Antoine Constantin Caille
Résumé
Sont étudiées deux œuvres cinématographiques – Le Chat dans le sac (Gilles Groulx, 1964) et Masculin féminin (Jean-Luc Godard, 1966) – permettant d’élaborer une conception complexe du dialogue et de son inscription dans l’espace social. Le concept d’hétérotopie, emprunté à Michel Foucault, est utilisé afin de désigner l’espace autre que les (inter)locuteurs doivent constituer pour donner lieu à leur dialogue, mais aussi les espaces autres qu’ils tentent de trouver pour créer un discours à l’abri des dialogues délétères. Le concept d’hétérologie, traduction proposée par Tzvetan Todorov d’un mot russe (raznorečie) créé par Mikhaïl Bakhtine, permet de faire ressortir non seulement la différence entre les discours des interlocuteurs, mais aussi celle des discours prononcés par la voix d’un même personnage. En portant attention à ce que Michel Chion appelle « la mise en scène de la voix au cinéma », nous discernerons des procédés cinématographiques qui hétérogénéisent l’espace du discours. Le travail sur la synchronisation et la désynchronisation des visages parlants et des voix, sur l’acousmatisation et la désacousmatisation, donne à penser le dialogue comme un problème de différenciation personnelle au sein de la société, et par-delà ses possibilités actuelles.
Le dialogue est quelquefois affecté par une circonstance extérieure ou intérieure (une émotion, une pensée) qui l’écarte de la trajectoire initialement prévue, voire qui annule son effectuation dans l’espace social et la reporte dans un espace intérieur ou paradoxal. Le cinéma permet d’explorer ces anomalies: Le Chat dans le sac et Masculin féminin exploitent, mettent au point, inventent des procédés permettant de suivre et d’apprécier le déplacement du dialogue hors de son lieu accoutumé.
L’orchestration des dialogues opérée par Gilles Groulx entre voix-in et voix-off crée une zone d’indiscernabilité entre les échanges de paroles, et plus curieusement encore une indétermination quant au lieu où ils prennent place: est-ce un lieu purement cinématographique – une hétérotopie dont la possibilité tient au seul dispositif technique? Ou est-ce une restitution de ces dialogues que nous avons avec les êtres qui partagent nos vies sans pourtant ne jamais les réaliser entièrement? Dès le commencement du film, le dialogue entre Barbara (Barbara Ulrich) et Claude (Claude Godbout) est difficile à situer: il s’effectue en voix-off, comme en pensée, « par-dessus » les monologues en voix-in.
La mise en scène que propose Jean-Luc Godard joue aussi sur l’utilisation de voix-off mais d’une tout autre manière. Dans Masculin féminin, les tentatives de Paul (interprété par Jean-Pierre Léaud) de séduire Madeleine (Chantale Goya) sont compliquées par un environnement social qui se glisse entre eux et envahit l’espace sonore jusqu’à rendre impraticable la communication d’une demande amoureuse. Dans une scène mémorable (que nous analyserons), les protagonistes se retrouvent étrangement hors champ sous l’effet d’actions secondaires envahissantes.
Le dialogue tient en effet à la possibilité de constituer un lieu d’échange de paroles. Mais plus profondément, pour qu’un vrai dialogue ait lieu, il faut que le discours de l’un affecte l’autre, modifie sa pensée, et que sa parole se crée à partir de cette modification. Les circonstances sociales sont à la fois ce qui permet cette interaction et ce contre quoi la bulle de l’interaction est constituée. Le dialogue nécessite donc essentiellement la création de ce que Michel Foucault a appelé une hétérotopie: un espace autre et contre (le monde environnant), formé dans les interstices du tissu social1.
Mais il faut élargir notre compréhension du mot dialogue pour percevoir comment dialogue extérieur et monologue intérieur sont étroitement liés. En proposant aux spectateurs-auditeurs de paradoxaux dialogues intérieurs et monologues extérieurs, Le Chat dans le sac nous force à repenser l’événement discursif dans sa complexité et à emprunter au grand théoricien du dialogue, Mikhaïl Bakhtine, des concepts permettant de dépasser l’opposition entre monologue et dialogue. Non seulement Bakhtine utilise un terme que Todorov traduit par dialogique à propos de certains monologues, mais il utilise aussi des termes traduits par hétéroglossie (raznojazyčie) ou hétérologie (raznorečie)2 afin de mettre en valeur la différence essentielle entre les discours qui habitent une même œuvre ou un même monde. Les deux cinéastes que nous étudions et Bakhtine ont en commun un problème à la fois éthique et esthétique, celui de la combinaison des voix et des discours. Bakhtine lui-même appelait à considérer d’autres formes d’art que le roman afin de « s’introduire dans les recoins les plus secrets de l’être humain et avant tout dans la conscience humaine et dans la sphère dialogique de son être, qui n’offrent aucune prise artistique si on se place du point de vue monologique. » (p. 345)
Nous montrerons comment les deux films ici étudiés développent, à travers les rapports conflictuels d’un couple, un art cinématographique du dialogue qui manifeste des problèmes de société en les étageant sur plusieurs niveaux de conscience et d’expression.
1.L’entre-deux du dia-logue
« Je suis Juive »; « Je suis Canadien français, donc je me cherche. »
Deux monologues – féminin, masculin – alternés, s’adressant, face caméra, aux spectateurs. Deux voix(-in) entrecoupées ou peut-être complétées par les mêmes voix, mais cette fois en off, et légèrement altérées, amplifiées par une résonance qui leur donne plus de profondeur. Les citations précédentes s’inscrivent toutes deux dans ce régime sonore; et leurs discours se font écho, par leur contenu et par le décalage que chaque voix opère par rapport à elle-même.
De façon surprenante, amusante, quelque peu magique, mais logique, ce sont ces voix-off qui se mettent à dialoguer (6’’28). « – Ici c’est ça, les anglophones, quand ils apprennent le français, c’est pour aller à Paris… — Pas moi, Claude, tu le sais bien; d’ailleurs je ne suis pas anglophone, je suis Juive. » La voix-off de Claude commente le discours in de Barbara, mais ce n’est qu’à partir du moment où celle-ci répond en voix-off que le dialogue s’engage ou se noue. Jusque-là le discours était adressé directement aux spectateurs sur un mode auto-analytique et confessionnel.
Cependant le discours en voix-in achemine vers le discours en voix-off, qui semble livrer des révélations à un niveau encore plus intime. Claude déclare, in : « La société dont je suis ne me donne pas ce dont j’ai besoin pour… vivre une vie… intelligente. Alors j’aurais plutôt tendance à chercher dans une espèce de solitude, à chercher en moi-même, certaines
vérités. » Puis en off (d’un ton désabusé): « Je n’ai pas le choix. [Silence] Je suis comme le chat dans le sac. » Pendant le silence, un panneau présente le nom du producteur, puis Claude réapparaît, entouré par le bras de Barbara, qui approche son visage du sien; Claude l’embrasse sur la joue au moment où un bandeau expose le titre du film et où sa voix (off) dit la seconde partie du texte (« Je suis comme le chat dans le sac. »). Cela produit un effet de synchronie entre image et son, alors même que la source du son n’est pas contenue dans l’image. D’une certaine manière pourtant, elle y est contenue, puisque Claude est à l’image quand sa voix parle. Ce procédé, qui crée une sorte de paradoxe cognitif pour le spectateur, établit avec force l’impression de voix intérieure.
