Sarah Gauthier
Le 4 mars 2020, j’assiste à la soirée d’ouverture du Festival Filministes au Théâtre Plaza. Celle-ci se déroule sur le territoire non cédé Kanien’ehá:ka,comme le soulignent les organisatrices de l’événement. Au programme : projection du court-métrage Katatjatuuk Kangirsumi (2018) de Eva Kaukai et Manon Chamberland, suivi de celle du film Rustic Oracle (2019), puis d’une discussion avec Émilie Monnet, Annie O’bomsawin Bégin et la réalisatrice Sonia Bonspille Boileau, animée par Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo. Elles parlent d’injustices, de disparitions, de déni, mais aussi de lumière, de guérison et de changements. Quelques mois plus tard, toujours habitée par leurs échanges, j’invite Sonia à poursuivre la conversation. Soumises aux restrictions en lien avec la COVID-19, nous nous installons face à nos écrans, chacune chez nous. Nous revenons sur son parcours de réalisatrice, de productrice et de scénariste ainsi que sur son expérience en tant que femme autochtone dans l’industrie cinématographique.
Sarah Gauthier : Pouvez-vous me parler de votre maison de production, Nish Media ? Est-ce que les artistes et travailleur·se·s qui y évoluent viennent principalement de communautés autochtones et produisent du contenu autochtone ?
Sonia Bonspille Boileau : Oui, principalement. C’est notre maison de production à mon conjoint Jason Brennan et moi. Nous faisons surtout de la télévision, c’est notre gagne-pain. Beaucoup pour APTN (Aboriginal Peoples Television Network 1), mais de plus en plus pour différents diffuseurs. Il y a plusieurs années, nous ressentions un rejet des projets à contenu autochtone chez les diffuseurs. On nous conseillait d’aller directement vers le diffuseur autochtone, mais les histoires que nous voulions raconter, nous voulions les présenter au grand public. Nous ne voulions pas les amener à un auditoire qui connaissait déjà le contexte. Il y a une belle ouverture maintenant qu’il n’y avait pas avant. C’est notre mission depuis 15 ans. Jason vient de Kitigan Zibi (Anishnabeg), qui est une communauté algonquienne à côté de Maniwaki, à deux heures au nord de Gatineau. Je viens de Kanesatake, c’est pour cela que nous nous sommes établi·e·s à Gatineau, entre les deux communautés. Au départ, nous faisions beaucoup de ce que nous appelons de la « télévision positive », c’est-à-dire beaucoup d’émissions jeunesse, d’émissions qui mettent en valeur les communautés, mais aussi les jeunes. Nous avions la volonté de pousser plus loin, justement pour venir un peu contrer les images négatives des Premières Nations qu’on nous présentait à la télévision et ailleurs.
SG : Dans votre premier long-métrage Le dep (2015 2), votre court-métrage We’ll Always Have Toynbee (2018 3) et votre dernier film Rustic Oracle (2019 4), l’attention est portée de très près à l’individu et à la cellule familiale et communautaire. J’ai eu l’impression, en visionnant vos œuvres, que l’accent est mis sur des micro-histoires, qui ont un aspect très personnel, mais qui en fait renferment des réalités multiples, plus grandes et plus communes. Est-ce que c’est une approche réfléchie ? Pensez-vous que les spectateur·rice·s se sentent plus interpellé·e·s par cette méthode ?
SBB : Définitivement. En fait, je suis même flattée que tu aies relevé cela. C’est effectivement vraiment voulu. Ce l’était peut-être moins avec Le dep, où j’ai plutôt suivi mon cœur. J’avais envie de créer le personnage de Lydia comme je l’imaginais. Je venais de terminer une série pour APTN qui par- lait beaucoup de l’image de la femme autochtone dans les médias et j’ai pris conscience qu’il n’y avait pas beaucoup de personnages de femmes autochtones forts. Ça allait à l’encontre de ce que je voyais en grandissant. Je viens d’une nation matriarcale et d’une communauté où les femmes sont au front dans les revendications. L’image des femmes, de ce que je pouvais voir à la télévision ou dans le cinéma, ne fonctionnait pas dans ma tête ; elle était en opposition avec ce que je connaissais. À la base, je voulais que Le dep parte d’un personnage féminin fort. C’était un film vraiment instinctif. Quand Le dep est sorti et qu’il a commencé à aller dans les festivals internationaux, j’ai eu vraiment peur. Je me demandais, par exemple en République Tchèque, ce qu’un auditoire international pourrait comprendre de cette histoire-là. Finalement, ce que j’ai adoré, c’est de recevoir énormément de questions à la fin du film, mais aussi des commentaires de gens qui disaient s’être reconnus dans le personnage ou dans les problèmes du noyau familial, disant avoir vécu quelque chose de similaire. Puis, par la bande, les gens s’étonnaient des problèmes qui existaient dans les communautés autochtones. Le film arrivait à faire deux choses : toucher les gens, puisqu’ils parvenaient à s’identifier au personnage et, en même temps, transmettre les messages que je voulais faire passer. J’ai compris à ce moment-là que la fiction était vraiment plus forte que le documentaire. J’ai l’impression qu’avec ce genre cinématographique, l’auditoire est déjà au courant, en général, du sujet abordé, parce que c’est ce qui donne envie de regarder le film. Mes documentaires s’adressent à des gens déjà ouverts aux sujets, alors que Le dep rejoint davantage Monsieur et Madame tout le monde, des gens qui peuvent avoir envie d’un suspense policier et qui ne savent pas du tout que cela se déroule dans un contexte autochtone. Ils regardent le film, se font prendre au ventre par les émotions et, finalement, les messages passent subtilement. À la fin des projections internationales, j’ai compris ce que je voulais faire : de la fiction. Cela a été le point de départ pour créer We’ll Always Have Toynbee, mais surtout Rustic Oracle, parce que je pense qu’il y a eu une belle prise de conscience dans les dernières années vis-à-vis des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées. Il était temps, les statistiques sont troublantes. Avec la Commission et tout cela, j’avais l’impression que c’était devenu un sujet presque politique, un gros sujet social, et que nous avions perdu la notion d’individu 5. Nous parlions de femmes et de filles assassinées. Nous parlions de mères qui avaient perdu leurs enfants. C’est cela qui me brise le cœur, ce sont des familles brisées à vie. Nous avions perdu l’humanité dans le débat.
