Introduction : Prendre le risque de parler à l’écran


Sophie Beau­par­lant
Nico­las Xanthos


Ce numé­ro de Nou­velles Vues inter­roge le rap­port que le ciné­ma entre­tient avec la parole, en s’intéressant à cet objet spé­ci­fique qu’est le dia­logue. À une époque pas si loin­taine (et par­fois même encore aujourd’hui), le recours au lan­gage ver­bal était vu par cer­tains comme le che­min de la faci­li­té et un élé­ment para­site dans le tis­su fil­mique. Dans l’ouvrage Esthé­tique et psy­cho­lo­gie du ciné­ma publié en 1965, Jean Mitry consacre un cha­pitre à la parole et au son. Les pro­pos qu’il tient sur le dia­logue fil­mique sont les suivants :

La parole au ciné­ma n’a pas pour objet d’ajouter des idées aux images. Lorsqu’elle le fait, lorsque ce qui doit être com­pris l’est uni­que­ment par l’intermédiaire de ce qui est dit, lorsque le texte ramène à lui seul l’expression et la signi­fi­ca­tion de l’intrigue, lorsque ce qui “engage” les héros ne relève que de leurs seules paroles, alors nous sommes en pré­sence d’une œuvre qui n’a plus rien à voir avec l’expression fil­mique. (p. 100)

Cette manière de pen­ser la matière ver­bale au ciné­ma, par­ta­gée par de nom­breux théo­ri­ciens et pra­ti­ciens, a tout de même été nuan­cée notam­ment par Michel Chion dans Un art sonore, le ciné­ma (2003) :

La ques­tion du rap­port entre le dit et le mon­tré a long­temps été occul­tée par le mythe de la redon­dance. […] Or, ce qu’ils [les per­son­nages] disent n’a le plus sou­vent rien à voir avec l’aspect qu’ils pré­sentent en le disant. Com­ment d’ailleurs des mots, qui relèvent du sys­tème du lan­gage, pour­raient-ils être rem­pla­cés par des images ou faire double sens avec elles ? (p. 341)

Néan­moins, l’inventaire des théo­ries du ciné­ma dres­sé par Fran­ces­co Caset­ti montre que les études ciné­ma­to­gra­phiques consi­dèrent géné­ra­le­ment l’image comme étant « le signe fil­mique par excel­lence » (Caset­ti, p. 62). Cela explique peut-être le fait que ce champ d’études s’est sur­tout concen­tré sur la sai­sie de la com­po­sante visuelle. D’ailleurs, par­mi les conseils for­mu­lés à l’attention des scé­na­ristes, Jean-Marie Roth écrit ceci : « le cinéaste pré­fé­re­ra tou­jours mon­trer plu­tôt que dire, de même que le spec­ta­teur appré­cie­ra davan­tage de voir plu­tôt que d’entendre […] lorsque vous en avez vrai­ment le choix, optez pour l’image » (Roth, p. 178). Notons aus­si que, au moins depuis le par­lant, les pra­ti­ciens du ciné­ma ont sou­vent com­pris la spé­ci­fi­ci­té de leur art comme une réac­tion contre le « théâtre fil­mé » repo­sant sur le dia­logue. Il va sans dire que le dia­logue n’est pas un moyen d’expression propre au ciné­ma, mais ses homo­logues lit­té­raire ou théâ­tral n’ont pas les mêmes spé­ci­fi­ci­tés. Consé­quem­ment, l’étude des mani­fes­ta­tions dia­lo­gales à l’écran semble avoir été négli­gée et ce numé­ro de Nou­velles Vues sou­haite par­ti­ci­per à la valo­ri­sa­tion des études sur la parole échan­gée à l’écran.