À partir de là, ce que le cinéaste propose est un subtil mélange de monologues et de dialogues in et off, avec des variations jazzées entre les diverses possibilités3. La transition entre les deux monologues est opérée d’abord par des montages cut: chacun des personnages est isolé et concerné par sa propre individualité. Cette séparation initiale des voix doit nous inciter à enrichir notre conception du dialogue: le préfixe dia- signifie à la fois la séparation et la jointure4; amphibolie qui se retrouve dans la préposition entre. La séparation qu’opère le partage de la parole entre des individus rend aussi possible la communication entre les partis.
Dès lors, il y a déjà dia-logue entre les monologues, qui divisent la parole en deux, et se répondent dans l’oreille du spectateur, sans pour autant avoir à s’entendre réciproquement. Un second niveau de dialogue apparaît lorsque les personnages se mettent à réagir au discours de l’autre. Le sens ne provient plus seulement de la comparaison entre les discours des deux locuteurs, laissée à la discrétion d’un observateur extérieur virtuel (le spectateur) ; il prend forme dans une actuelle interlocution, dans la liaison de l’entre-deux5.
2. Effets d’acousmatisation6: vers une hétérotopie hétérologique
Actuelle? L’interlocution l’est certes par rapport à la comparaison entre les discours, qu’il reste à produire; son statut ontologique est néanmoins ambigu. Les protagonistes se sont-ils réellement dit les paroles que leurs voix off donnent à entendre? Même si, dans l’esprit du cinéma direct, une certaine ambiguïté quant à la fictionnalité des personnages (qui portent les mêmes prénoms que leurs interprètes) est maintenue, la fictionnalité de leur relation amoureuse est rendue évidente par la prolixité des techniques narratives, et à ce titre la question de la réalité de leurs échanges verbaux peut sembler vaine. Mais nous voulons ici prêter attention à l’effet d’ambiguïté que produit ce procédé cinématographique. Ces voix qu’on entend dialoguer alors qu’aucune image visuelle ne nous donne à voir le dialogue en question forment ce que Michel Chion, après Merleau-Ponty, nomme des fantômes sensoriels. Nous avons ici affaire à un cas particulier d’acousmatisation : « [l’]opération consistant à nous faire entendre sans voir, après nous avoir permis d’entendre et voir en même temps » (Glossaire) ne correspond pas ici au « procédé dramatique consistant à nous transporter à un moment crucial de l’action dans un lieu extérieur ou éloigné, ou simplement à changer d’angle, ne nous laissant plus que le son – devenu acousmatique – pour imaginer ce qui se passe » (Ibid.). Ici l’acousmatisation rend douteuse l’actualisation (dans le monde fictif) du dialogue qui est donné à entendre: ce dialogue a‑t-il vraiment eu lieu? En quel autre temps et en quel autre lieu? La désynchronisation des images visuelles et sonores fait du dialogue un phénomène paradoxal, fantomatique, indéterminé: s’agit-il alors d’une communication « purement spirituelle », semblable à celle dont parle Benjamin quand il cherche à spécifier la modalité de la communication interhumaine? (Œuvres 1, p. 152)
Non, car cette communication se fait bien dans le langage, ou plus exactement dans une langue, le français, qui est une seconde (ou troisième) langue pour Barbara ; ce qui n’est pas sans jouer un rôle au sein des dialogues: c’est elle qui fait l’effort d’aller vers l’espace francophone de Claude. L’hétéroglossie (l’hétérogénéité des langues « naturelles ») dans ce film, à l’instar de nombreux autres films de Godard, mais à la différence de Masculin féminin, participe à l’hétérologie – à la différenciation des discours au sein d’une même langue. Les « contenus spirituels » que Barbara exprime en français sont affectés par son positionnement sociolinguistique à l’égard de cette langue: c’est une langue qui ne lui permet pas une maîtrise de son discours égale à celle de son interlocuteur privilégié; c’est la langue de l’autre, mais par-là même aussi la langue dans laquelle elle peut se dire autrement, avec plus de difficulté mais aussi plus de licence.
En outre, les conversations auxquelles nous avons droit sont loin d’être édéniques: elles se composent principalement de disputes, de contestations, de reproches. En cela, le dialogue des voix acousmatiques ne diffère pas de celui des voix-in. Aucune de ces deux modalités du dialogue ne paraît favorable à l’épanouissement de chaque personnalité dans sa différence.
Un problème émerge alors de plus en plus nettement: la quête du développement personnel passe-t-elle par l’établissement de cette seconde forme de dialogue (interlocutoire) – où l’individu se réalise dans sa relation à l’autre; ou bien exige-t-elle au contraire le maintien de la première forme de dialogue (monologuée) – où l’individu se donne la possibilité de saisir sa « propre » voix intime, en la préservant de la tendance réactionnelle qu’occasionne le rapport à l’autre7?
La relation entre Barbara et Claude connaît ainsi plusieurs phases successives, permettant de juger des dommages et bénéfices du repli sur soi. À première vue, et selon le point de vue de Claude, le rapport à soi et le rapport à l’autre, ou plutôt aux autres, ne sont pas contradictoires; ils sont même corrélés, à condition que ces autres soient « des amis »: « Une façon de s’en sortir, comme je disais tantôt, c’est de rester seul, d’établir des contacts avec soi-même, avec des amis. » Mais plus la confession avance plus on s’aperçoit que Claude ressent une profonde perte de confiance en l’interlocution; le tressage entre voix-in et voix-off donne la mesure de son dépit.
[Off:] Je découpe les journaux pour bien me souvenir des événements. Et je pique ça sur le mur avec mon idéal féminin. [In:] En fait, je cherche… euh… une porte de sortie. Je pratique fréquemment le cyclisme; j’aimerais faire de la boxe. [Off:] Je me suis acheté un vélo italien chez Bagio, et puis j’ai déjà un nez de boxeur, alors… [In:] A la vérité, je suis un peu perdu. [Silence.] On croit de moins en moins à… son destin, euh… [Off:] Je voudrais… non, au fond je ne veux rien ! [In:] J’ai travaillé dans un journal où j’ai tenté certaines expériences, où j’ai cru pouvoir vraiment m’exprimer, vraiment m’entendre, je suis allé vers des gens que j’ai cru capables de me comprendre, mais… c’était un peu peine perdue. (4’’10–4’’42)
Le dialogue interlocutoire en discours intérieurs offre une hétérotopie hétérologique, un lieu autre où différents discours s’entendent ; mais cet autre lieu ne suffit pas à Claude. Il ressent le besoin d’un espace qui soit à proprement parler un autre lieu. Il rompt abruptement avec la ville (Montréal), part s’installer à la campagne, où les liens avec Barbara se rompent aussi, progressivement. L’une des raisons en est celle-ci : la présence de Barbara lui paraît « incompatible » avec ce nouveau lieu. Ce que Claude cherche à constituer, ce n’est pas un espace intérieur silencieux, ni un espace intérieur univoque ou monologique, mais un espace intérieur renouvelé, à partir duquel il pourrait établir un rapport au monde inouï.