SG : Votre travail a donc pris un tournant avec Le dep, quand vous avez vu à quel point la fiction rejoignait les gens tout en vous permettant de parler des enjeux autochtones. Retourneriez-vous au documentaire ou pensez-vous rester dans la fiction ?
SBB : Je pense que je retournerais vers le documentaire, mais pas vers le documentaire d’exploration identitaire. J’ai l’impression d’avoir fait le tour. J’ai réalisé Last Call Indien (2010 6) et The Oka Legacy (2015 7). C’était vraiment cathartique. Je l’ai fait pour moi, je grattais mes « bobos » familiaux. Toutefois, j’en réalise encore pour la télévision, puisque c’est notre gagne- pain principal. Nish Media a quelques séries, dont une sur les tatouages autochtones à travers le monde. Je trouve ça beau, j’aime rencontrer des gens. J’aime ce sentiment que procure le documentaire quand je vais à la découverte de nouveaux mondes. J’adore monter le documentaire. Je peux créer des univers plus éclatés que ce qui a été filmé, tandis que, quand je travaille la fiction, je me fie davantage à un scénario. Cela dit, après Le dep et Rustic Oracle, j’ai le cœur un peu lourd.
SG : Je comprends. Je ne sais pas si vous ressentez ça, mais j’ai l’impression que ça tombe sur vos épaules et sur celles des femmes autochtones de parler des enjeux qui affectent les Premières Nations. J’imagine que ça devient épuisant.
SBB : Oui. C’est épuisant, durant et même après les projections. Je ne m’y attendais pas, pourtant j’aurais dû y penser. À la première mondiale de Rustic Oracle, qui était à Vancouver, j’étais tellement heureuse de montrer le film que j’avais oublié à quel point il pouvait avoir un impact négatif. À la fin, j’ai reçu le Q&A comme un méga coup de masse. Je suis sortie de là en larmes, le cœur en mille miettes, et c’est là que je me suis dit qu’il faudrait que je m’arme, que je fasse du yoga, que je médite avant les projections et que j’arrive forte, parce que tu reçois des histoires, des douleurs, des peines dans ces événements et je ne m’étais pas préparée à ça. Avec Le dep, même si c’est touchant, il n’y a pas vraiment de statistiques tangibles associées au film. C’est une histoire familiale, c’est très fictif. Rustic Oracle est un peu plus ancré dans une réalité que plusieurs gens ont vécue. Il y a beaucoup de femmes autochtones disparues et assassinées qui viennent de Vancouver, alors, pour certain·e·s, le visionnement était très difficile. Après la première, nous avons pris la décision d’espacer nos projections. Le film aurait pu avoir une plus grande vie de festival. Il y a aussi eu des projections auxquelles j’ai choisi de ne pas assister. Émotivement, je ne pouvais pas être disponible à une fréquence aussi élevée.
SG : La profondeur des enjeux abordés dans vos films se perçoit, selon mon expérience de visionnement, dans l’importance accordée aux détails. Dans Rustic Oracle, il y a par exemple une scène où Ivy est surprise, car sa mère lui permet de boire l’eau du robinet au motel où elles séjournent hors de leur communauté. Cet instant simple et l’étonnement naïf d’Ivy expriment tout en douceur une problématique bien plus grande : le manque d’eau potable dans plusieurs communautés autochtones à travers le Canada. Le film est parsemé de sous-entendus et de références que seul·e un·e spectateur·rice attentif·ve peut saisir, mais qui font du film un film politique et engagé. Est-ce que, dès l’écriture du scénario, vous aviez l’intention de dénoncer ou d’exposer les problèmes existant dans les communautés autochtones ? Est-ce que la subtilité de ces éléments renforcent leur impact, car elle laisse le travail d’interprétation aux spectateur·rice·s tout en allant chercher leur sensibilité ?