Dans de nom­breuses pra­tiques actuelles, la parole est par­tie inté­grante de l’objet fil­mique. Citons par exemple le film Nuit # 1 d’Anne Émond (Qué­bec, 2011), qui donne une place enviable à la parole échan­gée sans que cela n’amenuise les qua­li­tés ciné­ma­to­gra­phiques de la pro­duc­tion. Dans un contexte où plu­sieurs films peu bavards pre­naient l’affiche au Qué­bec1, la cinéaste avait confié en entre­vue en avoir « un peu ras le bol de l’absence de dia­logues dans le ciné­ma qué­bé­cois » (Cas­si­vi). On pour­rait voir dans ces choix scé­na­ris­tiques et esthé­tiques un rap­port avec la parole échan­gée qui, d’une cer­taine manière, mani­feste une façon de repré­sen­ter les rela­tions inter­per­son­nelles à l’écran. C’est notam­ment dans cet esprit qu’ont été réunies les contri­bu­tions de cette publi­ca­tion, qui sondent prin­ci­pa­le­ment les enjeux du dia­logue au ciné­ma, à l’exception d’un article qui fait l’étude d’une websérie.

Le tout pre­mier numé­ro de Nou­velles Vues, diri­gé par Ger­main Lacasse, avait pour titre « Parole, culture orale et ciné­ma qué­bé­cois » (hiver 2004). Nous pour­sui­vons la réflexion sur ce même sujet, mais dans une pers­pec­tive quelque peu dif­fé­rente, en ras­sem­blant des textes qui posent un regard nou­veau sur les objets conver­sa­tion­nels abor­dés par les per­son­nages, leurs manières de par­ler et de se par­ler, de même que la mise en scène et les pro­prié­tés tech­niques des dia­logues. Au-delà de la pré­sence de la voix, sous toutes ses formes pos­sibles, c’est la parole échan­gée qui est mise de l’avant. Les inter­ac­tions ver­bales sont à la fois pen­sées comme un lieu de révé­la­tion des per­son­nages, comme un indi­ca­teur social d’une époque et comme le signe d’un ima­gi­naire ciné­ma­to­gra­phique. Son­dant un cor­pus hété­ro­clite qui com­prend entre autres une web­sé­rie pro­duite par une « you­tu­beuse » et des films de cou­rants tout aus­si variés que le néo-réa­lisme ita­lien et le ciné­ma direct qué­bé­cois, les contri­bu­tions au pré­sent numé­ro ques­tionnent les impli­ca­tions scé­na­ris­tiques, esthé­tiques, idéo­lo­giques et tech­niques du dia­logue fil­mique. Les approches théo­riques se situent dans divers hori­zons – théo­ries de la récep­tion, énon­cia­tion, sémio­tique, prag­ma­tique, phi­lo­so­phie du lan­gage, lin­guis­tique, socio­lo­gie, tra­duc­tion –, ce qui vient confir­mer que l’étude du dia­logue au ciné­ma mul­ti­plie les cadres d’investigation.

Les contri­bu­tions attirent ain­si notre atten­tion vers les enjeux variés et com­plexes qui se nouent et s’expriment dans la réflexion sur le dia­logue. Au pre­mier chef, le dia­logue peut être vu comme un lieu où se mani­festent des pro­blé­ma­tiques rela­tion­nelles ou cultu­relles, voire des rap­ports au réel et une capa­ci­té du fil­mique à dire ce réel. Ces pro­blé­ma­tiques touchent autant les per­son­nages que l’organisation de la repré­sen­ta­tion ou encore sa pen­sée (au sens où Pavel a pu par­ler de « pen­sée du roman »), de sorte que le dia­logue per­met une inves­ti­ga­tion dié­gé­tique, anthro­po­lo­gique ou phi­lo­so­phique des films. À tous égards, le fil­mique déploie une concep­tion très éla­bo­rée de la parole et de sa signi­fi­ca­tion dans nos formes de vie, de l’intimité d’une sub­jec­ti­vi­té qui se dit ou se construit jusqu’aux poli­tiques du signe et du réel au prin­cipe de la représentation.

Le dia­logue est aus­si ce par quoi se laisse sai­sir une manière de voir l’intrigue et le nar­ra­tif. La parole peut être mise au ser­vice d’un agir fort et ain­si être fonc­tion­na­li­sée dans un récit ouver­te­ment téléo­lo­gique. Si elle devient un réel enjeu fic­tion­nel, elle peut aus­si impli­quer des confi­gu­ra­tions nar­ra­tives bien dif­fé­rentes : plus souples, plus lentes, plus ouvertes. Elle sug­gère alors une autre vision du temps, une ouver­ture des per­son­nages à l’incertitude, un sou­ci de la tex­ture fra­gile de l’existence. Dénouant les liens nar­ra­tifs conven­tion­nel­le­ment ten­dus entre l’humain, le temps et un uni­vers de sens, la parole laisse entendre une manière de signi­fier son rap­port au monde.