En tout cas, je lis les philosophes et ma pensée ne s’échappe pas d’eux. Tout ce que je pense maintenant, je l’ai acquis récemment. À chaque instant je rêve autour des choses; des choses que je place dans le monde sans jamais douter si c’est un rêve. Il m’arrive d’imaginer des personnes dont la présence ici n’est pas incompatible avec le contexte. (60’’02–60’’31)
Claude a tendance à imposer son monologue en compagnie de Barbara, et il a sans doute tort de lui dénier une aptitude à évoluer spirituellement. De son côté, elle a entamé un processus de renouvellement similaire. Barbara (en voix intérieure) : « Maintenant je n’ai plus d’habitudes, je dois en trouver d’autres. [Silence] Je me sens plus vieille, aussi. » (50’’04–50’’24) Cependant, Claude n’a pas pour autant tort de penser que son renouvellement doit passer par une coupure avec son ancien monde et ses anciennes voix. Après avoir subi les « discours de vérité » des dirigeants et autres représentants d’un monde trop actuel qui le met hors de lui8, il se donne les moyens de réaliser son désir de pureté, d’invention de soi à partir de moyens qu’il s’est lui-même donnés. Sa parole se désenchevêtre des dialogues dans lesquels elle était prise ; il devient ainsi capable de produire des énoncés dépourvus de tout caractère réactionnaire, sa voix s’apaise, il paraît éprouver un bien-être jusque-là inconnu : « Maintenant je sais ce qu’est une forêt, un champ, une rivière… parce que je me suis éprouvé dans l’acte de les saisir. » (58’’27) ; « Je ne fais presque rien, mais je sais pourquoi je le fais. » (61’’17).
3. Effets d’acousmatisation et de désacousmatisation: vers une autre hétéropie hétérologique
Si Le Chat dans le sac fait référence à Vivre sa vie de Godard, et que l’influence des premiers films du réalisateur helvético-français sur le réalisateur québécois est indéniable, la comparaison avec Masculin féminin, postérieur en date, nous paraît plus pertinente qu’avec tout autre film, du moins au point de vue qui nous occupe, et soulève l’hypothèse d’une influence en sens inverse, ou tout au moins d’une affinité cinématographique temporaire forte9.
Se formule un même problème de la quête de soi en relation compliquée avec le rapport à l’autre: les personnages féminin et masculin rencontrent une semblable difficulté à établir un dialogue heureux; le cinéaste fait voir une semblable ambition, celle de réaliser un tableau complexe de sa société. Cependant le jeu des différences nous amène à mieux apprécier la spécificité de chacun de ces tableaux. À commencer par la manière de traiter cinématographiquement du dialogue. Si Groulx tire avantage des voix-off en produisant une sorte d’enfoncement du discours intérieur, Godard les utilise plus souvent comme une menace à la constitution d’une sphère d’intimité, où un vrai dialogue pourrait se développer.
Ici l’hétérologie – au sens de la pluralité des discours – est d’abord ce qui entrave la constitution d’une hétérotopie – un lieu autre qui appartient en propre à ceux qui le constituent. Déjà dans leurs deux premiers dialogues, la conversation entre Paul et Madeleine était menacée par l’intrusion d’éléments sonores extérieurs. Au cours du premier, l’audition (des personnages et du spectateur) est gênée par une série de sons: le bruit de la circulation, des personnes entrant sans refermer la porte (Paul insiste pour qu’elles la referment), une sonnerie de téléphone, et enfin une dispute en arrière-plan, qui passe sur l’avant-plan sonore et se termine par une tentative d’enlèvement puis un meurtre à coups de pistolet – le tout ayant pour effet d’évacuer temporairement l’intrigue principale. Au cours du second dialogue, le fond sonore, fait de bruits de machines, de voix, de sifflements et d’appels téléphoniques commerciaux, s’entremêle inopinément à la conversation des protagonistes.
Une telle situation, où des actions secondaires prennent anarchiquement le dessus sur le dialogue des protagonistes, se répète de façon amplifiée dans la scène du long plan-séquence dans un bistro. Cette scène construite sur un seul travelling crée à proprement parler un suspens: le dialogue des protagonistes est mis en suspens par les bruits dans la salle, et surtout par les dialogues des autres clients du bistro, qui ne jouent aucun rôle dans l’action principale. Paul cherche le lieu et le moment adéquat pour dire à Madeleine « ce qu’[il] a à [lui] dire ». C’est sur un plan immatériel qu’une obstruction se produit – au niveau de la pensée et de l’énonciation. Ce n’est pas la matérialité du son qui gêne en effet, car Paul pourrait faire entendre sa voix à Madeleine au-dessus ou à côté du bruit environnant. Ce n’est ni comme conflit d’intérêts, ni comme simple bruit, que le discours d’autrui constitue une entrave, mais à cause des nouvelles directions de sens que celui-ci crée. L’enchevêtrement des discours sur le plan sonore crée des connexions virtuelles inattendues au niveau du sens: la contiguïté physique des divers interlocuteurs entraîne pour Paul une perte de maîtrise sur la production de sens de ses propres énoncés. Au combien triviale et dénuée de poésie apparaîtrait une déclaration d’amour accompagnée par le bruit du choc des boules de billard; au combien pervertie la beauté des sentiments quand les mots seraient accompagnés par l’excitation de deux rigolos lisant un récit érotique; au combien gangrenée leur sincérité accompagnée par les explications cyniques d’un veuf à sa nouvelle maîtresse. Comme la tentative de s’exprimer du protagoniste est contrariée par les virtualités malheureuses que crée la superposition de son discours aux autres, au lieu de se resserrer sur l’action principale, le cadre s’en libère. Le duo Paul-Madeleine passe à plusieurs reprises tout entier hors champ. L’action perturbatrice occupe alors tout le cadre. Et les protagonistes dérivent de lieu en lieu, à la recherche de ce lieu autre où pourrait s’énoncer un discours différent – un discours à préserver de ceux qui pourraient l’altérer: une demande en mariage.
Mais, plus profondément, c’est l’hétérologie entre le discours de Paul et celui de Madeleine qui crée une incompatibilité tenace entre eux. La cause de cette incompatibilité tient à la difficulté de réconcilier deux extrêmes: un enfant de Marx avec une enfant de Coca-Cola. Au cours de leur premier dialogue, Paul s’adresse à Madeleine au sujet d’un tiers qui pourrait lui trouver un emploi dans un journal où elle travaille quand elle n’enregistre pas ses disques.
Madeleine: Pourquoi? Vous cherchez du travail?
Paul: Pas précisément, mais je reviens du service militaire.
Madeleine (détachée): C’est amusant?