SBB : C’est exactement ça. Je ne voulais pas faire un film politique. Je ne voulais pas exposer à grands coups de pinceau tous les problèmes qui existent, mais quand je vois une occasion de placer un petit morceau comme celui dans le motel, je la prends. J’ai une amie qui, pendant la crise d’Oka de 1990, a dû quitter la communauté parce qu’elle habitait derrière les barricades. Elle est allée habiter dans un motel et elle trouvait impressionnant d’avoir accès à de l’eau potable. Alors oui, tout est pensé. Un autre exemple serait l’animosité, la tension montrées quand le policier fait son entrevue avec la mère et qu’il lui demande si elle boit. Il y a un jugement bien présent. Je ne voulais pas insister là-dessus, mais j’ai donné aux spectateur·rice·s le contexte de la situation. Je leur ai montré ce qui arrive réellement aux autochtones en général, et surtout aux femmes. Dès qu’il arrive quelque chose à leurs enfants, c’est le jugement qui est porté. De plus, à Kanesatake, il y a vraiment un bris de confiance entre les policier·ère·s et les membres de la communauté. Mon intention était de donner le sous-texte aux comédien·ne·s et de laisser leur interprétation parler d’elle-même. J’ai mis plusieurs détails comme ceux-là, effectivement, un peu partout. C’est important puisque c’est la réalité, surtout en cette période et dans ce lieu. En même temps, dans un film d’une heure et 45 minutes, je ne pouvais pas exposer tous les problèmes qui existent.
SG : Rustic Oracle, sorti en 2019, abordait des problèmes toujours actuels et complexes. Pourquoi était-ce important pour vous de placer l’intrigue en 1996 ?
SBB : Le film a failli ne pas avoir lieu en 1996, parce que ça coûte plus cher de reproduire une époque passée. Ma directrice de production n’était pas certaine que nous allions y arriver, mais moi, j’insistais, et ce, pour deux raisons. Premièrement, avant les réseaux sociaux, c’était vraiment difficile pour les mères, je dis les mères parce que c’étaient surtout elles, mais les pères aussi, de communiquer la disparition de leur enfant aux autres. Iels étaient souvent limité·e·s à la communauté. Quand les instances sociales comme la police et les municipalités avoisinantes ne sont pas intéressées à t’appuyer, il n’y a que toi qui puisses aller, physiquement, faire ta propre enquête et par- tager le message. C’était la grosse différence entre 2020 et les années 1990 : nous n’avions pas Facebook. La notion de problème national n’était pas tout à fait comprise. Deuxièmement, je voulais montrer qu’Ivy s’en sortirait ; que, malgré la disparition de sa sœur, elle allait devenir mère, puisque les valeurs de sa mère, de sa grand-mère et de sa sœur étaient en elle et dans sa fille. Je n’avais pas le goût de les envoyer dans le futur pour la montrer mère, vieillie. Je ne voulais pas tomber dans la science-fiction. Donc, pour montrer qu’aujourd’hui Ivy est maman, une bonne maman, même si ses craintes existent encore, il fallait que l’histoire se situe dans le passé.
SG : Comment le film dialogue-t-il avec notre époque et comment participe-t-il à représenter une réalité autochtone malgré le décalage des années ?
SBB : En fait, une des raisons pour lesquelles ma productrice déléguée disait que j’aurais pu placer le film aujourd’hui, c’est qu’il s’agit de la même réalité. Elle avait raison. Les chiffres sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées n’ont pas baissé. Au contraire, ils ont augmenté. Il y a encore plus d’histoires comme celles d’Ivy et d’Heather aujourd’hui qu’il n’y en avait dans les années 1990. Je pense qu’il y a plusieurs choses qui lient le film à l’époque actuelle. À la fin de l’une des projections, je me suis fait poser cette question-là et une madame a levé sa main, a dit ne pas s’être rendu compte que le film se déroulait dans les années 1990. Dans sa tête, elle se disait que ça pouvait totalement arriver aujourd’hui. Le rapport avec les policier·ère·s est aussi le même : on a toujours le sentiment d’être abandonné·e de tous bords tous côtés, de ne pas avoir de réponses. Le recrutement pour le trafic humain chez les adolescentes autochtones existe encore. Je nomme des routes du tra- fic humain dans le film, subtilement. Vers la fin, on parle de Thunder Bay. Cette route de trafic est encore très utilisée aujourd’hui. Donc, il y a beaucoup de choses qui sont contemporaines. D’ailleurs, nous nous sommes permis·e·s de briser la barrière du temps en montrant les affiches des enfants disparus.Nous avons travaillé en partenariat avec Réseau Enfants-Retour8. En 2008, dans la communauté de mon conjoint, deux adolescentes ont disparu : Maisy Odjick et Shannon Alexander. Elles n’ont toujours pas été retrouvées. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu faire le film. J’ai été témoin de l’ampleur de la douleur vécue par la communauté. Ce qui m’a particulièrement ébranlée, c’est de penser que Maisy et Shannon étaient entourées de frères, de sœurs, de cousins et de cousines. Je me demandais comment des enfants pouvaient vivre ce genre de drame. De là l’objectif de présenter le film à travers les yeux d’Ivy, la jeune sœur d’Heather. J’ai aussi vu à quel point c’était difficile, les premières semaines, de faire avancer la situation. Laurie Odjick, la mère de Maisy, avait accès aux réseaux sociaux en 2008. La première semaine après la disparition des deux adolescentes, elle a tenu une conférence de presse où elle a invité différents médias nationaux. Seuls APTN et le journal de Maniwaki se sont présentés. Personne d’autre. Il y avait un désintérêt total. Bref, les enjeux sont encore les mêmes, peu importe l’année.
SG : Avez-vous l’impression que les médias sélectionnent, encore aujourd’hui, les histoires qu’ils vont montrer et qu’ils évacuent dans le processus celles qui devraient être partagées ? Est-ce qu’il y a eu une amélioration de la diffusion des faits dans les dernières années ?