À la faveur de coups de sonde dans un cor­pus rela­ti­ve­ment récent, les réflexions menées dans le pré­sent dos­sier ques­tionnent ce que le fil­mique fait à la parole et ce que la parole fait au fil­mique. Elles montrent que les impli­ca­tions esthé­tiques du dia­logue se trans­forment sans relâche dans et par les pra­tiques concrètes. Pour des rai­sons tech­niques, his­to­riques et phi­lo­so­phiques, la parole a d’abord été tenue pour un simple sup­plé­ment au film, en quelque sorte étran­ger au fil­mique. Mais il appert qu’aujourd’hui, pour plu­sieurs, la parole et l’image, qui étaient hété­ro­gènes, sont deve­nues indis­so­ciables. Faut-il voir dans cette opi­nion une tra­hi­son ou une incom­pré­hen­sion de ce qu’est cet art, le ciné­ma? On gagne­rait sans doute à ces­ser de le consi­dé­rer comme une essence dont l’histoire serait celle de sa cor­rup­tion pro­gres­sive. Nous aurions avan­tage à y voir plu­tôt une pra­tique vivante, ouverte et explo­ra­toire, trans­for­mée par des créa­teurs atten­tifs aux constants chan­ge­ments tech­niques, cultu­rels et phi­lo­so­phiques, que le ciné­ma intègre, exploite et ques­tionne. Nous aurions aus­si avan­tage à y voir une pra­tique sou­cieuse du monde dans lequel, pour le meilleur et pour le pire, elle s’inscrit, et une pra­tique qui, sans ces­ser de se poser en rela­tion avec l’histoire, se veut aus­si un phé­no­mène ancré dans le pré­sent. Et, en der­nier res­sort et sur un plan épis­té­mo­lo­gique, c’est aus­si cela, s’intéresser à la parole fil­mique : entendre cet art comme le signe vivant par lequel une culture se pense, se cri­tique, se rêve, se raconte – bref, se fait.

Le pre­mier article du dos­sier, « Voir dire : quand Solange te parle », est signé par Jean Châ­teau­vert. L’auteur ana­lyse spé­ci­fi­que­ment l’épisode Tranches de haine de la web­sé­rie fran­çaise Solange te parle, dans lequel le per­son­nage fait la lec­ture à l’écran de com­men­taires hai­neux reçus de la part d’internautes. Consi­dé­rant cet épi­sode comme un acte de rup­ture avec la mise en scène de la parole de la web­sé­rie, Châ­teau­vert pro­pose l’idée selon laquelle l’expérience de la parole s’écrit en strates. Ces super­po­si­tions écha­faudent ain­si trois degrés de récits : un pre­mier degré orien­té vers la sélec­tion des com­men­taires et leur repré­sen­ta­tion, un deuxième degré où se révèle l’intériorité du per­son­nage de Solange et de sa créa­trice Ina Miha­lache, et un troi­sième degré où la fron­tière entre fic­tion et non-fic­tion est sus­pen­due afin de créer un lien réel entre l’univers de la série et celui de l’internaute-spectateur. Cet article met en évi­dence le rôle de la parole dans les pro­duc­tions web qui, à la dis­tinc­tion du ciné­ma ou de la télé­vi­sion, par­ti­cipe à l’expérience de vision­ne­ment du spec­ta­teur et à son engagement.