Paul (le plus sérieusement du monde, sur un ton monologique): Oh, vous savez, seize mois de la vie où manquent le confort, l’argent, l’amour, les loisirs, autrement dit la vie moderne; où on est commandés, abandonnés vingt-quatre heures sur vingt-quatre à une autorité sans limites; seize mois de la vie où s’affirment les difficultés éprouvées par un jeune Français pour acquérir une liberté relative… [désacousmatisation] pour acquérir une liberté relative par rapport aux autorités, quand il n’a pas eu accès à la culture; et ça peut devenir une vie d’obéissance, car l’organisation militaire coexiste très bien avec l’organisation industrielle: la logique de l’argent avec celle de l’ordre!
Madeleine: Oui, ça a pas l’air drôle. Et maintenant alors vous faites rien?
Paul: Non, pas tout à fait, mais ça m’intéresserait de changer de vie. […] (4’’35–5’’29)
Le dialogue se poursuit et Paul décrit de façon similaire ses conditions de travail actuelles à la Naphta Chimie. La voix de Paul est acousmatisée; pendant qu’il parle, c’est le visage de Madeleine qui nous est donné à voir: ses mimiques (elle se mord la lèvre), ses gestes (elle se touche les cheveux). Ce procédé fait ressortir l’hétérogénéité entre le discours (et la voix) de celui qui parle et le visage de celle qui l’entend. Serge Daney faisait remarquer que :
Même émise hors champ, [l]a voix va faire irruption dans l’image (in), heurter un visage, un corps, provoquer l’apparition furtive ou durable d’une réaction, d’une réponse, sur ce visage, ce corps. Le spectateur pourra mesurer la violence de mon énonciation au spectacle du trouble de celui qui la reçoit […] (p. 150)
Ici les paroles semblent au contraire d’autant plus fortes que le visage de Madeleine n’y réagit pas. On peut voir sur son visage que le dialogue « ne prend pas ». C’est donc que ce que l’on entend inconsciemment par dialogue est davantage qu’un simple échange d’informations. La conversation à laquelle nous assistons n’est pas entièrement un « dialogue de sourds » pour autant, puisque Madeleine obtiendra une place pour Paul au journal. Mais sur quel terrain ces deux extrêmes culturels peuvent-ils se rejoindre pour établir un véritable dialogue ?
Si Madeleine est superficielle, et presque entièrement absorbée par sa propre réussite en tant que chanteuse-starlette, elle montre quelquefois d’imprévisibles sursauts de candeur, qui ont pour effet d’en faire une énigme pour Paul. Ainsi quand elle lui demande: « Qu’est-ce que c’est pour vous le centre du monde? », s’engage un dialogue philosophique de courte durée, où peut néanmoins se lire le maintien d’une distance entre leurs deux tempéraments – la détresse de Paul et l’égotisme de Madeleine – plutôt qu’une étroite communication des âmes:
- Le centre du monde? C’est drôle, on s’est jamais parlé, la première fois qu’on se parle vous me posez des questions étonnantes.
- Non, moi je trouve que c’est une question normale.
- C’est vrai.
- Allez, répondez, répondez-moi.
- Comme ça, l’amour je trouve.
- C’est drôle, moi je vous aurais dit: moi. [Silence.] Ça vous semble étrange un peu? Vous ne pensez pas que vous êtes le centre du monde?
- D’une certaine manière, bien sûr, oui […] (20’’06–21’’00)
Se percevoir comme le centre du monde, n’est-ce pas justement la perception naïve que travaillent à déconstruire les procédés de mise en scène de Godard dans ce film? Même aux protagonistes il est constamment rappelé que leur action est contiguë à d’innombrables autres actions, que leur dialogue tient à la clôture relative et temporaire qu’ils ont établie entre eux. La mise en scène donne à voir que le monde foisonne d’actions contiguës sans rapport, et que nombre d’entre elles sont d’une grande violence (insultes, coup de pistolet, coup de poignard, immolation…). Malgré tout la taupe, dont l’intertitre qui précède la scène du plan séquence nous renseigne sur sa manière de creuser, parvient à ne pas les voir et à ne pas se décentrer. (« La taupe est inconsciente, mais elle creuse la terre dans une direction déterminée. » (29’’39))
La difficulté d’établir un vrai dialogue est d’autant plus grande que le discours de Madeleine est en soi hétérologique en ce sens qu’il est en porte-à-faux avec lui-même. Cela nous est signifié par un subtil tressage10 entre le dialogue in et la musique off (voix de Madeleine acousmatisée): la chanson qui démarre à la fin de la scène du bistro, au moment où Madeleine se lève pour s’en aller, construisait un amusant jeu d’écho avec l’action, les paroles étant: « Laisse-moi je t’en supplie/Je ne suis pour toi qu’une amie/Laisse-moi continuer ma vie ». Mais après une interruption de la chanson, qui s’évanouit dans le bruit du trafic, et qui laisse soudain une plage de silence pour le micro-dialogue final (« – Voulez-vous devenir ma femme? – On verra ça plus tard. Je suis pressée. Au revoir. »), celle-ci reprend à la maison de publication, et voici la suite des paroles qui tout à coup sont complètement dissonantes par rapport à l’attitude de Madeleine: « Laisse-moi connaître le jour/De mon grand amour/Laisse-moi découvrir enfin/Celui qui me tiendra la main ».
Y a‑t-il un espace pour la subjectivité de Paul dans le monde de Madeleine? La scène où ils sont accoudés au bar avec Elizabeth laisse présager une réponse négative. Le dialogue tourne court: Paul « demande pardon pour tout à l’heure » (on imagine qu’il évoque la scène d’énervement au journal) sur un ton sérieux et sincère. Madeleine ne réagit pas vraiment, elle acquiesce très légèrement d’un air distant. Silence. Madeleine émet enfin, en se tournant vers Élisabeth, un avis très positif, dans un énoncé qui a les marques du discours de la jeunesse, sur une icône à la mode: « Terrible Sandie Shaw, hein? ». Élisabeth marque son acquiescement à la seconde même par une formule inaudible; nouveau silence. Paul émet un avis fortement dépréciatif: « Moi, je trouve ça dégoûtant. Se montrer, comme ça, ça m’agace! ». Long silence. Madeleine regarde son verre; puis dit finalement: « J’ai une idée. Si on partait? Je trouve qu’on l’a assez vu aujourd’hui. » avec des regards d’antipathie vers Paul. Les jeunes femmes s’en vont. Alors que ces dernières sont passées hors champ, Paul leur lance une invitation, à laquelle Madeleine répond par un « Ciao bambino! ». Paul, dépité, demeure tout seul à fumer au bar.
Mais pas longtemps, car, à nouveau, un dialogue incongru l’amène à dériver d’un photomaton à un « discomaton » (une cabine où l’on peut enregistrer sa voix sur disque). C’est dans cet espace que, isolé, et laissé à sa propre créativité, Paul parvient enfin à dire son amour pour Madeleine, dans un monologue hétérologique halluciné :
J’ai envie de vivre avec toi. Tu ne viendras pas au rendez-vous… ce soir. Les étoiles filent. Madeleine… me voici à la ville. Madeleine! Imagine que c’est écrit comme… « Astor, la cigarette de l’homme moderne! » Souviens-toi, tu sortais de la piscine, le même disque tournait. Souviens-toi, souviens-toi.