SBB : Ça dépend de quel média on parle. J’ai l’impression qu’en ce moment, dans l’actualité, tout est plus polarisé. Les médias naturellement plus de gauche ont vraiment une meilleure propension à relater les faits. Je pense à Radio-Canada et à CBC, qui ont créé des plateformes comme « l’espace autochtone ». Même avant la création de ces plateformes, ces médias étaient déjà plus ouverts à présenter les faits, tout simplement. D’autres, que je ne nommerai pas, utilisent un langage stratégique infondé qui retourne les événements et les faits pour qu’ils apparaissent sous un autre angle, biaisés. Les mots utilisés sont souvent très péjoratifs et non représentatifs des situations réelles. Je pense que les médias plus ouverts font un meilleur travail de présentation des faits et d’ouverture à un point de vue un peu moins colonialiste et plus autochtone. Malheureusement, je trouve que l’inverse est aussi vrai et que les autres médias sont encore plus extrêmes qu’ils ne l’étaient avant.
SG : Je pense que c’est difficile parfois pour les médias de se retirer et de laisser la place aux autres communautés pour qu’elles se racontent. Est-ce que vous sentez un changement dans cette dynamique ?
SBB : Oui, on constate de gros changements dans les dernières années. Il y a plusieurs années, j’ai voulu faire un documentaire sur les femmes autochtones disparues et assassinées et je ne voulais pas le faire pour APTN, le diffuseur autochtone. Nous connaissions les chiffres concernant les disparitions. Je ne voulais pas le faire pour un auditoire qui connaissait déjà cet enjeu, je voulais le faire pour Radio-Canada ou RDI. À l’époque, je me suis fait dire deux choses blessantes. Un, que c’était du matériel pour APTN ; deux, que ça n’attirerait pas les cotes d’écoute auxquelles ces médias étaient habitués. Heureusement, les choses ont évolué. Kim O’Bomsawin est arrivée au bon moment avec son documentaire Ce silence qui tue (2018)9. Parallèlement à ça, il y a eu un gros mouvement de la part des créateur·rice·s autochtones dans le Canada anglais. Iels ont vraiment travaillé avec les bailleurs de fonds principaux, Téléfilm, le Fonds des médias du Canada, l’Office national du Film, Radio-Canada et CBC, pour faire comprendre que nous sommes tanné·e·s de voir du contenu autochtone écrit, réalisé et produit par des non autochtones et que ça venait complètement falsifier notre image à l’écran. Non seulement cela nuit à notre image, mais en plus ça nous enlève la possibilité de raconter nos histoires et de travailler dans le milieu. En tant que personnes autochtones, si nous ne sommes pas engagé·e·s pour raconter nos histoires, penses-tu que nous serons engagé·e·s comme comédien·ne·s ? Non. Heureusement, il y a des têtes de bailleurs de fonds qui ont changé durant cette période-là. Je ne sais pas si c’est une belle coïncidence, mais nous sommes désormais entouré·e·s de plus de femmes. Il y a une plus grande ouverture et une prise de conscience plus claire.
SG : Je ne crois pas que ça soit une coïncidence. C’est un changement nécessaire.
SBB : Effectivement. Tranquillement, des outils ont été mis en place pour encourager et promouvoir les artisan·e·s autochtones. D’ailleurs, Le dep a été déposé dans le programme de micro-budget qui a été créé par Carolle Brabant. Nous avons insisté pour que dans tous les projets financés, les organismes subventionnaires fassent au moins une place à des créateur·rice·s autochtones. J’ai été chanceuse, cette année-là, c’est notre projet qui a été choisi.
SG : Le film Rustic Oracle se déroule à travers les yeux d’Ivy, âgée de huit ans. Bien qu’elle suive sa mère dans sa quête pour retrouver sa sœur, elle est exclue des conversations entre adultes, tant celles avec les autorités que celles avec la travailleuse sociale. J’ai l’impression que son statut d’enfant la place dans une dualité entre comprendre et ne pas comprendre. Ivy comprend l’intensité de la situation et le danger dans lequel sa sœur se trouve, sans vraiment saisir l’ampleur de ce que ce danger implique. Est-il possible de faire un parallèle entre la situation d’Ivy, son exclusion des conversations sérieuses et des prises de décision importantes, et la position des communautés autochtones dans la politique actuelle et passée ? Au Québec, en 2020, est-ce que les voix des autochtones, particulièrement celles des femmes, sont plus entendues, écoutées ?
SBB : Je trouve ton interprétation magnifique parce que c’est vrai. C’est vrai que nous infantilisons les femmes autochtones. En fait, les femmes en général, mais davantage les femmes autochtones. Ce parallèle n’était pas voulu, c’était peut-être un effet subconscient. J’étais vraiment concentrée sur l’enfant, sur le moment de l’enfance. J’ai trois enfants. Celle du milieu avait l’âge d’Ivy quand j’écrivais le scénario et je l’observais quand il y avait des conversations sérieuses entre adultes dans une maison. Comment elle réagissait. Elle avait l’âge d’écouter, mais pas de comprendre. Il y a une grosse différence entre les deux. L’enfant ne peut pas saisir l’ampleur de ce qui est discuté. Je trouve que cette notion-là était plus facile à écrire qu’à montrer. Je pouvais utiliser des mots dans le scénario pour que ça soit clair, tandis que, visuelle ment, ce ne l’était pas nécessairement autant. En plus, il fallait que je donne assez d’informations aux spectateur·rice·s pour qu’iels comprennent ce qui se passait et vers où on s’en allait, voire qu’iels ne comprennent pas tout à fait, qu’iels aient un sentiment de frustration face au fait d’être privé·e·s de certaines informations. La balance n’était pas facile à trouver, mais je n’avais pas perçu le magnifique parallèle avec ce que la société fait en général avec les femmes autochtones : l’infantilisation.