Par sa contri­bu­tion inti­tu­lée « La force de l’aveu comme intrigue ciné­ma­to­gra­phique », Sophie Beau­par­lant ques­tionne le rôle de la parole dans la ges­tion de la ten­sion dra­ma­tique au ciné­ma. Son hypo­thèse est que, par­mi les com­po­santes du film, la mise en phase (Odin, 2000) du spec­ta­teur peut s’opérer par un enjeu dia­lo­gal. Par une étude du scé­na­rio des films qué­bé­cois Mael­ström de Denis Vil­le­neuve (2000) et La Neu­vaine de Ber­nard Émond (2005), elle s’intéresse à l’aveu, un acte de parole qui a des impli­ca­tions per­son­nelles, sociales et morales pour les per­son­nages. L’aveu, peu importe le moment où il sur­vient dans le scé­na­rio, dépasse en inten­si­té dra­ma­tique les autres évé­ne­ments du film en rai­son des réac­tions qu’il fait naître ou qu’il pro­voque, en amont comme en aval. La confi­gu­ra­tion de l’intrigue, pen­sée dans cet article selon le modèle de Baro­ni (2007), nous fait voir que le retar­de­ment, l’évitement ou le dévoi­le­ment de cer­taines infor­ma­tions créent de la ten­sion et règlent la logique interne du film. En somme, l’auteure pro­pose une rééva­lua­tion de la parole dans le dis­po­si­tif ciné­ma­to­gra­phique et décrit les rai­sons pour les­quelles un film peut se démar­quer sur le plan scé­na­ris­tique par sa com­po­sante dialogale.

Dans son texte « Lieux d’une parole autre : hété­ro­to­pie et hété­ro­lo­gie dans Le Chat dans le sac et Mas­cu­lin fémi­nin », Antoine Constan­tin Caille fait une étude com­pa­rée de dia­logues fil­miques qui sont mar­qués cultu­rel­le­ment et géo­gra­phi­que­ment. Les deux longs métrages étu­diés, Le Chat dans le sac, réa­li­sé au Qué­bec par Gilles Groulx en 1964, et Mas­cu­lin fémi­nin, tour­né en France par Jean-Luc Godard en 1966, mettent en scène des paroles qui laissent entendre des enjeux sociaux et géné­ra­tion­nels qui ques­tionnent les liber­tés d’expression indi­vi­duelle et col­lec­tive. D’une part, l’auteur emprunte à Michel Fou­cault le concept d’hétérotopie, pour déter­mi­ner les dif­fé­rents espaces sociaux en jeu dans les échanges de paroles; d’autre part, il emprunte à Mikhaïl Bakh­tine le concept d’hétérologie, pour mar­quer les dif­fé­rents dis­cours d’un même per­son­nage. Caille pro­pose une concep­tion du dia­logue fil­mique qui per­met d’évaluer son ins­crip­tion dans la sphère sociale. L’article fait éga­le­ment l’étude des pro­cé­dés ciné­ma­to­gra­phiques qui hété­ro­gé­néisent l’espace du dis­cours, à par­tir des tra­vaux de Michel Chion sur la mise en scène de la voix à l’écran.

Chris­tine Tur­geon réa­lise une étude de la sémio­tique du silence dans son article « Faire dia­lo­guer le muet : la mise en scène de la parole dans Un crabe dans la tête d’André Tur­pin ». Par l’analyse de ce film qué­bé­cois, elle détaille les impli­ca­tions liées à la repré­sen­ta­tion et la mise en scène d’un per­son­nage sourd et muet dans le dis­po­si­tif visuel et sonore qu’est le ciné­ma. L’auteure dis­tingue deux mani­fes­ta­tions du silence à l’écran : tacere, qui désigne une absence de parole spé­ci­fi­que­ment liée à l’homme et silere, qui défi­nit un contexte pai­sible dépour­vu de bruit. Au fil d’un exa­men minu­tieux des inter­ac­tions entre Sara, qui est sourde et muette, et Alex, un char­meur prêt à tout pour plaire, on suit la pro­gres­sion des échanges par une étude de concepts issus de la nar­ra­to­lo­gie – foca­li­sa­tion, ocu­la­ri­sa­tion et auri­cu­la­ri­sa­tion (Jost) – afin de com­prendre les enjeux nar­ra­tifs liés aux points de vue et à la pré­sence de la parole dans le tis­su filmique.