5 décembre 1965. Les étoiles.
J’ai envie de vivre avec toi! Oui, brune en bikini. On jouera au baby-foot! Oh, oui!
Regarde… ici aviation. Tu mets ton rouge à lèvres. Serre-toi contre moi. Nous avons décollé.
Allô, ici la tour de contrôle. Boeing 737 appelle Caravelle. Paul appelle Madeleine! (37’’30–38’’50)
Cela constitue une évolution en comparaison avec la situation du bistro, où Paul était bloqué dans l’énonciation de son désir du fait de la présence de discours hétérogènes venant parasiter son exigence d’intimité et de pureté du message. Ici le parasitage du message n’est pas subi par Paul, mais produit par lui. L’actualisation d’un message se fait à travers une ouverture à l’hétérogénéité, mais il s’agit cette fois d’une hétérogénéisation active, créative. Grâce à l’hétérotopie du « discomaton », Paul retrouve l’étincelle magique de la parole, alors que Madeleine, dans le studio d’enregistrement, où l’on travaille à transformer sa voix en produit de consommation, la perd11.
4. Rupture du dialogue et virtualisation du conflit
La distanciation entre Barbara et Claude n’occasionne pas une interruption abrupte du dialogue. De multiples dérivatifs émergent, qui maintiennent en vie une communication tantôt agressive, tantôt moribonde. Au cours du dîner qu’a préparé Barbara pour Claude, en s’étant donné la peine de venir jusqu’à lui à Saint-Charles, celui-ci se met à lire les journaux; elle essaye de le ramener à une communication entre eux, échoue, puis se met à lire le recueil de proverbes de Claude, en prononçant à haute voix ceux qui lui paraissent convenir à la situation: « “Nourris le corbeau, il te crèvera les yeux.” C’est vrai? »; « “Les méchants sont toujours ingrats.” »; « “Je t’ai enseigné à nager et maintenant tu peux me noyer.” » (54’’29–55’’00). Barbara, avec une feinte ingénuité, recrée un dialogue en donnant une pertinence situationnelle à ces proverbes. Claude se servait d’un outil de communication – le discours sur support écrit – de façon anti-communicationnelle par rapport à elle; Barbara, au contraire, réinstaure une communication entre eux, retourne l’arme de Claude moins contre lui que contre sa tendance à rompre le dialogue.
La tentative, si astucieuse soit-elle, échoue aussi: rappelant celui que pratiquent Angela et Émile dans Une femme est une femme (Jean-Luc Godard, 1961), qui rétablit entre eux la connivence dans la chamaillerie, le jeu ici ne prend pas. La scène se termine. Claude est seul et bien seul: il retire de son lit, sous son dos, un objet qui le gène (un peigne à sourcils) vestige de la présence de Barbara, et peut s’adonner à sa surconsommation d’informations (la surconsommation est signifiée par le fait qu’il allume la radio pour écouter les actualités alors qu’il lit le journal). Barbara est retournée chez elle. Les monologues reprennent. Et cette fois, les voix intérieures ne communiquent plus. On peut en déduire que les dialogues « intérieurs » avaient bien lieu (« quelque part »): à partir du moment où Barbara et Claude n’habitent plus le même lieu, ces dialogues cessent. La séparation des corps est aussi une séparation des esprits. À ceci près que Barbara envoie encore des lettres, mais pour s’excuser de ne pas venir; et la mise en scène de celles-ci marque bien le changement de modalité discursive qui s’est opéré: c’est la voix-in de Claude qui lit les lettres, on n’entend plus la voix de Barbara dialoguant avec la sienne… jusqu’à ce qu’elle revienne (en personne), une dernière fois.
Le premier dialogue qu’on entend alors s’entame sur une dispute (in) pour qui obtiendra le meilleur côté du lit. Claude ne cède pas. Barbara dit d’un ton boudeur mais amusé: « Il m’a pris ma place. » (63’’06) Après une passation de cigarette, Claude ouvre un nouveau dialogue avec une question fortement teintée de reproche et de moralisme: « Tu te rends compte du temps que tu perds à te maquiller? » (63’’18) Il ressort de ce dialogue que, malgré l’étonnante subtilité de la réponse de Barbara et la douceur de son phrasé, rien n’y fait: les deux interlocuteurs ne retirent rien du discours de l’autre.
- Oui, mais, je suis même consciente du fait que je veux perdre le temps comme ça.
- Admettons simplement que tu perdes ton temps à faire des futilités.
- Non! Je fais deux choses en même temps. En même temps que je fais ce que tu penses est futile, je suis en train de penser, et puis mon esprit est très très loin.
[Plusieurs débuts de phrases incompréhensibles à cause de leur concomitance.]
- Je veux pas te blesser, mais j’ai l’impression que tu t’agites beaucoup plus que tu vis. Tu crées une agitation autour de toi, tu te donnes l’illusion de vivre, d’aller quelque part, mais en réalité tu t’agites seulement, tu bouges pas, t’avances pas.
- C’est toi qui ne bouges pas, qui n’avances pas. (63’’27–64’’15)
Le discours de Claude reste le même après la réponse de Barbara. Ses critiques, même répétées ou explicitées, ne changeront rien à la manière de vivre de celle-ci. C’est un dialogue sans bénéfices, ayant même l’inconvénient de générer une inutile agressivité, et arrivant à un point de rupture. Quand Claude interroge Barbara de façon condescendante sur les raisons qui l’ont, lui, poussé à changer de lieu, elle perd intérêt dans le dialogue, montrant par ses non-réponses qu’elle le sait d’avance stérile.
- Est-ce que tu te rends compte simplement pourquoi je suis venu ici, moi, en campagne?
- Hmmm?
- Est-ce que tu te rends compte… est-ce que tu sais pourquoi je suis venu ici en campagne?
- Oui, je sais.
- Quels sont les mobiles, selon toi?
- Oui…
- Quels sont-ils? [Long silence.] Tu sais pas?
- Je préfère ne pas les discuter. (64’’21–65’’00)
Montage cut, c’est au tour de Barbara cette fois de s’adresser à Claude sur le ton du reproche, et de manifester qu’elle est imperméable à ses réponses. Il semble qu’on ait affaire à ce que Bakhtine appelle des subjectivités équipollentes (p. 35). Le dialogue dysfonctionnel donne à entendre leur différence irréductible. Ce qui est profondément problématique dans le dialogue, c’est que pour exister il nécessite des points de vue différents, mais le maintien de ces différences l’empêche de fonctionner correctement. Afin de bien fonctionner, il faut que les différences de points de vue se dialectisent, c’est-à-dire soit qu’un discours rationnel (prétendument neutre) neutralise ces différences (solution platonicienne), soit qu’un point de vue l’emporte sur l’autre en absorbant le premier (solution hégélienne). Le maintien des différences (irrésolution bakhtinienne), en revanche, fait courir deux risques : la violence ou l’indifférence, qui aboutissent toutes deux à la rupture. Il y aurait une troisième possibilité : celle du dialogue infini, qui, par l’intérêt que les interlocuteurs portent à leur propre différence et à celle de l’autre, vit résolument de son irrésolution12.