SG : Une scène de cauchemar revient en boucle dans le film. Ivy, en plus de vivre la disparition et la perte de Heather, a été témoin de violences et d’abus commis par son père sur sa sœur. Ces traumas refont surface dans son sommeil et lui font revivre de la violence sans qu’elle ne verbalise ces expériences. Les trois personnages féminins de cette famille semblent avoir été marqués par des abus et des violences répétées. Ils font preuve de force et de résilience, mais sont blessés profondément. Est-ce que le trauma se transmet de génération en génération, est héréditaire ? Comment la présence de violence dès un très jeune âge forme-t-elle ou influence-t-elle les femmes ?
SBB : Oui, malheureusement, je pense que, dans nos communautés, nous souffrons encore beaucoup de traumatismes intergénérationnels. Ce sont des violences sur des individus, mais aussi des violences communautaires, les effets du colonialisme sur les communautés. Si une personne subit des abus pendant plusieurs années et que, par la suite, elle ne va pas chercher les outils pour se guérir, les chances qu’elle transmette ou fasse vivre cette violence aux autres sont très élevées. Je ne voulais pas ignorer cette réalité. Toutefois, je voulais montrer que c’est possible d’en sortir, de briser le cycle. Ivy est le seul personnage qui ne vit pas directement de violence dans le film, elle en est seulement témoin. Donc, le cycle peut se briser. Susan, la mère, fait le choix de se débarrasser de l’homme violent dans sa vie pour le bien de ses enfants. C’est possible de prendre des décisions qui vont mener sur la route de la guérison. C’était quelque chose de plus commun dans les années 1990 jusqu’au début des années 2000, la volonté de se guérir dans les communautés, de se défaire de la violence et de la consommation. Je voulais montrer que Susan avait pris la décision de se défaire de la violence, de s’en éloigner pour protéger ses enfants et que ça avait porté fruit : Ivy devient à son tour une mère attentionnée qui, espérons-le, sera à l’abri de la violence, parce qu’elle ne l’aura pas vécue.
SG : Le personnage de Maxime Gibeault, Shawn, qui séduit et enlève Heather, est très peu visible. Il fait des apparitions brèves, souvent de profil, et la caméra ne s’attarde pas sur lui lorsque son corps est retrouvé. Est-ce que cet effacement de l’agresseur, du responsable, est un geste significatif pour renverser l’invisibilisation des victimes ? Celles dont la voix et le visage sont oubliés ou ignorés ? Je vois dans ce choix visuel une invitation à repenser la place des victimes dans l’espace public.
SBB : Oui, totalement. Dans le scénario, il prenait un peu plus de place. D’ailleurs, c’est quand même Maxime Gibeault. Je me sens mal, car il n’est pas là longtemps. Il a été magnifique, très gentil. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais on aurait dit que certains cadrages, certains moments faisaient que nous étions attiré·e·s vers lui et je n’aimais pas ça. Je voulais que l’on soit attiré·e·s vers ce qui, pour moi, était plus important dans le cadre. Par exemple, quand Heather est dans la chambre, seule, il était censé être là, mais je l’ai coupé ou j’ai pris la seule prise où il n’était pas là. Ce n’est pas à propos de lui, c’est à propos d’elle. Puisque c’est un comédien connu, j’avais peur que ça accentue cette idée de lui qui prend trop de place. Même chose avec Kevin Parent. C’est délicat de parler de lui en ce moment, mais bon 10. Je lui ai expliqué que, même dans les scènes où il prenait beaucoup de place, il ne serait pas au centre de la scène. Par exemple, dans le trio assis à la table dans la scène de la première conversation avec la mère, il était le personnage numéro trois. Dans ma structure, c’était à propos de Susan et de la façon dont Ivy interprétait la conversation. Il devenait l’outil pour illustrer ça. Il comprenait et était totalement d’accord avec ça. C’était la même chose pour la plupart des personnages masculins. C’était clair que ces personnages-là étaient au service de Susan et Ivy. SG : Qu’est-ce qui a motivé le choix de Kevin Parent dans le rôle du policier ? Est-ce que c’était pour aller chercher le public québécois ?
