  11. Lever, Anas­ta­sie ou la cen­sure du ciné­ma au Qué­bec, 266–267.

  12. Pageau, Les salles de ciné­ma au Qué­bec, 83.

  13. Avant 1983, la RCQ se nom­mait le Bureau de Sur­veillance, lui-même fon­dé en 1967 après avoir exer­cé plu­sieurs années sous le nom de Bureau de cen­sure des vues ani­mées.

  14. La Régie classe désor­mais les films selon quatre caté­go­ries, et ce, peu importe leur sup­port : visa géné­ral, 13 ans, 16 ans et 18 ans.

  15. Yves Lever, « Loi du ciné­ma », dans Hébert, Lan­dry et Lever (dir.), Dic­tion­naire de la cen­sure au Qué­bec, 424. Avec la loi 109 de 1983, « il est tou­te­fois spé­ci­fié que la Régie ne classe un film que “si elle est d’avis que le conte­nu du film ne porte pas atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, notam­ment en ce qu’il n’encourage ni ne sou­tient la vio­lence sexuelle”, l’ajout à la for­mule habi­tuelle étant une conces­sion aux grou­pe­ments fémi­nistes qui ont abon­dam­ment mani­fes­té durant tout le pro­ces­sus par­le­men­taire menant à l’adoption de la loi » (Lever, « Loi du ciné­ma », 423).

  16. Lever, Anas­ta­sie ou la cen­sure du ciné­ma au Qué­bec, 271.

  17. Pierre Ger­vais, « Vidéo XXX : der­rière le rideau », Qué­bec Éro­tique 1.2 (octobre 1994), 10.

  18. Pierre Ger­vais, « Nan­cy, pion­nière du XXX au Qué­bec », Qué­bec Éro­tique 3.8 (avril 1997), 12.

  19. La ques­tion de la dis­tri­bu­tion est d’autant plus com­plexe que les réa­li­sa­teurs d’ici ven­daient leurs droits à des com­pa­gnies cana­diennes, amé­ri­caines ou inter­na­tio­nales. C’était entre autres le cas d’Hendrix. Voir Pierre Ger­vais, « Marc Hen­drix : un pro­duc­teur pas comme les autres », Qué­bec Éro­tique 3.8 (avril 1997) : 13.

  20. La recen­sion détaillée de la genèse et des trans­for­ma­tions des lois entou­rant l’obligation de rendre dis­po­nible les films en langue fran­çaise dépasse les limites de cet article. Nous diri­geons les lec­teurs dési­rant appro­fon­dir la ques­tion vers le site Dou­blage Qué­bec, www.doublage.qc.ca (der­nière consul­ta­tion le 13 juillet 2020) ain­si que vers les textes sui­vants : Anne-Marie Gill et Méli­na Long­pré, L’industrie du dou­blage au Qué­bec. État des lieux (1998 — 2006) (Mont­réal : Sodec, 2008) ; Michèle Lagueux et Danielle Char­ron, Le dou­blage (Qué­bec : Minis­tère des com­mu­ni­ca­tions, 1985) ; Le déve­lop­pe­ment de l’industrie du dou­blage au Qué­bec. Rap­port et recom­man­da­tions (Qué­bec : Minis­tère de la culture, des com­mu­ni­ca­tions et de la condi­tion fémi­nine, Forum sur le déve­lop­pe­ment du dou­blage, 2010) ; Maud Saint-Ger­main, Dou­blage-tra­duc­tion ou dou­blage-tra­hi­son ? : les enjeux iden­ti­taires et socio-éco­no­miques du dou­blage des films et de l’audio-visuel au Qué­bec, mémoire de maî­trise (Uni­ver­si­té du Qué­bec à Mont­réal, 1998).

  21. Voir Louis Pel­le­tier, « Ciné­mas bri­tan­niques, films amé­ri­cains et ver­sions fran­çaises : dou­blage et iden­ti­tés cana­diennes-fran­çaises au ving­tième siècle », Nou­velles Vues 15 (hiver 2013).

  22. Ger­main Lacasse, Hubert Sabi­no et Gwenn Schep­pler, « Le dou­blage ciné­ma­to­gra­phique et vidéo­lu­dique au Qué­bec : théo­rie et his­toire » Déca­drages 23–24 (2013) : 36.

  23. Louise von Flo­tow, « When Hol­ly­wood Speaks ‘Inter­na­tio­nal French’ : The Socio­po­li­tics of Dub­bing for Fran­co­phone Qué­bec », Que­bec Stu­dies 50 (2009) : 28.

  24. Voir Feo­na Att­wood (dir.), porn.com. Making Sense of Online Por­no­gra­phy (New York : Peter Lang Publi­shing, 2010) ; Vörös (dir.), Cultures por­no­gra­phiques ; et Jef­frey Escof­fier, Sex, Socie­ty, and the Making of Por­no­gra­phy. The Por­no­gra­phic Object of Know­ledge (New Bruns­wick [NJ] et Londres : Rut­gers Uni­ver­si­ty Press, 2021).

  25. Domi­nique Pel­le­tier et Éric Falar­deau, « Vers une ter­mi­no­lo­gie de la por­no­gra­phie », Cir­cuit : le maga­zine d’information des lan­ga­giers 137 (hiver 2018).