Les monologues qui suivent cet ultime dialogue marquent qu’il y a bel et bien eu rupture. Barbara, se parlant devant une glace (en train de se maquiller les paupières, d’une manière qui laisse penser qu’elle se prépare pour la représentation de sa pièce de théâtre), continue à discourir sur Claude; mais elle est passé du tu au il. En fait, il reste un tu mais ce tu ne s’adresse plus à Claude; c’est un tu un peu énigmatique: s’adresse-t-il au spectateur, à Barbara elle-même? Est-il un simple tic de langage? En tout cas, il donne à ce monologue in une allure de dialogue, de dialogue avec soi-même et avec le spectateur. La mise en scène du discours fait coïncider ces deux possibilités. Barbara nous parle en se parlant. C’est bien une modalité de discours propre au théâtre et au cinéma. Ici elle joue une fonction particulière: elle marque la cessation de l’interlocution avec Claude. On en revient à la première forme du dialogue (sans interlocution entre les protagonistes), mais les discours ne se font plus écho. Barbara continue à se poser des questions sur Claude alors que lui conçoit la trajectoire de son propre cheminement. Entre les deux monologues s’intercale une lettre, écrite par Barbara et lue par Claude – celui-ci souligne par la voix et par un regard caméra que la légèreté du ton de cette lettre ne le trompe pas. Au contraire du visage de Madeleine, qui restait sans perturbations pendant les monologues de Paul sur le service militaire et les conditions de travail des ouvriers, ici Claude prend dans la figure les mots de Barbara; en les dramatisant par l’affection du visage, il les donne à lire comme une litote: la litote de la rupture définitive – que confirme le dernier mot précédant la signature : « Toujours ».
- Tu sais je ne sais pas ce qui va passer entre Claude et moi. Maintenant je n’en sais plus. Avant je pensais qu’il y aurait au moins une petite lumière d’un avenir entre nous deux, mais ça a disparu assez vite. Je ne sais pas s’il a raté sa vie ou s’il est en train de se lancer. Mais je ne peux pas supporter son attitude de laisser-aller, son pessimisme. C’est impossible d’être pessimiste dans ce monde. Faut faire un choix. Je crois qu’au lieu d’aller à la campagne, il aurait dû aller en Europe. Il essaie de dire ce qu’il pense. Il s’échappe de moi. Soit parce qu’il croit que je suis, soit parce qu’il ne veut pas le faire, comme ça, parce qu’il est trop paresseux. En ce moment je suis complètement divisée entre… euh… les émotions, les sentiments et l’idée de ce qui est correct. Il croit avoir des idées politiques révolutionnaires, mais il a peur de prendre des risques, il prend des petits pas, jamais des grands. En plus il croit que c’est moi qui a peur, c’est lui en réalité qui a peur, il a peur de la vie. Il m’accuse de penser qu’à moi-même, mais il ne me laisse pas de choix, il se garde complètement renfermé. Et après il se fâche parce que je ne suis pas intéressée à lui.
- [Lettre:] ‘‘Jeudi, Mon chou, je ne peux te voir cette fin de semaine. On aura par exception des cours d’escrime. [Regard caméra] Il faut que je sois là. Toujours, [Regard caméra, maintenu alors qu’il prononce:] Barbara.’’
- Au fond, l’attachement que j’avais pour Barbara n’était que le symbole d’une transition. Je crois que cet attachement était au service de ma propre recherche. (68’’10–72’’57)
La différenciation de la pensée de Claude se fait à la fois dans son rapport à Barbara et dans la rupture qu’il crée avec elle. L’affirmation de l’importance de sa propre différence passe par une négation de l’importance de sa différence à elle: il n’ira pas la voir jouer la pièce de Brecht, et restera dans l’ignorance par rapport à cette création d’un espace de parole différent et révolutionnaire, qui aurait sans doute rejoint ses préoccupations et renouvelé dans sa tête le dialogue entre art et politique13.
Y a‑t-il une touche d’ironie dans le fait que Barbara commence des cours d’escrime à la fin de sa relation avec Claude? Toujours est-il que le conflit entre eux, avec le dialogue, s’est éteint. Et l’on n’a pas assisté à une résolution du conflit par le dialogue. On a plutôt ce qu’on pourrait appeler une virtualisation du conflit élaborée au cours des derniers monologues et déjà amorcée au cours du dernier dialogue. Par virtualisation, nous entendons un effort de remontée vers un problème qui transcende les cas particuliers de « solution »14. Barbara passe du « laisser-aller » et du « pessimisme » de Claude à « l’impossibilité d’être pessimiste dans ce monde ». Elle se sent « divisée entre les émotions, les sentiments et l’idée de ce qui est correct ». Quant à Claude il transforme « son attachement […] pour Barbara » en « symbole d’une transition ». Déjà au cours du dernier dialogue, il analysait leur relation en des termes qui dépassaient de loin leurs individualités. Et cette virtualisation ne coïncidait en rien avec une résolution du conflit par le dialogue.
- Arrivé à un moment dans ta vie, et surtout si tu es nationaliste comme moi je peux l’être, tu te rends compte que si tu ne fais pas un choix à un moment précis, mais vraiment précis, et si ce moment-là est tout près, tout près d’arriver, et si t’agis pas, ça va être final pour toi, tu pourras jamais agir.
- Mais quand je vois le moment, je vais te croire.
- Il y a une chose qui m’a attaché à toi à un certain moment, j’ai cru qu’à cause de ta nationalité tu serais peut-être sensible à nos problèmes, sensibles à nos désirs, mais il se passe un phénomène, c’est que tu passes à côté, hein, comme ça, tu vois rien… rien, rien, rien, rien… absolument rien.
- C’est ton opinion!
- Ben si!
- À mon avis, tu ne vois rien.
- Barbara, dans son…
- Tu es comme un aveugle.
- Dans deux ans, va, on verra.
- Quelque chose de vague encore. (66’’02–67’’08)
Masculin féminin s’achève aussi sur un conflit irrésolu mais virtualisé. Les derniers discours sont à la frontière entre monologue et dialogue: ce sont des dépositions au commissariat de police. On y apprend que Paul est mort, en tombant d’un immeuble, en toute apparence accidentellement, à la suite d’un conflit entre lui et Madeleine, au cours duquel Paul refusait que Madeleine vienne habiter avec lui dans cet appartement dont il venait d’hériter. Même après sa mort, le conflit entre lui et Madeleine n’est toujours pas résolu, puisqu’il « habite » Madeleine, qui est enceinte et ne sait pas si elle veut avoir l’enfant.
- Votre camarade, Mlle Elizabeth Choquet, a dit que vous étiez enceinte ; qu’est-ce que vous allez faire ?