SBB : Définitivement. Quand j’ai fait Le dep, au départ, tous les personnages, incluant le policier, étaient autochtones. Finalement, Ève, qui vient de Uashat, à côté de Sept-Îles, m’a dit que, dans sa communauté, il y a avait plusieurs policier·ère·s non autochtones et que ça créait souvent des dyna- miques étranges, surtout au début quand les nouveaux et nouvelles policier·ère·s arrivaient et que c’était leur premier contrat en tant qu’agent·e. J’ai aimé l’idée de cette dynamique. Ce n’était pas le cas chez nous ; il n’y a pas de police chez nous. J’ai réécrit le scénario et je lui ai mis un copain policier blanc. Ça ajoutait une couche aux préjugés des autres, au sentiment d’appartenance à la communauté, à la vision de son père, etc. Nous avons fait des auditions pour le rôle et il y a eu quelques acteurs qui correspondaient, dont Yan England. J’hésitais entre Yan England et un autre acteur. Jason a levé sa main de producteur et nous a dit que ça serait une bonne idée de tendre quelque chose au public québécois, d’aller les chercher un peu plus. Sur le coup, mon côté artiste était insulté, je voulais le meilleur pour le film avant tout. Finalement, il avait 100 % raison. Tout d’abord, Yan a été magnifique, d’une générosité incroyable. Même, par la suite, quand il parlait publique- ment à différents événements, il parlait tout le temps du Dep, de l’importance du film. Ensuite, le jour où on a annoncé avoir Yan England dans notre film, tous les médias ont voulu venir sur le plateau. Ils sont tous venus les deux jours où Yan England était là ; ils ne seraient pas venus sinon, j’en suis sûre. La même chose est arrivée avec Rustic Oracle. Nos relationnistes de presse ont organisé une journée pour que les médias viennent sur le plateau et ils ont tous demandé si Kevin Parent serait présent. Évidemment, la relationniste leur a confirmé que oui ; elle avait prévu le coup. Au moment où nous nous sommes dit que ça prenait une vedette dans le rôle du policier, ce qui m’im- portait, c’était tout de même d’avoir quelqu’un qui était ouvert à la cause. J’avais déjà entendu Kevin parler du fait qu’il avait grandi juste à côté d’une communauté micmaque et que, puisque sa famille est anglophone, il allait à la seule école anglophone de la région, où les élèves étaient majoritairement micmacs. Bref, il comprenait les revendications des autochtones, il y adhérait et se sentait interpellé par elles. Je n’avais pas le goût d’avoir à éduquer mes acteur·rice·s. Quand on lui a demandé, il a accepté tout de suite.
SG : Les membres de votre équipe de production ainsi que vos comédien·ne·s pour Rustic Oracle provenaient de différentes communautés autochtones et du milieu québécois. Que pensez-vous que la diversité apporte dans un projet comme celui-là ? Alors que vos films servent de pont entre les deux nations, est-ce que le travail derrière la caméra permettrait de repenser la façon d’entrer en contact avec les différentes populations dans les milieux artistiques ?
SBB : Oui, je crois aux ponts. Le cinéma, les arts en général, sont les plus beaux ponts culturels. Le cinéma davantage, car il permet de vivre une expérience intense qui s’étend sur plusieurs jours. Sur un film ou sur une série télé, tu te bâtis une équipe que tu côtoies au quotidien, donc tu as la chance de vraiment tisser des liens qui, espérons-le, vont former des relations professionnelles ou des amitiés pour le reste de la vie. Je sais que ça a fonctionné dans notre cas. La mère de Lake et sa famille sont encore très amies avec un des chauffeurs et une des assistantes de production. La responsable des accessoires, qui malheureusement est décédée aujourd’hui, est allée porter des fleurs à Lake pour sa fête tellement elles étaient rendues proches. Comme je disais plus tôt, le processus de faire le film était aussi important que le film en soi. Dès le jour un, ce ton-là était clair. Nous avons commencé le tournage avec un aîné qui est venu faire une prière, nous avons fait un smudge, une cérémonie de purification par la fumée. Je leur ai expliqué que c’était la philosophie que je voulais, que nous avions la chance de créer quelque chose ensemble qui nous unissait plutôt que de nous diviser. C’est peut-être utopique, mais je pense que si nous faisions ça un peu partout dans la société, dans différents domaines, nous pourrions créer des unions qui seraient plus fortes que les divisions.
SG : C’est vous qui êtes allée chercher les gens pour travailler sur le projet, dans tous les milieux différents ?
SBB : Exactement. De plus, c’était clair pour Jason et moi que nous voulions des femmes autochtones dans chaque département. Pour raconter une histoire qui parle de femmes autochtones, avec des comédiennes qui sont des femmes autochtones, il en fallait aussi derrière la caméra. Les recherches dans le secteur caméra ont été très difficiles. Il n’y a pas encore beaucoup de gens avec assez d’expérience pour être derrière la caméra, mais c’était il y a deux ans déjà, donc j’espère que, pour nos prochains projets, ça va changer. Petite parenthèse : au début, je craignais que les unions entre technicien·ne·s et artistes soient difficiles, parce que je voulais que toute ma figuration pro- vienne de ma communauté. Je m’étais dit, si nous tournons un film dans ma communauté, je veux qu’il y ait le plus de gens possible de ma communauté qui y participent. Évidemment, ce qui leur était accessible, c’était surtout de la figuration. L’Union des artistes a été très ouverte à ça et a beaucoup aimé l’idée. Les responsables ont fait une grande dérogation pour que la plupart des figurant·e·s soient des non-professionnel·le·s. Même chose avec l’AQTIS. Nous nous sommes assis·e·s avec eux et nous leur avons fait comprendre que l’entrée dans l’association était particulièrement difficile, ce qui expliquait l’absence de membres autochtones. Nous avons voulu être une porte d’entrée pour des apprenti·e·s qui n’étaient pas encore dans l’Union, mais qui allaient peut-être pouvoir y entrer. L’Union a été très ouverte et a admis que c’était nécessaire. Il y avait une belle volonté et une belle collaboration, qui, selon moi, n’existaient pas il y a dix ans.