L’article « De Rober­to Ros­sel­li­ni à Gilles Carle : la réa­li­té par la parole » de Syl­vie Dubois concep­tua­lise le dia­logue en tant que lieu de révé­la­tion de la réa­li­té qui, concrè­te­ment, se maté­ria­lise de nom­breuses manières. Par une étude com­pa­ra­tive de films qui mettent en scène la culture ita­lienne – Dimanche d’Amérique de Carle (Qué­bec, 1961) et Strom­bo­li de Ros­sel­li­ni (Ita­lie, 1950) –, l’auteure confronte par exemple les effets d’un dia­logue enre­gis­tré en son direct avec un autre refait en post­syn­chro­ni­sa­tion. La pré­sence de la réa­li­té à l’écran est ques­tion­née dans deux cou­rants ciné­ma­to­gra­phiques, le ciné­ma direct qué­bé­cois et le néo-réa­lisme ita­lien, pour en faire res­sor­tir des res­sem­blances éton­nantes. La coexis­tence de bruits, de chants et de paroles échan­gées, qu’ils soient cap­tés en direct ou refaits en post­syn­chro­ni­sa­tion, révèle des espaces sonores qui renou­vellent la notion de vrai­sem­blance fic­tion­nelle par un effet de réa­li­té qui peut se pen­ser d’abord dans une dimen­sion tech­nique, pour éven­tuel­le­ment per­mettre de déga­ger une esthé­tique du dia­logue au cinéma.

Le der­nier article, « Le dou­blage ciné­ma­to­gra­phique au Qué­bec : quand la culture de la socié­té d’accueil s’exprime dans des œuvres étran­gères », est signé par Hubert Sabi­no-Bru­nette. À par­tir d’un concept de De Cer­teau, l’auteur pro­pose de consi­dé­rer le dou­blage comme une « tac­tique » qui marque cultu­rel­le­ment un film par un pro­ces­sus d’appropriation qui per­met « à la culture d’accueil d’occuper le ter­ri­toire de l’autre ». L’article iden­ti­fie les dépla­ce­ments qui recadrent la dimen­sion cultu­relle des dia­logues du film avec des réfé­rences qué­bé­coises. Sabi­no-Bru­nette étu­die les pra­tiques qué­bé­coises du dou­blage, tout par­ti­cu­liè­re­ment le cas de la tri­lo­gie néer­lan­daise Flod­der (Dick Mass, 1986, 1992, 1993), tra­duite au Qué­bec sous le nom de la tri­lo­gie Lavi­gueur. L’auteur pro­pose l’idée selon laquelle l’industrie du dou­blage par­ti­cipe à ren­for­cer la culture qué­bé­coise, notam­ment en jouant un double rôle, soit un rôle de résis­tance pour pré­ser­ver une spé­ci­fi­ci­té cultu­relle et un rôle de média­tion entre deux cultures. En conclu­sion, l’auteur porte à notre atten­tion le fait que l’industrie du dou­blage au Qué­bec est mena­cée, entre autres par la pré­fé­rence de dif­fu­seurs inter­na­tio­naux (par exemple Net­flix) pour les tra­duc­tions fran­çaises dans un contexte où peu de règle­men­ta­tions existent.

Par leur diver­si­té, les contri­bu­tions de ce numé­ro montrent de façon tout à fait convain­cante que chaque film ou web­sé­rie met en scène une pra­tique du dia­logue qui a ses propres déter­mi­nants sémio­tiques, esthé­tiques ou sym­bo­liques. Les échanges de paroles au ciné­ma sont autant d’occasions par les­quelles se mani­festent des enjeux nar­ra­tifs et sty­lis­tiques qui sont à consi­dé­rer pour leur valeur intrin­sèque. Qu’ils forment un lieu d’engagement entre une œuvre et le spec­ta­teur ou encore un objet d’appropriation cultu­relle comme c’est le cas pour le dou­blage, les dia­logues repré­sentent une com­po­sante des études ciné­ma­to­gra­phiques qui mérite plei­ne­ment notre attention.