- Je sais pas, j’hésite. Je sais pas, Elizabeth m’a parlé de tringles de rideau. J’hésite. J’hésite. (103’’22–104’’09)
Suit un panneau noir avec inscrit en blanc « FEMININ », qui se transforme en « FIN » à la suite de la détonation d’un pistolet. On en revient donc au problème éternel de l’opposition annoncée par le titre du film. On remonte du cas individuel au problème abstrait. Mais similairement à ce qui se passe dans Le Chat dans le sac, la réflexion a également dépassé ce problème du conflit entre les sexes ou les genres. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à entendre la fin du dernier monologue de Paul, intervenant juste avant ces dépositions (et la nouvelle de sa disparition).
De janvier à mars, je continuais à poser des questions aux Français pour le compte de l’IFOP. Pourquoi les aspirateurs se vendent mal? Est-ce que vous aimez le fromage en tube? Est-ce que vous lisez beaucoup? Un cadre, qu’est-ce que c’est? La poésie, ça vous intéresse? Et les sports d’hiver? Que pensez-vous des robes courtes? Quand vous voyez un accident, qu’est-ce que vous faites? Si votre fiancée vous plaquait pour un Noir, est-ce que ça vous serait égal? Vous savez qu’il y a la famine aux Indes? Est-ce que vous savez ce que c’est, un communiste? Pour ne pas avoir d’enfant, vous aimez mieux avaler des pilules ou vous mettre un truc dans le sexe? Où habitez-vous? Vous gagnez combien par mois? Pourquoi est-ce que les femmes du monde sont plus souvent frigides que les ouvrières? Vous savez qu’il y a la guerre entre les Irakiens et les Kurdes? Peu à peu, au cours de ces trois mois, je m’aperçus que ces questions, souvent, loin de refléter une mentalité collective, la trahissaient et la déformaient. À mon manque d’objectivité, même inconscient, correspondait en effet, la plupart du temps, un inévitable défaut de sincérité chez ceux que j’interrogeais. Sans le savoir, je les trompais donc peut-être et j’étais trompé par eux. Pourquoi? Parce que, sans doute, les enquêtes et les sondages oublient vite leur vraie mission, qui est l’observation du comportement, et partent, à la place, insidieusement, à la recherche d’un jugement de valeur. Je découvris ainsi que toutes les questions que je posais à n’importe quel Français traduisaient en fait une idéologie qui ne correspondait pas aux mœurs actuelles, mais à celles d’hier, du passé. Il me fallait donc rester vigilant. Et quelques notions, récoltées au hasard, me servirent de points de repère: « Un philosophe est un homme qui oppose sa conscience à l’opinion. »; « Être une conscience, c’est être ouvert au monde. »; « Être fidèle, c’est faire comme si le temps n’existait pas. » [Paul disparaît. À nouveau des images de rues de Paris où les gens circulent.] « La sagesse, ce serait si on pouvait voir la vie, vraiment voir. Ce serait ça la sagesse. » (109’’30–111’’30)15
Au moment où sa voix (acousmatisée) se met à énoncer les citations existentialistes, Paul apparaît à l’image, seul dans un café, pensif, esquissant un geste qui donne à croire qu’il écrit ses pensées, comme dans la toute première scène du film – il est d’ailleurs dans le même café, à la même place, habillé pareillement, on peut observer le même épi dans ses cheveux: c’est donc que Godard a utilisé au montage les mêmes prises, faisant rimer les scènes de début et de (presque) fin, instillant une différence dans la répétition – différence rendue notamment sensible par l’acousmatisation de la voix. Dans un même mouvement, le personnage se spiritualise et se désocialise, ou plus exactement se déprend d’un langage socialement déterminé, se préserve d’un type d’effectuation de la parole qui limite et contraint la pensée. Déjà dans le premier monologue, la lecture à voix haute manifestait un travail de désautomatisation de la diction – travail comparable à celui que, plus tard dans le film (73’’28–75’’10), Antoine Bourseiller demande à Brigitte Bardot d’opérer sur le texte qu’elle doit dire pour un film – et sa voix est à son tour désacousmatisée dès qu’elle quitte l’interlocution et se met à énoncer ce texte – ; sons et images sont alors tressés, mis en dialogue, donnés à penser dans leur hétérologie.
Les deux films sont ainsi construits dans la perspective d’une remise en question de la croyance naïve aux vertus du dialogue. Leurs conclusions sont quelque peu inattendues pour des œuvres apparemment élaborées sur le principe du dialogue; la virtualisation du conflit à laquelle elles aboutissent est cependant loin d’être une fin en queue de poisson – proposée à défaut d’avoir su apporter la solution qui convenait pour résoudre les conflits.
Le caractère polyphonique de ces œuvres l’atteste. Masculin féminin est nettement plus polyphonique que Le Chat dans le sac, qui serait plutôt biphonique. La prédominance du dialogue entre Barbara et Claude peut laisser en mémoire un dialogue à deux voix, alors que dans Masculin féminin nombreuses sont les scènes à trois voix ou plus, et les duos sont plus variés. De plus, Paul et Madeleine n’y sont pas les seuls personnages à être transformés en acousmêtres (voir Chion) – c’est aussi le cas de Catherine, d’Elizabeth et de Robert. Dans Le Chat dans le sac, il est vrai que le dialogue entre les protagonistes occupe une part impressionnante de la durée du film; mais comment expliquer la présence des trois longs dialogues entre Claude et les dirigeants d’entreprise si le sujet du film était simplement l’histoire d’amour entre Claude et Barbara? Ces trois dialogues pointent en effet vers un problème différent: la société capitaliste et son effet sur les consciences (ou ce que certains appellent les processus de subjectivation, qui incluent les assujettissements)16.
- [Le dirigeant de la revue:] C’est normal là, regarde : à qui appartiennent les revues en question? Ça appartient au gros capital, si tu veux, à des gens qui ont des paquets de fric. Alors il est bien entendu qu’ils sont pas tellement intéressés à nos idées. La solution évidemment, c’est de se débrouiller tout seul. Seulement évidemment ça payera pas…
- [Claude:]… faut aussi un gagne-pain, à un certain moment j’ai besoin de…
- Bien entendu ça payera pas. Mais ce que tu peux savoir d’avance c’est que ça sert absolument rien d’essayer de faire coïncider ce que tu penses, l’expression de toi-même puis ton gagne-pain. On est dans une société où justement y a pas moyen de gagner sa vie en étant soi-même, dans une société qui te transforme, qui t’impose des règles extérieures. Tout ce qu’il y a à faire, c’est de jouer le jeu, puis de tricher en même temps. […] (35’’25–36’’10)
Le dialogue est par moment acousmatisé, l’on voit l’atelier de production de la revue avec ses machines en action; la scène se termine même par un silence des voix qui font place au bruit (in) d’une machine tirant la revue sur papier. C’est moins violent que Godard introduisant l’interview de Miss 19 ans avec un panneau où est écrit : « Dialogue avec un produit de consommation » (57’’50); mais c’est peut-être tout aussi efficace, et assurément dans le même ordre d’idées: celui d’une critique de l’hétéronomie. Comme nous l’avons vu, dans le film de Groulx le personnage féminin se défend d’être un sujet social hétéronome, alors que les personnages féminins du film de Godard ont tendance à se complaire dans leur habitus de taupe – à l’exception toutefois du personnage de Catherine-Isabelle (jouée par Catherine-Isabelle Duport), qui cultive ses propres goûts, interroge le sens commun, et se défend à coup de « cela ne vous regarde pas ».