SG : Cette ouverture s’installe de plus en plus. C’est sûr que des projets comme le vôtre permettent de créer des liens et, une fois les liens créés, ils sont là pour rester.
SBB : Exactement. Une fois que le lien est créé, les gens impliqués n’ont plus besoin de moi. Ils peuvent travailler ensemble de leur côté. ça crée plein de petites connections un peu partout. Ça se transmet, puis on change le monde ! [Rires]
SG : Un film à la fois ! En tant que femme scénariste et réalisatrice, quels défis rencontrez-vous dans le développement de vos projets cinématographiques ?
SBB : Disons que depuis les deux ou trois dernières années, je suis beaucoup plus optimiste que je ne l’étais. Je dirais qu’avant, il y avait beaucoup de paternalisme. Quand je proposais des projets par moi-même devant des hommes, je me sentais comme la jeune femme inexpérimentée, autochtone en plus. Je me faisais tasser du revers de la main assez rapidement. Il n’y avait pas vraiment de place pour moi. Tellement que, pendant plusieurs années, c’est Jason qui faisait les pitchs, même si c’étaient mes projets. Ça passait mieux quand c’était lui.
SG : C’est un boys club.
SBB : Voilà. Encore là, ça a pris des femmes à la tête des bailleurs de fonds. Elles sont allées lutter pour la parité, ce qui a vraiment aidé. Ça ne prenait que quelques personnes pour montrer que les femmes pouvaient faire du bon contenu, pour qu’on s’en rende compte. Tant au Québec que dans la sphère autochtone nationale, il y a de très grandes créatrices de contenu. Au Québec, nous avons Anne Émond, Sophie Deraspe et d’autres. Des femmes de grand talent qui font des films extraordinaires. Du côté autochtone, la plupart des cinéastes dans le Canada anglais et français sont des femmes. À chaque année, je vais à Toronto, à ImagiNATIVE, qui est le plus grand festival d’arts et médias autochtones au monde. C’est ouvert à toutes et à tous, je t’invite vraiment à y aller, c’est super. À chaque fois, je suis impressionnée de voir la quantité d’œuvres réalisées par des femmes. Je dirais que probablement 70 % des œuvres sont faites par des femmes et ça a toujours été ainsi. Tout de même, c’est difficile d’être financée lorsqu’on est une femme. Les résultats de financement montrent que sur douze projets financés, il y a seulement deux femmes choisies, et que tous les gros budgets sont obtenus par des hommes. En ce moment, c’est l’un des principaux enjeux.
SG : Je trouve ça intéressant que vous parliez de représentation. Plus il y a de femmes qui occupent des postes décisionnels, plus il y a de diversité.
SBB : Exactement. Nous serions mieux avec plus de femmes à la tête des instances décisionnelles. Il y a tout de même du progrès. Le résultat des dernières années fait aussi en sorte que quand les bailleurs de fonds et les jurys évaluent les projets, les fiches des femmes qui appliquent les devancent. Si tu regardes le dernier Gala Québec Cinéma, il y avait plusieurs films réalisés par des femmes dans la catégorie « Meilleurs films » et « Meilleure réalisation ». Il y avait une vraie présence féminine. Donc, si ces femmes proposent de bons scénarios et qu’en plus leurs parcours prouvent que leurs films peuvent avoir du succès, c’est plus difficile de leur refuser un gros budget. Ces femmes-là ont fait leurs preuves et elles ouvrent la porte à toutes les autres femmes qui veulent réaliser des films. Plus les femmes triomphent, même à l’international, plus les chemins vont s’ouvrir pour les autres.
SG : Qu’est-ce que nous pouvons faire en tant que consommateur·rice·s de cinéma et de produits en général pour soutenir et montrer un intérêt envers les communautés et la culture autochtones ? SBB : Honnêtement, je pense que simplement louer des films de créateur·rice·s autochtones, c’est magnifique. Il y en a plein. Plus spécifiquement, si je sors du cinéma et que je pense aux communautés autochtones, si on veut, comme nous disons, « acheter local », il y a aussi la possibilité d’acheter des produits autochtones. Dans le contexte de la COVID-19, la meilleure façon de protéger les communautés autochtones, c’est de ne pas y aller. Surtout pour les communautés éloignées. Souvent, elles n’ont pas les ressources nécessaires si les gens tombent malades ou s’il y a une éclosion. La meilleure façon de les respecter et de les protéger, c’est de ne pas aller les contaminer. SG : Quelles sont les initiatives prises pour protéger les langues autochtones ?