Le numé­ro est com­plé­té par deux contri­bu­tions hors dos­sier. Dans le texte « Robert Lepage : cinéaste moderne? », Jean-Marc Limoges s’intéresse aux concepts de réflexi­vi­té et de moder­ni­té, ain­si qu’à leurs usages dans le dis­cours sur le ciné­ma. Après avoir mar­qué une dis­tinc­tion entre les termes moderne et réflexif, Limoges pro­pose « dix sens qui tra­vaillent sour­de­ment la notion de réflexi­vi­té », par­mi les­quels se trouvent un sens figu­ré, un sens phi­lo­so­phique et un sens englo­bant. L’hypothèse posée est que, pour être qua­li­fié de moderne, un film doit être réflexif et, selon cer­taines condi­tions, anti-illu­sion­niste. L’auteur met son modèle théo­rique à l’épreuve d’une ana­lyse de la fil­mo­gra­phie de Robert Lepage et arrive à la conclu­sion que, bien qu’elle soit réflexive selon les dix sens recen­sés au préa­lable, elle se posi­tionne qu’en de rares occa­sions dans l’axe de la moder­ni­té. Si Lepage est recon­nu par plu­sieurs comme étant un dra­ma­turge de la moder­ni­té, il sem­ble­rait qu’on ne peut en dire autant de son sta­tut de cinéaste. Rafaël Cham­ber­land signe pour sa part le texte « “La Guerre”, ou le film ven­dan­geur de Mar­cel Dugas ». Il y fait une pré­sen­ta­tion et une lec­ture du poème « La Guerre » de Dugas, publié en 1918 dans la revue lit­té­raire Le Nigog. Après une mise en contexte socio-his­to­rique et bio­gra­phique, l’auteur appré­hende le texte notam­ment selon le concept de pos­ture de Garand et celui de sub­ver­sion de la notion de genre, tel que pen­sé par Bonen­fant et Fil­teau. Par­mi ses points d’intérêt se trouvent les « images-ver­bales du poème en prose » insé­rées dans la publi­ca­tion. Un des objec­tifs de Cham­ber­land est de dis­cer­ner « les impli­ca­tions ciné­ma­to­gra­phiques en lien avec la struc­ture du poème et l’enchaînement des images ver­bales », dans ce qu’il nomme une triple géné­ci­té : le conte allé­go­rique, le poème en prose et le cinéma.

Remerciements

Les codi­rec­teurs de ce numé­ro tiennent à remer­cier cha­leu­reu­se­ment Gabriel Laver­dière pour le sui­vi d’é­di­tion; Guillaume Lavoie pour l’édition Web. Cré­dit pour le pho­to­gramme en illus­tra­tion: Le Chat dans le sac ©1964 Office natio­nal du film du Cana­da. Tous droits réservés.

Nous remer­cions vive­ment le comi­té de lec­ture pour ce numéro.

Bibliographie

BAKHTINE, Mikhaïl, La Poé­tique de Dos­toïevs­ki, Paris, Seuil, 1970.

BARONI, Raphaël, La Ten­sion nar­ra­tive. Sus­pense, curio­si­té et sur­prise, Paris, Seuil, 2007.

CASETTI, Fran­ces­co, Les Théo­ries du ciné­ma depuis 1945, Paris, Nathan, 2000.

CASSIVI, Marc « Nuit # 1 : sexe et confi­dences », La Presse, 10 décembre 2011 [en ligne]

CERTEAU, Michel de, L’Invention du quo­ti­dien 1. Arts de faire, Paris, Gal­li­mard, 1990.

CHION, Michel, La Voix au ciné­ma, Paris, Édi­tions de l’Étoile/Cahiers du ciné­ma, 1982.

CHION, Michel, Un art sonore, le ciné­ma. His­toire, esthé­tique, poé­tique, Paris, Cahiers du ciné­ma, 2003.

FOUCAULT, Michel, Dits et écrits II, 1976–1988, Paris, Gal­li­mard, 2001.

JOST, Fran­çois, L’Œil-caméra. Entre film et roman, Lyon, Presses uni­ver­si­taires de Lyon, 1987.

MITRY, Jean, Esthé­tique et psy­cho­lo­gie du ciné­ma. Tome II, Les formes, Paris, Édi­tions uni­ver­si­taires, 1965.

ODIN, Roger, De la fic­tion, Bruxelles, De Boeck Uni­ver­si­té, 2000.

PAVEL, Tho­mas, La Pen­sée du roman, Paris, Gal­li­mard, 2003.

ROTH, Jean-Marie, L’Écriture de scé­na­rios, Magny-les-Hameaux, Chi­ron Édi­teur, 2009.


  1. Par­mi les films qué­bé­cois récents qui misent plus sur l’image que sur la parole pour mettre en scène des his­toires à l’écran, nom­mons Elle veut le chaos (Denis Côté, 2008), New Den­mark (Rafaël Ouel­let, 2009) et Les Signes vitaux (Sophie Deraspe, 2009).