Cette critique de l’hétéronomie est ainsi le pendant d’une inquiétude quant à la possibilité d’une parole autre dans des sociétés où la liberté d’expression est restreinte par ces hétéronomies, consciente et inconsciente. Les rapports de couple apparaissent comme des dramatisations non seulement du rapport entre les genres, mais également entre les cultures au sein d’une société. L’hétérogénéité dans le rapport hétérosexuel n’est que le point de départ de questionnements sur la place que peuvent occuper ou se faire des discours hétérogènes dans la société. Quelle place se font-ils les uns aux autres? Quelle place telle société leur fait-elle? Comment peuvent-ils ou pourraient-ils y apporter leurs contributions? Sont-ils condamnés à s’exiler, à rester intérieurs ou confidentiels? Quels effets les discours autres ont-ils sur ceux qui se conforment aux normes? Quelle importance accorder à sa propre différence? Quel espace lui donner? Quels stratagèmes, plus ou moins conscients, faut-il adopter ou créer? Les deux cinéastes sont partis de dialogues défectueux ou viciés pour remonter vers une critique des conditions de vie des individus dans leur société, et envisager ce que seraient les conditions de possibilité d’une société où les individus peuvent développer et exprimer leur singularité.
Bibliographie
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ZBINDEN, Karine, « Mikhaïl Bakhtine et le Formalisme russe: une reconstitution de la théorie du discours romanesque », Cahiers de l’ILSL, no 14, 2003, p. 342.
Notice biographique
Antoine Constantin Caille est Professeur assistant invité au Collège de William et Mary dans le département de Langues et littératures modernes. Il a obtenu un doctorat en études francophones à l’Université de Louisiane à Lafayette en 2015, puis a enseigné dans le département de Langues modernes de l’Institut de Technologie de Géorgie pendant deux ans. Ses travaux portent sur la théorie critique, la littérature de langue française, le cinéma et les arts visuels. Ses articles ont paru dans différentes revues scientifiques. Il travaille actuellement sur un projet de livre dans le champ des études intermédiales.
- Voir ou écouter « Des espaces autres/Les hétérotopies ».↩
- Sur la traduction de ces termes et leur différence, voir Zbinden : « Raznojazyčie désigne l’hétérogénéité des langues naturelles, tandis que raznorečie désigne la stratification interne d’un langage donné. » (p. 342)↩
- Jazzer est un néologisme en cours d’acception. Wikitionary en propose une définition qui nous convient: « Donner une allure de jazz à une musique ou à un style en fusionnant cette musique ou ce style avec le jazz. »; mais que nous compléterions par: « Utiliser des procédés compositionnels qui opèrent par variations sur un thème et permettent d’incorporer l’improvisation. ». Sur l’utilisation du jazz dans le film, voir le bel article d’Eric Fillion « Jazz et transcendance selon Gilles Groulx ».↩
- Voir par exemple Morin, p. 271–281.↩
- Cet entre sera explicitement thématisé dans un autre film de Groulx, Entre tu et vous (Gilles Groulx, 1969), qui propose également une problématisation explicite du dialogue.↩
- Dans La Voix au cinéma, Chion définit la désacousmatisation par « le simple fait de finir par montrer celui qui parle » (p. 35).↩
- Comme le rappelle Bakhtine, ici à travers les mots de Todorov, le monologue ne s’oppose pas nécessairement au dialogue puisqu’il peut l’incorporer : « Dialogique et monologique. Naturellement le premier terme qu’il vient à l’esprit d’opposer à « dialogue » c’est « monologue ». Mais […] Bakhtine emploie « dialogique » et « dialogisme » dans un sens très large, selon lequel le monologue est également dialogique (c’est-à-dire, qui possède une dimension intertextuelle). » (p. 99)↩
- Voir en particulier le dialogue avec le dirigeant du journal (joué par Jean‑V. Dufresne), derrière lequel la photo de Johanne Harelle tirée d’A tout prendre (Claude Jutra, 1963) semble, par son sourire impertinent, se moquer de lui. Ce dirigeant ne manque pourtant pas de perspicacité, en commençant son discours par ce diagnostic: « Le problème qui se pose, c’est celui d’accepter le fait de travailler avec des gens que tu peux considérer comme… impurs. » Mais son discours paternaliste et prétendument réaliste écrase la subjectivité de Claude, ne lui laisse aucun espace de créativité. Ce n’est qu’une fois la scène terminée et en voix-off que Claude en conclut: « On trouve normal de taire ses propres aspirations. On maintient le statu quo. » (14’’40–18’’10)↩
- Pour une lecture différente de la relation entre Godard et Groulx, voir l’article d’Alain Bergala, « Godard/Groulx: quel partage de cinéma? Le Chat dans le sac comme film-charnière ».↩
- Voir le Glossaire de Chion: « Il y a tressage des éléments sonores entre eux ou d’un élément sonore de nature verbale, musicale, etc…, avec tout ou partie de l’image quand il y a réponse entre l’un et l’autre, transfert, impression que l’un est continué et relayé (même sous forme de démenti) par l’autre […] ».↩
- Comme l’écrit David Biale commentant la conception du langage de Benjamin: « L’étincelle magique est perdue quand le langage devient un instrument purement conventionnel de communication humaine, mais à chaque génération l’homme a la capacité de retrouver la créativité édénique dans le langage. » (p. 224)↩
- Voir par exemple Jacques Derrida, Béliers. Le dialogue ininterrompu: entre deux infinis, le poème.↩
- On sait que Groulx tenait Brecht en grande estime. La référence est loin d’être simplement décorative. Voir notamment Propos sur la scénarisation, où une phrase (« Sous la règle, découvrez l’abus. ») de Brecht est citée deux fois et conclut l’article.↩
- Voir Gilles Deleuze, Différence et répétition, p. 218, ou Pierre Lévy, Qu’est-ce que la virtualisation?: http://hypermedia.univ-paris8.fr/pierre/virtuel/virt1.htm↩
- Ces réflexions entrent curieusement en écho avec des idées énoncées par Groulx dans ses Propos sur la scénarisation: « Les producteurs aiment-ils le cinéma? Les producteurs ont-ils des buts communs avec les cinéastes? Ne voit-on plus le cinéma comme une aventure, comme une exposition de la vie, comme un moyen encore tout nouveau d’exploration de la pensée, comme une interrogation constante? D’où viennent les idées justes? » (p. 4).↩
- Voir notamment Gilles Deleuze, Pourparlers, p. 129–162; Félix Guattari, Les Trois Écologies; Judith Revel, Vocabulaire de Michel Foucault, p. 60–62; Michèle Bertrand, « Qu’est-ce que la subjectivation? ».↩