  26. Pel­le­tier et Falar­deau, « Vers une ter­mi­no­lo­gie de la por­no­gra­phie ».

  27. Pel­le­tier et Falar­deau, « Vers une ter­mi­no­lo­gie de la por­no­gra­phie ».

  28. Éric Falar­deau et Simon Laper­rière (dir.), Bleu Nuit : his­toire d’une ciné­phi­lie noc­turne (Mont­réal : Somme toute, 2014), 36.

  29. Voir Roland Barthes, Sade, Fou­rier, Loyo­la (Paris : Seuil, 1971) et Marie-Anne Paveau, Le dis­cours por­no­gra­phique (Paris : La Musar­dine, 2014).

  30. Voir Éric Falar­deau et Domi­nique Pel­le­tier, « Le ciné­ma por­no­gra­phique au Qué­bec : mettre à nu le rap­port entre ori­gi­nal et tra­duc­tion », Cir­cuit : le maga­zine d’information des lan­ga­giers 137 (hiver 2018).

  31. Fran­çois Per­ea, « Élé­ments du pathos por­no­gra­phique », Ques­tions de com­mu­ni­ca­tion 26 (2014) : 81–82, http://questionsdecommunication.revues.org/9245 (der­nière consul­ta­tion le 13 juillet 2020).

  32. Pel­le­tier et Falar­deau, « Vers une ter­mi­no­lo­gie de la por­no­gra­phie ».

  33. Le dépay­se­ment dans la por­no­gra­phie oscille entre deux pôles, l’un féti­chi­sant et l’autre désta­bi­li­sant, le pre­mier contri­buant à la fonc­tion mas­tur­ba­toire du genre et le second deve­nant un inhi­bi­teur à son appré­cia­tion.

  34. Notons éga­le­ment la vague des « mon­do » locaux, soit des pseu­do-docu­men­taires d’exploitation misant sur des sujets raco­leurs, cho­quants ou inusi­tés. Mont­réal inter­dit (Vincent Ciam­brone, 1990) est un film emblé­ma­tique de ce sous-genre à la qué­bé­coise. Daniel Ménard, le réa­li­sa­teur de Putain de chô­mage, a d’ailleurs réa­li­sé le dip­tyque Les dan­seuses nues du Qué­bec (1992) et Les dan­seurs nus du Qué­bec (1992). Ce der­nier, bien connu, se ter­mine avec une audi­tion fil­mée de l’actrice Dun­dy Dan­ger, future vedette de Putain de chô­mage, et l’annonce de la sor­tie de ce film, notre pre­mier por­no qué­bé­cois : « un film pour adulte, avec des Qué­bé­cois pour les Qué­bé­cois ».

  35. Écrit de cette façon dans le film.

  36. Niko­la Ste­pic, « French Connec­tions: Gay Male Por­no­gra­phy as Vir­tual Tou­rism », com­mu­ni­ca­tion pré­sen­tée au col­loque annuel de l’Association cana­dienne d’études ciné­ma­to­gra­phiques (Van­cou­ver, juin 2019).

  37. Ste­pic, « French Connec­tions: Gay Male Por­no­gra­phy as Vir­tual Tou­rism ». Ste­pic s’appuie sur : Sti­jn Rejin­ders, Places of the Ima­gi­na­tion: Media, Tou­rism, Culture (Londres et New York : Rout­ledge, 2011).

  38. La Crise d’Oka a oppo­sé pen­dant 78 jours, soit du 11 juillet au 26 sep­tembre 1990, des mani­fes­tants mohawks à la Sureté du Qué­bec (SQ), la Gen­dar­me­rie Royale du Cana­da et l’armée cana­dienne sur le ter­ri­toire de Kane­sa­take. Son enjeu cen­tral, résul­tat de nom­breuses années de conflits, était un pro­jet d’extension d’un ter­rain de golf et de construc­tion de mai­sons sur des terres sur les­quelles se trouvent, entre autres, un cime­tière ances­tral. Après le décès du capo­ral Mar­cel Lemay, un poli­cier de la SQ, et de Joe Arm­strong, un Mohawk, l’armée a été déployée et les mani­fes­ta­tions ont pris fin. L’agrandissement du ter­rain a été annu­lé et les ter­rains acquis par le gou­ver­ne­ment fédé­ral (mais ils ne seront pas cédés aux Mohawks). L’un des évé­ne­ments média­tiques mar­quants de cette crise est le cli­ché de la pho­to­graphe Sha­ney Komu­lai­nen qui a immor­ta­li­sé le face à face stoïque entre le capo­ral Clou­tier et Brad Larocque, un Ojibwé que les jour­na­listes ont iden­ti­fié à tort comme étant Ronald « Lasagne » Cross. Cette image est rapi­de­ment deve­nue le sym­bole de ce triste moment de notre his­toire et est ins­crite dans l’imaginaire col­lec­tif natio­nal.

  39. Les pipeuses de l’entrepôt (Ron King, 1994).

  40. Judith But­ler, Exci­table Speech, A Poli­tics of the Per­for­ma­tive (New York : Rout­ledge, 1997), 28.