SBB : Depuis quelques années, il y a de plus en plus d’outils pour enseigner la langue aux plus jeunes. Cet enseignement est fait en fonction de volontés politique et financière. Pour que des aîné·e·s enseignent aux jeunes, il faut qu’iels soient payé·e·s et il faut que l’enseignement se fasse par immersion complète et totale. Les gens qui prennent les cours s’engagent à les suivre de façon intensive durant quatre mois. Il faut qu’il y ait des fonds pour permettre ça et, maintenant, il y en a. Il y a deux ans, c’était l’année internationale des langues autochtones. Il y a eu un mouvement qui a mené à comprendre l’importance de les sauvegarder. C’est une grande richesse que nous avons au Canada. Je ne peux pas imaginer la perdre. C’est magnifique. Personnellement, je n’ai suivi qu’un seul module du cours, car je ne pouvais pas en faire plus, et, honnêtement, notre perception du monde change lorsqu’elle passe à travers une autre langue. Surtout une langue qui n’a pas les mêmes racines. La vision autochtone, le rapport aux choses, à l’environnement et aux autres est vrai- ment différent. Une table ne peut pas s’appeler une table, ça dépend de ton rapport à la table. C’est ce rapport qui décide du mot. Même chose pour un arbre, il peut y avoir plusieurs mots pour le désigner selon ton interaction avec l’arbre. Quand j’ai compris ça, j’étais ébahie. La philosophie autochtone est beaucoup plus circulaire que carrée ou linéaire, c’est devenu très clair pour moi en étudiant sa langue. Cette vision du monde est tellement importante, ce serait vraiment dommage de la perdre.
SG : Clairement. Heureusement qu’il y a des programmes qui financent ce genre de projets de conservation. Nous en arrivons maintenant à la dernière question de notre entretien. Quels sont vos projets à venir ? SBB : En 2021, je vais entamer ma première série dramatique. D’ici là, je vais tenir le fort à la maison et au bureau, car mon copain va réaliser son premier film à l’automne. Comme tout le monde, nous sommes à la merci de l’évolution de la situation sanitaire dans les mois à venir. Notre discussion se poursuit sur un ton plus léger jusqu’à ce qu’elle se ter- mine doucement, dans le rire et l’espoir. Sonia Bonspille Boileau marque le milieu cinématographique tant par son œuvre, qui soulève et nourrit les conversations sur les réalités autochtones, que par son éthique de travail, qui vise à reconnaître l’importance d’une présence autochtone et diversifiée dans tout le processus de création d’un film. Elle cherche à créer des ponts entre les communautés et les cultures afin de montrer la richesse qui ressort des collaborations et des échanges. J’éteins mon écran avec l’impression mainte- nant familière d’avoir vécu quelque chose de beau et de grand, sans quitter ma chambre à Montréal.
Notices biographiques
D’origine Mohawk de Kanehsatake, Sonia Bonspille Boileau est une réalisatrice et scénariste dont le travail peut être apprécié depuis plus de dix ans sur les ondes de plusieurs télédiffuseurs canadiens et internationaux. En 2015, son premier long métrage, Le dep, a fait la sélection officielle de plusieurs festivals internationaux. La même année Sonia réalise aussi un documentaire pour CBC intitulé The Oka Legacy, sur les répercussions de la crise d’Oka de 1990. Son deuxième long métrage, Rustic Oracle, est lancé en 2019. Sonia écrit et réalise ensuite Pour toi Flora, une série de six épisodes qui traite avec sensibilité de la réalité des pensionnats autochtones au Québec. Présentée en 2022, cette production est la première série dramatique autochtone diffusée à Radio-Canada. Pour toi Flora connaît actuellement une large distribution internationale. Sarah Gauthier vit à Montréal. Elle est candidate au doctorat en littératures de langue française, volet recherche-création, à l’Université de Montréal. Obsédée par les espaces habitables que l’on fuit puis réinvestit incessamment, elle s’arme de vers et de récits pour apprendre à demeurer. Elle a pour objectif de contribuer à la démocratisation de la poésie et à la faire circuler dans le quotidien comme si elle se posait tout naturellement devant des yeux inavertis.
Notes
- Aboriginal Peoples Television Network ou Réseau de télévision des peuples autochtones est le premier réseau national de télévision autochtone au monde. Son entrée en ondes est le 1er septembre 1999. » Voir « Réseau de télévision des peuples autochtones », https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_de_t%C3%A9l%C3%A9vision_des_peuples_autochtones (dernière consultation le 13 janvier 2022).
- Sonia Bonspille Boileau, Le dep (Québec : Nish Média, 2015).
- Sonia Bonspille Boileau, We’ll Always Have Toynbee (Québec : Nish Média, 2018).
- Sonia Bonspille Boileau, Rustic Oracle (Québec : Nish Média, 2019).
- Gouvernement du Canada, « Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées », document d’information, https://www.canada.ca/fr/femmes-egalite-genres/nouvelles/2019/06/document-dinformation–enquete-nationale-sur-les-femmes-et-le s‑filles-autochtones-disparues-et-assassinees.html (dernière consultation le 13 janvier 2022).
- Sonia Bonspille Boileau, Last Call Indien (Québec : Nish Média, 2010).
- Sonia Bonspille Boileau, The Oka Legacy (Québec : Rezolutions Pictures, 2019).
- Réseau Enfants-Retour est une organisation sans but lucratif ayant pour mission d’assister les parents dans la recherche de leur enfant porté disparu et de contribuer, par l’éducation du public, à la diminution des disparitions d’enfants ». Voir Réseau Enfants-Retour, « Qui sommes-nous ? », https://www.reseauenfantsretour.ong/qui-sommes-nous/ (dernière consultation le 13 janvier 2022).
- Kim O’Bomsawin, Ce silence qui tue (Québec : Wabanok, 2018).
- En juillet 2020, une vague de dénonciations des violences à caractère sexuel frappe le Québec. Kevin Parent est accusé publiquement d’inconduites sexuelles quelques jours avant cet entretien.